CORRESPONDANCE avec le roi de Prusse - Année 1749 - Partie 61

Publié le par loveVoltaire

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Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

238 – DU ROI

 

 

Le 10 Juin 1749.

 

Jamais on n’a fait d’aussi jolis vers pour des pilules (1) ; ce n’est point parce que j’y suis loué. Je connais en cela l’usage des rois et des poètes ; mais en faisant abstraction de ce qui me regarde, je trouve ces vers charmants.

 

Si des purgatifs produisent d’aussi bons vers, je pourrais bien prendre une prise de séné, pour voir ce qu’elle opérera sur moi.

 

Ce que vous avez cru être une épigramme se trouve être une ode ; je vous l’envoie avec une épigramme contre les médecins (2). J’ai lieu d’être un peu de mauvaise humeur contre leurs procédés : j’ai la goutte, et ils ont pensé me tuer à force de sudorifiques.

 

Ecoutez : j’ai la folie de vous voir ; ce sera une trahison si vous ne voulez pas vous prêter à me faire passer cette fantaisie. Je veux étudier avec vous ; j’ai du loisir cette année, Dieu sait si j’en aurai une autre. Mais pour que vous ne vous imaginiez pas que vous allez en Laponie, je vous enverrai une douzaine de certificats par lesquels vous apprendrez que ce climat n’est pas tout à fait sans aménité.

 

On fait aller son corps comme l’on veut. Lorsque l’âme dit, Marche, il obéit. Voilà un de vos propres apophtegmes dont je veux bien vous faire ressouvenir.

 

Madame du Châtelet accouche dans le mois de septembre (3) ; vous n’êtes pas une sage-femme ; ainsi elle fera fort bien ses couches sans vous ; et, s’il le faut, vous pourrez alors être de retour à Paris. Croyez d’ailleurs que les plaisirs que l’on fait aux gens sans se faire tirer l’oreille sont de meilleure grâce et plus agréables que lorsqu’on se fait tant solliciter.

 

Si je vous gronde, c’est que c’est l’usage des goutteux. Vous ferez ce qu’il vous plaira ; mais je n’en serai pas la dupe, et je verrai bien si vous m’aimez sérieusement, ou si tout ce que vous me dites n’est qu’un verbiage de tragédie. FÉDÉRIC.

 

 

 

1 – Voir la lettre n° 236. (G.A.)

 

2 – Ode sur les troubles du Nord, et Stances contre un médecin qui pensa tuer un pauvre goutteux à force de le faire suer. Frédéric aurait pu aussi lui envoyer des épigrammes contre l’impératrice Elisabeth, car il la criblait de ses traits. (G.A.)

 

3 – Elle était enceinte des œuvres de Saint-Lambert. (G.A.)

 

 

 

 

 

239 – DE VOLTAIRE

 

 

A Cirey, 20 Juin 1749.

 

 

Votre muse à propos s’irrite

Contre ce vilain Bestuchef ;

Et ce gros buffle moscovite,

Qui voulait nous porter méchef,

Est traité selon son mérite.

 

Je crois qu’autrefois Apollon,

Avant que d’un trait redoutable

Il perçât le serpent python,

Fit contre lui quelque chanson,

Ou quelque épigramme agréable.

 

De ce dieu beaucoup vous tenez.

Vous avez ses traits et sa lyre,

Vous battez et vous chansonnez

Les ennemis de votre empire.

 

 

Sire, on ne peut guère dire des choses plus fortes contre les Moscovites, ni faire de meilleures plaisanteries sur les médecins, que ce que j’ai lu dans les derniers vers que votre majesté a bien voulu m’envoyer.

 

Bien est-il vrai qu’il y a toujours quelques petites fautes contre la langue, qui échappent à la rapidité de votre style et à la beauté de votre imagination.

 

 

Quel est le feu céleste

Ou quelle ardeur funeste

Embrasa ces glaçons ?

 

 

M. le maréchal de Belle-Isle, qui est à présent l’un de nos Quarante, vous dira qu’après ce vers,

 

 

 

Quel est le feu céleste,

 

 

il faudrait un qui ; ou bien il vous dira qu’on aurait pu mettre,

 

 

Quelle flamme funeste,

Infernale ou céleste,

Embrasa ces glaçons ?

 

La strophe qui suit est admirable. Mais des critiques sévères vous diront que la Discorde ne vomit guère de tisons. J’examinerais auprès de vous ces grandes beautés et ces petites fautes, si je pouvais partir, comme votre majesté me l’ordonne, et comme je le souhaite. Mais ni M. Bertenstein, ni M. Bestuchef, tout puissants qu’ils sont, ni même Frédéric-le-Grand, qui les fait trembler, ne peuvent à présent m’empêcher de remplir un devoir que je crois très indispensable. Je ne suis ni faiseur d’enfants, ni médecin, ni sage-femme, mais je suis ami, et je ne quitterai pas, même pour votre majesté, une femme qui peut mourir au mois de septembre (1). Ses couches ont l’air d’être fort dangereuses ; mais si elle s’en tire bien, je vous promets, sire, de venir vous faire ma cour au mois d’octobre. Je tiens toujours pour mon ancienne maxime, que quand vous commandez à une âme, et que cette âme dit à son corps, Marche, le corps doit aller, quelque chétif et quelque cacochyme qu’il soit. En un mot, sire, saint ou malade, je m’arrange pour partir en octobre, et pour arriver tout fourré auprès du Salomon du Nord, me flattant que dans ce temps-là vous n’assiégerez point Pétersbourg, que vous aimerez les vers, et que vous me donnerez vos ordres. Je remercie très fort la Providence de ce qu’elle ne veut pas que je quitte ce monde avant de m’être mis à vos pieds.

 

 

 

1 – Voltaire pressent la catastrophe. (G.A.)

 

 

 

240 – DU ROI

 

 

A Sans-Souci, le 25 Juillet 1749.

 

 

Des lois de l’homicide Mars

Belle-Isle peut m’instruire en maître ;

Mais du bon goût et des beaux-arts

Il n’est que vous qui pouvez l’être,

Vous qui parlez comme les dieux

Leur sublime et charmant langage,

Vous qu’un talent victorieux

Rend immortel par chaque ouvrage,

Vous qui menez vingt arts de front,

Et qui joignez dans votre style

A la prose de Cicéron

Des vers tels qu’en faisait Virgile.

 

 

Je ne veux que vous pour maître en tout ce qui regarde la langue, le goût, et le département du Parnasse. Il faut que chacun fasse son métier. Lorsque le maréchal de Belle-Isle vétillera sur la pureté du langage, Brühl (1)donnera des leçons militaires et fera des commentaires sur les campagnes du grand Turenne, et je composerai un traité sur la vérité de la religion chrétienne.

 

Votre Académie devient plaisante dans ses choix. Ces juges de la langue française vont abandonner Vaugelas pour le bréviaire ; cela paraît un peu singulier aux étrangers.

 

 

Enfin donc votre Académie

Va faire un couvent de dévots ;

L’art de penser et le génie

En sont exclus par les cagots (2).

 

Qui veut le suffrage et l’estime

De ces quarante perroquets

N’a qu’à savoir son catéchisme,

Au demeurant point de français.

 

Dans cette cohue indocile,

Apollon et les doctes Sœurs

N’honoreront de leurs faveurs

Que Richelieu, vous, et Belle-Isle.

 

 

Vous êtes, mon cher Voltaire, comme les mauvais chrétiens ; vous renvoyez votre conversion d’un jour à l’autre. Après m’avoir donné des espérances pour l’été, vous me remettez à l’automne. Apparemment qu’Apollon, comme dieu de la médecine, vous ordonne de présider aux couches de madame du Châtelet. Le nom sacré de l’amitié m’impose silence, et je me contente de ce qu’on me promet.

 

Je corrige à présent une douzaine d’épîtres que j’ai faites, et quelques petites pièces, afin qu’à votre arrivée vous y trouviez un peu moins de fautes. Vous pouvez voir par l’argument de mon poème (3) quel en est le sujet. Le fond de l’histoire est vrai. Darget, alors secrétaire de Valori fut enlevé de nuit, par un partisan autrichien, dans une chambre voisine de celle où couchait son maître. La surprise de Franquini fut extrême quand il s’aperçut qu’il tenait le secrétaire au lieu de l’ambassadeur. Tout ce qui entre d’ailleurs dans ce poème n’est que fiction ; vous le verrez ici, car il n’est pas fait pour être rendu public. Si j’avais le crayon de Raphaël et le pinceau de Rubens, j’essaierais mes forces en peignant les grandes actions des hommes ; mais avec les talents de Callot on ne fait que des charges et des caricatures.

 

J’ai vu ici le héros de la France, ce Saxon (4), ce Turenne du siècle de Louis XV. Je me suis instruit par ses discours, non pas dans la langue française, mais dans l’art de la guerre. Ce maréchal pourrait être le professeur de tous les généraux de l’Europe. Il a vu nos spectacles ; il m’a dit à cette occasion que vous aviez donné une nouvelle comédie au théâtre, que Nanineavait eu beaucoup de succès. J’ai été étonné d’apprendre qu’il paraissait de vos ouvrages dont j’ignorais jusqu’au nom. Autrefois je les voyais en manuscrit, à présent j’apprends par d’autres ce qu’on en dit, et je ne les reçois qu’après que les libraires en ont fait une seconde édition.

 

Je vous sacrifie tous mes griefs, si vous venez ici ; sinon, craignez l’épigramme : le hasard peut m’en fournir une bonne. Un poète, quelque mauvais qu’il soit, est un animal qu’il faut ménager.

 

Adieu ; j’attends la chute des feuilles avec autant d’impatience qu’on attend au printemps le moment de les voir pousser. FÉDÉRIC.

 

 

 

1 – Ministre de l’électeur de Saxe, roi de Pologne. Il s’entendait avec Bestachef contre Frédéric. (G.A.)

 

2 – On venait d’y nommer l’évêque de Rennes. (G.A.)

 

3 – Le Palladion. (G.A.)

 

4 – Maurice de Saxe. (G.A.)

 

 

 

 

 

241 – DE VOLTAIRE

 

 

A Lunéville, ce 28 Juillet 1749.

 

 

Sire, votre majesté m’a ramené à la poésie. Il n’y a pas moyen d’abandonner un art que vous cultivez. Permettez que j’envoie à votre majesté une épître un peu longue que j’ai faite avant mon départ de Paris, pour une de mes nièces, qui est aussi possédée du démon de la poésie (1). Vous y verrez, sire, la vie de Paris peinte assez au naturel. Celle qu’on mène à Potsdam auprès de votre majesté est un peu différente, et j’attends vos ordres pour jouir encore de l’honneur que vous daignez me faire. Sain ou malade, il n’importe : je vous ai promis que je partirais dès que madame du Châtelet serait relevée de couches ; ce sera probablement pour le milieu de septembre, ou au plus tard pour la fin. Ainsi, je ferai bientôt, pour voir mon Auguste, un voyage un peu plus long que Virgile n’en faisait pour voir le sien. J’apporterai à vos pieds tout ce que j’ai fait, et vous daignerez me faire part de vos ouvrages. Après cela, je mourrai content, et je pourrai bien me faire enterrer dans votre église catholique. Un Anglais fit mettre sur son tombeau : Ci-gît l’ami du chevalier Sidney. Je ferai mettre sur le mien : Ci-gît l’admirateur de Frédéric-le-Grand (2).

 

Il n’y a pas longtemps qu’un prince, en lisant une nouvelle édition qu’on vient de faire de votre Anti-Machiavel, fut fâché de ce que vous y dites de Charles XII. « Il a beau faire, dit-il en colère, il ne l’effacera pas. » On lui répondit : « Charles XII a été le premier des grenadiers, et le roi de Prusse est le premier des rois. »

 

Croyez, sire, que mon enthousiasme pour vous a toujours été le même, et que si vous étiez roi des Indes, je ferais le voyage de Lahor et de Delhi. Croyez que rien n’égale le profond respect et l’éternel attachement de V.

 

 

 

1 – L’épître à madame Denis, Sur la vie de Paris et de Versailles. (G.A.)

 

2 – Voyez une lettre de Voltaire, de Juin 1738. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 ROI DE PRUSSE - 1749 - Partie 61

 

 

 

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J
<br /> « Je ne suis ni faiseur d’enfants, ni médecin, ni sage-femme, mais je suis ami, et je<br /> ne quitterai pas, même pour votre majesté, une femme ... »<br /> <br /> <br /> Voilà, entre autres choses, de ces paroles et actes de Volti qui me font l'aimer, et je<br /> ferai en sorte d'être fidèle à sa pensée et à vous LoveV.<br /> <br /> <br /> Bonnes nuits et belles journées<br /> <br /> <br /> Amicalement <br />
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L
<br /> <br /> Mais quel homme, notre ami Voltaire !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je suis comme vous, Mister James, je l'aime encore plus, si cela est possible...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bonne soirée à vous et merci aussi de votre affection si fidèle depuis bientôt 4 ans.<br /> <br /> <br /> <br />