CORRESPONDANCE - Année 1755 - Partie 28

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à M. le comte de Tressan.

 

A Monrion, près de Lausanne, le 18 Décembre 1755.

 

 

          Vous devez être fatigué, monsieur, d’éloges et de remerciements ; ayez pourtant la bonté de recevoir les miens. On vous en présentera de plus flatteurs, mais non de plus sincères. M. de Châteauvieux a eu la bonté de me communiquer de votre part votre discours (1) digne en tout du roi et de la cérémonie qui en sont l’objet. Il a suspendu les douleurs que les maladies me font éprouver ; mais il augmente celle que je ressentirai toujours de n’avoir pu être témoin de tout ce que le roi de Pologne et vous, monsieur, faites pour la gloire de la Lorraine. Si mon état me laissait assez de force pour venir prendre les eaux de Plombières, l’été prochain, je passerais exprès par Toul, pour venir vous renouveler l’estime infinie et le tendre attachement que je conserverai toute ma vie pour vous. Pardonnez à un pauvre malade qui ne peut vous écrire de sa main.

 

          J’ai l’honneur d’être avec une reconnaissance inexprimable, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

 

1 – Le discours prononcé le jour de la dédicace de la statue de Louis XV à Nancy. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Pictet.

 

A Monrion, près Lausanne, 21 Décembre 1755.

 

 

          J’ai mille grâces à vous rendre, mon très cher et très aimable professeur, aussi bien qu’à madame Pictet. Elle a écrit à madame Denis une lettre charmante, et j’ai reçu de vous un billet très savant. La science et les grâces sont dans votre famille. Le sieur Falconnet a fait à Paris la même remarque que vous. Le Portugal est miné depuis longtemps. Reposons-nous à l’abri des Alpes. Quand serai-je assez heureux pour être encore votre voisin et celui de madame Pictet ? Oserais-je vous prier de lui présenter mes tendres respects ? Je n’oublierai jamais vos bontés ni les siennes. Je me mets aux pieds de madame Pictet et de la belle Nanine, tout indigne que j’en suis.

 

 

 

 

 

à Messieurs de l’Académie française.

Le 21 Décembre 1755.

 

 

          Messieurs, daignez recevoir mes très humbles remerciements de la sensibilité publique (1), que vous avez témoignée sur le vol et la publication odieuse de mes manuscrits, et permettez-moi d’ajouter que cet abus, introduit depuis quelques années dans la librairie, doit vous intéresser personnellement ; vos ouvrages, qui excitent plus d’empressement que les miens, ne seront pas exempts d’une pareille rapacité.

 

          L’Histoire prétendue de la guerre de 1741, qui paraît sous mon nom, est non seulement un outrage fait à la vérité défigurée en plusieurs endroits, mais un manque de respect à notre nation, dont la gloire qu’elle a acquise dans cette guerre méritait une histoire imprimée avec plus de soin. Mon véritable ouvrage, composé à Versailles sur les mémoires des ministres et des généraux, est, depuis plusieurs années, entre les mains de M. le comte d’Argenson, et n’en est pas sorti. Ce ministre sait à quel point l’histoire que j’ai écrite diffère de celle qu’on m’attribue. La mienne finit au traité d’Aix-la-Chapelle, et celle qu’on débite sous mon nom ne va que jusqu’à la bataille de Fontenoy. C’est un tissu informe de quelques-unes de mes minutes dérobées et imprimées par des hommes également ignorants. Les interpolations, les omissions, les méprises, les mensonges, y sont sans nombre. L’éditeur ne sait seulement pas le nom des personnes et des pays dont il parle, et, pour remplir les vides du manuscrit, il a copié, presque mot à mot, près de trente pages du Siècle de Louis XIV. Je ne puis mieux comparer cet avorton qu’à cette Histoire universelle que Jean Neaulme imprima sous mon nom il y a quelques années. Je sais que tous les gens de lettres de Paris ont marqué leur juste indignation de ces procédés. Je sais avec quel mépris et avec quelle horreur on a vu les notes dont un éditeur (2) a défiguré le Siècle de Louis XIV. Je dois m’adresser à vous, messieurs, dans ces occasions, avec d’autant plus de confiance, que je n’ai travaillé, comme vous, que pour la gloire de ma patrie, et qu’elle serait flétrie par ces éditions indignes, si elle pouvait l’être.

 

          Je ne vous parle point, messieurs, de je ne sais quel poème entièrement défiguré qui paraît aussi depuis peu. Ces œuvres de ténèbres ne méritent pas d’être relevées, et ce serait abuser des bontés dont vous m’honorez ; je vous en demande la continuation.

 

          Je suis avec un très profond respect, etc.

 

 

1 – Le secrétaire de l’Académie, Duclos, avait répondu à la lettre de Voltaire de novembre 1755. (G.A.)

 

2 – La Beaumelle. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Gabriel Cramer.

 

A Monrion, 21 Décembre 1755 (1).

 

 

          L’Histoire de la guerre de 1741 (2), mon cher ami, est aussi défigurée, aussi falsifiée, aussi barbarement imprimée que la prétendue Histoireuniverselle de Jean Neaulme. Je vous envoie la copie de la lettre que j’adresse à l’Académie française ; vous me ferez plaisir de la faire imprimer dans tous les journaux de Hollande.

 

          Cet autre ouvrage, dont vous prétendez qu’on affole, est presque entièrement terminé. Je vais me remettre à l’Histoire générale ; mais il faut auparavant que je remplisse la tâche que les encyclopédistes (3) m’ont donnée. Après cela je vous donnerai quelques petits chapitres, quelques épiceries pour relever le goût de vos sauces.

 

          Je n’ai point à Monrion le manuscrit de la Guerre de 1741 ; il faudra que j’aille le chercher aux Délices. Je vous avertis seulement que ce temps-ci n’est pas propre à donner tant d’ouvrages à la fois. Ces infâmes éditions subreptices, données coup sur coup font grand tort à la véritable que vous préparez. Il faut laisser au public le temps de se remettre en goût. C’est ce que j’écris très fortement à Lambert.

 

          Patientons : la terre ne tremblera pas toujours ; je ne serai pas toujours volé et barbouillé. Madame Denis vous remercie de votre souvenir. Mille tendres compliments à toute votre famille.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – C’est à tort que les premiers éditeurs ont lu « Trente ans » au lieu de « 1741. »

 

3 – Voyez la Correspondance avec d’Alembert à cette époque. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Thieriot.

 

A Monrion, 25 Décembre (1).

 

 

          Je vous supplie, mon ancien ami, de me mander au juste ce que c’est que la Jeanne qui paraît imprimée.

 

          Voici une lettre en réponse à la Guerre de 1741. On me vole, on me défigure en prose et en vers. Ecrivez-moi toujours à la même adresse. Je passerai mon hiver à Monrion, à l’autre bout du lac, près de Lausanne ; j’y suis bien chaudement. Messieurs de Lausanne viennent dîner avec moi ; le reste du temps m’appartient. Ma maison est simple et propre ; j’y fais bonne chère. Je voudrais que vous y fussiez.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

A Monrion, près de Lausanne, ce 26 Décembre 1755.

 

 

          Est-il bien vrai, monseigneur, que je prends la liberté de vous demander vos bontés pour madame ou mademoiselle Gouet ? Quel intérêt ai-je à cela ? On dit qu’elle est jeune et bien faite ; c’est votre affaire et non la mienne. Elle veut chanter les Cantiques de Moncrif chez la reine ; elle demande à entrer dans la musique, et il faut que, du pied du mont Jura, je vous importune pour les plaisirs de Versailles ! On s’imagine que vous avez toujours quelque bonté pour moi, et on me croit en droit de vous présenter des requêtes. Mais si mademoiselle Gouet est si bien faite, et si elle a une si belle voix, la liberté que je prends est très inutile ; et si elle n’avait par malheur ni voix ni figure, cette liberté serait plus inutile encore. Je devrais donc me borner à vous demander pour moi tout seul la continuation de vos bontés. Je ne suis plus à mes Délices ; je passe mon hiver dans une maison plus chaude, que j’ai auprès de Lausanne, à l’autre bout du lac. Un village a été abîmé, à quelques lieues de nous, par un tremblement de terre, le 9 du mois. En attendant que mon tour vienne, je vous renouvelle mon très tendre respect. Nous sommes ici deux Suisses, ma nièce et moi, qui regrettons de n’être pas nés en Guyenne (1).

 

 

1 – Richelieu venait d’être nommé gouverneur de cette province. (G.A.)

 

 

 

1755 - Partie 28

 

 

 

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