CORRESPONDANCE - Année 1756 - Partie 1

Publié le par loveVoltaire

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à M. Gottsched.

 

A Monrion, près de Lausanne, 1er Janvier 1756.

 

 

          Monsieur, si j’écrivais autant de lettres que les libraires m’imputent de livres, vous seriez souvent importuné des miennes. Mais un pauvre malade solitaire ne peut guère écrire. Je fais trêve à tous mes maux pour vous souhaiter, aussi bien qu’à madame Gottsched, une bonne année et toutes les prospérités que vous méritez l’un et l’autre. Je commence cette année par vous demander hardiment une grâce ; c’est de vouloir bien honorer d’une place dans votre journal une lettre à l’Académie française que j’ai l’honneur de vous envoyez. Il est de l’intérêt de la vérité, et du mien, que cette lettre soit connue. Faites la grâce entière : je vous supplie que, par votre entremise, les gazettes allemandes fassent mention du désaveu que vous trouverez joint à la lettre. Il est honteux que les libraires se mettent en possession d’imprimer ce qu’ils veulent sous le nom d’un auteur vivant. Tous les gens de lettres y sont intéressés ; et à qui la gloire des lettres doit-elle être plus chère qu’à vous qui en êtes l’ornement et le soutien ?

 

          Je vous en aurai beaucoup d’obligation, et j’ai l’honneur d’être, avec tous les sentiments qui vous sont justement dus, monsieur, votre, etc. V.

 

 

 

 

 

à M. G.-C. Walther.

 

1er Janvier 1756.

 

 

          Mon cher Walther, on me mande qu’on a imprimé en Hollande, et que vous voulez réimprimer en Allemagne une prétendue Histoire de la guerre de 1741. L’amitié que j’aurai toujours pour vous m’oblige de vous avertir que cette Histoire, qu’on met impudemment sous mon nom, n’est point de moi. Vous le verrez aisément par ma lettre ci-jointe à l’Académie française. Je vous prie de faire imprimer cette lettre dans les journaux d’Allemagne, et de vouloir bien aussi faire insérer dans les gazettes le désaveu que je joins ici dans un petit papier. Vous obligerez un homme qui fera toujours profession d’être votre serviteur et votre ami. V.

 

 

 

 

 

A la duchesse de Saxe-Gotha.

 

A Monrion, près de Lausanne, 1er Janvier 1756 (1).

 

 

          Madame, j’allais souhaiter la bonne année à votre altesse sérénissime et à toute son auguste famille, avec la simplicité d’un bon Suisse, tel que j’ai l’honneur de l’être. Je reçois dans le moment la lettre dont votre altesse sérénissime daigne m’honorer. Elle me parle de Lisbonne ; elle m’avait auparavant envoyé une ode sur la mort ; je suis tenté, madame, de vous croire dévote, et cela m’encourage à vous envoyer un sermon (2). Votre altesse sérénissime y trouvera peut-être encore un peu de philosophie ; mais je vous supplie de considérer qu’on ne peut se défaire tout d’un coup de ses mauvaises habitudes. J’étais fâché contre les tremblements de terre, quand je fis cette homélie.

 

          Nous autres Suisses, nous n’avons pas été engloutis le 9 Décembre, à quelques lieues de Lausanne. Je passe mon quartier d’hiver auprès de Lausanne, dans un petit ermitage tel que celui où je me suis retiré l’été, auprès de Genève. Je partage ainsi mes hommages entre deux républiques paisibles, dans le temps que les grands royaumes sont près de se couper la gorge et de se faire une guerre plus cruelle qu’un tremblement de terre ne peut l’être. Le roi de Prusse cependant m’a fait écrire, par l’abbé de Prades, qu’il travaillait pacifiquement à mettre en opéra ma tragédie de Mérope. De telles occupations me plaisent plus que ses procédés guerriers à Francfort. A propos de la guerre, madame, on s’est avisé d’imprimer sous mon nom une histoire de la guerre de 1741. Ce n’est pas là certainement mon ouvrage ; il s’en faut beaucoup. Je suis en tout temps la victime des libraires et de La Baumelle ; mais les bontés dont votre altesse sérénissime m’honore me consolent de tout. Je la supplie de me les continuer. Je me mets aux pieds de toute son auguste famille ; je présente à son altesse sérénissime mon profond respect et mon inviolable attachement.

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. (G.A.)

 

2 – Un manuscrit incomplet du Poème sur la destruction de Lisbonne est joint à cette lettre. En marge on lit le mot secret. (A. François.)

 

 

 

 

 

à M. Thieriot.

 

A Monrion, près Lausanne, 2 Janvier 1756 (1).

 

 

          Mon ancien ami, je me garderai bien de me servir de la voie que vous me proposez. Je vous prie d’aller chez M. d’Argental avec ce petit billet ; il vous communiquera le sermon (2), et vous verrez ensemble s’il est possible que cela soit communiqué. Il y a des mystères qui ne sont faits que pour les initiés : vous êtes du nombre ; mais ce nombre est bien petit.

 

          Je lirai pour vous le Mercure que je ne lis jamais ; je ne connais dans ma retraite que les vieux livres et les vieilles amitiés. Je vous crois plus heureux que ne l’était votre fantasque de Nocé, qui était si embarrassé de lui-même. Je vous envoie ma nouvelle lettre à l’Académie française ; c’est la seule réponse que je puisse faire aux voleurs qui me mutilent.

 

          Je vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Le Poème sur le désastre de Lisbonne.  (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

A Monrion, 8 Janvier 1756.

 

 

          Je reçois, mon cher ange, votre lettre du 29 Décembre, dans ma cabane de Monrion, qui est mon palais d’hiver. Mon sermon sur Lisbonne n’a été fait que pour édifier votre troupeau, et je ne jette point le pain de vie aux chiens. Si vous voulez seulement régaler Thieriot d’une lettre, il viendra vous demander la permission de s’édifier chez vous.

 

          Je cherche toujours à vous faire ma cour par quelque nouvelle tragédie ; mais j’ai une maudite Histoire générale qu’il faut finir, et une édition (1) à terminer. Ma déplorable santé ne me permet guère de porter trois gros fardeaux à la fois. J’ai résolu d’abandonner toute idée de tragédie jusqu’au printemps. Je sens que je ne pourrai faire de vers que dans le jardin des Délices. Il faut à présent que ma vieille muse se promène un peu pour se dégourdir. Je ne crois pas qu’on ait beaucoup affaire de Mariamne, quand on a un Astyanax et une coquette (2). On dit que cette mademoiselle Hus (3), dont vous me parlez, ressemble plus à une Agnès qu’à une Salomé (4). Cependant, si vous voulez qu’elle joue ce vilain rôle, je le lui donne de tout mon cœur, in quantum possum et in quantum indiget. Je suis gisant dans mon lit, ne pouvant guère écrire ; mais je vais donner les provisions de Salomé à ladite mademoiselle.

 

          Quoique vous ne méritiez pas que je vous dise des nouvelles, vous saurez pourtant que la cour d’Espagne envoie quatre vaisseaux de guerre à Buénos-Ayres contre le révérend P. Nicolas (5)  Parmi les vaisseaux de transport il y en a un qui s’appelle le  Pascal. Peut-être y êtes-vous intéressé comme moi, car il appartient à MM. Gilli. Il est bien juste que Pascal aille combattre les jésuites ; mais ni vous ni moi ne paraissions faits pour être de la partie.

 

          Je vous embrasse, mon cher ange.

 

 

1 – L’édition Cramer. (G.A.)

 

2 – L’Astyanax est de Châteaubrun, et la Coquette corrigée, de La Noue. (G.A.)

 

3 – Actrice de la Comédie-Française. (G.A.)

 

4 – Personnage de la tragédie de Mariamne. (G.A.)

 

5 – Voyez le chapitre CLIV de l’Essai sur les mœurs. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame de Fontaine.

 

A Monrion, 8 Janvier 1756.

 

 

          J’envoie, ma chère nièce, la consultation de votre procès avec la nature au grand-juge Tronchin ; je le prierai d’envoyer sa décision par la poste en droiture, afin qu’elle vous arrive plus vite.

 

Vous me paraissez à peu près dans le même cas que moi ; faiblesse et sécheresse, voilà nos deux principes. Cependant, malgré ces deux ennemies, je n’ai pas laissé de passer soixante ans ; et madame Ledosseur vient de mourir, avant quarante, d’une maladie toute contraire. Mesdemoiselles Bessières (1) avaient une vieille tante qui n’allait jamais à la garde-robe ; elle faisait seulement, tous les quinze jours, une crotte de chat que sa femme de chambre recevait dans sa main, et qu’elle portait dans la cheminée ; elle mangeait, dans une semaine, deux ou trois biscuits, et vivait à peu près comme un perroquet ; elle était sèche comme le bois d’un vieux violon, et vécut dans cet état près de quatre-vingts ans, sans presque souffrir.

 

Au reste, je présume que M. Tronchin vous prescrira à peu près le même remède qu’à moi ; et, comme vous avez l’esprit plus tranquille que le mien, peut-être ce remède vous réussira ; mais ce ne sera qu’à la longue. Le père putatif du maréchal de Richelieu, qui était le plus sec et le plus constipé des ducs et pairs, s’avisa de prendre du lait à la casse ; cela avait l’air du bouillon de Proserpine ; il s’en trouva très bien. Il mangeait du rôti à dîner, il prenait son lait à la casse à souper, et vécut ainsi jusqu’à quatre-vingt-quatre ans. Je vous en souhaite autant, ma chère nièce. Amusez-vous toujours à peindre de beaux corps tout nus, en attendant que le docteur Tronchin rétablisse et engraisse le vôtre.

 

Adieu, ma chère nièce ; tâchez de venir nous voir avec des tétons rebondis et un gros cul. Je vous embrasse tendrement, tout maigre que je suis. J’écris à Montigni (2) sur la mort de madame Ledosseur. Sa perte m’afflige, et fait voir qu’on meurt jeune avec de gros tétons. La vie n’est qu’un songe ; nous voudrions bien, votre sœur et moi, rêver avec vous.

 

 

1 – Amies de la famille de Voltaire. (G.A.)

 

2 – Mignot de Montigny, cousin de madame de Fontaine. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte de Tressan.

 

A Monrion, 11 Janvier.

 

 

          Il me paraît, monsieur, que sa majesté polonaise n’est pas le seul homme bienfaisant (1) en Lorraine, et que vous savez bien faire comme bien dire. Mon cœur est aussi pénétré de votre lettre, que mon esprit a été charmé de votre Discours. Je prends la liberté d’écrire au roi de Pologne, comme vous me le conseillez, et je me sers de votre nom pour autoriser cette liberté. J’ai l’honneur de vous adresser la lettre (1) ; mon cœur l’a dictée.

 

          Je me souviendrai toute ma vie que ce bon prince vint me consoler un quart d’heure dans ma chambre, à la Malgrange, à la mort de madame du Châtelet. Ses bontés me sont toujours présentes. J’ose compter sur celles de madame de Boufflers et de madame de Bassompierre (2). Je me flatte que M. de Lucé (3) ne m’a pas oublié ; mais c’est à vous que je dois leur souvenir. Comme il faut toujours espérer, j’espère que j’aurai la force d’aller à Plombières, puisque Toul est sur la route. Vous m’avez écrit à mon château de Monrion ; c’est Ragotin qu’on appelle monseigneur ; je ne suis point homme à châteaux. Voici ma position : j’avais toujours imaginé que les environs du lac de Genève étaient un lieu très agréable pour un philosophe, et très sain pour un malade ; je tiens le lac par les deux bouts ; j’ai un ermitage fort joli aux portes de Genève, un autre aux portes de Lausanne ; je passe de l’un à l’autre ; je vis dans la tranquillité, l’indépendance, et l’aisance, avec une nièce qui a de l’esprit et des talents, et qui a consacré sa vie aux restes de la mienne.

 

          Je ne me flatte pas que le gouverneur de Toul (4) vienne jamais manger des truites de notre lac ; mais si jamais il avait cette fantaisie, nous le recevrions avec transport ; nous compterions ce jour parmi les plus beaux jours de notre vie. Vous avez l’air, messieurs les lieutenants-généraux, de passer le Rhin cette année plutôt que le mont Jura ; et j’ai peur que vous ne soyez à Hanovre quand je serai à Plombières. Devenez maréchal de France, passez du gouvernement de Toul à celui de Metz : soyez aussi heureux que vous méritez de l’être ; faites la guerre, et écrivez-là. L’histoire que vous en ferez vaudra certainement mieux que la rapsodie de la Guerre de 1741, qu’on met impudemment sous mon nom. C’est un ramas informe et tout défiguré de mes manuscrits que j’ai laissés entre les mains de M. le comte d’Argenson.

 

          Je vous préviens sur cela, parce que j’ambitionne votre estime. J’ai autant d’envie de vous plaire, monsieur, que de vous voir, de vous faire ma cour, de vous dire combien vos bontés me pénètrent. Il  n’y a pas d’apparence que j’abandonne mes ermitages et un établissement tout fait dans deux maisons qui conviennent à mon âge et à mon goût pour la retraite. Je sens que si je pouvais les quitter, ce serait pour vous, après toutes les offres que vous me faites avec tant de bienveillance. Je crois avoir renoncé aux rois, mais non pas à un homme comme vous.

 

          Permettez-moi de présenter mes respects à madame la comtesse de Tressan, et recevez les tendres et respectueux remerciements du Suisse Voltaire.

 

          Je m’intéresse à Panpan (5) comme malade et comme ami.

 

 

1 – Titre donné à Stanislas à l’ouverture de l’Académie de Nancy. (G.A.)

 

2 – On n’a pas cette lettre. (G.A.)

 

3 – Sœur de la marquise de Boufflers. (G.A.)

 

4 – Envoyé de Louis XV près Stanislas. (G.A.)

 

5 – Devaux. (G.A.)

 

 

 

 

1756 - Partie 1

 

 

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