CORRESPONDANCE - Année 1757 - Partie 2

Publié le par loveVoltaire

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 Photo de JAMES

 

(Château de Voltaire)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

à Madame de Fontaine.

 

A Monrion, 16 Janvier 1757.

 

          Ceci est pour ma nièce, ma compagne en maladies, pour mon neveu le juge et le prédicateur, pour mon petit-neveu, pour M. de Florian, que j’embrasse tous du meilleur de mon cœur. Nous sommes un peu malades, madame Denis et moi, à Monrion.

 

          Les bons Suisses me reprochent d’avoir trop loué une nation et un siècle qui produisent encore des Ravaillac. Je ne m’attendais pas que des querelles ridicules produiraient de tels monstres. Je crois bien que Robert-François Damiens n’a point de complices ; mais c’est un chien qui a gagné la rage avec les chiens de Saint-Médard ; c’est un reste des convulsions. On ne doit pas me reprocher du moins d’avoir tant écrit contre le fanatisme ; je n’en ai pas encore assez dit.

 

          S’il y a quelque chose de nouveau, nous prions instamment M. de Florian, qui n’épargne pas ses peines, de se souvenir de nous.

 

          Songez à votre santé, ma chère nièce ; j’ai fait un fort beau présent au grand Tronchin le guérisseur : il en est très content.

 

          Voici ce Testament (1) que vous demandez, ma chère enfant ; je vous prie d’en donner copie sur-le-champ à M. d’Argental et à Thieriot. Ce nouveau Testament est meilleur que l’ancien qui court sous mon nom.

 

 

1 –M. Clogenson dit que Voltaire désigne ainsi son poème de la Religion naturelle. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Pictet.

 

Monrion, 16 Janvier 1757.

 

 

          Mon très aimable voisin, les Délices ne sont plus Délices quand vous n’êtes plus dans le voisinage ; il faut alors être à Monrion. Votre souvenir me console, et l’espérance de vous revoir, au printemps, me donne un peu de force.

 

          Je suis bien honteux pour ma nation qu’il y ait encore des Ravaillac ; mais Pierre Damiens n’est heureusement qu’un bâtard de la maison Ravaillac, qui a cru pouvoir tuer un roi avec un méchant petit canif à tailler des plumes. C’est un monstre, mais c’est un fou. Cet horrible accident ne servira qu’à rendre le roi plus cher à la nation, le parlement moins rétif, et les évêques plus sages.

 

          Réjouissez-vous à Lyon avec la meilleure des femmes et la plus aimable des filles, et comptez sur l’inviolable attachement des deux solitaires suisses.

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

A Monrion, 20 Janvier 1757.

 

 

          Mon cher ange, je sens tout le prix de votre souvenir dans un temps où vous êtes si consterné de l’horrible aventure, et si occupé à remplir le vide immense laissé dans le parlement (1). Votre assiduité à des devoirs nouveaux dont vous êtes dispensé, est un mérite dont le parlement, le public, et la cour, doivent vous tenir compte. Je me flatte, pour l’honneur de la nation et du siècle, et pour le mien, qui ai tant célébré cette nation et ce siècle, qu’on ne trouvera nulle ombre de complicité, nulle apparence de complot dans l’attentat aussi abominable qu’absurde de ce polisson d’assassin, de ce misérable bâtard de Ravaillac. J’espère qu’on n’y trouvera que l’excès de la démence : il est vrai que cette démence aura été inspirée par quelques discours fanatiques de la canaille : c’est un chien mordu par quelques chiens de la rue, qui sera devenu enragé. Il paraît que le monstre n’avait pas un dessein bien arrêté, puisque, après tout, o ne tue point des rois avec un canif à tailler des plumes. Mais pourquoi le scélérat avait-il trente louis dans sa poche ? Ravaillac et Jacques Clément n’avaient pas un sou. Je n’ose importuner votre amitié sur les détails de cet exécrable attentat. Mais comment me justifierai-je d’avoir tant assuré que ces horreurs n’arriveraient plus, que le temps du fanatisme était passé, que la raison et la douceur des mœurs régnaient en France ? Je voudrais que dans quelque temps on rejouât Mahomet. Je n’ose vous parler à présent de cette Histoire générale, ou plutôt de cette peinture des misères humaines, de ce tableau des horreurs de dix siècles ; mais si vous avez le loisir de recueillir les opinions de ceux qui auront eu le courage d’en lire quelque chose, vous me rendrez un vrai service de m’apprendre ce qu’on en pense et ce que je dois corriger en général ; car c’est toujours à me corriger que je m’étudie. Que fais-je autre chose avec l’ancienne Zulime ? Le travail a toujours fait ma consolation : le rabot et la lime sont toujours mes instruments. Est-il vrai que M. de Sainte-Palaie succédera à Fontenelle (2) dans l’Académie ? Je lui souhaite sa place et sa longue vie. Adieu, mon cher et respectable ami. Mille tendres respects à tous les anges. Les deux Suisses vous embrassent.

 

 

1 – Louis XV venait d’élire seize conseillers. (G.A.)

 

2 – Mort le 9 Janvier. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la comtesse de Lutzelbourg..

 

A Monrion, 20 Janvier 1757.

 

 

          J’ai eu cinquante relations, madame, de cette abominable entreprise d’un monstre qui, heureusement, n’était qu’un insensé. Si l’excès de son crime ne lui avait pas ôté l’usage de la raison, il n’aurait pas imaginé qu’on pouvait tuer un roi avec un méchant petit canif à tailler des plumes. Ce qu’il y a de plus frappant, c’est que ce bâtard de Ravaillac avait trente louis d’or en poche. Ravaillac n’était pas si riche. Vous savez qu’il avait été laquais chez je ne sais quel homme de robe nommé Maridor, et que son frère servait actuellement chez un conseiller des enquêtes. Ce conseiller a dénoncé ce frère de l’assassin, et ce frère est probablement très innocent. Le monstre est un chien qui aura entendu aboyer quelques chiens des enquêtes, et qui aura pris la rage. C’est ainsi que le fanatisme est fait. A peine le roi a-t-il été blessé. Cette abominable aventure n’aura servi qu’à le rendre plus cher à la nation, et pourra apaiser toutes les querelles. C’est un grand bien qui sera produit par un grand crime.

 

          Fontenelle est mort à cent ans. Je vous souhaite une vie encore plus longue.

 

          Je passe mon hiver à Monrion près de Lausanne. Cela me fait retrouver mes Délices beaucoup plus délices au printemps. Où pourrais-je être mieux que dans le repos, la liberté, et l’abondance ?

 

 

 

 

 

à la duchesse de Saxe-Gotha.

 

A Monrion, près de Lausanne, 28 Janvier 1757 (1).

 

 

          Madame, j’ai l’honneur d’envoyer à votre altesse sérénissime la meilleure relation (2) que j’aie reçue de l’attentat commis contre la personne de Louis XV, qui ne s’attendait pas à voir reparaître les Ravaillac. Celui-ci n’est apparemment qu’un bâtard de la maison de Ravaillac, qui s’est imaginé pouvoir tuer un roi avec un petit canif à tailler des plumes. Ce qu’il y a de vraiment déplorable dans cette aventure, c’est que ce malheureux n’a été poussé à un tel crime que pour avoir entendu des discours atroces, qui ont fait germer dans son cœur la résolution du parricide. Pierre Damiens n’était qu’un vil fanatique de la populace, comme l’ont été les assassins des princes d’Orange, du grand roi Henri IV et tant d’autres. Son crime n’a été que le fruit de quelques discours séditieux et emportés, sans but et sans dessein ; du moins on n’a pas, jusqu’à présent, découvert la moindre apparence de complot. C’est un chien qui a gagné la rage de quelques chiens convulsionnaires et jansénistes qui aboyaient au hasard. Les Jésuites triomphent de voir les rois assassinés par d’autres que par eux et par les jacobins. C’est à présent le tour des jansénistes. Que d’horreurs, madame, et que le meilleur des mondes possibles est affreux !

 

          Quatre cent mille soldats vont donc inonder le nord de l’Allemagne ! Il faudra toute la prudence de votre altesse sérénissime pour que le contre-coup d’un choc si terrible ne se fasse pas sentir jusque dans vos Etats. Vous êtes au milieu des parties belligérantes : puissiez-vous leur inspirer l’esprit de paix et de justice qui anime votre cœur ! Je fais, du fond de ma retraite, mille vœux pour toute votre auguste maison et pour votre altesse sérénissime, qui connaît mon profond respect et mon tendre attachement.

 

 

1 – Editeurs, E.Bayoux et A. François. (G.A.)

 

2 – Celle de d’Argenson, ministre de la guerre. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le duc d’Uzès.

 

A Monrion, près de Lausanne, 28 Janvier 1757.

 

 

          J’ai reçu, monsieur le duc, une lettre à un évêque, qui vaut beaucoup mieux que le bref du pape. Elle est digne à la fois du premier pair de France et d’un philosophe. Il y a des pairs parmi les évêques, mais de philosophes, il y en a bien peu. Le plus détestable fanatisme lève hardiment la tête, tandis que la raison demeure à Uzès et dans quelques petits cantons. Les sages gémissent, et les insensés agissent. Il y a un certain grand arbre qui ne porte que des fruits d’amertume et de mort : il couvre encore de ses branches pourries une partie de l’Europe. Les pays où l’on a coupé ses rameaux empoisonnés, sont les moins malheureux. Je vous remercie du fond de mon cœur, monsieur le duc, de l’antidote excellent que vous avez eu la bonté de m’envoyer. Qu’on parcoure l’histoire des assassins chrétiens, et elle est bien longue, on verra qu’ils ont eu tous la Bible dans leur poche avec leur poignard, et jamais Cicéron, Platon ni Virgile.

 

          Plus j’entrevois ce qui se passe dans ce vilain monde, plus j’aime mes retraites allobroges et helvétiques.

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

A Monrion, 4 Février 1757.

 

 

          Je ne sais si mon héros aura déjà reçu un fatras d’histoire qui commence à Charlemagne, et même plus haut, et qui finit par le vainqueur de Mahon (1). Vous n’aurez guère, monseigneur, le temps de lire dans votre année d’exercice : cet exercice a été violent dans ces dernières horreurs. Vous voyez des choses bien extraordinaires, mais vous en verrez des exemples dans le fatras que j’ai l’honneur de vous envoyer. Il est en feuilles. Je n’ai point de relieur à Monrion, et je crois que vos livres ont une reliure particulière.

 

          Le roi de Prusse vient de m’écrire une lettre (2) tendre ; il faut que ses affaires aillent mal. L’autocratrice de toutes les Russies veut que j’aille à Petersbourg. Si j’avais vingt-cinq ans, je ferais le voyage.

 

          Lekain veut en faire un ; et il se flatte que vous lui donnerez permission d’aller prêcher à Marseille à Pâques. Je n’ose vous en supplier. Il n’appartient point à un Suisse de parler des acteurs de Paris. Ce n’est pas assurément le temps de parler de comédie ; il y a des tragédies bien abominables en France, qui prennent toute l’attention. Ce pauvre marquis d’Argenson, que vous appeliez le secrétaire d’Etat de la république de Platon, est donc mort ? Il était mon contemporain : il faut que je fasse mon paquet. Jouissez, mon héros, de votre gloire et d’une vie heureuse et longue. Les héros vivent plus longtemps que les philosophes ; j’en excepte Fontenelle dont je vous souhaite l’estomac et les cent années. Vous voilà doyen de l’Académie : c’est une bien belle place, mais il la faut conserver. Conservez-moi aussi vos bontés. Les deux Suisses vous adorent.

 

 

1 – L’Essai allait alors jusqu’en juin 1756. (G.A.)

 

2 – On n’a pas cette lettre. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Lekain.

 

A Monrion, près-Lausanne, le 4 Février 1757 (1).

 

 

          Mon cher Lekain, ma recommandation, la recommandation d’un Suisse, n’est pas d’un grand poids ; cependant j’ai écrit (2) comme vous l’avez voulu.

 

          Est-il vrai que, le lendemain de cet horrible assassinat, votre camarade Dubreuil reçut une lettre adressée à un autre Dubreuil,, laquelle lettre contient ces mots : Fuyez, le coup est manqué ? Voilà des tragédies bien abominables. Je vous embrasse.

 

 

P.S. – J’écris peu et tard ; mais c’est que je travaille et que je suis malade.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – A Richelieu. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le conseiller Tronchin.

 

Monrion, 5 Février 1757 (1).

 

 

          Il me paraît assez sûr que l’Espagne va se déclarer. Le roi de Prusse vient de m’écrire une lettre très tendre. L’impératrice de Russie veut que j’aille à Petersbourg. Mais je vous réponds bien que je ne quitterai pas vos Délices.

 

          Il faut que je m’accoutume aux naufrages. Ce ne sont pas seulement mes vaisseaux de Cadix qui périssent ; une barque que j’envoyais de Monrion aux Délices, chargée de bois et de meubles, est allée au fond du lac. Cela ne m’empêchera pas de jouer le vieux bonhomme Lusignan dans Zaïre : ce rôle me convient. On joue tous les jours la comédie à Lausanne : ce n’est pas comme dans votre ville de Calvin.

 

          Je suis bien fâché de la mort du marquis d’Argenson, ex-ministre philosophe. Il y avait cinquante ans que je l’aimais.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

1757 - Partie 2

 

 

 

 

 

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