CORRESPONDANCE - Année 1759 - Partie 19
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à Milord Keith.
Aux Délices, 4 Octobre 1759 (1).
Mylord, when I fell last year in the prophecies as Isaiah and Jeremiah, I was far from thinking that I would cry this year on your worthy brother (2). I learned of his death and that of the king's sister (3) at the same time. The nature and war contribute to the woes of your king.
This is a great loss that Marshal Keith. Your whole philosophy can not dispel such grief. Philosophy softens the injury, but still leaves the wounded heart.
This war is the most terrible that ever was. Your lordship once saw a battle a year at most, while today each month, the earth was covered with blood and torn bodies.
They are confused happy fools who say that everything is fine! This is not, in truth, twenty provinces exhausted, or for three hundred thousand men slain.
I wish your lordship the peace of mind necessary in the midst of this horrible hurricane that never ends. I enjoy a quiet and delightful life, including Frédéric never taste, but I'm happier, I pity kings.
I would hope to see you as happy as I am, if you were not a brother tender.
Conservez vos bontés, milord, à un philosophe campagnard, qui sera toujours pénétré pour vous du plus tendre respect (4).
1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)
2 – Le feld-maréchal Keith, tué le 14 Octobre 1758 à la bataille de Hochkirch. (A. François.)
3 – La margrave de Bareith, morte le même jour. (A. François.)
4 –
TRADUCTION
Milord, lorsque je me jetai l’année dernière dans les prophéties, comme Isaïe et Jérémie, j’étais loin de penser que je pleurerais cette année sur votre digne frère. J’appris sa mort et celle de la sœur du roi en même temps. La nature et la guerre concourent aux malheurs de votre roi.
C’est une grande perte que celle du maréchal Keith. Toute votre philosophie ne saurait dissiper un tel chagrin. La philosophie adoucit la blessure, mais laisse toujours le cœur blessé.
La présente guerre est la plus effroyable qui fut jamais. Votre seigneurie voyait autrefois une bataille par an, tout au plus, tandis qu’aujourd’hui, chaque mois, la terre est couverte de sang et de cadavres déchirés.
Qu’ils soient confondus les fous heureux qui disent que tout ce qui est, est bien ! Cela n’est pas, en vérité, pour vingt provinces épuisées, ni pour ces trois cent mille hommes égorgés.
Je souhaite à votre seigneurie la paix de l’esprit, nécessaire au milieu de cet horrible ouragan qui ne finit pas. Moi, je jouis d’une vie calme et délicieuse, dont Frédéric ne goûtera jamais ; mais plus je suis heureux, plus je plains les rois.
J’espérerais vous voir aussi heureux que je le suis, si vous n’étiez pas un tendre frère.
Conservez, etc.
à M. le comte de Schowalow.
A Tournay, 6 Octobre 1759.
Monsieur, je vous avais déjà fait compliment sur l’heureux succès de vos armes, lorsque j’ai reçu la lettre dont votre excellence m’a honoré, avec la relation de la bataille, que M. de Soltikof a bien voulu me communiquer. Vos bontés augmentent tous les jours l’intérêt que je prends à la gloire de l’impératrice et à l’empire de Russie. Le terme d’honneur doit être bien certainement à la mode chez vous, quoi qu’en dise un certain homme (1), qui a mis son honneur à faire bien du mal, et à en dire beaucoup de votre auguste impératrice. Ce n’est pas d’aujourd’hui que j’ai pris part à la gloire de votre nation ; tous les événements ont justifié ma manière de penser. Je vois, avec la plus sensible joie, que la digne fille de Pierre-le-Grand perfectionne tout ce que son père a commencé. Le bruit à couru dans nos Alpes que sa santé avait été dérangée ; j’en ai ressenti de bien vives alarmes. Nous faisons mille vœux, dans mes retraites, pour la durée et la prospérité de son règne.
Le premier tome (2) de l’Histoire de Pierre-le-Grand serait déjà parvenu à votre excellence, si les personnes que j’emploie étaient aussi diligentes que je l’ai été. La vie est bien courte, et tout ouvrage est bien long. Je consacrerai ce qui me reste de vie à travailler au second volume, aussitôt que j’aurai les matériaux nécessaires. Il n’y a point d’occupation qui me soit plus précieuse ; et, si je suis assez heureux pour seconder vos nobles intentions, je n’aurai jamais si bien employé mon temps. Mais je regretterai toujours de n’avoir pu voir la ville que Pierre-le-Grand a fondée, et vous, monsieur, qui faites fleurir les arts et les vertus dans le plus grand empire de la terre.
Je serai toute ma vie, avec l’attachement le plus respectueux et le plus sincère, etc.
2 – Le roi de Prusse. (G.A.)
3 – Il était imprimé, mais n’avait pas paru. (G.A.)
à Madame la comtesse de Lutzelbourg.
6 Octobre 1759.
Quand on a mal aux yeux, madame, on n’écrit pas toujours de sa main ; si je deviens aveugle, je serai bien fâché. Ce n’était pas la peine de me placer dans le plus bel aspect de l’univers. Eh bien ! madame, êtes-vous comprise dans tous les impôts ? vos fiefs d’Alsace sont-ils sujets à cette grêle ? N’ai-je pas bien fait de choisir des terres libres, exemptes de ces tristes influences ? Avez-vous auprès de vous M. votre fils ? N’a-t-on pas au moins confirmé sa pension, qu’il a si bien méritée par sa valeur et par sa conduite dans cette malheureuse bataille (1) ? L’armée n’a-t-elle pas repris un peu de vigueur ? Nous avons besoin de succès pour parvenir à une paix nécessaire. Je suis toujours étonné que le roi de Prusse se soutienne ; mais vous m’avouerez qu’il est dans un état pire que le nôtre. Chassé de Dresde et de la moitié au moins de ses Etats, entouré d’ennemis, battu par les Russes, et ne pouvant remplir son coffre-fort épuisé, il faudra probablement qu’il vienne faire des vers avec moi aux Délices, ou qu’il se retire en Angleterre, à moins que, par un nouveau miracle, il ne s’avise de battre toutes les armées qui l’environnent ; mais il paraît qu’on veut le miner et non le combattre. En ce cas, le renard sera pris ; mais nous payons tous les frais de cette grande chasse. Je ne sais aucune nouvelle de Paris ni de Versailles, je ne connais presque plus personne dans ce pays-là. J’oublie, et je suis oublié. Le mot d’oubli, madame, n’est pas fait pour vous. Je vous serai attaché jusqu’au dernier moment de ma vie. Le Silhouette, qui rogne les pensions, en a pris pour lui une assez forte (2). Bravo !
1 – A Minden. (G.A.)
2 – Elle était de soixante mille francs. (G.A.)
à M. Dupont.
6 Octobre 1759.
M. le prince de Beaufremont, mon cher ami, a été un peu plus occupé de cette campagne des Hanovriens et des Hessois, que des Goll ; cependant il n’a point négligé leurs affaires ; il a écrit à M. le maréchal de Belle-Isle, lequel a recommandé tous les Goll à M. l’intendant d’Alsace. J’ai eu l’insolence, moi qui vous parle, d’écrire aussi pour m’informer du résultat ; mais ce résultat n’est pas jusqu’à présent trop favorable à MM. Goll. On dit qu’un Goll ne peut succéder à un catholique, et qu’un damné ne peut avoir la place d’un élu. Pour peu que cette affaire devienne matière de foi, ni vous ni moi n'y aurons grand crédit. Mon avis est qu’on attende un peu, et qu’on s’en remette à la Providence ; je tiens que voici un très mauvais temps pour se ruiner en procès ; un troisième vingtième doit rendre les hommes sages. J’en parle en homme désintéressé, car toutes mes terres sont libres et ne paient rien. Je ne veux pourtant pas dire avec Lucrèce :
Suave mal magno, etc.
Liv. II.
Quoique je sois au port, je plains fort ceux qui sont dans le bateau. Je cultive de plus beaux jardins que ceux de Candide ; mais j’ai bien peur que vous ne soyez de mauvaise humeur comme Martin. Mille compliments à madame votre femme ; ne m’oubliez pas, je vous prie, auprès de M. et de madame de Klinglin.
à Madame d’Epinay.
Vos cartons (1) sont pour moi, madame, les cartons de Raphaël, quand ils sont ornés d’un mot de votre main. Il y a une suite aux Entretiens (2) chinois ; mais elle est au magasin de Fernex. On vous la donnera ; mais ce serait à vous à donner, et vous ne voulez que recevoir. La gourmande Denis se porte mieux. Le philosophe est à vos pieds. A propos, la gourmande est philosophe aussi, car on l’est avec des faiblesses.
Dieu vous en donne !
1 – Voltaire et madame d’Epinay s’écrivaient sur cartons. (G.A.)
2 – Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article CATÉCHISME CHINOIS, qui ne parut qu’en 1764. (G.A.)