CORRESPONDANCE - Année 1756 - Partie14

Publié le par loveVoltaire

1756---Partie-14.jpg

 

Photo de KHALAH 

 

 

 

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

Aux Délices, 24 Juillet 1756 (1).

 

 

          Dieu me préserve d’importuner mon héros ; mais je ne peux m’empêcher de lui rendre compte d’une lettre que M. de Ramsault, ingénieur en chef à Lille, m’a écrite. Il se moque du monde de s’adresser à moi. J’envoie très humblement à mon héros copie de ma réponse, et je m’en tiens là, comme de raison.

 

          Je n’ose, monseigneur, vous envoyer de mes rêveries ; on dit que vous allez être encore plus occupé que vous ne l’étiez à Minorque, et que c’est dans un autre goût. Vous allez donc, comme votre grand oncle, changer la face de l’Europe ! L’impératrice-reine et le comte de Kaunitz ont eu la bonté de me faire dire de leur part des choses très agréables. Je crois que c’est à vous que je les dois.

 

          Vos succès m’enivrent toujours de joie ; mais ils n’augmentent point mon respectueux et tendre attachement.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Ramsault le père.

 

Du 24 Juillet 1756 (1).

 

 

          Je vais obéir à vos ordres, monsieur, avec un extrême plaisir. Je ne serai que votre secrétaire ; il n’appartient pas à un pauvre ermite comme moi de prétendre à quelque crédit auprès des héros. Je peux les affubler de grandes odes ennuyeuses ; mais ce n’est pas à moi d’obtenir un brevet de lieutenant-colonel pour un brave officier, digne de servir sous M. le maréchal de Richelieu, et dont le mérite est connu du général. Tout ce que je peux et tout ce que je dois faire, c’est de me vanter à M. le maréchal d’avoir l’honneur d’être votre ami, et de m’intéresser passionnément à toute votre famille et à son avancement. C’est avec ces sentiments inaltérables que je serai toute ma vie, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur (2).

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – A cette lettre est attachée la note suivante de la main de Voltaire : M. de Ramsault de Tortonval, capitaine dans le Hainaut, ayant servi dans l’expédition de Minorque, demande un brevet de lieutenant-colonel. (A. François.)

 

 

 

 

 

à M. Paris-Duverney.

 

Aux Délices, le 26 Juillet 1756.

 

 

          Votre lettre, monsieur, augmente la joie que les succès de M. le maréchal de Richelieu m’ont causée. Votre amitié pour lui, qui ne s’est jamais démentie, justifie bien mon attachement. Une si belle action fait sur vous d’autant plus d’effet, que vous formez au roi des sujets qui apprendront à l’imiter. Vous vous êtes fait une carrière nouvelle de gloire par cette belle institution (1) qu’on doit à vos soins, et qui sera une grande époque dans l’histoire du siècle présent. Le nom de M. le maréchal de Richelieu ira à la postérité, et le vôtre ne sera jamais oublié.

 

          Les événements présents fourniront probablement une ample matière aux historiens. L’union des maisons de France et d’Autriche, après deux cent cinquante ans d’inimitiés ; l’Angleterre, qui croyait tenir la balance de l’Europe, abaissée en six mois de temps ; une marine formidable créée avec rapidité ; la plus grande fermeté déployée avec la plus grande modération, tout cela forme un bien magnifique tableau. Les étrangers voient avec admiration une vigueur et un esprit de suite dans le ministère que leurs préjugés ne voulaient pas croire. Si cela continue, je regretterai bien de n’être plus historiographe de France. Mais la France, qui ne manquera jamais ni d’hommes d’Etat ni d’hommes de guerre, aura toujours aussi de bons écrivains, dignes de célébrer leur patrie.

 

          Je ne suis plus bon à rien ; ma santé m’a rendu la retraite nécessaire. Il eût été plus doux pour moi de cultiver des fleurs auprès de Plaisance (2) qu’auprès de Genève ; mais j’ai pris ce que j’ai trouvé. J’aurais eu bien difficilement un séjour plus agréable et plus convenable. Le fameux docteur Tronchin vient souvent chez moi. J’ai presque toute ma famille dans ma maison. La meilleure compagnie, composée de gens sages et éclairés, s’y rend presque tous les jours, sans jamais me gêner. Il y vient beaucoup d’Anglais, et je peux vous dire qu’ils font plus de cas de votre gouvernement que du leur.

 

          Vous souffrez sans doute, monsieur, avec plaisir ce compte que je vous rends de ma situation. Je vous dois, en grande partie, la douceur de ma fortune ; je ne l’oublierai point. Je vous serai attaché jusqu’au dernier moment de ma vie.

 

          Je vous prie, quand vous verrez M. votre frère (3), de vouloir bien l’assurer de mes sentiments, et de compter sur ceux avec lesquels j’ai l’honneur d’être si véritablement, etc.

 

 

1 – L’Ecole royale militaire. (G.A.)

 

2 – Château de Pâris-Duverney. (G.A.)

 

3 – Pâris-Marmontel. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Lekain.

 

Aux Délices, 4 Août 1756 (1).

 

 

          Mon cher Lekain, tout ce qui est aux Délices a reçu vos compliments et vous fait les siens, aussi bien qu’à tous vos camarades. Puisque vous osez enfin observer le costume, rendre l’action théâtrale, et étaler sur la scène toute la pompe convenable, soyez sûr que votre spectacle acquerra une grande supériorité. Je suis trop vieux et trop malade pour espérer d’y contribuer ; mais si j’avais encore la force de travailler, ce serait dans un goût nouveau, digne des soins que vous prenez et de vos talents. Je suis borné, à présent, à m’intéresser à vos succès. On ne peut y prendre plus de part, ni être moins en état de les seconder. Je vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

1 – C’est à tort que les éditeurs de cette lettre, MM. de Cayrol et A. François, l’ont placée à l’année 1757. Elle est de 1756. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

Aux Délices, 4 Août 1756.

 

 

          Mon cher ange, je suis bien malingre ; mais, puisqu’on a ressuscité Sémiramis, il faut bien que je ressuscite aussi. On dit que Lekain s’est avisé de paraître, au sortir du tombeau de sa mère, avec des bras qui avaient l’air d’être ensanglantés ; cela est un tant soit peu anglais, et il ne faudrait pas prodiguer de pareils ornements. Voilà de ces occasions où l’on se trouve tout juste entre le sublime et le ridicule, entre le terrible et le dégoûtant. Mon absence n’a pas nui au succès ; de mon temps les choses n’auraient pas été si bien. J’ai gagné quelque chose à être mort, car c’est l’être que de vivre sans digérer au pied des Alpes. Je sens que les Tronchin n’y font rien. Le miracle de madame de Fontaine subsiste, mais je ne suis pas homme à miracles. Il faut être jeune pour faire honneur à son médecin ; mais, mon ange consolateur, aurai-je encore la force de faire quelque chose qui vous plaise ? J’ai bien peur que le talent des tragédies ne passe plus vite que le goût de les voir jouer. Vous n’êtes pas épuisé ; mais, par malheur, ne le serais-je pas ? Il se présente en Suède un sujet de tragédie (1) ; s’il y avait quelque épisode de Prusse, on pourrait trouver de quoi faire cinq actes. On aura dorénavant à Paris de l’indulgence pour moi, depuis qu’on me tient pour trépassé.

 

          Je ne conseillerais pas à La Beaumelle de donner une pièce ; il en a pourtant fait une (2) ; mais il est si protégé et si heureux qu’on pourrait le siffler. Il faut qu’il soit disgracié de quelques rois, et alors le parterre le prendra en amitié. Madame de Graffigni a une comédie (3) toute prête ; son succès me paraît sûr. Elle est femme, le sujet sera un roman ; il y aura de l’intérêt, et on aimera toujours l’auteur de Cénie. Pour madame de Boccage, elle s’est livrée au poème épique. On m’a envoyé trois tragédies de Paris et de province. Il en pleut de tous côtés ; sans compter l’opéra de Mérope du roi de Prusse. Vous voyez que les arts sont toujours en honneur. Bonsoir, mon cher et respectable ami ; mille respects à tous les anges.

 

 

1 – On venait de décapiter le baron de Horn et quelques seigneurs qui avaient conspiré pour le rétablissement de l’autorité absolue du roi. (G.A.)

 

2 – Virginie ou les décemvirs. (G.A.)

 

3 – La Fille d’Aristide. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

Aux Délices, 4 Août 1756.

 

 

          Il me semble, monseigneur, que toutes les lettres adressées à mon héros doivent lui être rendues, et que messieurs de la poste de Compiègne auraient pu vous renvoyer à Marseille la lettre que je vous adressai à la cour quand vous eûtes donné ce bel assaut ; mais apparemment que l’on n’aime pas les mauvais vers dans ce pays-là. Il se peut aussi que les directeurs de la poste vous aient attendu à Compiègne, de jour en jour, et vous attendent encore. Je ne ressemble point au général Blakeney (1), je ne peux sortir de ma place. La raison en est que je suis assiégé par une file de médecines dont le docteur Tronchin m’a circonvenu. Que n’ai-je un moment de force et de santé : je partirais sur-le-champ, je viendrais vous voir dans votre gloire ; je laisserais là toute ma famille, qui se passerait bien de moi dans mon ermitage.

 

          Vous croyez bien que j’ai un peu interrogé le voyageur dont vous me parlez (2), et vous devez vous en être aperçu quand je vous mandais que ce n’était pas des seuls Anglais que vous triomphiez. Vous avez, comme tous les généraux, essuyé les propos de l’envie et de l’ignorance. Souvenez-vous comme on traitait le maréchal de Villars avant la journée de Denain. Vous avez fait comme lui, et on se tait, et on admire, et l’enthousiasme que vous inspirez est général. On a mal attaqué, disait-on ; il fallait absolument envoyer M. de Vallière (3) pour tirer juste. Au milieu de tous ces beaux raisonnements arrive la nouvelle de la prise  voilà jusqu’à présent le plus beau moment de votre vie. Qu’est-il arrivé de là ? qu’on ne vous conteste plus le service que vous avez rendu à Fontenoy. Port-Mahon confirme tout, et met le sceau à votre gloire. Il se pourra bien faire que vous ne soyez pas le premier dans le cœur de la belle personne (4) que vous savez ; mais vous serez toujours considéré, honoré, et je vous regarde comme le premier homme du royaume. C’est une place que vous vous êtes donnée, et que rien ne vous ôtera. Il me pleut de tous côtés de mauvais vers pour vous ; vous devez en être excédé. Pour vous achever, il faut que je prenne aussi la liberté de vous envoyer ce que j’écrivais ces jours-ci à mon petit Desmahis. Ce Desmahis est fort aimable ; vous ne vous en soucierez guère, vous avez bien autre chose à faire.

 

          Nous sommes tous ici aux pieds de notre héros.

 

 

1 – Défenseur du fort Saint-Philippe. (G.A.)

 

2 – Tronchin. (G.A.)

 

3 – Célèbre général d’artillerie. (G.A.)

 

4 – Madame de Pompadour. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

7 Août 1756.

 

 

          Mon divin ange, voici le Botoniate (1) achevé et réparé, à peu près comme vous l’avez voulu. L’auteur est un homme très aimable, et porte un nom qui doit réussir à Paris. Je ne doute pas que les comédiens n’acceptent une pièce qui vaut beaucoup mieux que tant d’autres qu’ils ont jouées, et je doute encore moins du succès quand elle sera bien mise au théâtre. Je vous demande vos bontés, et nous sommes deux qui serons pénétrés de reconnaissance.

 

          Mon cher ange, les bras ensanglantés (2) sont bien anglais ; mais, si on les souffre, je les souffre aussi.

 

          Si cet honnête La Beaumelle est enfermé (3), je n’en suis pas surpris ; il avait dit dans ses Mémoires, en parlant de la maison royale : « On s’allie plaisamment dans cette maison-là. »

 

          On dit qu’il avait fait imprimer une Pucelle en dix-huit chants, pleine d’horreurs.

 

          Je ne savais pas que ce fût M. de Sainte-Palaie (4) qui m’eût honoré du Glossaire ; voulez-vous bien lui donner le chiffon ci-joint ?

 

          La poste part ; je n’ai que le temps de vous dire que vous êtes le plus aimable et le plus regretté des hommes.

 

 

1 – Le Nicéphore, du conseiller Tronchin. (G.A.)

 

2 – Voyez la lettre du 4 Août à d’Argental. (G.A.)

 

3 – Il fut embastillé une seconde fois, du 6 Août 1756 au 1er septembre 1757. (G.A.)

 

4 – Auteur du Projet d’un glossaire français. (G.A.)

 

1756 - Partie 14

 

 

Commenter cet article