CORRESPONDANCE : Année 1759 - Partie 18

Publié le par loveVoltaire

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à M. Vernes.

 

23 Septembre 1759.

 

 

All that is, is right.

 

          Voilà deux rois assassins (1) en deux ans, la moitié de l’Allemagne dévastée, quatre cent mille homes massacres, etc., etc., etc.

 

          Quelques curieux disent que les révérends pères de la compagnie de Jésus-Christ ont empoisonné le roi d’Espagne, et prétendent en avoir des preuves ; ipsi viderint. Tout le monde crie dans les rue à Paris : Mangeons du jésuite mangeons du jésuite (2) ! C’est dommage que ces paroles soient tirées d’un livre détestable qui semble supposer le péché originel et la chute de l’homme, que vous niez aussi la chute d’Adam, la divinité du Verbe, la procession du Saint-Esprit, et l’enfer.

 

          Nous sommes un peu brouillés pour les odes ; cependant ma rapsodie sera à vos ordres ; mais il faudra venir dîner quelque jour avec nous ; car, tout soi-disant prêtre que vous êtes, et tout orthodoxe que je suis, je vous aime de tout mon cœur.

 

          Gratias ago du journaliste anglais ; c’est un bon vivant.

 

 

1 – Louis XV et Joseph de Portugal. (G.A.)

 

2 – Voyez Candide, chap. XVI. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Albergati Capacelli.

 

Au château de Tournay, près Gex,

route de Genève, 24 Septembre 1759. (1)

 

 

          Ella mi comanda di mandarle presto presto una tragedia nuova ; sara obbedita. Mi diletto sommamente nel essere abbelito dalla vostra dotta penna, e dai vostri pregiatissimi virtuosi. Ma io voglio fare un bon haratto, e guaagnare un poco in questo negozio. Voglio tenere dalla sua benignità la traduzione che s’a degnata fare della mia Semiramide, e vi prometto di mandarvi quanto prima la nuova tragedia. M’avete dato animo.

 

          Compongo un dramma, edifico un teatro, e raduno una compagnia di bravi attori. Cosi io conforto la mia vecchiaja. S’io fossi giovane, vorrei venir a Bologna per riverire il suo Varano ed il suo teatro. Bisognerà indirizzare le nostre poetiche mercanzie a qualche valente mercante o banchiere di Milano o di Torino, che abbia quelche correspondenza colla città di Genivra.

 

          J’ai l’honneur d’être, monsieur, avec tous les sentiments que je vous dois, votre très humble et très obéissant serviteur. VOLTAIRE, gentilhomme ordinaire du roi.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame de la cour.

 

Au château de Tournay, par Genève, 26 Septembre 1759 (1).

 

 

          Madame, je vois à la fermeté de vos idées, que vous êtes Anglaise, et à votre style qu’il faut ambitionner votre suffrage. Vous me rendez justice quand vous dites que j’aime la vérité. Je ne passe pas pour être flatteur, et lorsque je parlai du siège de Pondichéry, dans l’Histoire universelle, je n’en parlai que sur les nouvelles publiques, confirmées par l’honneur que le roi fit à M. Dupleix de lui donner le grand cordon de Saint-Louis, quoiqu’il ne fût pas militaire. Je devais croire que le service était réel, puisque les récompenses étaient si grandes  et la conservation de Pondichéry est un fait assez important pour que l’histoire en fasse mention.

 

          Ce même amour pour la vérité, joint à mon horreur contre la persécution, m’a fait prendre le parti de M. de la Bourdonnaye. L’un avait défendu Pondichéry, l’autre avait pris Madras ; et j’ai donné la préférence au vainqueur de Madras, parce qu’il était injustement persécuté. Je me flatte que ces sentiments ne vous déplairont pas. S’il est prouvé que je me suis trompé, vous pouvez être très sûre, madame, que je me rétracterai dans la nouvelle édition qu’on va faire de l’Histoire générale. Si vous daignez, madame, me communiquer vos mémoires sur les choses qui peuvent vous intéresser, ils seront pour moi de nouveaux moyens de trouver la vérité que je cherche en tout, et à laquelle je sacrifie. Je voudrais bien que mes sentiments me donnassent quelques droits à votre estime.

 

          J’ai l’honneur d’être, avec respect, madame, votre très humble et très obéissant serviteur. VOLTAIRE, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. – Nous doutons que cette lettre soit ici à sa place. (G.A.)

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame d’Epinay.

 

 

 

          L’ami Hume (1) me vient, madame ; je vous remercie de votre bonté, et je vous supplie de contremander votre autre Hume. Mais j’ai l’honneur de vous avertir que je fais plus de cas de votre conversation que de tous les Hume du monde, et qu’il est fort triste pour moi que vous habitiez une ville. Tous les philosophes devraient vivre à la campagne  à Epinay, madame, à Epinay. Je me flatte que l’inoculé (2) se porte mieux que vous. Nos dames vous présentent leurs obéissances.

 

 

1 – Sans doute l’Histoire naturelle de la religion, de Hume, que Mérian venait de traduire. (G.A.)

 

2 – D’Epinay fils. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

Aux Délices, 1er Octobre.

 

 

A MON CHER ANGE.

 

 

          Il saura que, sur ses ordres, on transcrit à force la Chevalerie, et qu’on l’enverra incessamment, comme affaire du conseil, à M. de Courteilles. Pour la Femme qui a raison, patience, s’i vous plaît ; ce serait deux femmes qui auraient raison en un jour, et c’est trop à la comédie. Pour madame Scaliger, qui fait la troisième, elle verra qu’on a été en tous les points de l’avis de ses remontrances. Au reste, nous jouons après-demain Mérope sur mon petit théâtre vert et or (1). Vous voyez bien mes divins anges, qu’en faisant le rôle de Narbas, faisant le rôle de Narbas, faisant bâtir, faisant me vendanges, et faisant battre en grange, je ne peux guère songer à la Femme qui a raison.

 

 

1 – Son théâtre de Tournay. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. DE CHAUVELIN L’AMBASSADEUR.

 

 

          Si son excellence prend ce chemin de Genève, nous tâcherons de lui donner la Chevalerie, sur mon théâtre grand comme la main ; et, si elle lui plaît, nous serons bien fiers. Tous les spectateurs feront serment de n’en point parler, et je réponds que Paris n’en saura rien. Nous voudrions seulement savoir quand M. l’ambassadeur passera par chez nous. Je lui réitère les plus tendres remerciements.

 

 

 

 

 

à M. DE CHAUVELIN L’INTENDANT.

 

 

          Puisque ma sangsue (1) ne sert qu’à le faire rire, je m’accommode sérieusement avec elle ; j’aime à payer ce qui est dû, mais injustice et rapacité révoltent ma bile, et l’allument. Je suppose que M. de Chauvelin a toujours la rage du bien public.

 

 

1 – Girard, receveur du domaine. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. DE CHAUVELIN L’ABBÉ.

 

 

          Qu’il soit averti que les remontrances du parlement n’ont réussi dans aucun pays de l’Europe. Il est triste d’avoir la guerre contre les Anglais ; mais, puisqu’ils nous battent, il faut bien que nous payions l’amende.

 

 

 

 

 

à MAÎTRE OMER DE FLEURY.

 

 

          A qui en avez-vous, maître Omer ? Votre frère l’intendant est aimable  mais quelle fureur avez-vous d’être un petit Anitus ? On se moque de vous, et de vos discours, et de vos dénonciations. Mon Dieu, que cela est bête !

 

          Somme totale. – Le sens commun paraît exilé de France, mais il réside chez mes anges avec la bonté et l’esprit.

 

 

N.B. – Comment pourrons-nous parler de ces grands chevaliers, et dire que

 

 

Tout Français est à craindre.

 

TANCR., act. I, sc. I.

 

 

tandis que tout le monde nous donne sur les oreilles ? Ah ! mon divin ange, que j’ai bien fait de me composer une petite destinée indépendante ! que j’ai bien choisi mes retraites ! que je m’y moque du genre humain !

 

 

Atque metus omnes, strepitumque Acherontis avari

Subjicio pedibus.

 

GEORG., liv. II.

 

 

          Mais mon refrain, mon triste refrain, est toujours que je mourrai sans avoir revu mon cher ange. Il n’y a pas d’apparence que je revienne dans le pays des Anitus et des Fréron. Je suis continuellement partagé entre le bonheur extrême dont je jouis, et la douleur de votre absence.

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argence de Dirac.

 

1er Octobre 1759.

 

 

          Monsieur, la confiance que vous voulez bien me témoigner, et le goût que vous avez pour la vérité, me touchent sensiblement. Vous avez perdu, dites-vous, des protecteurs ; mais vous êtes, sans doute, votre protecteur vous-même ; on n’a besoin de personne quand on a un nom et des terres. M. le chevalier d’Aidie a pris il y a longtemps le parti de se retirer chez lui ; il s’est procuré par là une vie heureuse et longue. Il n’y a personne qui ne regarde le repos et l’indépendance comme le but de tous ses travaux ; pourquoi donc ne pas aller au but de bonne heure ? On est égal aux rois, quand on sait vivre heureux chez soi.

 

          Quant aux objets de métaphysique dont vous me faites l’honneur de me parler, ils méritent votre attention. Il est bien vrai que, dans les lois de Moïse, il n’est jamais parlé de l’immortalité de l’âme, ni de récompenses et de peines dans une autre vie ; tout est temporel ; et l’Anglais Warburton, que M. Silhouette a traduit en partie, prétend que Moïse n’avait pas besoin de ce ressort pour conduire les Hébreux, parce qu’ils avaient Dieu pour roi, et que ce roi les punissait sur-le-champ quand ils avaient fait quelque faute. Cependant il est clair que, du temps de Moïse, les Egyptiens avaient embrassé le dogme de l’existence d’une âme aérienne et éternelle, qui devait se rejoindre au corps après une multitude de siècles. C’est pour cette raison qu’on embaumait les corps, afin que l’âme les retrouvât, et qu’on bâtissait des tombeaux en pyramides. L’idée de l’immortalité de l’âme et d’un enfer se trouve dans l’ancien Zoroastre, contemporain de Moïse, dont les titres et les opinions nous ont été conservés dans le Sadder. La même opinion est confirmée dans les poésies d’Homère. Il est vrai qu’on n’avait pas l’idée d’un esprit pur : l’âme, chez tous les anciens, était un air subtil ; mais il n’importe quelle fût son essence ; le grand intérêt des sociétés demandait qu’elle fût immortelle, et qu’après sa mort on pût lui demander compte. Démocrite, Epicure, et plusieurs autres, combattirent ce sentiment ; ils prétendirent que les honnêtes gens n’avaient pas besoin d’un enfer pour être vertueux ; que l’idée de l’enfer faisait plus de mal que de bien ; que l’âme n’est pas un être à part ; que c’est une faculté de sentir, de penser, comme les arbres ont de la nature la faculté de végéter ; qu’on sent par les nerfs, qu’on pense par la tête, comme on touche avec les mains, et qu’on marche avec les pieds.

 

          Pour Platon et Socrate, il est indubitable qu’ils croyaient l’âme immortelle. Ce dogme a été le plus universellement répandu ; il paraît le plus sage, le plus consolant et le plus politique. Pour peu que vous lisiez, monsieur, les bons livres traduits en notre langue, vous en saurez beaucoup plus que je ne pourrais vous en dire ; et, avec l’esprit juste que vous avez, vous vous formerez des idées saines de toutes ces choses, qui nous intéressent véritablement. Vous avez grande raison de rejeter toutes les idées populaires ; jamais les sages n’ont pensé comme le peuple. Saint Crépin est le saint des cordonniers, sainte Barbe est la sainte des vergetiers ; mais la vérité est la saint des philosophes.

 

          En voilà beaucoup pour un vieillard qui ne connaît plus que sa charrue et ses vignes.

 

          Je trouve que la meilleure philosophie est celle de cultiver ses terres.

 

          Je me croirais fort heureux, si je pouvais avoir l’honneur de vous recevoir dans un de mes ermitages.

 

 

1759 - Partie 18

 

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