CORRESPONDANCE - Année 1756 - Partie 15

Publié le par loveVoltaire

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 Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

à M. Thieriot.

 

Aux Délices, 9 Août 1756.

 

 

          Mon cher et ancien ami, je ne sais ce que c’est que cette critique dévote dont vous me parlez. Est-ce une critique imprimée ? est-ce seulement un cri des âmes tendres et timorées ? vous me feriez plaisir de me mettre au fait. Je m’unis, à tout hasard, aux sentiments des saints, sans savoir ni ce qu’ils disent ni ce qu’ils pensent.

 

          On me mande qu’on a défendu à l’évêque de Troyes (1) d’imprimer des mandements ; c’est défendre à la comtesse de Pimbesche de plaider.

 

          Est-il vrai qu’on joue Sémiramis ? que l’ombre n’est pas ridicule ? et que les bras de Lekain ne sont pas mal ensanglantés ? Vous ne savez rien de ces bagatelles ; vous négligez le théâtre ; vous n’aimez que les anecdotes, et vous ne m’en dites point.

 

          Je ne sais guère de nouvelles de Suède. J’ai peur que ma divine Ulrique ne soit traitée par son sénat avec moins de respect et de sentiment qu’on n’en doit à son rang, à son esprit, et à ses grâces.

 

          Vous saurez que l’impératrice-reine m’a fait dire des choses très obligeantes. Je suis pénétré d’une respectueuse reconnaissance. J’adore de loin ; je n’irai point à Vienne ; je me trouve trop bien dans ma retraite des Délices. Heureux qui vitchez soi avec ses nièces, ses livres, ses jardins, ses vignes, ses chevaux, ses vaches, son aigle, son renard, et ses lapins, qui se passent la patte sur le nez ! J’ai de tout cela, et les Alpes par-dessus, qui font un effet admirable. J’aime mieux gronder mes jardiniers que de faire ma cour aux rois.

 

          J’attends l’encyclopède d’Alembert, avec son imagination et sa philosophie. Je voudrais bien que vous en fissiez autant, mais vous en êtes incapable.

 

          Est-il vrai que Plutus-Apollon-Popelinière a doublé la pension de madame son épouse (2) ? Tronchin prétend qu’elle a toujours quelque chose au sein ; je crois aussi qu’elle a quelque chose sur le cœur. Je vous prie de lui présenter mes hommages, si elle est femme à les recevoir.

 

          C’est grand dommage qu’on n’imprime pas les mémoires de ce fou d’évêque Cosnac !

 

          Pour Dieu, envoyez-moi, signé Jannel (3) ou Bouret, tout ce qu’on aura écrit pour ou contre les Mémoires d Scarron-Maintenon.

 

          Interim vale et scribe. Æger sum, sed tuus.

 

 

1 – Pont de La Rivière. (G.A.)

 

2 – Il était séparé d’elle. Cette dame mourut d’un cancer au sein en novembre 1756. (G.A.)

 

3 – Intendant-général des postes. C’est lui qui faisait pour Louis XV des extraits des letttres qu’il ouvrait. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte de Tressan.

 

Aux Délices, 18 Août 1756.

 

 

          Vous êtes donc comme MM. vos parents, que j’ai eu l’honneur de connaître très gourmands ; vous en avez été malade. Je suis pénétré, monsieur, de votre souvenir ; je m’intéresse à votre santé, à vos plaisirs, à votre gloire, à tout ce qui vous touche. Je prends la liberté de vous ennuyer de tout mon cœur.

 

          Vous avez vraiment fait une œuvre pie de continuer les aventures de Jeanne, et je serais charmé de voir un si saint ouvrage de votre façon. Pour moi, qui suis dans un état à ne plus toucher aux Pucelles, je serai enchanté qu’un homme aussi fait pour elles que vous l’êtes daigne faire ce que je ne veux plus tenter.

 

          Tâchez de me faire tenir, comme vous pourrez, cette honnête besogne, qui adoucira ma cacochyme vieillesse. Je n’ai pas eu la force d’aller à Plombières ; cela n’est bon que pour les gens qui se portent bien, ou pour les demi-malades.

 

          J’ai actuellement chez moi M. d’Alembert, votre ami, et très digne de l’être. Je voudrais bien que vous fissiez quelque jour le même honneur à mes petites Délices. Vous êtes assez philosophe pour ne pas dédaigner mon ermitage.

 

          Je vous crois plus que jamais sur les Anglais ; mais je ne peux comprendre comment ces dogues-là, qui, dites-vus, se battirent si bien à Ettingen (1), vinrent pourtant à bout de vous battre. Il est vrai que depuis ce temps-là vous le leur avez bien rendu. Il faut que chacun ait son tour dans ce monde.

 

          Pour l’Académie françoise ou française, et les autres académies, je ne sais quand ce sera leur tour. Vous ferez toujours bien de l’honneur à celles dont vous serez. Quelle est la société qui ne cherchera pas à posséder celui qui fait le charme de la société ? Dieu donne longue vie au roi de Pologne : Dieu vous le conserve, ce bon prince qui passe sa journée à faire du bien, et qui, Dieu merci, n’a que cela à faire ! Je vous supplie de me mettre à ses pieds. Je veux faire mon petit bâtiment chinois à son honneur, dans un petit jardin ; je ferai un bois, un petit Chaudeu grand comme la main, et je le lui dédierai.

 

          Mademoiselle Clairon est à Lyon ; elle joue comme un ange des Idamé, des Mérope, des Zaïre, des Alzire. Cependant je ne vais point la voir Si je faisais des voyages, ce serait pour vous, pour avoir encore la consolation de rendre mes respects à madame de Boufflers, et à ceux qui daignent se souvenir de moi. Vous jugez bien que si je renonce à la Lorraine, je renonce aussi à Paris, où je pourrais aller comme à Genève, mais qui n’est pas fait pour un vieux malade planteur de choux.

 

          Comptez toujours sur les regrets et le très tendre attachement de V.

 

 

1 – Ou plutôt Dettingen, 27 Juin 1743. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Thieriot.

 

Aux Délices, 20 Août 1756 (1).

 

 

          Pourquoi donc cet honnête homme de La Beaumelle est-il à la Bastille ? Il avait fait un si beau livre, et madame Geoffrin le prônait tant !

 

          J’ai entre les mains les Annales politiques de l’abbé de Saint-Pierre ; c’est un fou sérieux, qui traite Louis XIV de grand enfant. Je crois que je trouverai dans ce manuscrit beaucoup plus à réfuter qu’à imiter. Il est probable qu’il sera bientôt imprimé (2).

 

          Si vous voyez Lambert, mon ancien ami, je vous prie de lui dire que la tête lui tourne de réimprimer la détestable rapsodie de la prétendue Histoire universelle qu’on a donnée sous mon nom, et ce recueil encore plus mauvais de la Guerre de 1741.

 

          Il prend bien mal son temps encore de réimprimer l’Histoire du Siècle de Louis XIV, lorsque je l’ai augmentée d’un grand tiers. Il doit, pour son intérêt et pour son honneur, attendre que l’édition des Cramer, qui va depuis Charlemagne jusqu’à 1756, ait paru. Faits-lui entendre raison, si vous pouvez, je vous en conjure.

 

          Nous avons ici d’Alembert et Patu ; ce sont deux mérites différents. Patu (3) va gagner ses pardons à Rome ; si vous voulez en faire autant, passez par Genève. Je vous rendrai bientôt M. d’Alembert ; c’est un des meilleurs philosophes de l’Europe, et, qui plus est, un des plus aimables.

 

          J’avais déjà le projet du Glossaire ; ce sera un livre nécessaire pour l’intelligence des auteurs français du moyen-âge : je ne doute pas que M. de Sainte-Palaie ne trouve de grands secours dans les langues du Nord ; on ne saurait s’en passer pour tous les vieux mots qui ne sont pas dérivés du latin.

 

          Imprime-t-on ce drôle de corps de Cosnac, évêque de Valence ?

 

          On parle d’une tragédie nouvelle ; mais vous n’êtes pas de ce tripot. Une vraie tragédie se joue à Stockholm, et il s’en prépare ailleurs. Tu, Tityre, lentus in umbra, et moi aussi. Je vous embrasse de tout mon cœur. Mes respects à madame La Popelinière. Quide novi ? Vale.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Il parut l’année suivante. (G.A.)

 

3 – Pierre Patu est auteur d’une comédie, les Adieux du Goût, jouée en 1754, et d’une traduction de pièces anglaises. Il allait en Italie pour se guerir d’une maladie de poitrine, dont il mourut peu de temps après sa visite aux Délices. (G.A.)

 

 

 

 

 

à la duchesse de Saxe-Gotha.

 

Aux Délices, 23 Août 1756 (1).

 

 

          Madame, l’optimisme et le Tout est bien reçoivent, en Suède, de terribles échecs. On se bat sur mer, on se menace sur terre. Heureuse encore une fois la terre promise de Gotha, où l’on est tranquille et heureux sous les auspices de votre altesse sérénissime : Elle a donc lu les lettres de cette femme singulière, veuve d’un poète burlesque et d’un grand roi, qui naquit protestante et qui contribua à la révocation de l’édit de Nantes qui fut dévote et qui fit l’amour. Je ne sais, madame, si vous aurez trouvé beaucoup de lettres intéressantes.

 

          A l’égard des mémoires de La Beaumelle, c’est l’ouvrage d’un imposteur insensé qui a quelquefois de l’esprit, mais qui en a toujours mal à propos. Ses calomnies viennent de la faire enfermer à la Bastille pour la seconde fois ; c’était un chien enragé qu’on ne plus laisser dans les rues. C’est une étrange fatalité que ce soit un pareil homme qui ait été cause de ce qu’on appelle mon malheur à la cour de Berlin. Pour moi, madame, je ne connais d’autre malheur que d’être loin de votre altesse sérénissime.

 

          On grand nouvelliste dans le pays que j’habite ; on prétend qu’il y a, dans une partie de l’Allemagne, des orages prêts à crever. Heureusement ils sont loin de vos Etats. Je n’ose, madame, vous demander si votre altesse sérénissime pense qu’il y ait guerre cette année ; il ne m’appartient pas de faire des questions ; mais je sais que votre altesse sérénissime voit les choses d’un coup d’œil bien juste. Son opinion déciderait, en plus d’une conjoncture, de ce qu’on doit penser. Plus d’un particulier est intéressé aux affaires générales ; qu’elle me pardonne de lui en parler, et qu’elle daigne recevoir, avec sa bonté ordinaire, mon profond respect et mon inviolable attachement.

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la comtesse de Lutzelbourg.

 

Aux Délices, 23 Août 1756.

 

 

          Dites-moi donc, madame, vous qui êtes sur les bords du Rhin si notre chère Marie-Thérèse, impératrice-reine, dont la tête me tourne, prépare des efforts réels pour reprendre sa Silésie. Voilà un beau moment ; et si elle le manque, elle n’y reviendra plus. Ne seriez-vous pas bien aise de voir deux femmes, deux impératrices (1), peloter un peu notre grand roi de Prusse, notre Salomon du Nord ? Pour moi, dans ma douce retraite, au bord de mon lac, je ne sais aucune nouvelle ; je n’apprends rien que par les gazettes. Elles me disent qu’on coupe des têtes en Suède ; mais elles ne me disent rien de cette reine Ulrique que j’ai vue si belle, pour qui j’ai fait autrefois des vers, et qui, sans vanité, en a fait aussi pour moi. Je suis très fâché qu’elle se soit brouillée si sérieusement avec son parlement. Le nôtre fait, dit-on, des remontrances pour une taxe sur les cartes, et brûle des mandements d’évêques. On vous envoie dans votre Alsace un confesseur, un martyr (2) de la constitution, que j’ai vu quelque temps fort amoureux, et dont sa maîtresse était aussi mécontente que ses créanciers. Les saints sont d’étranges gens.

 

          Portez-vous bien, madame ; faites du feu dès le mois de septembre. Traitez le climat du Rhin comme je traite celui du lac. Vivez avec une amie charmante. Souvenez-vous quelquefois de moi. Madame Denis et moi nous vous présentons nos respects. Il est triste pour nous que ce soit de si loin.

 

 

1 – Elisabeth de Russie et Marie-Thérèse. (G.A.)

 

2 – L’évêque de Troyes, exilé en Alsace. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Palissot.

 

Aux Délices, 27 Août 1756.

 

 

          Tout malade que je suis, monsieur, il faut que je me donne la consolation de vous remercier de votre lettre ; elle est très judicieuse, et je suis fort sensible à la confiance que vous me témoignez (1). J’ai d’ailleurs un intérêt véritable à voir tous ces petits nuages dissipés. Je me regarde comme votre ami après votre pèlerinage. Je suis l’ami  des personnes dont vous me parlez (2), et vous êtes tous dignes de vous aimer les uns les autres. J’ai eu dans ma vie quelques petites querelles littéraires, et j’ai toujours vu qu’elles m’avaient fait du mal Quand il n’y aurait que la perte du temps, c’est beaucoup. On dit que vous employez votre loisir à faire des ouvrages qui me donnent une grande espérance et beaucoup d’impatience. Je parle souvent de vous avec M. Vernes. Pardonnez une si courte lettre à un malade.

 

 

1 – Palissot se plaignait des tracasseries que lui suscitait Tressan à cause de sa comédie du Cercle, jouée à Lunéville. (G.A.)

 

2 – Tressan, le duc de Villars et Vernes. (G.A.)

 

 

 

1756 - Partie 15

 

 

 

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