CORRESPONDANCE - Année 1757 - Partie 4

Publié le par loveVoltaire

1757---Partie-4.jpg

 

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

13 Février 1757.

 

 

          Le fragment de votre lettre sur l’amiral Byng, monseigneur, fut rendu à cet infortuné par le secrétaire d’Etat, afin qu’elle pût servir à sa justification. Le conseil de guerre l’a déclaré brave homme et fidèle. Mais en même temps, par une de ces contradictions qui entrent dans tous les événements, il l’a condamné à la mort, en vertu de je ne sais quelle vieille loi, en le recommandant au pouvoir de pardonner, qui est dans la main du souverain. Le parti acharné contre Byng crie à présent que c’est un traître qui a fait valoir votre lettre, comme celle d’un homme par qui il avait été gagné. Voilà comme raisonne la haine ; mais les clameurs des dogues n’empêchent pas les honnêtes gens de regarder cette lettre, comme celle d’un vainqueur généreux et juste, qui n’écoute que la magnanimité de son cœur.

 

          Je crois que vous avez été un peu occupé, depuis un mois, de la foule des événements, ou horribles, ou embarrassants, ou désagréables, qui se sont succédé si rapidement. Les gens qui vivent philosophiquement dans la retraite ne sont pas les plus à plaindre. Je crains d’abuser de vos moments et de vos bontés par une plus longue lettre : il faut un peu de laconisme avec un premier gentilhomme de la chambre, qui a le roi et le dauphin à servir, et avec celui qui est fait pour être dans les conseils et à la tête des armées.

 

          Madame Denis vous idolâtre toujours, et il n’y a point de Suisse qui vous soit attaché avec un peu plus tendre respect que le Suisse Voltaire.

 

 

 

 

 

à M. Lévesque de Burigny.

 

A Monrion, 14 Février 1757.

 

 

          L’esprit dans lequel j’ai écrit, monsieur, ce faible Essai sur l’Histoire générale, a pu trouver grâce devant vous et devant quelques philosophes de vos amis. Non seulement vous pardonnez aux fautes de cet ouvrage, mais vous avez la bonté de m’avertir de celles qui vous ont frappé. Je reconnais à ce bon office les sentiments de votre cœur, et le frère de ceux qui m’ont toujours honoré de leur amitié. Recevez, monsieur, mes sincères et tendres remerciements. Je passe l’hiver auprès de Lausanne, où je n’ai point mes livres : le peu que j’en ai pu conserver est à mon petit ermitage des Délices ; ainsi je n’ai aucun secours pour vérifier les dates.

 

          Il se peut que l’impératrice Constance fût fille du roi de Sicile Roger ; mais il me semble que ce Roger vivait en 1101, et Henri VI, mari de Constance, en 1195. Il l’épousa, je crois, en 1186. Cette Constance avait des amants longtemps après cette époque. Il est bien difficile qu’elle soit fille de Roger ; je crois me souvenir que plusieurs annalistes la font fille de Guillaume : je consulterai mes Capitulaires, et surtout Giannone (1), quoiqu’il ne soit pas toujours exact.

 

          Le cardinal Polus (2) pourrait bien avoir écrit la lettre à Léon X, longtemps avant d’être cardinal. C’est de milord Bolingbroke que je tiens l’anecdote de cette lettre ; il en a parlé souvent à M. de Pouilli votre frère et à moi.

 

          Adrien IV, au lieu d’Alexandre III, est une inadvertance : dans le cours de l’ouvrage, je dis toujours que c’est Alexandre III qui imposa une pénitence à Henri II, roi d’Angleterre, pour le meurtre de Thomas Becket. Je ne manquerai pas de rectifier ces erreurs, et j’oublierai encore moins l’obligation que je vous ai. Il y en a quelques autres encore que je corrige dans la nouvelle édition que font actuellement les frères Cramer. Ils m’ont arraché cet ouvrage que j’aurais dû garder longtemps avant de le laisser exposer aux yeux du public ; mais puisqu’il a trouvé grâce devant les vôtres, je ne peux me repentir.

 

          J’ai l’honneur d’être, avec toute l’estime et la reconnaissance que je vous dois, monsieur, votre, etc.

 

 

1 – Histoire civile du royaume de Naples. (G.A.)

 

2 – Voyez le chapitre CXXVII de l’Essai. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Palissot.

 

A Monrion, 16 Février 1757.

 

 

          Ce que vous me mandez, monsieur, du grand acteur Lekain, m’afflige et ne me surprend pas. C’est le sort de bien des talents, de ne recueillir que des traverses au lieu de récompenses. Si vous le voyez, je vous prie de lui dire que j’ai écrit (1) à M. le maréchal de Richelieu, pour lui faire obtenir un congé à Pâques. Mais on m’a répondu qu’il n’était pas possible de lui donner ce congé cette année, puisqu’il en avait pris un de lui-même l’année passée. J’aimerais bien mieux qu’on augmentât sa part que de lui donner un congé. J’écrirai, j’insisterai ; mais la recommandation d’un Suisse n’a pas grand pouvoir à Versailles.

 

          Je ne sais où est actuellement votre ami M. Patu, que je possédai huit jours dans mon ermitage, avant qu’il allât en Italie. J’avais chez moi alors une de mes nièces (2) qui commençait à être bien malade, et qui peut-être n’eut pas pour lui toutes les attentions qu’elle aurait eues si elle avait moins souffert. J’ai peur que ce petit contre-temps ne lui ait déplu. J’en serais très fâché ; je l’aime beaucoup, et je sens tout son mérite. Si vous lui écrivez, je vous prie de l’assurer de tous mes sentiments.

 

          Vous me feriez beaucoup de plaisir, monsieur, de présenter mes respects à M. le duc d’Ayen et à madame la comtesse de La Mark. Ce sont leurs suffrages qui font ma consolation dans les maux qui m’affligent. Je ne vis plus pour les sensations agréables, mais le plaisir de leur plaire me tiendra lieu de tous les autres. Comptez, monsieur, sur le sentiment d’une amitié véritable de ma part.

 

 

1 – Le 4 Février. (G.A.)

 

2 – Madame de Fontaine. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame de Fontaine.

 

A Monrion, 19 Février 1757.

 

 

          Qu’est-ce que c’est donc, ma chère nièce, qu’une petite secte de la canaille, nommée la secte des margouillistes, nom qu’on devrait donner à toutes les sectes ? On dit que des misérables fanatiques, nés des convulsionnaires, et petits-fils des jansénistes, sont ceux qui ont mis, non pas le couteau, mais le canif, à la main de ce monstre insensé de Damiens ; que ce sont eux qui envoient du poison au dauphin dans une lettre, et qui affichent des placards ; le tout pour la plus grande gloire de Dieu. Les honnêtes gens, par parenthèse, devraient me remercier d’avoir tant crié toute ma vie contre le fanatisme ; mais les cours sont quelquefois ingrates.

 

          Vous savez les coquetteries que me fait le roi de Prusse, et que la czarine m’appelle à Petersbourg. Vous savez aussi qu’aucune cour ne me tente plus, et que je dois préférer la solidité de mon bonheur dans ma retraite, à toutes les illusions. Si j’en voulais sortir, ce ne serait que pour vous ; ma santé exige de la solitude ; je m’affaiblis tous les jours.

 

          J’ai fait un effort pour jouer Lusignan ; votre sœur a été admirable dans Zaïre : nous avions un très beau et très bon Orosmane, un Nérestan excellent, un joli théâtre, une assemblée qui fondait en larmes ; et c’est en Suisse que tout cela se trouve, tandis que vous avez à Paris des margouillistes. Je vous ai bien regrettée ; mais c’est ce qui m’arrive tous les jours.

 

          Ayez grand soin de votre malheureuse santé ; conservez-vous, aimez-moi. Mille tendres compliments à fils, à frère, à secrétaire (1). Adieu, ma très chère nièce : votre sœur ne vous écrit point aujourd’hui ; elle apprend un rôle. Nous ne vous parlons que de plaisir : instruisez-nous des sottises de Paris.

 

 

1 – Le marquis de Florian. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

19 Février 1757.

 

 

          Oui, sans doute, mon héros, le secrétaire d’Etat de la république de Platon (1) aurait ri et dit quelques bons mots, car il en disait ; mais tâchez de n’en pas dire.

 

          Votre lettre sur ce pauvre amiral Byng lui a valu du moins quatre voix favorables, quoique la pluralité l’ait condamné à la mort. Il se passe dans tous les Etats des scènes singulières, et aucune ne vous surprend.

 

          Je vous attends toujours, ou dans le conseil, ou à la tête d’une armée. Si les services et la capacité donnent les places sous un monarque éclairé, vous avez assurément plus de droits que personne. Mais quelque place que vous ajoutiez à celles que vous occupez, il y en a une que les rois ne peuvent ni donner ni ôter, c’est celle de la gloire. Jouissez de ce beau poste, il est à l’abri de la fortune.

 

          Je vous assure, monseigneur, que vous prêchez à un converti, quand vous me conseillez de ne me rendre ni aux coquetteries du roi de Prusse, ni aux bontés de l’impératrice de Russie. Je préfère ma retraite à tout ; et cette retraite est d’ailleurs absolument nécessaire à un malade qui tient à peine à la vie.

 

          Permettez que je vous envoie ce qu’on m’écrit sur Lekain. S’il a tant de talents, s’il sert bien, est-il juste qu’il n’ait pas de quoi vivre, quand les plus mauvais acteurs ont une part entière ? c’est là l’image de ce monde. Puisque vous daignez descendre à ces petits objets, mettez-y la justice de votre cœur, et protégez les talents.

 

          Madame Denis et le Suisse Voltaire vous présentent leurs plus tendres respects.

 

 

1 – Le marquis d’Argenson. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Tronchin, de Lyon.

 

Monrion, 19 Février (1).

 

 

          J’attends avec impatience le mot de l’énigme de l’aventure de Pierre Damiens. On me mande qu’il y a une petite secte cachée, composée de la plus basse canaille du parti janséniste, que cette secte est appelée la secte des margouillistes, nom digne d’elle, que ces malheureux sont liés entre eux par des serments exécrables, qu’ils ont voulu, non pas tuer le roi, mais le blesser légèrement pour l’avertir, et qu’ils ont menacé le dauphin du poison. Il n’y a rien dont le fanatisme ne soit capable.

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et à François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Chenevières.

 

Monrion, 19 Février 1757 (1).

 

 

          Il y a huit jours, mon ami, que madame Denis cherche dans ses paperasses, parmi ses rôles de tragédies, de comédies, d’opéras comiques, etc., etc., votre gentille pastorale (2) qu’elle a lue avec tout le plaisir imaginable. Nous vous la renverrons, dès que la femme de chambre, qui a la garde des archives historiques et de la musique, l’aura retrouvée. Comme nous avons été entourés d’ouvriers, et qu’il a fallu essayer cinq ou six habits de théâtre, il y a eu un peu de confusion. Mais soyez en sûreté ; l’ouvrage n’est pas sûrement sorti de la maison. Nous avons un singe, un perroquet et un écureuil, que nous ne laissons approcher d’aucun papier.

 

          Pardon ; il faut aller répéter au théâtre aujourd’hui ; nous jouons demain. Tâchez de vous divertir aussi.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Mysis et Glaucé. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Pictet.

 

Monrion, 22 Février 1757.

 

 

          Mon très cher voisin, la volonté de Dieu soit faite ! Puissiez-vous bâtir, dans mon voisinage, une maison digne de la belle situation que vous avez, et puisse mademoiselle Pictet avoir un mari digne d’elle ! Je présente mes respects à madame Pictet, et je souhaite à toute votre famille les prospérités qu’elle mérite. Madame Denis joint ses sentiments aux miens. Vous n’aurez jamais de voisins qui vous soient plus sincèrement attachés.

 

 

 

 

 

à M. Rousseau.

 

A Monrion, près de Lausanne, 24 Février 1757.

 

 

          C’est pour la quatrième fois que j’écris aux frères Cramer, libraires, pour leur recommander de vous envoyer l’Essai sur l’Histoire générale depuis Charlemagne jusqu’à 1756. Je suis en droit d’attendre cette attention de ceux à qui j’ai fait présent de mon ouvrage. L’aîné Cramer est à présent en Hollande, et doit sans doute vous faire parvenir cette histoire. Ce sont ces frères Cramer qui m’ont déterminé à m’établir où je suis. Ils voulaient imprimer mes ouvrages, il fallait que je veillasse à l’impression ; la besogne a duré près de deux ans. J’ai des amis dans ce pays-ci. J’y ai trouvé des situations plus agréables que Meudon et Saint-Cloud, es maisons commodes ; je me suis établi, pour l’hiver, auprès de Lausanne, et, pour les autres saisons, auprès de Genève. Mais ce que j’ai trouvé de plus commode parmi ces calvinistes, très différents de leurs ancêtres, c’est que j’ai fait imprimer à Genève, avec l’approbation universelle, que Calvin était un très méchant homme, altier, dur, vindicatif, et sanguinaire. C’est ce que vous verrez dans cette Histoire générale. Genève est peut-être à présent la ville de l’Europe où il y a le plus de philosophes. Je suis très fâché que cette Histoire générale ne soit pas encore parvenue jusqu’à vous.

 

          A l’égard de ce Portefeuille trouvé (1), c’est une rapsodie qu’un libraire affamé, nommé Duchesne, vend à Paris sous mon nom ; c’est un nouveau brigandage de la librairie. On me mande que les trois quarts de ce recueil sont composés de pièces auxquelles je n’ai nulle part, et que le reste est pillé des éditions de mes ouvrages, et entièrement défiguré.

 

          Il n’y a pas grand mal à tout cela, et je pardonne aux misérables à qui mon nom vaut quelque argent.

 

 

1 – Le Portefeuille trouvé, ou Tablettes d’un curieux, 1757. (G.A.)

 

 

 

 

1757 - Partie 4

 

 

Commenter cet article