CORRESPONDANCE - Année 1761 - Partie 49

Publié le par loveVoltaire

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Photo de PAPAPOUSS

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

Ferney, 27 Novembre 1761.

 

 

          O anges ! croyez-moi, voilà comme il faut commencer à peu près le rôle d’Olympie ; ensuite nous le fortifions dans quelques endroits. Mais commencer dans le goût de Zaïre ; mais rendre froid dans Olympie ce qui, dans Zaïre, est piquant par sa première éducation dans le christianisme ; mais disloquer le premier acte et donner le change au spectateur en discutant la mémoire d’Alexandre, après avoir parlé d’amour ; mais enfin détruire tout l’effet d’un coup de théâtre entièrement nouveau, se priver de la surprise que cause le mariage d’Olympie : ah ! mes anges ! rejetez bien loin cette abominable idée, et laissez-moi faire. Oubliez la pièce ; renvoyez-la moi, je vous la redépêcherai sur-le-champ ; et, si vous n’êtes pas contents, dites mal de moi (1).

 

          Nous avons été plus sévères que vous sur quelques articles ; mais nous sommes diamétralement opposés sur Olympie. Songez qu’elle est bien résolue à ne point épouser Cassandre, mais qu’elle ne peut s’empêcher de l’aimer, et qu’elle ne lui dit qu’elle l’aime qu’en s’élançant dans le bûcher Si vous ne trouvez pas cela honnêtement beau, par ma foi, vous êtes difficiles.

 

          Cette œuvre de six jours prouve que le sujet portait son homme, qu’il volait sur les ailes de l’enthousiasme. Si le sujet n’eût pas été théâtral, je n’aurais pas achevé la pièce en six ans. Tout dépend du sujet ; voyez le Cid et Pertharite, Cinna et Suréna, etc.

 

          Avez-vous lu le Testament politique du maréchal de Belle-Isle ? c’est un ex-capucin de Rouen, nommé jadis Maubert, fripon, espion, escroc, menteur, et ivrogne, ayant tous les talents de moinerie, qui a composé cet impertinent ouvrage. Il est juste qu’un pareil maraud soit à Paris, et que j’en sois absent.

 

          L’Académie ne veut pas paraître philosophe. Quelles pauvres observations que ces observations sur mes remarques concernant Polyeucte ! Patience, je suis un déterminé ; j’ai peu de temps à vivre ; je dirai la vérité.

 

          Interim, je vous adore.

 

 

          P.S.   Le roi de France prend                         200 exemplaires.

                    L’empereur                                          100 exemplaires.

                    L’impératrice                                       100 exemplaires.

                    L’impératrice russe                              200 exemplaires.

                    Le roi Stanislas                                        1 exemplaire. (2)

 

 

1 – Toutes les éditions reproduisent ici, presque mot à mot, le troisième alinéa du Mémoire aux anges, en date du 12 Novembre. C’est un double emploi. (G.A.)

 

2 – Voyez une note de la lettre à madame de Boufflers, du 24 décembre. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

A Ferney, 27 Novembre 1761.

 

 

          Vous donnez, monseigneur, quatre-vingt-deux ans à Malagrida aussi noblement que je faisais Ceratti confesseur d’un pape (1). Malagrida n’avait que soixante et quatorze ans ; il ne commit point tout à fait le péché d’Onan ; mais Dieu lui donnait la grâce de l’érection, et c’est la première fois qu’on a fait brûler un homme pour avoir eu ce talent. On l’a accusé de parricide, et son procès porte qu’il a cru qu’Anne, mère de Marie, était née impollue, et qu’il prétendait que Marie avait reçu plus d’une visite de Gabriel. Tout cela fait pitié et fait horreur. L’inquisition a trouvé le secret d’inspirer de la compassion pour les jésuites. J’aimerais mieux être né Nègre que Portugais.

 

          Eh, misérables ! si Malagrida a trempé dans l’assassinat du roi, pourquoi n’avez-vous pas osé l’interroger, le confronter, le juger, le condamner ? Si vous êtes assez lâches, assez imbéciles pour n’oser juger un parricide, pourquoi vous déshonorez-vous en le faisant condamner par l’inquisition pour des fariboles ?

 

          On m’a dit, monseigneur, que vous aviez favorisé les jésuites à Bordeaux. Tâchez d’ôter tout crédit aux jansénistes et aux jésuites, et Dieu vous bénira.

 

          Mais surtout persistez dans la généreuse résolution de délivrer les comédiens, qui sont sous vos ordres, d’un joug et d’un opprobre qui rejaillit sur tous ceux qui les emploient. Otez-nous ce reste de barbarie, malgré maître Le Dain, et malgré son discours prononcé du côté du greffe (2).

 

          Le polisson qui a fait le Testament du maréchal de Belle-Isle mériterait un bonnet d’âne. Quelles omissions avez-vous donc faites dans la convention de Closter-Seven (3) ? on n’en fit qu’une, ce fut de ne la pas ratifier sur-le-champ.

 

          Ce n’est pas que je sois fâché contre le faiseur de testament, qui prétend que j’aurais été mauvais ministre. A la façon dont les choses se sont passées quelquefois, on aurait pu croire que j’avais grande part aux affaires.

 

          Qu’on pende le prédicant Rochette (4), ou qu’on lui donne une abbaye, cela est fort indifférent pour la prospérité du royaume des Francs ; mais j’estime qu’il faut que le parlement le condamne à être pendu, et que le roi lui fasse grâce. Cette humanité le fera aimer de plus en plus ; et si c’est vous, monseigneur, qui obtenez cette grâce du roi, vous serez l’idole de ces faquins de huguenots. Il est toujours bon d’avoir pour soi tout un parti.

 

          Je joins au chiffon que j’ai l’honneur de vous écrire le chiffon de Grizel. Il faut qu’un premier gentilhomme de la chambre ait toujours un Grizel en poche, pour l’inciter doucement à protéger notre tripot dans ce monde-ci et dans l’autre.

 

          Agréez toujours mon profond respect.

 

 

1 – Voyez, dans les Commentaires sur Corneille, l’épître dédicatoire de Théodore. (G.A.)

 

2 – Voyez la notice du Dialogue XI. (G.A.)

 

3 – En 1757. (G.A.)

 

4 – Voyez la lettre à Richelieu du 25 Octobre. (G.A.)

 

 

 

 

à M. d’Espremenil.

 

Au château de Ferney, 29 Novembre 1761 (1).

 

 

          Je vous prie de pardonner, monsieur, à mon âge, à mes maladies et à mes occupations, si je n’ai pas répondu plus tôt à la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Elle m’a fait naître beaucoup d’estime pour vous, et je n’ai jamais senti si vivement l’état où me réduisent mes maladies que lorsqu’elles m’empêchaient de répondre, comme je le voudrais, aux prévenances d’un homme de votre mérite. J’ai à peine un moment à moi ; mais je tiendrais tous mes moments bien employés à vous prouver combien j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

29 Novembre 1761.

 

 

          Divins anges, lisez, jugez, mais sans préjugés. Pour l’amour de Dieu, n’imaginez pas qu’une Olympie doive clabauder d’abord contre son amour pour Cassandre. Elle ne doit pas la soupçonner seulement qu’elle l’aime encore, dans le moment qu’elle reconnaît sa mère. Ensuite elle doit faire soupçonner qu’elle pourrait bien l’aimer, et ce n’est qu’au dernier vers qu’elle doit avouer qu’elle l’adore : si nous sortons de ces limites, nous sommes perdus.

 

          Vous m’avez mis des points sur des ; vous m’avez rabâché des empoisonneurs. Faut-il donc tant insister sur un mot corrigé en un moment ? Quelle rage avez-vous, mes anges ?

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

2 Décembre 1761.

 

 

          Divins anges, si vous êtes si difficiles, je le suis aussi. Voyez, s’il vous plaît, combien il est malaisé de faire un ouvrage parfait. Si ces notes sur Héraclius ne vous ennuient point, lisez-le, et vous verrez que j’ai passé sous silence plus de deux cents fautes. Madame du Châtelet avait de l’esprit, et l’esprit juste : je lui lus un jour cet Héraclius ; elle y trouva quatre vers dignes de Corneille, et crut que le reste était de l’abbé Pellegrin, avant que cet abbé fût venu à Paris. Voulez-vous ensuite avoir la bonté de donner mes remarques à Duclos ? Je suis bien aise de voir comment l’Académie pense ou feint de penser. Je sais bien que c’est avec une extrême circonspection que je dois dire la vérité ; mais enfin je serai obligé de la dire. Je serai poli ; c’est, je crois, tout ce qu’on peut exiger.

 

          Vous avez sans doute plus de droit sur moi, mes anges, que je n’en ai sur Corneille. Il ne peut plus profiter de mes critiques, et je peux tirer un grand avantage des vôtres.

 

          Plus je rêve à Olympie, plus il m’est impossible de lui donner un autre caractère. Elle n’a pas quinze ans ; il ne faut pas la faire parler comme sa mère. Elle me paraît, au cinquième acte, fort au-dessus de son âge.

 

          Ces initiés, ces expiations, cette religieuse, ces combats, ce bûcher, en vérité, il y a là du neuf. Vous ne voulez pas jouer Cassandre, eh bien ! nous allons le jouer, nous. – Nous baisons le bout de vos ailes.

 

 

 

 

à M. l’abbé Irailh.

 

A Ferney, le 4 Décembre 1761.

 

 

          Vous serez étonné, monsieur, de recevoir, par la petite poste de Paris, les remerciements d’un homme qui demeure au pied des Alpes ; mais j’ai éprouvé tant de contre-temps et d’embarras par la poste ordinaire, que je suis obligé de prendre ce parti.

 

          Vous vous occupez paisiblement, monsieur, des querelles des gens de lettres (1), pendant que les querelles des rois font un peu plus de tort à nos campagnes que toutes les disputes littéraires n’en ont fait au Parnasse. Il faut  être continuellement en guerre, dans quelque état qu’on se trouve.

 

          Je combats aujourd’hui contre les fermiers-généraux, au nom de notre petite province ; il ne tiendra qu’à vous d’ajouter mes mémoires sur le blé, le tabac et le sel, à toutes mes autres sottises.

 

          Je me suis avisé de devenir citoyen, après avoir été longtemps rimailleur et mauvais plaisant. J’ennuie le conseil de sa majesté, au lieu d’ennuyer le public.

 

          Il me semble que vous dites un petit mot du roi de Prusse dans l’Histoire des Querelles. J’avais remis mes intérêts à trois ou quatre cent mille hommes qui ne m’ont pas si bien servi que vous ; les Russes mêmes m’ont manqué de parole au siège de Colbert (2). Je dois vous regarder comme un de mes alliés les plus fidèles.

 

          Madame Denis et moi nous vous prions, monsieur, de faire mille compliments à toute notre famille : nous ne savons point encore les marches de madame de Fontaine et de M. d’Hornoy ; nous nous flattons d’en être instruits quand elle sera à Paris, en bonne santé. J’ai l’honneur d’être, etc.

 

 

1 – Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’Histoire des révolutions de la république des lettre, depuis Homère jusqu’à nos jours, quatre volumes, par l’abbé Irailh. (G.A.)

 

2 – Voltaire croyait le siège levé. Colbert fut prise le 16 Décembre. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

Le 6 Décembre 1761.

 

 

          Je souhaite la bonne année 1762 aux frères : je m’y prends de bonne heure, car j’ai hâte.

 

          Que font les frères ?

 

          Quelle nouvelle du Parnasse et du théâtre, et même des affaires profanes ?

 

          La raison gagne-t-elle un peu ? Si les jésuites sont fessés, les jansénistes ne sont-ils pas trop fiers ? Gens de bien, opposez-vous aux uns et aux autres ; soyez hardis et fermes.

 

          Frère Helvétius est-il revenu à Paris ?

 

          Frère Thieriot augmentera-t-il de paresse ?

 

          A quand l’Encyclopédie (1) ? L’aurons-nous en 1762 ?

 

          Que dit-on de la santé de Clairon et de la vive Dangeville ?

 

          Le Journal de Trévoux continue-t-il toujours ?

 

          Berthier (2) est-il ressuscité ?

 

          Crévier (3) est-il mort ?

 

          Qu’est-ce donc que ce livre De la Nature (4) ? est-ce un abrégé de Lucrèce ? est-ce du vieux ? est-ce du nouveau ? est-ce du bon ? S’il y a mica salis, envoyez-le à votre frère du désert.

 

          Est-il vrai que le gouvernement emprunte quarante millions ? et à qui, bon Dieu ? où trouvera-t-on ces quarante millions ? Il y a des gens qui les ont gagnés ; mais ceux-là ne les prêteront pas. Interim, valete, fratres.

 

          Voici une lettre pour l’abbé Irailh, auteur des belles Querelles. Mais où demeure-t-il ce M. Blin de Sainmore qui a fait de très jolis vers pour moi, et qui a tant fait parler la belle Gabrielle ?

 

 

1 – On la continuait sourdement. (G.A.)

 

2 – Allusion à la Relation de la maladie de Berthier, qu’on trouve aux FACÉTIES. (G.A.)

 

3 – Continuateur de Rollin. (G.A.)

 

4 – Par Robinet.

 

 

 

1761 - 49

 

 

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