CORRESPONDANCE avec le roi de Prusse - 1742 - Partie 43

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183 – DU ROI

 

 

Au camp de Kuttenberg, le 18 Juin 1742.

 

 

Les Palmes de la Paix font cesser les alarmes ;

Au tranquille olivier nous suspendons nos armes (1).

Déjà l’on n’entend plus le sanguinaire son

Du tambour redoutable et du bruyant clairon ;

Et ces champs que la Gloire, en exerçant sa rage,

Souillait de sang humain, de morts, et de carnage,

Cultivés avec soin fourniront dans trois mois

L’heureuse et l’abondante image

D’un pays régi par les lois.

 

Tous ces vaillants guerriers que l’intérêt du maître

Ou rendait ennemis, ou le faisait paraître,

De la douce amitié resserrant les liens,

Se prêtent des secours, et partagent leurs biens.

 

La Mort l’apprend, frémit ; et ce monstre barbare,

De la Discorde en vain secourant les flambeaux,

Se replonge dans le Tartare,

Attendant des crimes nouveaux.

 

O Paix ! heureuse Paix ! répare sur la terre

Tous les maux que lui fait la destructive guerre !

Et que ton front, paré de renaissantes fleurs,

Plus que jamais serein, prodigue tes faveurs !

Mais quel que soit l’espoir sur lequel tu te fonde,

Pense que tu n’auras rien fait,

Si tu ne peux bannir deux monstres de ce monde,

L’Ambition et l’Intérêt.

 

 

         J’espère qu’après avoir fait ma paix avec les ennemis, je pourrai à mon tour la faire avec vous. Je demande le Siècle de Louis XIV pour la sceller de votre part, et je vous envoie la relation que j’ai faite moi-même de la dernière bataille, comme vous me la demandez.

 

         Je ne puis vous entretenir encore jusqu’à présent que de marches, de retraites honteuses, de poursuites, de coïonneries, et de toutes sortes d’événements qui, pour rouler sur des matières fort graves, n’en sont pas moins ridicules.

 

         La santé de Rothembourg commence à se rétablir ; il est entièrement hors de danger. Ne me croyez point cruel, mais assez raisonnable pour ne choisir un mal que lorsqu’il faut en éviter un pire. Tout homme qui se détermine à se faire arracher une dent quand elle est cariée, livrera bataille lorsqu’il voudra terminer une guerre. Répandre du sang dans une pareille conjoncture, c’est véritablement le ménager ; c’est une saignée que l’on fait à son ennemi en délire, et qui lui rend son bon sens.

 

         Adieu, cher Voltaire ; croyez toujours, et jusqu’à ce que je vous dise le contraire, que je vous estimerai et aimerai toute ma vie. FÉDÉRIC.

 

 

1 – Les préliminaires de la paix avec l’Autriche avaient été signés le 11 Juin. Frédéric abandonnait ainsi la France, qui, de son côté, n’avait cessé de négocier secrètement avec Vienne. (G.A.)

 

 

 

 

 

184 – DU ROI

 

 

Au camp de Kuttenberg, le 20 Juin 1742.

 

 

Enfin ce Bork est revenu

Après avoir beaucoup couru.

Entre les beaux bras d’Emilie

Il m’assure vous avoir vu,

Le corps languissant, abattu,

Mais toujours l’esprit plein de vie

Et de cette aimable saillie

Qui vous a rendu si connu

Depuis ce pays malotru

Jusqu’à Paris votre patrie.

 

Enfin le vieux Broglie a perdu,

Non pas sa culotte salie (1)

Dont personne n’aurait voulu ;

Mais, brusquement tournant le cu

Devant les pandours de Hongrie,

Fuyant avec ignominie,

Il perd tout, sans être battu,

Et sous Prague il se réfugie.

Le jeune Louis l’a fait duc

Pour honorer son savoir-faire ;

S’il l’eût été par l’archiduc,

J’entendrais bien mieux ce mystère.

 

 

         Notre genre de vie est assez différent de celui de Versailles, et plus encore de celui de Remusberg. Aujourd’hui un ambassadeur est venu me faire des propositions ; hier il en est parti un chargé de fumée ; et demain il en arrivera un autre avec du galvanum (2). On amena hier matin une quarantaine de Talpashs prisonniers, d’ailleurs les plus jolis garçons du monde. Nos hussards vont actuellement battre la campagne pour amener des paysans, des chariots, et des vivres ; nous faisons transporter nos blessés et nos malades pour le pays où nous les suivrons bientôt.

 

         Puissiez-vous jouir sans discontinuation d’une santé ferme et vigoureuse ! puissiez-vous, plus philosophe que vous n’êtes, préférer la solitude de Charlottembourg aux charmes du palais d’Armide que vous habitez ! puissiez-vous être le plus heureux des mortels, comme vous en êtes le plus aimable !

 

         Ce sont les souhaits que vous fait un ancien ami, du fond de son cœur. Adieu. FÉDÉRIC.

 

 

1 – Allusion aux refrains contre de Broglie et son armée. (G.A.)

 

2 – Médicament qui calme les crises de nerfs. (G.A.)

 

 

 

 

 

185 – DE VOLTAIRE

 

 

Juin 1742.

 

 

Sire, me voilà dans Paris ;

C’est, je crois, votre capitale ;

Tous les sots, tous les beaux esprits,

Gens à rabat, gens à sandale,

Petits-maîtres, pédants rigris,

Parlent de vous sans intervalle.

Sitôt que je suis aperçu,

On court, on m’arrête au passage :

Eh bien : dit-on, l’avez-vous vu

Ce roi si brillant et si sage ?

Est-il vrai qu’avec sa vertu

Il est pourtant grand politique ?

Fait-il des vers, de la musique,

Le jour même qu’il s’est battu ?

Comment, à lui-même rendu,

Le trouvez-vous sans diadème,

Homme simple redevenu ?

Est-il bien vrai qu’alors on l’aime

D’autant plus qu’il est mieux connu,

Et qu’on le trouve dans lui-même ?

On dit qu’il suit de près les pas

Et de Gustave et de Turenne

Dans les camps et dans les combats,

Et que le soir, dans un repas,

C’est Catulle, Horace, et Mécène.

A mes côtés un raisonneur,

Endoctriné par la Gazette,

Me dit d’un ton rempli d’humeur :

Avec l’Autriche on dit qu’il traite.

Non, dit l’autre, il sera constant,

Il sera l’appui de la France.

Une bégueule, en s’approchant,

Dit : Que m’importe sa constance ?

Il est aimable, il me suffit ;

Et voila tout ce que j’en pense ;

Puisqu’il sait plaire, tout est dit (1).

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .

Thierrot.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . .  .  .  .  .

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .

Envoyer au roi des fromages,

Et les emballer prudemment

Dans certains modernes ouvrages.

Thieriot me dit tristement :

Ce philosophe conquérant

Daignera-t-il incessamment

Me faire payer mes messages ?

Ami, n’en doutez nullement,

On peut compter sur ses largesses ;

Mon héros est compatissant,

Et mon héros tient ses promesses :

Car sachez que, lorsqu’il était

Dans cet âge où l’homme est frivole,

D’être un grand homme il promettait,

Et qu’il a tenu sa parole.

 

 

         C’est ainsi que tout le monde, en me parlant de votre majesté, adoucit un peu mon chagrin de n’être plus auprès d’elle. Mais, sire, prendrez-vous toujours des villes, et serai-je toujours à la suite d’un procès ? N’y aura-t-il pas cet été quelques jours heureux où je pourrai faire ma cour à votre majesté, etc. ?

 

 

1 – Les vers qui suivaient étaient, dit-on, relatifs à la maîtresse de Louis XV, madame de Mailly. On ne les a pas. (G.A.)

 

 

 

 

 

186 – DE VOLTAIRE (1)

 

 

Juillet 1742.

 

 

         Sire, j’ai reçu des vers et de très jolis vers de mon adorable roi (2), dans le temps que nous pensions que votre majesté ne songeait qu’à délivrer d’inquiétude le maréchal de Broglio, votre ancien ami de Strasbourg. Votre majesté a glissé dans sa lettre l’agréable mot de paix, ce mot qui est si harmonieux à mon oreille. Voici une ode que je barbouillais contre vous autres monarques, qui sembliez alors acharnés à détruire mes confrères les humains. Le saigneur des nations (3), Frédéric III, Frédéric-le-Grand, a exaucé mes vœux ; et à peine mon ode, bonne ou mauvaise (4), a été faite, que j’ai appris que votre majesté avait fait un très bon traité, très bon pour vous sans doute, car vous avez formé votre esprit vertueux à être grand politique. Mais si ce traité est bon pour nous autres Français, c’est ce dont l’on doute à Paris ; la moitié du monde crie que vous abandonnez nos gens à la discrétion du dieu des armes ; l’autre moitié crie aussi, et ne sait ce dont il s’agit ; quelques abbés de Saint-Pierre vous bénissent au milieu de la criaillerie. Je suis un de ces philosophes ; je crois que vous forcerez toutes les puissances à faire la paix, et que le héros du siècle sera le pacificateur de l’Allemagne et de l’Europe. J’estime que vous avez gagné de vitesse.

 

 

Ce vieillard vénérable (5) à qui les destinées

Ont de l’heureux Nestor accordé les années.

 

 

         Achille a été plus habile que Nestor ; heureuse habileté, si elle contribue au bonheur du monde ! Voici donc le temps où votre majesté pourra amuser cette grande âme pétrie de tant que qualités contraires. Soyez sûr, sire, qu’avant qu’il soit un mois, j’irai chercher moi-même à Bruxelles les papiers que vous daignez honorer d’un peu de curiosité (6), ou que je les ferai venir ; il y a de petites choses qu’un petit citoyen (7) ne peut faire que difficilement, tandis que Frédéric-le-Grand en fait de si grandes en un moment. Vous n’êtes donc plus notre allié, sire ? mais vous serez celui du genre humain ; vous voudrez que chacun jouisse en paix de ses droits et de son héritage, et qu’il n’y ait point de troubles ; ce sera la pierre philosophale de la politique, elle doit sortir de vos fourneaux. Dites : Je veux qu’on soit heureux, et on le sera. Ayez un bon opéra, une bonne comédie. Puissé-je être témoin à Berlin de vos plaisirs et de votre gloire !

 

 

1 – Voici la lettre qui, publiée par trahison, causa un tel scandale que presque tous les amis de Voltaire prononcèrent contre lui. On l’accusait de n’avoir pas le cœur français puisqu’il applaudissait à la paix que Frédéric avait conclue sans souci de son alliée. La maîtresse de Louis XV demandait une punition exemplaire, et Voltaire dut lui écrire que toutes les expressions de la lettre qu’on lui attribuait étaient falsifiées. Voyez la CORRESPONDANCE GÉNÉRALE, 13 Juillet 1742. (G.A.)

 

2 – Voyez la lettre de Frédéric, du 18 Juin 1742. (G.A.)

 

3 – Voyez la fin de l’avant-dernier alinéa de la lettre du 18 Juin. (G.A.)

 

4 – Voyez, Ode de la reine de Hongrie. (G.A.)

 

5 – Le cardinal Fleury. (G.A.)

 

6 – La continuation du Siècle de Louis XIV, que Voltaire achevait. (G.A.)

 

7 – C’est à ces expressions que madame du Deffand reconnut que la lettre était bien de la main de Voltaire. (G.A.)

 

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