CORRESPONDANCE - Année 1752 - Partie 17

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Photo de PAPAPOUSS (ISLANDE)

 

 

 

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argens.

Potsdam, août 1752.

 

          Ou je me trompe, mon cher Isaac, ou M. de Prades, que je ne veux plus nommer abbé, est l’homme qu’il faut au roi et à vous. Naïf, gai, instruit et capable de s’instruire en peu de temps, intrépide dans la philosophie, dans la probité, et dans le mépris pour les fanatiques et les fripons ; voilà ce que j’ai pu juger à une première entrevue. Je vous en dirai davantage quand j’aurai le bonheur de vous voir.

 

          Je n’ai jamais été si malade que je le suis aujourd’hui, sans cela j’irais chez vous. Venez me voir, il est nécessaire que je vous parle ; votre visite ne nuira point à vos projets de ce soir ; je sais taire les faveurs et les rigueurs. Venez, ce sera une bonne fortune dont je ne me vanterai à personne. Comptez que vous trouverez un moine de qui vous n’aurez jamais à vous plaindre, qui a dit cent antiennes pour vous, et qui veut vivre avec vous, non pas dans l’union la plus monacale, mais la plus fraternelle. Mille respects alla virtuosa marchesa.

 

 

 

 

 

à madame Denis.

Potsdam, le 19 Août 1752.

 

          L’abbé de Prades est enfin arrivé à Potsdam, du fond de la Hollande où il était réfugié. Nous l’avons bien servi (1), le marquis d’Argens et moi, en préparant les voies. C’est, je crois, la seule fois que j’aie été habile. Je me remercie d’avoir servi un pareil mécréant. C’est, je vous jure, le plus drôle d’hérésiarque qui ait jamais été excommunié. Il est gai, il est aimable ; il supporte en riant sa mauvaise fortune. Si les Arius, les Jean Huss, les Luther, et les Calvin, avaient été de cette humeur-là, les pères des conciles, au lieu de vouloir les ardre (2), se seraient pris par la main, et auraient dansé en rond avec eux.

 

          Je ne vois pas pourquoi on voulait le lapider à Paris ; apparemment qu’on ne le connaissait pas. La condamnation de sa Thèse, et le déchaînement contre lui, sont au rang des absurdités scolastiques. On l’a condamné comme voulant soutenir le système de Hobbes, et c’est précisément le système de Hobbes qu’il réfute en termes exprès. Sa Thèse était le précis d’un livre de piété qu’il voulait bonnement dédier à l’évêque de Mirepoix. Il a été tout ébahi d’être honni à la fois comme déiste et comme athée. Les consciences tendres qui l’ont persécuté ne sont pas grandes logiciennes ; elles auraient pu considérer qu’athée est le contraire de déiste ; mais quand il s’agit de perdre un homme, les bonnes gens n’y regardent pas de si près.

 

          Il fait une Apologie, et veut l’envoyer au pape, qui est, dit-on, aussi gai que lui, et qui sûrement ne la lira pas. Je crois qu’il sera lecteur du roi de Prusse, et qu’il succédera, dans ce grave poste, au grave La Mettrie. En attendant, je le loge comme je peux.

 

          Il est fort triste qu’on nous ait volé notre Rome sauvée, et qu’on l’ait si horriblement imprimée. Vous n’avez pas voulu me croire, ma chère enfant. Ne mariez pas votre fille ; elle se mariera sans vous.

 

          Mille remerciements, je vous en prie, à M. de Chauvelin (3), des bons avis qu’il m’a donnés pour la nouvelle édition du Siècle de Louis XIV ; mais je vous demande très humblement pardon sur la Dîme royale et chimérique du maréchal de Vauban ; elle n’est bonne que pour les curés dont parle M. de Chauvelin. Pourquoi ? c’est que M. le curé peut faire aisément ramasser par sa servante les dîmes de blé et de pommes qu’on lui doit ; et il boit son vin tranquillement avec sa nièce ; mais il faudrait que le roi eût des décimeurs à gages dans chaque village, qu’il fît bâtir des greniers dans chaque élection, et qu’ensuite il vendît son grain et son vin. Il serait volé deux ou trois fois avant d’avoir vendu une mesure, et ressemblerait au diable de Papetiguière, dont on se moqua quand il alla vendre ses feuilles de rave au marché. Proposez à M. de Chauvelin cette petite difficulté.

 

          Adieu ; vous n’en aurez pas davantage de moi aujourd’hui.

 

 

1 – D’Alembert l’avait fait recommander à Voltaire par madame Denis. (G.A.)

 

2 - Brûler, être en feu

 

3 – L’abbé Chauvelin. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argens.

 

 

          En vous remerciant, cher frère ; j’aime votre exactitude, et je vous suis sensiblement obligé de vos secours. Je ne hais point du tout l’écuyer Coypel (1), mais il ne me paraît pas un Raphaël. Les petites brochures où il a été loué ne peuvent faire sa réputation, et votre livre (2) contribuera à la réputation des bons artistes. Au reste, j’aurais été bien fâché d’acheter un tableau sur la parole de l’abbé Dubos. Il ne s’y connaissait point du tout, non plus qu’en musique et en poésie ; mais il réfléchissait beaucoup sur tout ce qu’il avait lu et entendu dire, et il a trouvé le secret de faire un livre (3) très utile, où il n’y a de mauvais que ce qui est uniquement de lui.

 

          Mon cher Isaac, je crois que je prendrai incessamment le parti que vous me proposez. En attendant, j’applaudis au digne homme (4) qui aime mieux ennuyer son prochain que le pervertir. Je crois qu’il y réussit. Pour vous, vous vous bornez à plaire. Chacun fait son métier ; le mien est de vous aimer tant que je vivrai.

 

 

1 – Antoine Coypel, peintre maniéré. (G.A.)

 

2 – Réflexions critiques sur les différentes écoles de peinture. (G.A.)

 

3 – Réflexions critiques sur la poésie, la peinture, et la musique, (Clogenson.)

 

4 – C’était peut-être Formey. (Clogenson.)

 

 

 

 

 

à M. Formey.

 

 

          M. Mallet (1) demande peu de chose, monsieur ; je ferai tout ce que je pourrai pour lui faire avoir ce très peu.

 

          L’édition (2) n’est guère bonne ; ce qu’elle contient l’est encore moins, mais le maudit auteur de tant de rapsodies vous est très attaché. Il vous remercie de la bonté que vous avez de faire des notes, et, dès que les maux dont il est accablé lui permettront de sortir, il ne manquera pas de venir vous remercier. Continuez, je vous prie, vos notes ; c’est une bonne œuvre. Scribe et vale. V.

 

 

1 – Paul-Henri Mallet, historien, né à Genève en 1730, mort en 1807. (Voyez la lettre à Formey du 12 Septembre.) (G.A.)

 

2 – Les Œuvres de Voltaire, 1752, sept volumes in-12. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argens.

 

 

          Très cher et révérend père en diable, j’avais autrefois un frère janséniste ; ses mœurs féroces me dégoûtèrent du parti ; d’ailleurs,

 

 

Tros Rutulusve fuat, nullo discrimine habebo.

 

VIRG., En. X.

 

 

Les jansénistes me pardonneront l’imbécile cardinal de Tournon en faveur du détestable Letellier (1).

 

          N’est-il pas vrai que les disputes sur les rites chinois sont à faire mettre aux Petites-Maisons et les jésuites et les jansénistes ? Cher frère, mon histoire, à commencer au calvinisme (2), est l’histoire des fous.

 

          Bonjour ; je vous salue en Frédéric, et je me recommande à vos prières. Mes respects à la muse marchesa.

         

 

 

1 – Voyez sur Tournon le chapitre XXXIX du Siècle de Louis XIV, et sur Letellier, le chapitre XXXVII. (G.A.)

 

2 – Les quatre derniers chapitres. (G.A.)

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argens.

 

 

          Je ne sais pourquoi, mon cher marquis, les éditeurs mettent parmi les satires ce voyage (1), qui n’est qu’un itinéraire du coche. Je serais encore plus étonné qu’on admirât ce plat ouvrage. Mais tout est précieux des anciens ; on aime à voir jusqu’à leurs fautes. Il y a d’ailleurs, dans cette méchante pièce, de petits traits qui ont fait fortune.

 

 

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  Credat Judæus Apella,

Non ego .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .

 

 

Voilà assez notre devise.

 

          J’ai toujours pensé comme vous sur saint Constantin et sur saint Clovis ; je les ai mis tous deux en enfer, dans la Pucelle. Je combats en vers, tandis que vous battez l’ennemi avec les armes de la raison. Je suis fort de votre avis sur Zosime ; mais je ne peux me persuader que Procope soit l’auteur des Anecdotes. Il me semble que les hommes d’Etat ne disent point de certaines sottises. Je crois que les Frérons de ce temps-là ont pris le nom de Procope.

 

          « Vale, erudite veritatis assertor, superstitionis destructor ; vale, et scribe. »

 

 

1 – Voyage à Brindes d’Horace. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argens.

 

 

          Cher frère, il me semble que je n’ai point dit ce que vous me faites dire. J’ai donné seulement des preuves de la persécution que le cardinal de Richelieu faisait à la reine ; j’ai dit qu’elle devait être en garde contre un homme qui éloignait d’elle son mari, qui la faisait interroger par le chancelier, qui, enfin, dans le voyage de Tarascon, voulut se rendre maître avait eu un commerce secret avec Mazarin, cardinal ou non, il n’importe, elle aurait fait l’impossible pour le dérober à la vue du cardinal de Richelieu.

 

          Je viens d’apercevoir votre billet dans le livre, et je vous remercie toujours de votre zèle. Priez pour moi ; je suis bien malade.

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argens.

 

 

          Frère équitable, vous avez lu le libelle de Boindin (1) ; lisez, je vous prie, la réponse (2), et jugez. Je n’entre point dans la discussion des interrogatoires d’un savetier et d’un décrotteur ; je renvoie, sur cet article, au jugement prononcé par les juges qui ont examiné les variations des témoins subornés, et ont jugé en conséquence. Ces détails d’ailleurs allongeraient trop l’article, et seraient indignes du public et de l’ouvrage. Il est question, dans cette dernière partie, des gens de lettres célèbres, et non des savetiers célèbres. Enfin lisez-moi, et jugez-moi. Ayez la bonté de me renvoyer le livre, avec votre décision. Vale, et me ama.

 

 

1 – Mémoire pour servir à l’histoire des couplets de 1710, attribués faussement à M. Rousseau. Boindin y attribue à La Motte, Saurin, et Malafer, les fameux couplets. (G.A.)

 

2 – Voyez le Catalogue des écrivains aux articles ROUSSEAU et LA MOTTE.(G.A.)

 

 

CORRESPONDANCE 1752 - Partie 17

 

 

 

 

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