CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Avertissement
Photo de PAPAPOUSS
Jean LE ROND D'ALEMBERT
(1717 - 1783)
CORRESPONDANCE
AVEC
D’ALEMBERT
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AVERTISSEMENT POUR LA PRÉSENTE ÉDITION.
A l’exception de M. Beuchot, tous les éditeurs des Œuvres complètes de Voltaire ont détaché de la CORRESPONDANCE GÉNÉRALE non seulement les lettres à Frédéric de Prusse, à Catherine de Russie, et à d’autres souverains ou princes, mais encore celles qui furent adressées à un simple particulier, d’Alembert. Loin de protester contre cette dernière distinction, nous y ajouterons même, en donnant le pas à d’Alembert sur toute la bande des porte-couronnes, et nous regrettons bien que l’ordonnance de notre éditions ne nous permette pas de faire le même honneur à deux autres confidents du philosophe, d’Argental et Damilaville.
La correspondance avec d’Argental est celle, entre toutes, qui a le plus de durée et de suite ; elle n’a pas un caractère moins particulier que la série des lettres à d’Alembert ; Voltaire s’y montre presque exclusivement comme auteur dramatique, et c’est là, si nous ne nous trompons, un bon quart de sa personne. Quant à la correspondance avec Damilaville, elle est courte, à peine embrasse-t-elle huit années ; mais ces huit années sont les plus chaudes de la grande campagne anti-chrétienne. Jamais Voltaire ne s’est livré plus ardemment qu’en ce temps-là à la propagande philosophique, et quand il prend tout son élan, c’est bien plutôt en compagnie de frère Damilaville que dans la société de l’académicien d’Alembert. Avec ce dernier il délibère, il discute encore ; avec l’autre, il va ; chacune de ses lettres est un acte, un bond en avant. Aussi n’est-ce qu’en amalgamant les deux correspondances du philosophe qu’on pourrait se faire une juste idée de l’énergie de ses attaques contre l’Infâme.
D’Alembert, Damilaville, d’Argental, Frédéric II, voilà donc les quatre noms qu’il faut inscrire en tête de la CORRESPONDANCE ; ils désignent les grands canaux par où l’âme de Voltaire s’est déversée dans l’ombre le plus continuement et avec le plus d’abandon pendant sa longue existence.
On a réuni jusqu’à ce jour quatre cent quarante et une lettres de Voltaire à d’Alembert et de d’Alembert à Voltaire. Au début de cette correspondance, Voltaire comptait près de soixante ans et d’Alembert n’avait pas encore atteint la quarantaine. Ils s’écrivirent sans interruption jusqu’à ce que l’un deux, Voltaire, tomba. Les lettres du patriarche partent toujours du même point, la frontière suisse, et presque toutes s’envolent ou se glissent vers la ville par excellence, Paris, où d’Alembert habitait. On trouve donc dans cette correspondance ce qu’on appellerait aujourd’hui des échos parisiens, s’entre-croisant avec les idées, les projets et les manœuvres du grand agitateur de Ferney. Mais une chose y fait surtout relief : l’amour des deux philosophes pour le bien, pour le juste, amour qui se manifeste même par des actes extra-littéraires. Après avoir parcouru de suite ces lettres, on n’est guère occupé des renseignements qu’elles fournissent sur l’Encyclopédie et sur les intrigues académiques : ce qu’on se rappelle, ce qui vous remplit, c’est d’y avoir vu Voltaire s’employant sans relâche pour La Barre, puis pour d’Etalonde, et d’Alembert entreprenant avec non moins de zèle la délivrance de Français prisonniers en Russie.
Aussi ne pouvons-nous finir cet AVERTISSEMENT sans mettre en garde le lecteur contre l’étrange opinion émise sur cette correspondance par le premier critique de notre époque, M. Sainte-Beuve : « Toute cette correspondance, a-t-il écrit, est laide ; elle sent la secte et le complot, la confrérie et la société secrète ; de quelque point de vue qu’on l’envisage, elle ne fait point honneur à des hommes qui érigent le mensonge en principe, et qui partent du mépris de leurs semblables comme de la première condition pour les éclairer : « Eclairez et méprisez le genre humain. Triste mot d’ordre, et c’est le leur. » Triste jugement pour un libre penseur, auquel nous nous contenterons d’opposer le sentiment de Condorcet sur les mêmes lettres.
Georges AVENEL.