CORRESPONDANCE - Année 1762 - Partie 17

Publié le par loveVoltaire

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à M. de Vosge.

 

Juin 1762 (1).

 

 

          Je prie M. de Vosge d’être persuadé de mon estime et de ma reconnaissance.

 

          Il a rectifié avec beaucoup de goût l’estampe pitoyable qui était à la tête d’Œdipe.

 

          Il pourrait dessiner et graver, s’il le veut bien :

 

Sophonisbe à qui on présente la coupe de poison ;

 

Pompée qui, dans Sertorius,brûle les lettres, etc. ;

 

Don Sanche d’Aragon qu’on veut empêcher de s’asseoir ;

 

Nicomède qui apaise une sédition ;

 

Œdipe, suivant le dessin ci-joint ;

 

La Toison d’Or, un dragon et deux taureaux menaçants ;

 

Othon qu’on proclame empereur, et Galba qu’on tue dans un coin .

 

Agésilas, - Attila, - Suréna, - Pulchérie, - Tite et Bérénice : supposé qu’on puisse dessiner quelques moment heureux de ces pièces malheureuses.

 

          J’ai l’honneur, etc. VOLTAIRE.

 

 

1 – C’est à tort que nos prédécesseurs ont classé cette lettre à l’année 1761. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

11 Juin 1762.

 

 

          Mes divins anges, je me jette réellement à vos pieds et à ceux de M. le comte de Choiseul. La veuve Calas est à Paris, dans le dessein de demander justice ; l’oserait-elle si son mari eût été coupable ? Elle est de l’ancienne maison de Montesquieu, par sa mère (ces Montesquieu sont de Languedoc) ; elle a des sentiments dignes de sa naissance, et au-dessus de son horrible malheur. Elle a vu son fils renoncer à la vie, et se pendre de désespoir ; son mari, accusé d’avoir étranglé son fils, condamné à la roue, et attestant Dieu de son innocence en expirant ; un second fils, accusé d’être complice d’un parricide, banni, conduit à une porte de la ville, et reconduit par une autre porte dans un couvent ; ses deux filles enlevées ; elle-même enfin interrogée sur la sellette, accusée d’avoir tué son fils, élargie, déclarée innocente, et cependant privée de sa dot. Les gens les plus instruits me jurent que la famille est aussi innocente qu’infortunée. Enfin, si malgré toutes les preuves que j’ai, malgré les serments qu’on m’a faits, cette femme avait quelque chose à se reprocher, qu’on la punisse ; mais si c’est, comme je le crois, la plus vertueuse et la plus malheureuse femme du monde, au nom du genre humain, protégez-là. Que M. le comte de Choiseul daigne l’écouter : Je lui fais tenir un petit papier qui sera son passeport pour être admise chez vous ; ce papier contient ces mots : « La personne en question vient se présenter chez M. d’Argental, conseiller d’honneur du parlement, envoyé de Parme, rue de la Sourdière. »

 

          Mes anges, cette bonne œuvre est digne de votre cœur.

 

 

 

 

 

à M. Elie de Beaumont.

11 Juin.

 

 

           Je vous adresse,  monsieur, la plus infortunée de toutes les femmes (1), qui demande la chose du monde la plus juste. Mandez-moi, je vous prie, sur-le-champ, quelles mesures on peut prendre ; je me chargerai de la reconnaissance : je suis trop heureux de l’exercer envers un talent aussi beau qu’est le vôtre.

 

           Ce procès, d’ailleurs si étrange et si capital, peut vous faire un honneur infini ; et l’honneur, dans votre noble profession, amène tôt ou tard la fortune. Cette affaire, à laquelle je prends le plus vif intérêt, est si extraordinaire, qu’il faudra aussi des moyens extraordinaires. Soyez sûr que le parlement de Toulouse ne donnera point des armes contre lui ; il a défendu que l’on communiquât les pièces à personne, et même l’extrait de l’arrêt. Il n’y a qu’une grande protection : le cri du public, ému et attendri, devrait l’obtenir. Il est de l’intérêt de l’Etat qu’on découvre de quel côté est le plus horrible fanatisme. Je ne doute pas que cette entreprise ne vous paraisse très importante ; je vous supplie d’en parler aux magistrats et aux jurisconsultes de votre connaissance, et de faire en sorte qu’on parle à M. le chancelier. Tâchons d’exciter sa compassion et sa justice, après quoi vous aurez la gloire d’avoir été le vengeur de l’innocence, et d’avoir appris aux juges à ne se pas jouer impunément du sang des hommes. Les cruels ! Ils ont oublié qu’ils étaient homme. Ah, les barbares !

         
          Monsieur, j’ai l’honneur d’être avec tous les sentiments que je vous dois, etc.

 

 

1 – La veuve Calas. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argence de Dirac.

 

Aux Délices, 11 juin (1).

 

 

          Vous avez dû recevoir, monsieur, un ouvrage (2) fort curieux et qui peut servir de commentaire à celui (3) que vous lisez actuellement, ou plutôt que vous ne lisez plus. Car tout admirable qu’est ce livre, il lasse un peu à la fin, et l’uniformité des beautés ennuie.

 

          J’ai rattrapé un peu de santé, et j’en ai grand besoin pour porter le fardeau insupportable des dernières pièces de Corneille. Je ne peux encore vous envoyer celle que nous avons jouée ; nous n’avons fait que l’essayer. C’est une pièce presque toute de spectacle, et qui exige une vingtaine d’acteurs. Notre théâtre est si joliment entendu qu’on y pourrait jouer l’opéra.

 

          Voici une petite lettre assez curieuse (4) qui ne grossira pas trop le paquet, et qui pourra vous amuser. Il y a une affaire horrible à Toulouse produite par le plus affreux fanatisme. Vous entendrez bientôt parler, si vous ne la savez pas.

 

          Adieu, monsieur, conservez-moi vos bontés, dont je sens tout le prix.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Les Sentiments de Meslier. (G.A.)

 

3 – La Bible. (G.A.)

 

4 – La Réponse au sieur Fez du 17 Mai 1762. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

14 Juin 1762 (1).

 

 

          Le frère Thieriot m’a montré la pancarte de mon frère. J’ai trouvé ses idées très justes ; il faut que le capitaine qui a bien servi soit colonel. Je n’ai malheureusement nul crédit auprès de M. le contrôleur-général ; mais M. Tronchin (2) des fermes en a, du moins à ce qu’on m’assure. Je lui écris, je lui envoie le précis de votre mémoire, en suppliant mon frère de ne point se décourager. Si M. Bertin (3) donne à l’amitié la place qu’il doit aux services, ce passe-droit qu’on ferait pourrait vous servir, mon cher monsieur, à obtenir une place plus importante. On sent le besoin qu’on a des hommes de mérite, et tôt ou tard on les récompense. Je ne doute pas que M. d’Argental ne se donne les plus grands mouvements en faveur de mon frère.

 

          Thieriot m’apprend que Crébillon n’est pas mort ; il l’était dans les gazettes. On a défendu à Genève les livres de J.-J. R. Je ne sais ce qu’on en fait à Paris. J’ai eu son Education. C’est un fatras d’une sotte nourrice en quatre tomes, avec une quarantaine de pages contre le christianisme des plus hardies qu’on ait jamais écrites ; et par une inconséquence digne de cette tête sans cervelle et de ce Diogène sans cœur, il dit autant d’injures aux philosophes qu’à Jésus-Christ ; mais les philosophes seront plus indulgents que les prêtres.

 

          J’embrasse mon frère cordialement.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Fermier-général. (G.A.)

 

3 – Contrôleur des finances. Il voulait donner cette place à son ami Marinval. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

15 Juin 1762 (1).

 

 

          Mon cher frère a probablement reçu une requête que la pauvre infortunée Calas doit présenter au roi, après l’avoir fait apostiller et après avoir fait éclaircir et constater les faits. Elle renverra probablement cette requête à M. Damilaville pour nous être remise et pour lui donner la dernière forme ; après quoi, nous la renverrons une seconde fois. Mon cher frère est tout fait pour entrer dans cette bonne œuvre. Il sait sans doute que cette dame n’est point à Paris sous le nom malheureux qu’elle porte.

 

          Est-il vrai qu’on poursuit Jean-Jacques ?

 

          Avez-vous reçu un Meslier de la nouvelle édition ? Avez-vous reçu le Petit avis (2) ? il est imprimé à Lyon. Si on joue le Droit du Seigneur, je prie mon cher frère de me mander quels sont les endroits scabreux qu’il faut retrancher ou adoucir dans la scène du bailli et de Colette. Mais prenons garde que la prétendue décence ne fasse grand tort au plaisant.

 

          Frère Thieriot vous a écrit ; il paraît qu’il s’accommode assez de notre vie philosophique. C’est bien dommage que vos affaires ne vous permettent pas de venir philosopher avec vos frères.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Petit avis à un jésuite. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Mayans Y Siscar,

 

ANCIEN BIBLIOTHÉCAIRE DU ROI D’ESPAGNE, A VALENCE.

 

Aux Délices, 15 Juin 1762.

 

 

          Monsieur, je ne vous écris point en chaldéen, parce que je ne le sais pas ; ni en latin, quoique je ne l’aie pas oublié ; ni en espagnol, quoique je l’aie appris pour vous plaire ; mais en français, que vous entendez très bien, parce que je suis obligé de dicter ma lettre, étant très malade.

 

          J’ai renoncé à la cour comme vous ; ne m’appelez plus aulicus. Mais vous êtes trop generosus, de toutes les façons, puisque vous avez la générosité de me fournir les instructions que je vous ai demandées. Je ne savais pas que vos auteurs eussent jamais rien pris, même des Italiens ; je les croyais autochthones en fait de littérature ; mais je sais bien qu’ils n’ont jamais rien pris de nous, et que nous avons beaucoup pris d’eux.

 

          Entre nous, je pense que Corneille a puisé tout le sujet d’Héraclius dans Calderon. Ce Calderon me paraît une tête si chaude (sauf respect), si extravagante, et quelquefois si sublime, qu’il est impossible que ce ne soit pas la nature pure. Corneille a mis dans les règles ce que l’autre avait inventé hors des règles. Le point important est de savoir en quelle année la Famosa Comedia fut jouée, devant ambas Magestades ; c’est ce que je vous ai demandé, et je vois qu’il est impossible de le savoir.

 

          Je ne sais pas pourquoi vous vous êtes donné la peine de transcrire les vers de Lope de Vega, que vous avez autrefois rapportés dans la Vie de Cervantes ; vous imaginez-vous donc que je ne vous ai pas lu ? Sachez, monsieur, que je vous ai lu avec grande attention, et que vous m’avez beaucoup éclairé. Non seulement je savais ces vers, mais je les ai traduits en vers français, et je les fais imprimer au-devant (1) de la Famosa Comedia, que j’ai traduite aussi.

 

          Je crois qu’il suffit de mettre sous les yeux la Famosa Comedia, pour faire voir que Calderon ne l’a pas volée.

 

          Vous me permettrez de faire usage du passage de maître Emmanuel de Guerra ; je n’omettrai pas les Actes sacramentaux du pieux Calderon. Tout ce qui me fâche, c’est que ces Actes sacramentaux n’aient pas fait partie des pièces amoureuses et ordurières dont le bon homme régalait son auditoire.

 

          Votre lettre est aussi pleine de grâce que d’érudition. Si vous voulez faire passer quelque instruction de votre voisinage de l’Afrique à mon voisinage des Alpes, je vous aurai beaucoup d’obligation.

 

                    Soyez très persuadé qu’on ne trouve point de seigneur d’Oliva en Savoie.

 

 

1 – Ou plutôt à la suite, dans la Dissertation sur Héraclius. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Roman.

 

Aux Délices, 16 Juin 1762.

 

 

          Il y a longtemps, monsieur, que je vous dois des remerciements ; une maladie assez longue et assez fâcheuse ne m’a pas permis de remplir ce devoir.

 

          Vous faites voir qu’on peut tout traduire, puisque vous traduisez les poètes allemands. L’auteur d’Adam (1) n’est pas comme son héros, le premier homme du monde ; je suis d’ailleurs un peu fâché pour notre mangeur de pomme qu’à l’âge de neuf cent trente ans il fasse tant de façons pour mourir. Si Dieu daigne m’accorder les trois vingtièmes des années de notre père, je vous donne ma parole de mourir très gaiement ; et je vous prie de vouloir bien alors m’aider à passer, en traduisant tout doucement quelque ouvrage plus plaisant que les lamentations du mari d’Eve, qui devait savoir que tout ce qui est né est fait pour mourir, puisqu’il avait la science infuse.

 

          Au reste, vous écrivez si bien, que je vous exhorte à vous faire traduire, au lieu de traduire des tragédies allemandes. Je fais mes compliments à votre pupille, et je vous en fais tous deux de vivre l’un avec l’autre. Je serai très fâché quand madame d’Albertas quittera notre petit pays, où elle est adorée.

 

 

1 – La Mort d’Adam, tragédie de Klopstock. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

21 Juin 1762.

 

 

          Mes divins anges, je suis persuadé plus que jamais de l’innocence des Calas, et de la cruelle bonne foi du parlement de Toulouse qui a rendu le jugement le plus inique, sur les indices les plus trompeurs. Il y a quelques mois que le conseil cassa un arrêt de ce même parlement qui condamnait des créanciers légitimes à faire réparation à des banqueroutiers frauduleux. L’affaire présente est d’une tout autre conséquence ; elle intéresse des nations entières, et elle fait frémir d’horreur. On cherche toutes les protections possibles auprès de M. le comte de Saint-Florentin ; on a imaginé que La Popelinière pourrait faire présenter à ce ministre la veuve Calas par André ou La Guerche.

 

          Probablement La Popelinière m’écrira une lettre qu’il adressera chez vous ; je vous supplie de l’ouvrir. La veuve Calas, qui doit venir vous demander votre protection, lira cette lettre de La Popelinière, et se conduira en conséquence.

 

          Daignez, mes anges, mettre toute votre humanité, toute votre vertu, toutes vos bontés, à faire connaître la vérité dans une affaire aussi essentielle. La poste va partir ; je n’ai ni le temps ni la force de vous parler d’autre chose que de l’innocence opprimée qui trouvera des protecteurs tels que vous.

 

          Mille tendres respects.

 

 

383744Crocus86

 

 

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