CORRESPONDANCE - Année 1762 - Partie 19

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à Charles-Théodore,

 

ÉLECTEUR PALATIN.

 

Aux Délices, le 5 Juillet 1762.

 

 

          Monseigneur, je voudrais bien que mon bon hiérophante trouvât grâce devant votre altesse électorale. Il n’est ni janséniste ni moliniste ; c’est le meilleur prêtre que je connaisse. Si les jésuites lui avaient ressemblé, ils seraient encore en Portugal, et ne seraient point honnis en France. Toute la famille d’Alexandre (1), que j’ai mise à vos pieds il y a un mois, attend ce que vous pensez d’elle pour savoir si elle doit se montrer.

 

          Me sera-t-il permis d’avoir recours à votre protection pour le temporel (2), après avoir soumis le spirituel à vos lumières ? Votre altesse électorale voit que l’âme et le corps du petit Suisse dépendent d’elle. La petite-fille de Corneille et son édition languissent. J’espère que M. de Bekers (3) nous ranimera. C’est auprès de M. de Bekers que je vous implore ; je crois qu’il n’y a point auprès de lui de meilleure protection que la vôtre. Daignez donc souffrir, monseigneur, que j’adresse à votre altesse électorale le triste et discourtois placet que je présente à votre contrôleur-général. Il y a de fins courtisans italiens qui prétendent qu’il faut toujours aller au prince par les ministres ; et moi, monseigneur, je tiens que dans votre cour il faut aller au ministre par le prince, et c’est toujours à votre belle âme qu’il faut avoir recours.

 

          Que votre altesse électorale daigne agréer, avec sa bonté ordinaire, l’attachement, la reconnaissance, et le profond respect, etc.

 

 

1 – L’électeur était débiteur de Voltaire. (G.A.)

 

2 – Ministre des finances de l’électeur. (G.A.)

 

3 – Voyez l’Affaire Calas. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

Aux Délices, 5 Juillet.

 

           Mes divins anges, cette malheureuse veuve a donc eu la consolation de paraître en votre présence ; vous avez bien voulu l’assurer de votre protection. Vous avez lu sans doute les Pièces Originales que je vous ai envoyées par M. de Courteilles ; comment peut-on tenir contre les faits avérés que ces pièces contiennent ? Et que demandons-nous ? Rien autre chose sinon que la justice ne soit pas muette comme elle est aveugle, qu’elle parle, qu’elle dise pourquoi elle a condamné Calas. Quelle horreur qu’un jugement secret, une condamnation sans motifs ! Y a-t-il une plus exécrable tyrannie que celle de verser le sang à son gré, sans  en rendre la moindre raison ? Ce n’est pas l’usage, disent les juges. Eh ! Monstres ! Il faut que cela devienne l’usage : vous devez compte aux hommes du sang des hommes. Le chancelier serait-il assez….. pour ne pas faire venir la procédure ?

 

           Pour moi, je persiste à ne vouloir autre chose que la production publique de cette procédure. On imagine qu’il faut préalablement que cette pauvre femme fasse venir des pièces de Toulouse. Où les trouvera-t-elle ! Qui lui ouvrira l’antre du greffe ? Où la renvoie-t-on, si elle est réduite à faire elle-même ce que le chancelier ou le conseil seul peut faire ? Je ne conçois pas l’idée de ceux qui conseillent cette pauvre infortunée. D’ailleurs ce n’est pas elle seulement qui m’intéresse, c’est le public, c’est l’humanité. Il importe à tout le monde qu’on motive de tels arrêts. Le parlement de Toulouse doit sentir qu’on le regardera comme coupable tant qu’il ne daignera pas montrer que les Calas le sont ; il peut s’assurer qu’il sera l’exécration d’une grande partie de l’Europe.

 

           Cette tragédie me fait oublier toutes les autres, jusqu’aux miennes. Puisse celle qu’on joue en Allemagne finir bientôt !

 

           Mes charmants anges, je remercie encore une fois votre belle âme de votre belle action.

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

Aux Délices, 7 Juillet 1762.

 

           Mes divins anges, nous ne demandons autre chose au conseil sinon que, sur le simple exposé des jugements contradictoires du parlement de Toulouse, et sur l’impossibilité physique qu’un vieillard faible, de soixante-huit ans, ait pendu un jeune homme de vingt huit ans, le plus robuste de la province, sans le secours de personne, on se fasse représenter la procédure.

 

           A cet effet, un des fils de Calas, qui est chez moi, envoie sa requête à M. Mariette, avocat au conseil, lequel la rédigera ; et nous espérons qu’elle sera signée de la mère.

 

           Nous craignons que le parti fanatique qui accable cette famille infortunée à Toulouse, et qui a eu le crédit de faire enfermer les deux filles dans un couvent, n’ait encore celui de faire enfermer la mère, pour lui fermer toutes les avenues au conseil du roi.

 

           Mais le fils, qui est en sûreté, remplira l’Europe de ses cris, et soulèvera le ciel et la terre contre cette iniquité horrible.

 

           Je répète qu’il est peu vraisemblable que la veuve Calas puisse tirer les pièces de l’antre du greffe de Toulouse, puisqu’il y a  des défenses sévères de les communiquer à personne.

 

           Cette seule défense prouve assez que les juges sentent leur faute.

 

           Si, par impossible, les juges ont eu des convictions que les accusés étaient coupables, s’ils n’ont puni que le père, et si, contre les lois, ils ont élargi les autres, en ce cas il est toujours très important de découvrir la vérité. Il y a d’un côté ou d’un autre le plus abominable fanatisme, et il faut le découvrir.

 

           J’implore M. de Courteilles, uniquement pour que la vérité soit connue ; la justice viendra ensuite.

 

           Tous les étrangers frémissent de cette aventure. Il est important pour l’honneur de la France que le jugement de Toulouse soit ou confirmé ou condamné.

           

           Je présente mon respect à M. et à Madame de Courteilles, à M. et madame d’Argental. Cette affaire est digne de toute leur bonté.

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

Aux Délices, 8 Juillet 1762.

 

           Nous ne pouvons, dans notre éloignement de Paris, que procurer des protections à cette famille infortunée ; c’est à MM. les avocats, soit du conseil, soit du parlement, à régler la forme. Les Pièces originales imprimées intéressent quiconque les a lues ; tout le monde plaint la veuve Calas ; le cri public s’élève, ce cri peut frapper les oreilles du roi. J’ignore si cette affaire sera portée au conseil privé ou au conseil des parties : tout ce que je sais, c’est qu’elle est juste.

 

           On m’assure que le parlement de Toulouse ne veut pas seulement communiquer l’énoncé de l’arrêt.

 

           Il me paraît qu’on peut commencer par présenter requête pour obtenir la communication de cet arrêt et des motifs : il y a cent exemples que le roi s’est fait rendre compte d’affaires bien moins intéressantes. N’avons-nous pas des raisons assez fortes pour demander et pour obtenir que les pièces soient communiquées par ordre de la cour ?

 

           La contradiction évidente des deux jugements, dont l’un condamne à la roue un accusé et dont l’autre met hors de coup des complices qui n’ont point quitté cet accusé ; le bannissement du fils, et sa détention dans un couvent de Toulouse après ce bannissement ; l’impossibilité physique qu’un vieillard de soixante-huit ans ; enfin l’esprit de parti qui domine dans Toulouse ; tout cela ne forme t-il pas des présomptions assez fortes pour forcer le conseil du roi à se faire représenter l’arrêt ?

 

           Je demande encore si un  fils de l’infortuné Jean Calas, qui est en France, retiré dans un village de Bourgogne, ne peut pas se joindre à sa mère, et envoyer une procuration quand il s’agira de présenter requête ? Ce jeune homme, il est vrai, n’était point à Toulouse dans le temps de cette horrible catastrophe ; mais il a le même intérêt que sa mère et leurs noms réunis ne peuvent-il pas faire un grand effet ?

 

           Plus je réfléchis sur le jugement de Toulouse, moins je le comprends : je ne vois aucun temps dans lequel le crime prétendu puisse avoir été commis ; je ne vois pas qu’il y ait jamais eu de condamnation plus horrible et plus absurde, et je pense qu’il suffit d’être homme pour prendre le parti de l’innocence cruellement opprimée. J’attends tout de la bonté et des lumières de ceux qui protègent la veuve Calas.

 

           Il est certain qu’elle ne quitta pas son mari d’un moment dans le temps qu’on suppose que son mari commettait un parricide. Si son mari eût été coupable, elle aurait donc été complice : or, comment ayant été complice ferait-elle deux cents lieues pour venir demander qu’on revît le procès, et qu’on la condamnât à la mort ? Tout cela fait saigner le cœur et lever les épaules. Toute cette aventure est une complication d’évènements incroyables, de démence, et de cruauté. Je suis témoin qu’elle nous rend odieux dans les pays étrangers, et je suis sûr qu’on bénira la justice du roi, s’il daigne ordonner que la vérité paraisse.

 

           On a écrit à M. le premier président Nicolaï, à M. le premier président d’Auriac (1), qui ont tous deux un grand crédit sur l’esprit de M. le chancelier, Madame la duchesse d’Enville, M. le maréchal de Richelieu, M. le duc de Villars, doivent avoir écrit à M. de Saint-Florentin. On a écrit à M. de Chaban, en qui M. de Saint-Florentin a beaucoup de confiance ; et M. Tronchin, le fermier-général, peut tout auprès de M. de Chaban.

 

           Donat Calas, retiré en Bourgogne a, de son côté, pris la liberté d’écrire à M. le chancelier, et a envoyé une requête au conseil ; le tout a été adressé à M. Héron, premier commis du conseil, qui fera rendre les pièces selon qu’il trouvera la chose convenable. Je vous en envoie une copie, parce qu’il me paraît nécessaire que vous soyez informés de tout.

 

           J’ai écrit aussi à M. Ménard, premier commis de M. de Saint-florentin ; je pense qu’il faut frapper à toutes les portes, et tenter tous les moyens qui pourraient s’entr’aider, sans pouvoir s’entre-nuire.

 

           Depuis ce mémoire écrit, j’ai reçu une lettre de M. Mariette, avocat au conseil, qui a vu la pauvre Calas, et qui dit ne pouvoir rien sans un extrait des pièces. Mais quoi donc ! Ne pourrait-on demander justice sans avoir les armes que nos ennemis nous refusent ? On pourra donc verser le sang innocent impunément, et en être quitte pour dire : « je ne veux pas dire pourquoi on l’a versé ? » Ah ! Quelle horreur ! Quelle abominable justice ! Y a-t-il dans un monde une tyrannie pareille ? Et les organes des lois sont-ils faits pour être des Busiris ?

 

           Voici une lettre que j’écris à M. Mariette ; j’y joins un exemplaire des Pièces originales, ne sachant point s’il les a vues. Je supplie M. et madame d’Argental, nos protecteurs, de vouloir bien ajouter à toutes leurs bontés celle de vouloir bien faire rendre cette lettre et des pièces à M. Mariette. Ils peuvent, je crois, se servir de l’enveloppe de M. de Courteilles.

 

           Je leur présente mes respects.

 

 

1 – On n’a pas ces lettres. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville

8 Juillet 1762.

 

 

Vous savez, mon cher frère, que la place sur laquelle vous avez des vues est promise depuis longtemps, et que vous déplairiez si vous insistiez. Toutes les raisons de justice et de convenance sont pour vous ; mais elles doivent céder à l’autorité de M. le contrôleur-général, et à son amitié pour M. de Morival. S’il vous avait connu, ce serait vous qu’il aimerait sans doute. Faites-vous un mérite auprès de lui de votre sacrifice, afin qu’il vous aime à votre tour. Tâchez de lui parler ; donnez-lui des éloges sur ce que l’amitié lui fait faire ; remettez votre sort entre ses mains. Cette conduite, la seule que vous deviez tenir, peut contribuer à votre fortune. Mon cher frère, je vous prierai toujours de prendre votre parti en philosophe sur l’affaire de cette direction. Plût à Dieu que vous pussiez demander et obtenir celle de Lyon ! Il y a déjà un philosophe dans cette ville (1) ; vous seriez deux, et l’archevêque, s’il osait, serait le troisième.

 

          Vous devez avoir reçu un paquet contenant les Pièces originales imprimées ; je vous prie d’en envoyer un exemplaire à M. Mignot, conseiller au grand-conseil, et un chez MM. Dufour et Mallet, banquiers : c’est chez eux que demeure cette veuve si à plaindre. Il est bien à souhaiter qu’on puisse imprimer à son profit ces Pièces qui me paraissent convaincantes, et qu’elles puissent être portées au pied du trône par le public soulevé en faveur de l’innocence. Faites-les imprimer ; criez, je vous en prie et faites crier. Il n’y a que le cri public qui puisse nous obtenir justice. Les formes ont été inventées pour perdre les innocents.

           

           Mon frère Thieriot vous embrasse ; mon frère d’Alembert me néglige positivement.

 

 

1 – Bordes. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Audibert

Aux Délices, le 9 Juillet 1762.

 

 

           Vous avez pu voir, Monsieur, les lettres de la veuve Calas et de son fils. J’ai examiné cette affaire pendant trois mois ; je peux me tromper, mais il me paraît clair comme le jour que la fureur de la faction et la singularité de la destinée ont concouru à faire assassiner juridiquement sur la roue le plus innocent et le plus malheureux des hommes, à disperser sa famille, et à la réduire à la mendicité. J’ai bien peur qu’à Paris on songe peu à cette affaire. On aurait beau rouer cent innocents, on ne parlera à Paris que d’une pièce nouvelle, et on ne songera qu’à un bon souper.

 

           Cependant, à force d’élever la voix, on se fait entendre des oreilles les plus dures ; et quelquefois même les cris des infortunés parviennent jusqu’à la cour. La veuve Calas est à Paris chez MM. Dufour et Mallet, rue Montmartre ; le jeune Lavaysse y est aussi. Je crois qu’il a changé de nom ; mais la pauvre veuve pourra vous faire parler à lui. Je vous demande en grâce d’avoir la curiosité de les voir l’un et l’autre ; c’est une tragédie dont le dénouement est horrible et absurde, mais dont le nœud n’est pas encore bien débrouillé.

 

           Je vous demande en grâce de faire parler ces deux acteurs, de tirer d’eux tous les éclaircissements possible, et de vouloir bien m’instruire des particularités principales que vous aurez apprises.

 

           Mandez-moi aussi, monsieur, je vous en conjure, si la veuve Calas est dans le besoin ; je ne doute pas qu’en ce cas MM. Tourton et Baur ne se joignent à vous pour la soulager. Je me suis chargé de payer les frais du procès qu’elle doit intenter au conseil du roi. Je l’ai adressée à M. Mariette, avocat au conseil, qui demande pour agir l’extrait de la procédure de Toulouse. Le parlement, qui paraît honteux de son jugement, a défendu qu’on donnât communication des pièces, et même de l’arrêt. Il n’y a qu’une extrême protection auprès du roi qui puisse forcer ce parlement à mettre au jour la vérité. Nous faisons l’impossible pour avoir cette protection, et nous croyons que le cri public est le meilleur moyen pour y parvenir.

 

           Il me paraît qu’il est de l’intérêt de tous les hommes d’approfondir cette affaire, qui, d’une part ou d’une autre, est le comble du plus horrible fanatisme. C’est renoncer à l’humanité que de traiter une telle aventure avec indifférence. Je suis sûr de votre zèle : il échauffera celui des autres, sans vous compromettre.

 

           Je vous embrasse tendrement, mon cher camarade, et suis avec tous les sentiments que vous méritez, etc.

 

 

 

 

 

à M. de Vosge. (1)

 

1762.

 

 

          Je n’ai, monsieur, que des grâces à vous rendre et des éloges à vous donner : il est vrai que quelques curieux murmurent de voir que les estampes ne sont pas d’une grandeur uniforme ; mais je ne hais pas cette variété ; et j’aime mieux les grandes figures que les petites. Ces objets de comparaison piqueront même la curiosité des connaisseurs.

 

          Vous pouvez m’envoyer tous vos dessins, je les ferai graver. Je vous enverrai les ébauches sur lesquelles vous donnerez vos ordres.

 

          Je vous prie de compter sur mon estime et sur ma reconnaissance. J’ai l’honneur d’être, monsieur, etc.

 

 

1 – Ce billet, toujours classé jusqu’ici à l’année 1761, est de 1762, et sans doute du 9 Juillet. (G.A.)

 

 

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