CORRESPONDANCE - Année 1752 - Partie 23
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Au Cardinal Querini.
Potsdam, 21 di novembre.
L’eminenza vostra dorna la dottrina col frefio dell’ ingegno, rinforza l’ingegno col zelo, e compisce il zelo colla munificenza. Ella edifica di una mano una chiesa in Berlino, e coll’ altra slega dal giogo eretico un valente monaco, rimanda all ovile la smarrita peccorella . In somma la sua liberal mano diffonde altrettanto di denaro quanto d’inchiostro, ed ammaestra i dotti e solleva i poveri.
Bramo di veder i suoi scritti ed i suoi atti generosi tutti raccolti nelle bresciane stampe ; ma tengo un più vivo desigerio d’inchinarla personalmente, etc.
à M. le comte d’Argental.
Potsdam, le 22 Novembre 1752.
Mon cher ange, quoique les vers ne soient pas actuellement de quartier dans notre cour, vous m’avez fait relire Zulime. Je me suis repris de goût pour cette aventurière, et j’ose croire que, si vous la lisiez telle qu’elle est, vous l’aimeriez bien davantage. Ou je vous l’enverrai, mon cher et respectable ami, ou je vous l’apporterai en temps et lieu ; mais à présent ne me demandez pas une rime, je n’en peux plus, j’en ai par-dessus la tête. Je n’ai point demandé de préface en forme au Duc de Foix. J’ai recommandé seulement un mot d’avis au libraire ; j’ai exigé qu’on dît qu’on a pris le parti d’imprimer la pièce sur mon manuscrit, pour prévenir les éditions furtives et informes, telles que celle de Rome sauvée. Voilà, en vérité, tout ce qu’il convient de mettre à la tête d’une faible intrigue amoureuse qui n’est relevée que par le caractère de Lisois. Ce Duc de Foix a été très bien imprimé à Dresde, chez mon libraire ordinaire ; je lui avais envoyé la pièce sur la parole que madame Denis m’avait donnée qu’on l’imprimait à Paris. Je ne sais aucune nouvelle ni du Duc de Foix, ni de Rome sauvée, ni du Siècle de Louis XIV.
J’ai vu les Lettres de madame de Maintenon ; c’est l’histoire de sa vie ; depuis l’âge de quinze ans jusqu’à sa mort. C’est un monument bien précieux pour les gens qui aiment les petites choses dans les grands personnages. Heureusement ces lettres confirment tout ce que j’ai dit d’elle. Si elles m’avaient démenti, mon Siècle était perdu. Comment se peut-il faire qu’un nommé La Beaumelle, prédicateur à Copenhague, depuis académicien, bouffon, joueur, fripon, et d’ailleurs ayant malheureusement de l’esprit, ait été le possesseur de ce trésor ? Il vient aussi d’écrire la Vie de madame de Maintenon. On disait, il y a quelques années, qu’on avait volé à M. de Caylus ces lettres et ces mémoires sur sa tante. N’en sauriez-vous pas des nouvelles ?
Je vous ai mandé aussi qu’il paraissait des mémoires de milord Bolingbrock (1). Ils sont traduits en français. On dit que, dans cette traduction, on me reproche de m’être trompé sur madame de Bolingbrock, que j’ai mise, dans le Siècle, au rang des nièces de madame de Maintenon ; me serais-je trompé ? ne l’était-elle pas par son mari ? ai-je rêvé ce que je lui ai entendu dire vingt fois ? Je suis toujours prêt à croire que j’ai tort ; mais ici il me semble que j’ai raison ; rassurez-moi, je vous en prie. Mon cher ange, croyez-moi, je me mourais d’envie de venir vous embrasser cet hiver ; mais, en vérité, il n’y a pas moyen de se mettre en chemin au milieu des glaces, quand on est malade. Je ne suis pas deux heures de la journée sans souffrir. Je serais mort si je ne menais pas la vie la plus douce et la plus retirée, n’ayant que vingt marches à monter, tous les soirs, pour aller entendre, à souper, le Salomon du Nord, quand il veut bien m’admettre à son festin des sept sages. Cette vie de château est bien dans mon goût ; mais tout est empoisonné par les remords que j’ai de vous avoir quitté. Mille tendres respects à toute la hiérarchie. Répondez, je vous en prie, à mes questions comme à ma tendre amitié.
J’ai oublié de mander à ma nièce qu’elle m’écrive désormais à Berlin où nous allons dans quelques jours. Je vous supplie de l’en avertir.
1 – Lettres sur l’Histoire, suivies de Réflexions sur l’exil, etc., traduites par Barbeu du Bourg. (G.A.)
à M. Roques.
Pour répondre, monsieur, à vos bontés conciliantes, dont je suis très reconnaissant, et à la lettre de M. de La Beaumelle, dont je suis très surpris, j’aurai d’abord l’honneur de vous dire :
1°/ Qu’il est peu intéressant qu’il ait reçu trois ducats, comme vous l’avez marqué, ou davantage, pour l’ouvrage qu’il a écrit contre moi à Francfort ;
2°/ Que quand il m’écrivit de Copenhague, sans que j’eusse l’honneur de le connaître, il data sa lettre du château, et me fit entendre que le gouvernement l’avait chargé de l’édition des auteurs classiques français, et que M. de Bernstorf, secrétaire d’Etat, m’a écrit le contraire ;
3°/ Que, quelques jours après, étant renvoyé de Copenhague, il m’envoya de Berlin à Potsdam, à ma réquisition, son livre intitulé Qu’en dira-t-on ? dans lequel il dit que le roi de Prusse a des gens de lettres auprès de lui, par le même principe que les princes d’Allemagne ont des bouffons et des nains ;
4°/ Qu’il me promit de supprimer ce compliment, et qu’il ne l’a pas fait ;
5°/ Qu’il me reproche, dans ce livre, d’avoir sept mille écus de pension, et qu’il doit savoir, à présent, que j’y ai renoncé, aussi bien qu’à des honneurs que je crois inutiles à un homme de lettres ; et que, dans l’état où je suis, il y a peu de générosité à persécuter un homme dont il n’a jamais eu le moindre sujet de se plaindre ;
6°/ Qu’il est vrai que je lui donnai des conseils sur quelques méprises où il était tombé, et sur son étonnante hardiesse, qu’à la vérité il a suivi mes avis sur des faits historiques, mais qu’il les a bien négligés dans quelques exemplaires imprimés à Francfort, où il dit qu’il a vu, à la cour de Dresde, un roi… et tout le reste qui a fait frémir d’horreur. Il ose parler contre le gouvernement et l’armée du roi de Prusse ; il s’élève presque contre toutes les puissances. L’Arétin gagnait autrefois des chaînes d’or à ce métier, mais aujourd’hui elles sont d’un autre métal. Je souhaite seulement qu’on pardonne à sa jeunesse, ou qu’il ait une armée de cent mille hommes.
7°/ Il est bien le maître d’écrire contre moi, ainsi que contre tous les princes ; il n’y gagnera pas davantage.
8°/ Il vous mande qu’il me poursuivra jusqu’aux enfers ; il peut me poursuivre tant qu’il lui plaira jusqu’à la mort ; il n’attendra pas longtemps ; il poursuivra un homme qui ne l’a jamais offensé. Milord Tyrconnell est mort ; mais ceux qui étaient auprès de lui sont témoins que je rendis service à M. de La Beaumelle, et que, seul, j’empêchai milord Tyrconnell d’envoyer directement au roi de Prusse une lettre dont la minute doit exister encore, et dans laquelle il demandait vengeance. Je ne m’oppose point à la reconnaissance dont il me menace.
9°/ Il peut se dispenser d’imprimer le procès du juif Hirschell, qui me contestait la restitution de douze mille écus qu’il avait à moi en dépôt. Ce procès est déjà imprimé. Le juif a été condamné à double amende. M. de La Beaumelle peut cependant faire une seconde édition avec des remarques, et me poursuivre jusqu’aux enfers, sans expliquer s’il entend que j’irai en enfer, ou s’il compte y aller.
Voilà toute la réponse qu’il aura jamais de moi, dans ce monde-ci et dans l’autre. J’ai l’honneur d’être véritablement, etc.
à M. le comte d’Argenson.
A Potsdam, le 24 Novembre 1752.
Quand je revis ce que j’ai tant aimé,
Peu s’en fallut que mon feu rallumé
Ne fît l’amour en mon âme renaître,
Et que mon cœur, autrefois son captif,
Ne ressemblât l’esclave fugitif
A qui le sort fait rencontrer son maître (1), etc.
C’est ce que disait autrefois le saint évêque Saint-Gelais, en rencontrant son ancienne maîtresse ; et j’en ai dit davantage, en retrouvant vos anciennes bontés. Croyez, monseigneur, que vous n’êtes jamais sorti de mon cœur ; mais je craignais que vous ne vous souciassiez guère d’y régner, et que vous ne fussiez comme les grands souverains qui ne connaissent pas toutes leurs terres. Votre très aimable lettre m’a donné bien des désirs, mais elle n’a pu encore me donner des forces. Je vous rate tout net en vous aimant, parce que l’esprit est prompt et la chair infirme chez moi. Je suis si malingre que, voulant partir sur-le-champ, je suis obligé de remettre mon voyage au printemps. Je ne suis pas comme le président Hénault, qui disait qu’il était quelquefois fort aise de manquer son rendez-vous. Soyez sûr que j’ai une vraie passion de venir être témoin de votre gloire et du bien que vous faites.
J’ai bien peur que l’intérêt qui devrait animer ce que j’ai eu l’honneur de vous envoyer (2) ne soit étouffé sous trop de détails. Cela me fait penser qu’il ne faut pas ennuyer, par une longue lettre inutile, un homme qui en reçoit tous les jours une centaine de nécessaires, qui quelquefois aussi sont ennuyeuses.
Conservez, je vous en prie, votre bienveillance au plus ancien, au plus respectueux, au plus tendre de vos serviteurs. V.
En voulant fermer cette lettre, j’ai coupé le papier ; vous me le pardonnerez.
1 – Bertaut, Renaissance d’amour. (G.A.)
2 – L’Histoire de la guerre de 1741. (G.A.)
à M. le maréchal duc de Richelieu.
A Potsdam, le 25 Novembre 1752.
Je fais partir, monseigneur, par la voie d’un correspondant de Strasbourg, le gros paquet qui peut servir quelques heures à votre amusement. Plût à Dieu qu’il pût un jour servir à votre gloire ! mais elle n’en a pas besoin. J’ai bien plus besoin, moi, de la consolation de vous faire encore ma cour, de vous voir et de vous entendre, que vous n’en avez d’être fourré dans mes gazettes. L’ouvrage est assez maussadement copié ; l’écriture pourtant est lisible. J’ai auprès de moi des gens de lettres qui ne sont pas des maîtres à écrire. Enfin, je mets à vos pieds le seul exemplaire qui me reste. Si je suis assez heureux pour être en état de venir passer quelque temps auprès de vous, je vous demanderai seulement permission d’en tirer une copie. Vous y trouverez la vérité, mais non pas toutes les vérités ; vous y verrez des détails qui seront encore chers quelques années à ceux qui s’y sont intéressés, et qui disparaîtront ensuite dans le fracas des événements qui, de dix ans en dix ans, varient la scène du monde, et qui arment puissamment les princes de l’Europe pour de petits intérêts. Il ne reste que les grandes choses dans la mémoire des hommes ; et j’oserai même vous dire que le règne de Louis XIV attirerait peu les regards de la postérité, sans la révolution qui s’est faite, de son temps, dans l’esprit humain. Il a résulté de son amour pour la gloire, de ses entreprises, de ses grandeurs, et de ses faiblesses, et de ses malheurs, mais surtout de cette foule d’hommes éclatants en tout genre que la nature fit naître pour lui, un tout qui étonne l’imagination, et qui forme une époque mémorable. Si on pensait aussi hautement que vous, si bien des gens avaient la grandeur de votre caractère, on ajouterait encore une aile au bâtiment que la gloire a élevé dans le siècle de Louis XIV.
Quel plaisir je me ferais de raisonner de tout cela avec vous dans vos moments de loisir ! Si vous saviez que de choses j’ai à vous dire ! Mais quand pourrai-je avoir ce bonheur ! Je n’ai à présent qu’un érysipèle escorté d’une humeur scorbutique qui me dévore, et de rétrécissements dans les nerfs. Cet hiver-ci sera terrible à passer pour moi à Berlin ; il faudrait que je fusse à Naples. Nous autres Français nous périssons tous. Vos colonies languedociennes n’ont pas prospéré dans les pays froids ; au lieu d’augmenter, en 1686, elles ont diminué de moitié ; c’est le contraire de ce qui est arrivé aux peuples du nord transportés en Italie. Il n’y a que d’Argens qui est gros et gras. Maupertuis, à force de boire de l’eau-de-vie, s’est mis à la mort ; mais il en réchappe, parce qu’il est né avec un tempérament de Tartare. Il n’est que fou. Il vient de faire un livre où il propose de faire des trous qui aillent jusqu’au centre de la terre, d’aller droit sous le pôle, de connaître le siège de l’âme en disséquant des têtes de géants, ou en examinant les rêves de ceux qui ont pris de l’opium. Il assure qu’il est aussi facile de voir l’avenir que de se représenter le passé, et nous nous attendons que, dans quelques jours, il débitera des prophéties. J’ai eu bien raison de dire (1), en parlant de Descartes, que la géométrie laisse l’esprit comme elle le trouve. Il propose sérieusement de faire vivre les hommes huit à neuf cents ans, en les conservant comme des œufs qu’on empêche d’éclore. Tout est dans ce goût dans son livre. La Mettrie, en comparaison, a écrit en sage.
L’abbé de Prades est ici avec une pension. Je l’ai fait venir le plus adroitement du monde. C’est, je crois, la seule fois de ma vie que j’aie été adroit et heureux. Il m’a confié que vous lui avez offert une traite à Richelieu, avec des secours. Je reconnais bien là votre belle âme. Vous avez eu tant de générosité que la fille aînée des rois et de votre grand-oncle (2) a eu de lâcheté et d’ignorance. Elle s’est déshonorée sans retour. Quel siècle que celui où un théatin imbécile (3) force la Sorbonne à une démarche si humiliante, et où il imagine des billets de confession qui auraient opéré autant de mal que de ridicule, sans la prudence du roi ! Que serait aujourd’hui la France aux yeux des étrangers, sans vous et sans M. le maréchal de Belle-Isle ? Nommez-m’en un troisième qui ait de la réputation, je vous en défie. Vivez, monseigneur le maréchal ; ayez l’éclat de tous les âges, soyez heureux autant qu’honoré. Je ne puis vous dire encore quand je pourrai faire un voyage pour vous ; mais mon cœur est à vous pour jamais.
1 – Chapitre XXXI du Siècle de Louis XIV. (G.A.)
2 – L’Université.
3 – Boyer. (G.A.)
à M. Falkener.
Potsdam, le 28 Novembre 1752 (1).
I hope, my dear and worthy friend, my worthy Englishman, you have received mylord Bolingbroke’s vindication against priests, whom I have hated, hate, and I shall hate till doomsday.
You will receive, my dear sir, in a very short time, an exemplaire of Louis XIV ’ s new edition, more accurate and correct a great deal, more copious and curious.
I desirere you would be so kind as to answer two letters, I wrote to you long ago. Let me not be altogether in the dark about the good or bad success of my book in England. Two editions have been published this year in Europe, and two new ones are just now come out. But your approbation would flatter me more than all that eagerness of the bookmongers. Tully relyed more on the testimony of Cato, than on the huzzaz of the multitude. If you have any news of my book’s fate, let me know some thing of it after a whole year. If you have given the volumes to a bookseller, be so good as to tell me whether this bookseller has any thing to remit to me, or not.
It is very likely I shall take a little journey, suppose my bad health will permit me. Would to God ! my journey was to London ! and that I could renew to you my tender respect, my friendship and my gratitude.
Y have sent you, according to your desire, a list of some of the best French authors, and more suitable to your taste and character. But you will find a better list at the end of the new edition of Lewis the Fourteenth. Vale.
TRADUCTION.
J’espère, mon cher et digne ami, mon digne Anglais, que vous avez reçu la défense de lord Bolingbroke contre les cagots, que j’ai haïs, que je hais et que je haïrai jusqu’au jour du jugement.
Vous recevrez, mon cher monsieur, dans très peu de temps, un exemplaire de la nouvelle édition de Louis XIV, bien plus exacte, plus correcte, beaucoup plus étendue et beaucoup plus curieuse.
Auriez-vous la bonté de répondre aux deux lettres que je vous ai écrites, il y a longtemps ? Ne me laissez pas ainsi dans le doute du succès de mon livre en Angleterre. Deux éditions ont été publiées cette année en Europe, et deux autres sortent de presse en ce moment. Mais votre suffrage me flatterait plus que tout l’empressement des marchands de livres. Tullius recherchait plus le témoignage de Caton que les hourras de la multitude. Si vous savez des nouvelles du sort de mon livre, faites-m’en donc savoir quelque chose après une année entière. Dans le cas où vous avez donné les volumes à un libraire, soyez assez bon pour me dire si ce libraire a quelque chose à me remettre ou non.
Il est très probable que je ferai un petit voyage, pourvu que ma mauvaise santé me le permette. Dieu veuille que mon voyage soit à Londres, et que je puisse vous renouveler mon tendre respect, mon amitié et ma reconnaissance !
Je vous ai envoyé, suivant votre désir, une liste de quelques-uns des meilleurs auteurs français (*), qui se rapportent le plus à votre goût et à votre caractère. Mais vous trouverez une liste encore préférable à la fin de la nouvelle édition de Louis XIV. Vale.
(*) Voyez la dernière lettre à Falkener. (G.A.)
1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)