CORRESPONDANCE - Année 1754 - Partie 12

Publié le par loveVoltaire

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 Photo de KHALAH

 

 

 

 

 

à M. Colini

 

A Senones, le 26 Juin 1754.

 

 

          Al fine ho ricevuto il gran pacchetto : je garde la demi-feuille, ou, pour mieux dire, la feuille entière imprimée. Je n’y ai trouvé de fautes que les miennes. Vous corrigez les épreuves mieux que moi ; corrigez donc le reste sans que je m’en mêle, et que M. Schœpflin fasse d’ailleurs comme il l’entendra ; mais je m’aperçois que vous avez envoyé encore une autre épreuve à Plombières, avec des lettres. J’ai écrit, et n’en ai rien reçu.

 

          Je compte partir pour les eaux dans trois ou quatre jours, et il arrivera que vos paquets me seront renvoyés à Senones quand je n’y serai plus. Ne m’envoyez donc rien jusqu’à ce que je vous écrive, et que je sois fixé. Surtout ne m’envoyez point par la poste de gros paquets imprimés. Voici un petit mot pour M. Dupont, et un autre pour madame Goll.

 

          Gardez le paquet que M. Turckeim vous a remis. Je ferai réponse à M. Adami (1) quand je serai à Plombières. Je vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

1 – Ernest-Daniel Adami, né en Pologne en 1716, auteur de quelques ouvrages publiés en 1750-55. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Colini

 

à Senones, le 2 Juillet 1754.

 

 

          Un messager de Saint-Dié vous rendra cette lettre. Je vous prie de prendre la clef de l’armoire dans laquelle il y a quelques livres. Cette armoire est derrière le bureau du cabinet, et la clef de cette armoire est dans un des tiroirs du bureau, à main droite. Vous y trouverez trois exemplaires du Siècle de Louis XIV et du Supplément, brochés en papier. Je vous prie d’en faire un paquet avec cette adresse : A dom Pelletier, curé de Senones, et de donner le paquet au porteur.

 

          Je vous embrasse.

 

 

 

 

 

à M. Colini.

 

A Senones, le 2 Juillet 1754.

 

 

          En réponse à votre lettre du 25 Juin, je vous dirai que je ne suis nullement pressé ni inquiet de la copie que vous faites, mais que je serai bien aise de la trouver faite à mon retour, dans un mois. J’envoie à M. Schœpflin l’épître dédicatoire (1). Je lui ai écrit au sujet de la fausse nouvelle qu’on lui a mandée. Je le crois trop sensé pour avoir laissé soupçonner au fils (2) du chancelier de France qu’il le croyait capable d’avoir abusé de l’exemplaire qu’on lui a envoyé. Il n’a pas entendu ses intérêts en imprimant quatre mille exemplaires ; il les entendrait mieux s’il avait des correspondances assurées. Je lui ai envoyé un petit billet pour madame Goll, dont vous ne me parlez jamais.

 

          Je pars enfin pour Plombières, où j’espère avoir de vos nouvelles. Je vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

1 – A l’électeur palatin. (G.A.)

 

2 - Malesherbes. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la marquise du Deffand.

 

Entre deux montagnes, le 2 Juillet 1754.

 

 

          J’ai été malade, madame ; j’ai été moine ; j’ai passé un mois avec saint Augustin, Tertullien Origène et Raban. Le commerce des Pères de l’Eglise et des savants du temps de Charlemagne ne vaut pas le vôtre ; mais que vous mander des montagnes des Vosges ? et comment vous écrire, quand je n’étais occupé que des priscillianistes et des nestoriens ?

 

          Au milieu de ces beaux travaux dont j’ai gourmandé mon imagination, il a fallu encore obéir à des ordres que M. d’Alembert, votre ami, m’a donnés de lui faire quelques articles pour son Encyclopédie ; et je les lui ai très mal faits. Les recherches historiques m’ont appesanti. Plus j’enfonce dans la connaissance des septième et huitième siècles, moins je suis fait pour le nôtre, et surtout pour vous.

 

          M. d’Alembert m’a demandé un article sur l’esprit ; c’est comme s’il l’avait demandé au P. Mabillon ou au P. Montfaucon. Il se repentira d’avoir demandé des gavottes à un homme qui a cassé son violon.

 

          Et vous aussi, madame, vous vous repentirez d’avoir voulu que je vous écrive. Je ne suis plus de ce monde, et je me trouve assez bien de n’en plus être. Je ne m’intéresserai pas moins tendrement à vous ; mais, dans l’état où nous sommes tous deux, que pouvons-nous faire l’un sans l’autre ? Nous nous avouerons que tout ce que nous avons vu et tout ce que nous avons fait a passé comme un songe ; que les plaisirs se sont enfuis de nous ; qu’il ne faut pas trop compter sur les hommes.

 

          Nous nous consolerons aussi en nous disant combien peu ce monde est consolant. On ne peut y vivre qu’avec des illusions  et, dès qu’on a un peu vécu, toutes les illusions s’envolent. J’ai conçu qu’il n’y avait de bon, pour la vieillesse, qu’une occupation dont on fût toujours sûr, et qui nous menât jusqu’au bout, en nous empêchant de nous ronger nous-mêmes.

 

          J’ai passé un mois avec un bénédictin, de quatre-vingt-quatre ans, qui travaille encore à l’histoire. On peut s’y amuser quand l’imagination baisse. Il ne faut point d’esprit pour s’occuper des vieux événements ; c’est le parti que j’ai pris. J’ai attendu que j’eusse repris un peu de santé pour m’aller guérir à Plombières. Je prendrai les eaux en n’y croyant pas, comme j’ai lu les Pères.

 

          J’exécuterai vos ordres auprès de M. d’Alembert. Je vois les fortes raisons du prétendu éloignement dont vous parlez ; mais vous en avez oublié une, c’est que vous êtes éloignée de son quartier. Voilà donc le grand motif sur lequel court le commerce de la vie ! Savez-vous bien, vous autres, ce qu’il y a de plus difficile à Paris ? c’est d’attraper le bout de la journée.

 

          Puissent vos journées, madame, être tolérables ! c’est encore un beau lot ; car, de journées toujours agréables, il n’y en a que dans les Mille et une Nuits, et dans la Jérusalem céleste.

 

          Résignons-nous à la destinée, qui se moque de nous, et qui nous emporte. Vivons tant que nous pourrons, et comme nous pourrons. Nous ne serons jamais aussi heureux que les sots ; mais tâchons de l’être à notre manière… Tâchons… quel mot ! Rien ne dépend de nous ; nous sommes des horloges, des machines.

 

          Adieu, madame ; mon horloge voudrait sonner l’heure d’être auprès de vous.

 

 

 

 

 

à la duchesse de Saxe-Gotha.

 

Auprès de Plombières, 3 Juillet 1754 .(1)

 

 

          Madame, j’ai été bien malade en allant chercher la santé à Plombières. Ma plus grande peine a été de ne point écrire à votre altesse sérénissime : mon cœur est toujours à Gotha, votre portrait à Colmar, et mon corps ou plutôt mon ombre auprès de Plombières ; je ne demande à vivre que pour avoir la force de venir vous faire ma cour encore. Si j’ai encore quelques beaux jours, ils vous appartiennent sans doute ; mais je désespère de voir Altembourg, où votre altesse sérénissime va passer les mois d’Août et de Septembre. J’aurais du moins voulu avoir, pour me consoler à Plombières, ce portrait dont elle a daigné m’honorer ; je ne le verrai qu’à mon retour à Colmar. C’est ma triste destinée d’être loin de vous, madame, de toutes façons ; il faut y mettre ordre et vaincre sa destinée, si on peut.

 

          Je crois que cette maudite édition qu’on a faite en Hollande d’une partie très informe de ce manuscrit, que votre altesse sérénissime a entre les mains, est ce qui m’a tué. Je me suis vu dans la nécessité de réparer le tort qu’on m’a fait, en retravaillant cet ouvrage, qui est immense. Que ne puis-je venir l’achever dans votre bibliothèque ! Il me semble que je donnerais le matin aux rois qui ont troublé le monde, et le soir à Jeanne et à la tendre Agnès qui ont adouci les mœurs. L’envie de vous plaire, de vous amuser, me rendrait des forces ; mais ce sont là des songes qui flattent un malheureux malade : on passe sa vie à désirer. Soyez très sûre, madame, que ce songe sera une réalité, dès que j’aurai la force de me transporter, et que j’aurai arrangé mes petites affaires ; rien ne me retiendra. Eh bien ! si je suis malade, votre altesse sérénissime daignera me supporter ; la douceur et la paix de sa cour sont d’ailleurs un excellent remède.

 

          La grande maîtresse des cœurs et moi nous serons, madame, vos deux malades. Je crains bien qu’elle ne le soit autant que moi : cela est bien injuste ; la nature entend bien mal ses intérêts de gâter ainsi ce qu’elle fait de mieux. Madame de Buchwald devait avoir des yeux de lynx et une santé d’athlète. Heureusement, madame, la nature semble avoir traité votre personne comme elle le devait. Conservez cette santé si précieuse ; je la verrai briller dans les traits de votre portrait, en attendant que je la voie sur ce visage si gracieux et si noble qui embellit la plus belle âme du monde. Quand pourrai-je présenter encore mes hommages à votre auguste famille, à ce jeune général, qui veut combattre un jour à la tête des armées de France ou d’Allemagne, il n’importe, à toutes ces belles jeunes plantes que vous cultivez ? Je me mets à vos pieds, madame, pénétré de douleur de n’être pas auprès de votre altesse sérénissime au lieu de lui écrire, et rempli du plus profond respect, d’un attachement et d’une reconnaissance que je ne puis exprimer. Si elle daigne m’honorer de ses ordres, elle peut toujours les envoyer à Colmar.

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. C’est à tort, croyons-nous, qu’ils ont daté cette lettre du mois de Juin. Elle doit être de Juillet.

 

 

 

 

à M. de Malesherbes.

 

A Plombières, 6 Juillet (1).

 

 

          Monsieur, ayant eu l’honneur de vous envoyer le troisième tome de l’Essai sur l’histoire universelle, je crois de mon devoir de vous soumettre aussi la préface que je reçois dans le moment. L’ouvrage est imprimé à la fois chez Walther, à Dresde, et chez Schœpfling à Colmar.

 

          Comme Schœpfling est un libraire de France, j’ose, monsieur, vous demander votre protection pour lui ; il corrigera tout ce qui paraîtra demander d’être réformé. J’ai cru ce troisième tome nécessaire pour ma justification ; l’ouvrage entier pourrait être utile. Je tâcherai d’y dire toujours la vérité avec bienséance ; mais la vérité est une chose bien délicate ; elle a besoin de vos conseils et de vos bontés. Quoi qu’il arrive, je serai toute ma vie, avec l’estime et la reconnaissance la plus respectueuse, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

          P.-S. J’apprends de madame Denis, qui arrive dans le moment, que Schœpfling de Colmar a eu l’honneur, monsieur, de vous écrire, et qu’en vous demandant votre protection pour ce volume, il vous a mandé qu’il lui coûtait fort cher.

 

          Voici, monsieur, ce que je lui écris sur-le-champ à ce sujet :

 

          « J’apprends que vous avez eu le malheur d’écrire à M. de Malesherbes que vous avez acheté assez cher le manuscrit en question ; or, comme M. de Malesherbes sait que je vous en ai fait présent conjointement avec le sieur Walther, et que même je vous avais prêté vingt mille francs sans intérêts, je crains bien que votre lettre n’ait fait un effet peu favorable pour vous, etc. »

 

          Cependant, monsieur, comme Walther et Schœpfling ont tiré six mille exemplaires, je suis obligé de vous demander grâce pour ce Schœpfling. Permettez du moins qu’une partie de son édition entre à Paris. On a déjà réimprimé en quatre endroits différents les Annales de l’Empire. Je ne vous ai envoyé le troisième tome de l’Histoire que par une juste et respectueuse confiance ; je vous supplie d’y avoir égard ; cette préface est ma seule justification. J’en enverrai incessamment la suite. Je n’ai fait ce troisième volume que pour faire voir l’injustice que j’ai essuyée par l’édition défectueuse et subreptice des deux premiers.

 

          Je me recommande d’ailleurs à vos bontés : mon procédé et mon malheur les méritent. Je ne demande que la suspension pendant quelque temps de l’édition de Lambert, d’autant plus que j’ai dédié ce volume à l’électeur palatin, et que ce serait pour moi un nouveau malheur, aussi bien qu’un contretemps très ridicule ; je vous supplie de me sauver l’un et l’autre ; je vous en aurai, monsieur, la plus sensible obligation.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Malesherbes.

 

A Plombières, 7 Juillet (1).

 

 

          Monsieur, je suis encore obligé de vous importuner au sujet de ce pauvre Schœpfling. Il avait fait un marché avec Lambert, qui devait lui acheter deux mille exemplaires. Il était convenu avec moi que je vous enverrais le livre pour le soumettre à vos lumières et pour le mettre sous votre protection. Il perd tout le fruit du don que je lui avais fait. Je vous supplie, monsieur, qu’au moins Lambert et lui puissent s’accommoder sous vos ordres, si vous daignez en donner, ou sous l’abri de votre indulgence. Ayez la bonté de suspendre le débit de Lambert jusqu’à ce qu’il ait reçu les corrections nécessaires. C’est une grâce qui m’est essentielle ; ajoutez cette faveur aux bontés qui m’attachent à vous.

 

          Je serais toute ma vie, avec la plus respectueuse reconnaissance, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. Peut-être faut-il lire 17 au lieu de 7. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Lambert.

 

Plombières, 9 Juillet 1754.

 

 

          Je vous écris encore, mon cher Lambert, au sujet de cette édition du troisième volume. Je vous conjure encore de ne le point débiter sans la préface et sans l’épître dédicatoire, deux points très essentiels.

 

          M. d’Argental et madame Denis vous font les mêmes remontrances.

 

          Il y a une ligne qu’il faut absolument corriger page 145 : Mais bien les états-généraux, lesquels le parlement ne représente pas.

 

          Mettez :

 

          Mais bien les états-généraux qui devaient être encore assemblés.

 

          Du reste, je vous assure que vous pourrez avoir le quatrième et le cinquième volume ; mais au nom de Dieu, ne me perdez pas en donnant le troisième sans mon aveu. Je vous embrasse.

 

 

 

 

1754 - Partie 12

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