CORRESPONDANCE - Année 1760 - Partie 15

Publié le par loveVoltaire

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à M. de Chenevières.

 

Aux Délices, 26 Mai (1).

 

 

Ressusciter est sans doute un grand cas ;

C’est un plaisir que je viens de connaître ;

Mais le plus grand, ce serait d’apparaître

A ses amis ; je ne m’en flatte pas.

Pour ce prodige, il est quelques obstacles.

C’en serait trop pour les gens d’ici-bas

Que deux plaisirs, et surtout deux miracles.

 

 

          J’ai grande envie de ressusciter entièrement, c’est-à-dire de voir M. et madame de Chenevières, et votre ami, qui me fait d’aussi jolis compliments ; mais un maçon, un laboureur, un jardinier, un vigneron, tel que j’ai l’honneur de l’être, ne peut quitter ses champs sans faire une sottise. Je suis plus capable de faire des sottises que des miracles.

 

          Bonjour, homme aimable.

 

 

1 – Le 12 Mai, Chenevières avait écrit à Voltaire que le bruit de sa mort avait couru à Versailles. Voltaire lui avait répondu immédiatement, et sa réponse est sans doute une lettre que nous avons placée bien plus haut. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Thieriot.

 

A Tournay, et non à Tornet (1), 26 Mai.

 

 

          Je n’ai pas un moment ; la poste part. Je reçois la bêtise (2) qu’on a jouée à Paris, j’en lis deux pages, je m’ennuie, et je vous écris.

 

          Vous m’envoyez, mon ancien ami, d’autres bêtises qui ne sont pas de Resseguier, mais de Le Franc et de Fréron ; et moi je vous envoie des Que qui m’ont paru plaisants. J’avais déjà retiré ma guenille tragique quand Clairon est tombée malade ; j’ai déclaré que je ne voulais rien donner à un théâtre où l’on a joué la raison et mes amis.

 

          Il m’est d’ailleurs très égal qu’on joue des pièces de moi, ou qu’on n’en joue pas ; je n’attends nulle gloire de ces performances (3). L’intérêt n’y a point de part, puisque je donne le profit aux comédiens ; MM. d’Argental font ce qu’ils veulent pour s’amuser. D’ailleurs, je me …. de tout bon ou mauvais succès, et de toutes les sottises de Paris, et des réquisitoires, et de maître Abraham Chaumeix, et des Fréron, et des Le Franc, et de tutti quanti. Il faut ne songer qu’à vivre gaiement ; c’est à quoi j’ai visé et réussi.

 

 

Excepto quod non simul essem, cætera lætus.

 

HOR., lib. I, ep. X.

 

 

          Envoyez-moi donc les Quand, les Si, les Pourquoi, qu’on dit imprimés en couleur de rose (4), les Oui, et les Non.

 

 

1 – « Le comte de Tornet : » disaient ses ennemis. (G.A.)

 

2 – Les Philosophes. (G.A.)

 

3 – Mot anglais qui signifie ouvrages. (CLOGENSON.)

 

4 – En rouge. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame de Fontaine.

 

Aux Délices, 28 Mai 1760.

 

 

          Je suis toujours affligé, ma chère nièce, que la Picardie (1) soit si loin de mon lac ; mais je vous vois d’ici bâtissant, arrangeant, meublant, et je me console en pensant que vous avez du plaisir. N’allez pas vous aviser de regretter Paris ; quand vous auriez vu la prétendue comédie des Philosophes, vous n’en seriez pas mieux ; et, quand vous auriez été témoin de toutes les sottises qui se font dans ce pays-là, vous n’y gagneriez rien. Attendez patiemment que la destinée de l’Europe soit tirée au clair.

 

          Luc a cent mille hommes sous les armes : c’est presque autant de soldats qu’il a fait de vers. Les Russes en ont autant, la reine de Hongrie davantage. Les Hanovriens et nous, nous en pouvons compter plus de quatre-vingt mille de chaque côté ; ce qui, joint aux Suédois, fait au-delà de cinq cent mille héros, à cinq sous par jour, qui vont travailler à nous donner la paix.

 

          Luc, en attendant, fait imprimer ses Œuvres. Il a été mécontent de l’édition qu’on avait donnée. On lui a fait apercevoir qu’il pouvait perdre quelques partisans, en laissant subsister une tirade contre le christianisme, qui commence par :

 

 

Allez, lâches chrétiens, etc.  .  .  .  .  .  .  .  .

 

 

Il a fait brûler cette édition par le bourreau, à Berlin, et en a donné une autre où il a mis pauvres chrétiens (2) ; ce qui a tout réparé, comme vous le voyez bien. C’est un rare mortel ; il m’a confié qu’il ferait durer la guerre encore quatre ans (3) ; ainsi prenez vos mesures là-dessus.

 

          Le tonnerre a fait des siennes, en attendant le canon ; il est tombé sur le chevalier de La Luzerne, qui était à la tête de sa troupe. Il a brûlé ses habits et sa culotte, sans lui faire beaucoup de mal ; le chevalier est arrivé à cul nu. Si le roi de Prusse avait été là, il aurait cru que c’était une galanterie que le tonnerre lui faisait.

 

          Si vous me demandez de mes nouvelles, je vous dirai que j’ai eu trois ou quatre petits procès ; l’un avec un prêtre (4), l’autre avec les fermiers-généraux ; un troisième contre le parlement de Bourgogne ; un quatrième contre la république de Genève. Je les ai tous gagnés, tous finis gaiement, et sans que personne fût de mauvaise humeur.

 

          Nos jardins sont charmants. Nous allons jouer la comédie dès que Lécluse (5) aura fait des dents à notre première actrice. Le duc de Villars prétend qu’il jouera les rôles de père. Marmontel arrive avec un Gaulard (6), receveur-général ; voilà l’état des choses ; mais aussi rendez-moi compte des plaisirs d’Hornoy.

 

          Dieu vous donne un jour, monsieur le chevalier (7), les mêmes sujets d’angoisse qu’à M. votre père ! Il me fait l’honneur de m’écrire ; il consulte Tronchin ; savez-vous bien sur quoi ? sur ce que, à l’âge de quatre-vingt-sept ans, il a le malheur de ne s’endormir qu’à quatre heures du matin, et de dormir jusqu’à dix ; d’ailleurs il est assez content de lui.

 

          Monsieur le jurisconsulte (8), que faites-vous ? êtes-vous toujours gras comme un moine ? que dites-vous de Daumart, qui ne peut plus marcher depuis quatre mois, même avec des béquilles ? Je soupçonne notre ami Tronchin de s’être fourvoyé en lui appliquant, l’année passée, un cautère  pour le fortifier. J’ai peur que ce pauvre garçon ne boite toute sa vie.

 

          Je vous embrasse tous ; je vous aime, je vous regrette.

 

 

1 – Où était le château d’Hornoy. (G.A.)

 

2 – Ou plutôt lâches humains. (G.A.)

 

3 – Voyez la lettre de Frédéric du 1er Mai. (G.A.)

 

4 – Ancien curé de Moëns. (G.A.)

 

5 – Dentiste, ancien comédien. (G.A.)

 

6 – Fils d’un ancien ami de Voltaire, avocat-général à Bordeaux. (G.A.)

 

7 – C’est toujours le Florian qui devint marquis à la mort de son père. (G.A.)

 

8 – D’Hornoy. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Thieriot.

 

29 Mai 1760 (1).

 

 

          On m’envoie cela, et je vous fais part de cela. C’est un déluge de monosyllabes. Ceux-ci m’ont paru plus gaillards que les autres. Je n’ai pu encore parvenir à trouver le recueil des Quand, des Si, des Pourquoi, imprimés, dit-on, sur du papier couleur de rose. On a recours à des amis dans le besoin. Je vous prie, mon ancien ami, de ne me pas oublier. Je vous dois plusieurs livres ; quand il vous plaira, nous compterons.

 

          Au reste, je ne sais pas pourquoi on me fourre dans toutes ces querelles, moi laboureur, moi berger, moi rat retiré du monde, dans un fromage de Suisse. Je me contente de ricaner, sans me mêler de rien. Il est vrai que je ricane beaucoup ; cela fait du bien, et soutient son homme dans la vieillesse.

 

          La pièce contre les philosophes n’a pu me faire rire. Peut-être cela est-il fort drôle au théâtre ; mais à la lecture, on bâille. La première loi, quand on fait une comédie, c’est d’être comique ; sans gaieté point de salut.

 

          Si vous aviez quelque libraire à favoriser, un plaisant qui voyage m’a laissé un manuscrit que je pourrais vous faire tenir. Ce manuscrit est d’une douzaine de pages ; mais le plaisant demande le secret, et moi je vous demande continuation d’amitié.

 

          Que ne faites-vous comme Marmontel, qui vient nous voir ? – V.

 

          Qui sont les monstres qui disent que j’ai part aux Que ? Ah ! les coquins !

 

          A qui faut-il adresser vos paquets, pour que vous les ayez plus tôt ?

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le conseiller Tronchin.

 

2 Juin (1).

 

 

          Rien n’est plus beau à présent que votre pays ; comptez que les billets de confession, les convulsions, les remontrances, et Rousseau Jean-Jacques marchant à quatre pattes sur le théâtre de Paris, et les édits de Silhouette, etc., etc., ne valent pas nos charmants paysages.

 

          Vos petits secours viennent bien à propos. Votre argent hérétique sera employé à bâtir une petite église catholique ; il faut se faire des amis du Mammon d’iniquité, comme dit l’autre. Je vous écris avant que la poste d’Allemagne soit arrivée. Ainsi, vous n’aurez point de nouvelles, du moins par moi, des ours et des tigres qui jouent de la griffe en Silésie.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

Aux Délices, 4 Juin 1760.

 

 

          Mon divin ange, la paix sera aussi difficile à établir parmi les gens de lettres qu’entre la France et l’Angleterre.

 

          Palissot m’envoie sa pièce, et m’écrit. Jugez de sa lettre par ma réponse. Je prends la liberté de vous l’adresser, et en même temps je vous conjure de me dire s’il est vrai que Diderot ait fait deux libelles contre mesdames de Robecq et de La Marck (1). Cela peut être vrai, mais cela n’est pas possible.

 

          Vous pourriez bien, avant d’envoyer ma réponse à Palissot, la faire transcrire, ne varietur ; car je dois craindre qu’on ne me reproche d’être complice de la comédie des Philosophes. Dieu soit loué qu’on ne joue point Médime ! elle viendrait mal à propos ; elle serait sifflée. Il est très heureux, très décent qu’on ne me joue pas après les Philosophes.

 

          D’ailleurs, mon cher ange, je suis à vos ordres. Décidez pour Socrate, pour l’Ecossaise ; je ferai tout ce qu’il faudra. Je suis en train d’aimer le tripot, et de rire.

 

          N’abandonnons point le droit de cuissage (2) ; il me semble qu’on en peut faire quelque chose de très intéressant. Le IV et le V étaient à la glace ; mais en quinze jours on ne peut avoir un feu égal dans son fourneau.

 

          Cela ne ressemblera point à Nanine. Pourquoi ne feriez-vous point jouer Rome sauvée ? Mais avez-vous des acteurs ? Si vous n’en avez point pour Catilina, vous n’en aurez pas pour la Mort de César ; et vice versa.

 

          Mon cher ange, comment se porte madame Scaliger ?

 

          Il me prend quelquefois des fureurs de venir vous voir ; mais il faut se contenir ; il faut marcher toujours sur la même ligne.

 

 

Paris, que veux-tu de moi ?

Mon cœur n’est pas fait pour toi.

 

 

          Il est fait pour vous, mon cher ange.

 

 

1 – Deleyre ayant traduit le Père de famille et le Véritable ami, de Goldoni , Grimm écrivit en tête de ces pièces deux épîtres dédicatoires satiriques adressées à la princesse de Robecq et à la comtesse de La Marck. Diderot se sacrifia pour son ami en laissant croire qu’il était le coupable. (G.A.)

 

2 – C’est-à-dire la comédie du Droit du Seigneur. (G.A.)

 

 

1760 - Partie 15

 

 

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