CORRESPONDANCE - Année 1760 - Partie 32
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à To Lord Lyttelton
At mu castle of orney, in Burgundy.
I have read the ingenious Dialogues of the Dead. I find that I am an exile, and guilty of some excesses in writing. I am obliged (and perhaps for the honour of my country) to say I am not an exile, because I have not committed the excesses the author of the Dialogues imputes to me.
Nobody raised his voice higher than mine in favour of the rights of human kind, yet I have not exceeded even in that virtue.
I am not settled in Switzerland, as he believe s. I live on my own lands in France ; retreat is becoming in one’s own possessions. If I enjoy a little country-house near Geneva, my manors and my castles are in Burgundy ; and if my king as been pleased to confirm the privileges of my lands, which are free from all tributes, I am the more indebted to my king.
Il I were an exile, I should not have obtained, from my court, many a passport fort English noblemen (1). The service I rendered to them entitles me to the justice I expect from the noble author.
As for religion, I think, and I hope he thinks with me, that God is neither a Presbyterian, nor a Lutheran, nor of the low church, nor of the high church, but God is the father of the noble author and mine.
I am, with respect, his most humble servant.
VOLTAIRE, gentleman of the King’s Chambert (2)
1 – Malgré la guerre. (G.A.)
2 – Traduction :
De mon château de Tornex en Bourgogne.
Milord, j’ai lu les ingénieux Dialogues des morts ; j’y trouve que je suis exilé, et coupable de quelques excès dans mes écrits. Je suis obligé (peut-être pour l’honneur de ma nation) de dire que je ne suis point exilé, parce que je n’ai pas commis les fautes que l’auteur des Dialogues m’impute.
Personne n’a plus élevé sa voix que moi en faveur des droits de l’humanité ; et cependant je n’ai pas même excédé les bornes de cette vertu.
Je ne suis point établi en Suisse, comme cet auteur se l’imagine. Je vis dans mes terres en France. La retraite convient à la vieillesse ; elle convient encore plus quand on est dans ses possessions. Si j’ai une petite maison de campagne auprès de Genève, mes terres seigneuriales et mes châteaux sont en Bourgogne ; et si mon roi a eu la bonté de confirmer les privilèges de mes terres, qui sont exemptes de tout impôt, j’en suis plus attaché à mon roi.
Si j’étais exilé, je n’aurais pas obtenu de ma cour des passeports pour des seigneurs anglais. Le service que je leur ai rendu me donne droit à la justice que j’attends de l’illustre auteur.
Quant à la religion, je pense, et j’espère qu’il pense comme moi, que Dieu n’est ni presbytérien, ni luthérien, ni de la basse Eglise, ni de la haute ; mais que Dieu est le père de tous les hommes, le père de l’illustre auteur, et le mien. Je suis avec respect son très humble serviteur. VOLTAIRE, gentilhomme de la chambre du roi.
à M. de Chenevières.
Aux Délices, 16 Septembre (1).
Mon cher confrère, si je n’étais pas aux Délices, j’aurais voulu être à Maisons ; c’est vous qui faites admirablement bien les honneurs de ma chambre. Vos vers sont charmants. J’ai ouï dire que M. de Soyecourt est digne de son beau château et de vos vers aimables. J’ai bâti un petit Maisons, mais non pas une petite maison. J’ai fait en miniature, à Ferney, à peu près ce que Maisons est en grand. Une maison, n’eût-elle que soixante-dix pieds de face, fait honneur à son maçon, quand elle est bâtie avec goût ; sans goût il n’y a rien.
Nous jouons demain Alzire, à Tournay, et puis Tancrède, et puis Mahomet, et puis les Ensorcelés. Nous avons des spectateurs qui ont fait plus de cent lieues pour venir nous voir ; entre autres, M. le duc de Villars. Tout cela loge aux Délices, sans que personne soit gêné. N’est-il pas vrai que vous viendriez aussi, si vous pouviez ? Je tiens madame Denis infiniment supérieure à Gaussin, et presque égale à Clairon. Mademoiselle de Bazincourt est une très bonne confidente ; cependant vous ne viendrez pas.
Je vous embrasse.
1 – Cette lettre est de 1760, et non de 1761, comme l’ont cru les éditeurs, MM. de Cayrol et A. François. (G.A.)
à M. le comte d’Argental.
17 Septembre 1760.
J’ai eu encore assez de tête pour dicter un dernier mémoire ; mais je n’ai pas assez d’expressions pour dire à mes anges tout ce que je leur dois. J’avoue que madame d’Argental m’étonne toujours ; je ne crois pas qu’il y ait encore une dame dans Paris capable de faire ce qu’elle a fait. Ce n’est pas assez d’avoir beaucoup d’esprit et de goût, il faut se donner la peine de mettre toutes ses pensées par écrit, de s’étendre sur les défauts, d’y substituer des beautés ; elle a tout fait. En vous remerciant, madame ; vous êtes encore au-dessus de l’idée que j’avais de vous ; j’ai été honteux de prendre moins d’intérêt que vous à Tancrède. Vous m’avez donné de l’ardeur. Il me semble qu’il y a plus de cent vers changés depuis la première représentation. Je ne crois pas Tancrède un excellent ouvrage ; mais enfin, tel qu’il est, grâce à vos bontés, je crois qu’il peut passer. J’y ai fait ce que j’ai pu ; il faut enfin finir, comme vous dites ; peut-être affaiblirais-je la pièce en y retouchant encore.
Il y a une grande différence entre descendre de Pierre Corneille ou de Thomas. Je me sens bien moins d’entrailles pour le sang de Thomas que pour l’autre (1). Je n’en ai guère non plus pour la Muse lim nadière (2), et j’aime beaucoup mieux lui donner une carafe de soixante livres que de lui écrire. Mais j’abuse trop, madame, de vos excessives bontés. Je n’ai qu’un chagrin dans ce monde, celui de n’être pas auprès de vous deux, et de ne vous remercier que de loin. Mais, s’il vous plaît, comment fera-t-on pour imprimer ce pauvre Tancrède ? comment recoudre sur son habit tous les lambeaux, tous les haillons que j’ai envoyés, et dont vous avez daigné vous charger ? il faudra donc que vous ayez encore l’endosse de faire transcrire sur la pièce toutes ces guenilles ; cela me fait mourir de honte.
Cependant, que penser de Pondichéry, que les Anglais ont peut-être pris, et de la Martinique, qu’ils peuvent prendre ? et comment avoir dorénavant du sucre, du café, et de la casse (3) surtout ? Est-il bien vrai que le cunctateur Daun ait bien battu l’infatigable Luc ? Cet infatigable me mande (4) pourtant qu’il est bien fatigué. On parle d’une bataille très sanglante (5), et je n’en aurai de nouvelles sûres que quand la poste de France sera partie. Si Luc a perdu quinze mille hommes, comme on le dit, il est perdu lui-même ; il ne lui resta bientôt que Magdebourg, qui ne tiendra pas longtemps ; mais alors qu’arrivera-t-il ? Je lui pardonnerai peut-être, s’il vient à Neuchâtel, et de Neuchâtel aux Délices ; mais je ne pardonnerai jamais à Omer Joly de Fleury. Non, vous n’êtes point assez indignés de l’impertinent discours que ce pauvre homme prononça contre les philosophes (6), en parlement.
Comment trouvez-vous, s’il vous plaît, ma petite épître (7) pompadourienne ? ne suis-je pas un grand politique ? et cette politique n’est-elle pas très désinvolte (8) ne suis-je pas bien fier ? est-ce là une Triste d’Ovide ? ai-je l’air d’un exilé ? ai-je la bassesse de demander des grâces ? ne suis-je pas digne de votre amitié ? Mille respects tous fort tendres.
1 – Voltaire semble répondre ici à un mot de d’Argental sur Marie Corneille. (G.A.)
2 – Madame Bourette, née en 1714, morte en 1784. Elle avait adressé des vers à Voltaire. (G.A.)
3 – Voltaire en consommait beaucoup. (G.A.)
4 – On n’a pas cette lettre. (G.A.)
5 – Faux bruit. (G.A.)
6 – Le 23 Janvier 1759. (G.A.)
7 – La dédicace de Tancrède. (G.A.)
8 – Adroite. (G.A.)
à M. Clos.
A Ferney, 17 Septembre 1760.
Les sentiments que vous avez la bonté de me témoigner, monsieur, me font un grand plaisir ; ils partent d’un cœur pénétré qui aime les arts véritablement, et qui pardonne à mes défauts, en faveur de ces arts que j’ai toujours cultivés. Ils ont fait la consolation de ma vie ; ils en font plus que jamais le charme, puisqu’ils m’attirent des témoignages si vrais de votre sensibilité. Il paraît que vous détestez les cabales infâmes des Fréron ; on ne peut aimer les lettres sans haïr ceux qui les déshonorent ; je suis très flatté d’être estimé d’un homme qui m’inspire de l’estime. C’est avec ce sentiment que j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre, etc.
à Mademoiselle Clairon.
Aux Délices, 19 Septembre 1760.
Nous sommes trois que même ardeur excite,
Egalement à vous plaire empressés ;
L’un vous égale, et l’autre vous imite ;
Et le troisième, avec moins de mérite,
Est plus heureux, car vous l’embellissez.
Je vous dois tout ; je devrais entreprendre
De célébrer vos talents, vos attraits ;
Mais quoi ! les vers ne plaisent désormais
Que quand c’est vous qui les faites entendre.
Celui qui vous égale quelquefois, mademoiselle, c’est M. le duc de Villars, quand il daigne nous lire quelque morceau de tragédie ; celle qui vous imita parfaitement hier, dans Alzire, c’est madame Denis ; et le vieil ermite que vous embellissez, vous vous doutez bien qui c’est.
Nous jouâmes hier Alzire devant M. le duc de Villars ; mais nous devrions partir pour venir voir la divine Aménaïde. Si jamais les pays méridionaux de la France ont le bonheur de vous posséder quelque temps, nous tâcherons de nous trouver sur votre route, et de vous enlever. Nous avons un acteur (1) haut de dix pieds et un pouce, qui sera très propre à ce coup de main. Nous vous supplierons de nous informer du chemin que vous prendrez ; car, par la première loi de cette ancienne Chevalerie que vous faites réussir à Paris, il est dit expressément qu’aucun chevalier ne violera jamais une infante sans le consentement d’icelle. Comptez que je suis navré de douleur de ne pouvoir jouer le premier rôle dans une telle aventure. Ne comptez pas moins sur l’admiration et le tendre attachement du Claironien et Antifréronien. V.
Madame Denis et toute la troupe se mettent aux pieds de leur modèle.
1 – Le Génevois Pictet. (G.A.)
à Madame la comtesse d’Argental.
20 Septembre 1760.
Madame Scaliger, vous êtes divine. Vous nous avez donc secourus dans la guerre ; vous avez payé de votre personne ; vous avez pansé les blessés, et mis les morts au quartier ; c’est à vous que la dédicace devrait appartenir.
Mes divins anges, nous jouâmes hier Alzire ; nous allons rejouer Tancrède ; nous sommes à l’abri des cabales, c’est beaucoup. Nos plaisirs sont purs. M. le duc de Villars, grand connaisseur, nous encourage. Notre théâtre commence à être en réputation. Brioché n’avait pas si bien réussi chez les Suisses (1) ; Envoyez-nous donc la pièce telle qu’on la joue à Paris. Vous donnez l’Indiscret (2) ; la pièce n’est-elle pas un peu froide ?
Le comique, écrit noblement,
Fait bâiller ordinairement.
Si Tancrède avait un plein succès, il faudrait hardiment donner la Femme qui a raison ; car, qu’elle ait raison ou non, elle est gaie, et la morale est bonne. Il y a beaucoup de coucherie, mais c’est en tout bien tout honneur.
Il faudrait que madame de Pompadour fût une grande poule mouillée pour craindre ma fière dédicace. Pardon, divins anges, de mon laconisme. Il faut marier demain notre résident de France dans mon petit château de Ferney. Nous sommes occupés à imaginer une façon nouvelle de dire la messe, et je vais répéter deux rôles, Argile et Zopire. La tête me tournera, si je n’y prends garde.
Je baise le bout de vos ailes humblement.
1 – Voyez, page 340, le paragraphe 3 du Pot-pourri. Cette facétie pourrait bien avoir été faite avant 1764. (G.A.)
2 – Montpéroux. (G.A.)