CORRESPONDANCE - Année 1754 - Partie 13

Publié le par loveVoltaire

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à M. Colini.

 

A Plombières, le 6 Juillet 1754.

 

 

          Je répète al signor Colini qu’il est bien meilleur correcteur d’imprimerie que moi. Je le prie de m’envoyer l’épître dédicatoire, et la préface entière, imprimées ; d’avoir soin de ces deux grosses fautes de ma façon, qui se sont glissées sur la fin du second volume.

 

          Je suis au désespoir ; je crains que M. de Malesherbes n’ait remis à des libraires de Paris l’exemplaire que je lui envoyai, de concert avec M. Schœpfling, pour le soumettre à ses lumières, et pour l’engager à le protéger. J’ai peur qu’il n’ait été choqué de ce que M. Schœpfling lui a écrit. Dites-lui bien, je vous en prie, qu’il n’a autre chose à faire qu’à envoyer vite de tous côtés… Recommandez-lui la plus prompte diligence ; j’écris la lettre la plus forte à M. de Malesherbes.

 

          Que l’électeur palatin ait dans huit jours ses exemplaires, et que le livre soit en vente. Je l’ai averti, il y a quatre mois, de prendre ses précautions. Je vous embrasse. V.

 

 

 

 

 

à M. de Cideville.

 

A Plombières, le 9 Juillet 1754.

 

 

          Mon cher et ancien ami, quoique chat échaudé ait la réputation de craindre l’eau froide, cependant j’ai risqué l’eau chaude. Vous savez que j’aimerais bien mieux être auprès des naïades de Forges que de celles de Plombières ; vous savez où je voudrais être, et combien il m’eût été doux de mourir dans la patrie de Corneille, et dans les bras de mon cher Cideville ; mais je ne peux ni passer ni finir ma vie selon mes désirs. J’ai au moins auprès de moi, à présent, une nièce qui me console en me parlant de vous. Nous ne faisons point de châteaux en Espagne, mais nous en faisons en Normandie. Nous imaginons que quelque jour nous pourrions bien vous venir voir. Elle m’a parlé, comme vous, du poème de l’Agriculture. C’était à vous à le faire et à dire :

 

 

O fortunatos nimium, sua nam bona noscunt :

 

VIRG. Georg., II.

 

 

          Pour moi, je dis :

 

 

Nos.  .  .  .  .  .  dulcia linquimus arva ;

 

VIRG. Ecl. I.

 

 

mais ne me dites point de mal des livres de dom Calmet.

 

 

Sans antiques fatras ne sont point inutiles ;

Il faut des passe-temps de toutes les façons,

Et l’on peut quelquefois supporter les Varrons,

Quoiqu’on adore les Virgiles.

 

 

          D’ailleurs il y a cent personnes qui lisent l’histoire, pour une qui lit les vers. Le goût de la poésie est le partage du petit nombre des élus. Nous sommes un petit troupeau, et encore est-il dispersé. Et puis je ne sais si, à mon âge, il me siérait encore de chanter. Il me semble que j’aurais la voix un peu rauque. Et pourquoi chanter

 

 

.  .  .  .  .  .  deserti ad Strymonis undam ?

 

VIRG. Georg., IV.

 

 

          Enfin je me suis vu contraint de songer sérieusement à cette Histoire universelle dont on a imprimé des fragments si indignement défigurés. On m’a forcé à reprendre malgré moi un ouvrage que j’avais abandonné, et qui méritait tous mes soins. Ce n’était pas les sèches Annales de l’Empire, c’était le tableau des siècles, c’était l’histoire de l’esprit humain. Il m’aurait fallu la patience d’un bénédictin, et la plume d’un Bossuet. J’aurai au moins la vérité d’un de Thou. Il n’importe guère où l’on vive, pourvu qu’on vive pour les beaux-arts ; et l’histoire est la partie des belles-lettres qui a le plus de partisans dans tous les pays.

 

 

Les fruits des rives du Permesse

Ne croissent que dans le printemps ;

D’Apollon les trésors brillants

Font les charmes de la jeunesse,

Et la froide et triste vieillesse

N’est faite que pour le bon sens.

 

 

          Adieu, mon cher ami, je vous aime bien plus que la poésie. Madame Denis (1) vous fait mille compliments.

 

 

1 – Madame Denis était venue à Plombières avec sa sœur, madame de Fontaine. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Colini.

 

A Plombières, le 12 Juillet 1754.

 

 

          M. Mac-Mahon, médecin de Colmar, m’a apporté votre paquet. Vous me ferez un plaisir extrême de hâter la reliure des deux volumes en maroquin, pour son altesse électorale, et de les envoyer, par la poste, à madame Defresnei (1), en la priant de les faire tenir par les chariots.

 

          Tâchez qu’au moins l’épître soit dans ces deux volumes, avant la préface.

 

          Mille tendres amitiés à madame Goll ; j’espère la voir avec ma nièce.

 

 

1 – Directrice de la poste à Strasbourg. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis de Ximenès

 

A Plombières, 14 Juillet 1754 (1).

 

 

          Je voudrais être à Paris, monsieur, pour vous donner ma voix (2) : je serais au moins consolé par l’honneur de vous avoir pour confrère. Le plaisir que j’ai eu de lire votre tragédie (3) a suspendu les maux qui m’accablent. Si les gens du monde savaient combien un tel ouvrage est difficile, ils vous respecteraient beaucoup. Pour moi, j’avoue que je suis étonné. Je ne doute pas que l’Académie ne vous reçoive avec acclamation ; vous lui ferez autant d’honneur que vous en avez fait aux belles-lettres.

 

          Madame Denis, qui se porte mieux que moi, vous dira avec plus d’éloquence l’effet que font sur nous votre ouvrage et votre amitié. Nous vous sommes bien véritablement attachés tous deux ; nous nous intéressons à vos travaux, à vos succès, à votre gloire, à vos plaisirs. Nous présentons nos respects à madame votre mère.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Il voulait être de l’Académie. (G.A.)

 

3 – Amalazonte, jouée le 30 mai. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Dom Calmet.

 

A Plombières, le 16 Juillet 1754.

 

 

          Monsieur, la lettre dont vous m’honorez augmente mon regret d’avoir quitté votre respectable et charmante solitude. Je trouvais chez vous bien plus de secours pour mon âme que je n’en trouve à Plombières pour mon corps. Vos ouvrages et votre bibliothèque m’instruisaient plus que les eaux de Plombières ne me soulagent. On mène d’ailleurs ici une vie un peu tumultueuse, qui me fait chérir encore davantage cette heureuse tranquillité dont je jouissais avec vous. J’ai pris la liberté de faire mettre à part quelques livres des savants d’Angleterre pour votre bibliothèque ; mais on n’a envoyé chez Debure que les livres écrits en langue anglaise. J’ai donné ordre qu’on y joignît les latins. Ce sont au moins des livres rares, qui seront bien mieux placés dans une bibliothèque comme la vôtre que chez un particulier. Il faut de tout dans la belle collection que vous avez. Je vous souhaite une santé meilleure que la mienne, et des jours aussi durables que votre gloire et que les services que vous avez rendus à quiconque veut s’instruire. Je serai toute ma vie, avec le plus respectueux et le plus tendre attachement, monsieur, votre, etc.

 

 

 

 

 

A la duchesse de Saxe-Gotha.

 

A Plombières, 17 Juillet 1754 (1).

 

 

Loin de vous et de votre image

Je suis sur le sombre rivage ;

Car Plombière est en vérité

De Proserpine l’apanage.

Mais les eaux de ce lieu sauvage

Ne sont pas celles du Léthé.

Je n’y bois point l’oubli du serment qui m’engage ;

Je m’occupe toujours de ce charmant voyage

Que dès longtemps j’ai projeté :

Je veux vous porter mon hommage.

Je n’attends rien des eaux et de leur triste usage ;

C’est le plaisir qui donne la santé.

 

 

          Madame, je m’en retourne en Alsace où je trouverai du moins le portrait dont vous m’avez honoré. Votre altesse sérénissime est, je crois, à présent dans son royaume d’Altembourg. Je me flatte que la grande maîtresse des cœurs a eu assez de santé pour la suivre. C’est cette santé qui est le point capital ; il en faut assurément pour voyager. On me mande de Berlin qu’il court une pièce de vers, intitulée Epître à moi-même. Elle est, dit-on, très indécente, surtout dans les circonstances présentes, et on a la cruauté de me l’attribuer. Ce sont des tours qu’on me jouera souvent ; mais ma conduite dément assez ces impostures, et le roi de Prusse me rendra toujours, à ce que j’espère, la justice qu’il m’a déjà rendue contre ces ridicules calomnies.

 

          Le fils du maréchal de Belle-Isle a été fort fêté à Berlin, et y a très bien réussi. Il ressemblera en tout à son père. Je m’imagine qu’il a été à la cour de votre altesse sérénissime, et qu’il y passera en revenant de Berlin. Ce n’est pas assez de faire des revues, et de voir des bataillons et des escadrons ; cela n’est bon qu’en temps de guerre ; et les vertus et les grâces sont de tous les temps.

 

          Je vais quitter Plombières. Cette nièce qui me fit partir  de Gotha, et qui fit ce malheureux voyage de Francfort, vient encore avec moi tâter de l’Allemagne ; mais c’est de l’Allemagne française. Elle m’a accompagné aux eaux ; elle m’accompagne à Colmar. Plût à Dieu qu’elle eût la même passion que moi pour la Thuringe, et qu’elle pût passer quelques jours dans une maisonnette au pied du château d’Ernest ? Votre altesse sait que j’ai fait mes prières au destin qui règle toutes choses dans ce monde. La nature ne m’a pas tué à Plombières ; le destin m’empêcherait-il d’aller à Gotha ? et puisque mon cœur y est, pourquoi ma triste figure n’y serait-elle pas ?

 

          Je ne sais nulle nouvelle digne d’être mandée. L’insipidité s’est emparée de l’Europe. Je ne connais de vif que les sentiments qui m’attachent avec le plus profond respect et la plus tendre reconnaissance à ce qu’il y a de plus estimable au monde, etc.

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Devaux.

 

A Plombières, le 19 Juillet 1954.

 

 

          Mon cher Panpan, mademoiselle de Francinetti vient de mourir subitement, pendant qu’on dansait à deux pas de chez elle, et on n’a pas cessé de danser. Qui se flatte de laisser un vide dans le monde et d’être regretté à tort. Elle doit pourtant être regrettée de ses amis ; elle l’est beaucoup de moi, qui connaissais toute la bonté de son cœur. Elle m’avait montré une lettre de vous dont je vous dois des remerciements. J’ai vu que vous souhaitiez de revoir votre ancien ami. Vous parliez dans cette lettre des bontés que madame de Boufflers et M. de Croï veulent bien me conserver. Je vous supplie de leur dire combien j’en suis touché, et à quel point je désirais leur faire encore ma cour ; mais ma santé désespérée, et des affaires, me rappellent à Colmar, où j’ai quelque bien qu’il faut arranger. Madame Denis m’y accompagne. Mes deux nièces vous remercient des choses agréables qui étaient pour elles dans votre lettre à mademoiselle Francinetti.

 

          Adieu, mon ancien ami ; votre belle âme et votre esprit me seront toujours bien chers, et vous devez toujours me compter parmi vos vrais amis.

 

 

 

 

 

à M. de Malesherbes.

 

A Plombières, 19 Juillet 1754 (1).

 

 

          Monsieur, je vous supplie de vouloir bien considérer qu’il a été de mon devoir de détromper le public, par un troisième volume, des deux premiers tronqués et défigurés, que l’on avait débités sous mon nom.

 

          Quelque parti que votre prudence vous fasse prendre sur ce troisième tome, j’y souscris par avance. Ce n’est point à moi d’entrer dans les querelles des libraires. Le grand point est que vous ne soyez compromis en aucune façon, qu’ils obéissent à vos ordres, si vous leur en donnez, et qu’ils fassent d’ailleurs leurs affaires. Pour moi, s’il y a un mot de répréhensible dans cet ouvrage, je ne manquerai pas de le réformer. Il n’y a guère de livres où l’auteur ne doive changer quelque chose ; mais il n’y a rien à changer aux sentiments pleins d’attachement et de respect avec lesquels j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

Colmar, le 26 Juillet 1754.

 

 

          Anges, je ne peux me consoler de vous avoir quittés qu’en vous écrivant. Je suis parti de Plombières pour la Chine (1). Voyez tout ce que vous me faites entreprendre. O Grecs ! que de peine pour vous plaire ! Eh bien ! me voilà Chinois, puisque vous l’avez voulu ; mais je ne suis ni mandarin ni jésuite, et je peux très bien être ridicule. Anges, scellez la bouche de tous ceux qui peuvent être instruits de ce voyage de long cours ; car, si l’on me sait embarqué, tous les vents se déchaîneront contre moi. Mon voyage à Colmar était plus nécessaire, et n’est pas si agréable. Il n’y a de plaisir qu’à vous obéir, à faire quelque chose qui pourra vous amuser. J’y vais mettre tous mes soins, et je ne vous écris que ce petit billet, parce que je suis assidu auprès du berceau de l’Orphelin. Il m’appelle, et je vais à lui en faisant la pagode. J’ignore si ce billet vous trouvera à Plombières. Il n’y a que le président (2) qui puisse y faire des vers. Moi, je n’en fais que dans la plus profonde retraite, et quand c’est vous qui m’inspirez. Dieu vous donne la santé, et que le King-Tien me donne de l’enthousiasme et point de ridicule. Sur ce, je baise le bout de vos ailes.

 

 

1 – C’est-à-dire qu’il travaille à l’Orphelin de la Chine. (G.A.)

 

2 – Le président Hénault. (G.A.)

 

 

 

 

1754 - Partie 13

 

 

 

 

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