CORRESPONDANCE : Année 1761 - Partie 16

Publié le par loveVoltaire

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à M. Colini.

 

Au château de Ferney, le 4 Avril 1761.

 

 

          Je ne peux que remercier quiconque (1) veut bien se donner la peine d’imprimer mes faibles ouvrages, pourvu qu’on n’y insère rien d’étranger, rien contre la religion catholique que je professe, rien contre l’Etat dont je suis membre, ni contre les mœurs que j’ai toujours respectées.

 

          Si l’on suit la dernière édition des frères Cramer (2), il faut en corriger les fautes, que tout homme de lettres apercevra aisément.

 

          Mais j’avertis ceux qui veulent se charger de cette édition, que les frères Cramer réimpriment actuellement avec célérité et exactitude l’Essai sur l’Histoire générale depuis Charlemagne jusqu’à nos jours, corrigée et augmentée de moitié. J’avertis encore qu’ils préparent une nouvelle édition avec de très belles estampes, et qu’il vaudrait mieux s’entendre avec eux que de hasarder un partage dangereux pour les uns et pour les autres. Je ne tire aucun profit de mes ouvrages, je n’en ai que la peine : je souhaite seulement que les libraires ne se ruinent pas dans des entreprises qui me font honneur. VOLTAIRE, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi.

 

 

1 – Colini lui-même. (G.A.)

 

2 – Edition de 1756. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Le Brun.

 

Au château de Ferney, 6 Avril 1761.

 

 

          Voici, monsieur, une seconde édition du mémoire que M. Thieriot m’avait fait tenir. La première était trop pleine de fautes. Si vous voulez encore des exemplaires, vous n’avez qu’à parler. Il n’est que trop vrai que le libelle diffamatoire de ce coquin de Fréron a eu des suites désagréables que j’ai confiées à votre discrétion. Je me suis fait un devoir de vous donner part de tout ce qui regarde mademoiselle Corneille. C’est à vous que je dois l’honneur de l’élever. Encore une fois, je ne peux m’imaginer que M. de Malesherbes refuse ce qu’on lui demande. Il ne s’agit que d’un désaveu nécessaire ; ce désaveu, à la vérité, décréditera les feuilles de Fréron ; mais M. de Malesherbes partagerait lui-même l’infamie de Fréron, s’il hésitait à rendre cette légère justice. En cas qu’il soit assez mal conseillé pour ne pas faire ce qu’on lui propose et ce qu’il doit, il peut savoir qu’il met les offensés en droit de se plaindre de lui-même, que le nom de Corneille vaut bien le sien, et qu’il se trouvera des âmes assez généreuses pour venger l’honneur de mademoiselle Corneille de l’opprobre qu’un protecteur de Fréron ose jeter sur elle. Le nom de Fréron est sans doute celui du dernier des hommes, mais celui de son protecteur serait à coup sûr l’avant-dernier.

 

          Vous aurez sans doute, monsieur, la gloire de terminer cette affaire : je n’y suis pour rien personnellement ; je pouvais avoir chez moi L’Ecluse, sans avoir à rendre compte à personne ; mais il n’est pas permis d’imprimer que mademoiselle Corneille est élevée par L’Ecluse, par un acteur de l’Opéra-Comique. Mon indignation contre ceux qui tolèrent cette insolence subsiste toujours dans toute sa force. Mademoiselle Corneille, vivante, vaut mieux sans doute qu’un Baqueville mort, et mort fou. Cependant on a mis Fréron au For-L’Evêque pour avoir raillé ce fou qui n’était plus (1) ; et on le laisse impuni quand il outrage indignement mademoiselle Corneille. Vous voyez, monsieur, que ni le temps ni l’injustice des hommes n’affaiblissent mes sentiments Je trouve dans votre caractère la même constance : c’est une nouvelle raison qui m’attache à vous. Elle se joint à tant d’autres, que je me sens pour vous la plus sincère amitié ; elle supplée au bonheur qui me manque de vous avoir vu. Votre, etc. V.

 

          Permettez que je vous adresse cette petite lettre (2) pour M. Corneille, et ayez la bonté de présenter mes respects à M. Titon et aux Dames qui sont chez lui.

 

 

1 – Voyez les Anecdotes sur Fréron. (G.A.)

 

2 – On n’a pas cette lettre. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

6 Avril 1761.

 

 

          M. Damilaville me permettra-t-il de lui adresser ce paquet pour M. Le  Brun, que je le supplie de vouloir bien lui faire tenir ? je demande encore s’il est bien vrai que l’abbé Coyer soit exilé, et pourquoi.

 

          Je crois qu’il n’est que trop vrai que M. le maréchal de Richelieu a donné à Marmontel une exclusion, sans retour, pour l’Académie. Les gens de lettres ne paraissent pas fort en faveur.

 

          M. Thieriot veut-il bien m’envoyer un certain Almanach d’église où l’on trouve la succession des patriarches de Constantinople ? cela n’est pas bien agréable ; mais cela peut être utile à un homme qui écrit l’histoire quand il ne laboure pas.

 

          On m’a envoyé une réponse (1) à la Théorie de l’impôt. Si le style de la réponse est aussi inintelligible que celui de la Théorie, peu de lecteurs apprendront à gouverner l’Etat.

 

          On dit que Rameau écrit contre un philosophe sur la musique ; j’aimerais mieux qu’il fît un opéra.

 

 

1 – Par Pesselier. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Helvétius.

 

Avril 1761 (1).

 

 

          Mademoiselle protégeait l’abbé Cotin ; la reine protège l’abbé Trublet ; c’est le sort des grands génies.

 

 

Principibus placuisse viris on ultima laus est.

 

HOR., ép. V II, liv. I.

 

 

          On m’assure cependant que M. Sauri entrera cette fois-ci (2). Cela est juste ; quand on a reçu un sot, il faut avoir un homme d’esprit pour faire le contre-poids. Vous allez sans doute à Voré. Mes respects à Midas Omer avant votre départ ; mais mille amitiés réelles à M. Saurin.

 

          O philosophes, philosophes ! soyez unis contre les ennemis de la raison humaine. Ecrasez l’infâme tout doucement.

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. (G.A.)

 

2 – Il fut admis en effet. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Fabry.

 

A Ferney, 9 Avril 1761 (1).

 

 

          Monsieur, je ne peux plus me plaindre de la fermière en question, puisque vous la protégez. C’est la faute de La Croix de n’avoir pas acquitté les droits de ses planches, et tout cela n’est qu’un malentendu.

 

          On rendrait sans doute, monsieur, un grand service au pays, en faisant saigner tous les marais. Je ne doute pas que tous les particuliers ne concourent à donner, chacun sur leur terrain, l’écoulement nécessaire aux eaux Ceux qui refuseraient ce service y seront sans doute forcés.

 

          M. Vuaillet vous a parlé, monsieur, d’un règlement pour les taupes, que vous avez paru approuver ; je le crois très utile, et je pense que ce sera une nouvelle obligation que vous aura cette petite province.

 

          J’ai l’honneur d’être, avec tous les sentiments que vous me connaissez, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Duclos.

 

Ferney, 10 Avril 1761.

 

 

          Je vous assure, monsieur, que vous me faites grand plaisir en m’apprenant que l’Académie va rendre à la France et à l’Europe le service de publier un recueil de nos auteurs classiques, avec des notes qui fixeront la langue et le goût, deux choses assez inconstantes dans ma volage patrie. Il me semble que mademoiselle Corneille aurait droit de me bouder, si je ne retenais pas le grand Corneille pour ma part. Je demande donc à l’Académie la permission de prendre cette tâche, en cas que personne s’en soit emparé.

 

          Le dessein de l’Académie est-il d’imprimer tous les ouvrages de chaque auteur classique ? faudra-t-il des notes sur Agésilas et sur Attila, comme sur Cinna et sur Rodogune ? Voulez-vous avoir la bonté de m’instruire des intentions de la compagnie ? exige-t-elle une critique raisonnée ? veut-elle qu’on fasse sentir le bon, le médiocre, et le mauvais ? qu’on remarque ce qui était autrefois d’usage, et ce qui n’en est plus ? qu’on distingue les licences des fautes ? et ne propose-t-elle pas un petit modèle auquel il faudra se conformer ? l’ouvrage est-il pressé ? combien de temps me donnez-vous ?

 

          Puisqu’on veut bien placer ma maigre figure sous le visage rebondi de M. le cardinal de Bernis, j’aurai l’honneur de vous envoyer incessamment ma petite tête en perruque naissante. L’original aurait bien voulu venir se présenter lui-même, et renouveler à l’Académie son attachement et son respect ; mais les laboureurs, les vignerons, et les jardiniers me font la loi : e nitido fit rusticus. Comptez cependant que, dans le fond de mon cœur, je sais très bien qu’il vaut mieux vous entendre que de planter des mûriers blancs.

 

 

 

 

 

à M. l’abbé d’Olivet.

A Ferney, tout près de votre Franche-Comté, 10 Avril.

 

Mais, mon maître, est-ce que vous n’auriez point reçu un paquet que je fis partir, il y a trois semaines, à l’adresse que vous m’aviez donnée ? ou mon paquet ne méritait-il pas un mot de vous ? ou êtes-vous malade ? ou êtes-vous paresseux ?

 

Eh bien ! voilà votre ancien projet, de donner un recueil d’auteurs classiques, qui fait fortune. Rien ne sera plus glorieux pour l’Académie, ni plus utile pour les Français et pour les étrangers. Il est temps de prévenir (j’ai presque dit d’arrêter) la décadence de la langue et du goût. Quel grand homme prenez-vous pour votre part ? Pour moi, j’ai l’impudence de demander Pierre Corneille. C’est La Rose qui veut parler des campagnes de Turenne. Je vous dirai Cornelium, Olivete, relegi,

 

Qui, quid sit magnum, quid turpe, quid utile, quid non,

Planius ac melius Rousseau multisque docebat ;

 

HOR., lib. I, ep. II.

 

et j’ajouterai,

 

Quam scit uterque, libens, censebo, exerceat artem.

 

HOR., lib. I, ep. XIV.

 

 

La tragédie est un art que j’ai peut-être mal cultivé ; mais je suis de ces barbouilleurs qu’on appelle curieux, et qui, étant à peine capables d’égaler Person (1), connaissent très bien la touche des grands maîtres. En un mot, si personne n’a retenu le lot de Corneille, je le demande, et j’en écris à M. Duclos. Je crois que vous avez fait une très bonne acquisition dans M. Saurin. Il est littérateur et homme de génie. Dites-moi qui se charge de La Fontaine. Je l’avais autrefois commencé sur le projet que vous aviez ; mais je ne sais ce que cela est devenu. J’ai perdu dans mes fréquentes tournées les trois quarts de mes paperasses, et il m’en reste encore trop. Vive, vale, scribe, Ciceroniane Olivete.

 

 

 

1 – Mauvais auteur satirisé par Jean-Baptiste Rousseau. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Damilaville.

11 Avril 1761.

 

 

          Je salue toujours les frères et les fidèles ; je m’unis à eux dans l’esprit de vérité et de charité. Nous avons des faux-frères dans l’Eglise : Jean-Jacques, qui devait être apôtre, est devenu apostat ; sa lettre, de laquelle j’ai rendu compte aux frères, et dont je n’ai point de réponse, était le comble de l’absurdité et de l’insolence. Pourquoi a-t-on mis (comme on le dit) à la Bastille le censeur (1) de Sobieski, et pourquoi laisse-t-on impuni le censeur de l’Année littéraire, qui donne son infâme approbation à des lignes infâmes contre une fille respectable ?

 

          Pesselier m’a envoyé son ouvrage contre la Théorie de l’impôt (2). Je voudrais qu’on renvoyât toutes ces théories à la paix, et qu’on ne parlât point du gouvernement dans un temps où il faut le plaindre, et où tout bon citoyen doit s’unir à lui.

 

          Je prie M. Thiériot de m’envoyer Quand parlera-t-elle (3) ? Il faut bien que je rie comme les autres, et il n’y a guère de critique dont on ne puisse profiter.

 

          Je recommande l’incluse aux frères, et les remercie tendrement de leur zèle.

 

 

1 – Coqueley. (G.A.)

 

2 – Doutes proposés à l’auteur de la Théorie de l’impôt. (G.A.)

 

3 – Parodie de Tancrède, par Riccoboni, jouée le 4 avril. (G.A.)

 

 

 

1765-16

 

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