CORRESPONDANCE - Année 1752 - Partie 14
Photo de PAPAPOUSS
à M. le cardinal Querini.
Potsdam, 4 juglio 1752.
Io ho ricevuto i nuovi contrasegni della benevolenza di vostra eminenza verso di me, e gliene porgo i più vivi ringraziamenti. La veggo sempre intenta a beneficare la Chiesa e le buone lettere : insegna il mondo coi precetti ; lo sprona cogli esempi ; dà de’ ducati e de’ marchesati alle monache, de ‘ denari e delle statue a un tempio (2) cattolico eretto nella pagania.
Io applaudo da lontano, sempre ammalato, sempre stimolato dal desiderio di riverirla, e ritenuto appresso d’un re eretico, ma pure amabile, colle catene dell’ ozio, della libertà e del piacere, che sono di rado regie catene.
Vorrei cantar le laudi di vostra eminenza ; ma chi pure sempre
Colla febbre guarisce, e con Galeno,
Vien ruaco, e perde il canto e la favella.
Ma non ne sono meno ammiratore di vostra eminenza. Servo umilissimo, VOLTAIRE.
1 – Voyez la lettre à madame Denis du 9 Juin 1752. (G.A.)
à M. le comte d’Argental.
Potsdam, le 11 Juillet 1752.
Mon cher ange, nous autres bons chrétiens nous pouvons très bien supposer un crime à Mahomet ; mais le parterre n’aime pas trop qu’une tragédie finisse par un miracle du faubourg Saint-Médard. Amélie finit plus heureusement ; et, quoique cette pièce ne soit pas de la force de Mahomet, elle peut avoir un beaucoup plus grand succès, parce qu’il n’y est question que d’amour. Il y a des ouvrages dont la faiblesse a fait la fortune, témoin Inès. Il ne suffit pas de bien faire, il faut faire au goût du public. Il est indubitable que Lekain doit jouer le duc de Foix, et mademoiselle Clairon, Amélie ; sans cela, point de salut. Je n’ai jamais compris qu’il y eût de la difficulté dans l’annonce de cette pièce. Il me semble qu’on pourrait la donner sans bruit et sans scandale, pendant son voyage de Fontainebleau, en ameutant ce qu’on appelle la petite troupe, qui est plutôt la bonne troupe ; en ne sonnant point l’alarme, et en ne prétendant point donner cet ouvrage comme une pièce nouvelle. Il y manque encore quelques vers que j’enverrai quand on voudra ; mais, pour l’extrait baptistaire de Lisois, et pour la généalogie d’Amélie, je crois qu’on peut très bien s’en passer.
Mon cher ange, j’avoue qu’il ne sied guère à un historiographe de passer sous silence ces points d’histoire ; mais je m’imagine que ces détails ne serviraient de rien à la tragédie. Je ne les aurais pu placer que dans des tirades qui sont déjà un peu longues, et j’ai cru qu’ils refroidiraient l’action, sans y porter une plus grande clarté. Amélie est une dame du voisinage, Lisois un paladin, le duc de Foix de la race de Clovis, le tout est un roman. Il ne s’agit que d’exprimer des sentiments vrais sous des noms feints. C’est une pièce de caractères ; c’est Orgon, c’est Damis, c’est Isabelle. Plus on entrerait dans des détails historiques, plus on contredirait l’histoire.
Mon cher et respectable ami, je suis plus inquiet de l’entreprise de ma nièce que de notre Amélie. Je suis un vieux gladiateur accoutumé à être condamné aux bêtes dans l’arène ; mais je tremble de voir une femme qui veut tâter de ce combat. Peut-être le public est-il las des Amazones et des Cénie ; peut-être ne sera-t-il pas toujours poli avec les dames. Ma nièce ne se trouve pas dans des circonstances aussi favorables que mesdames du Boccage et Graffigni. Elle a contre elle des cabales, et, de plus, elle est ma nièce. Tout cela me fait trembler, et je vous avoue que pour rien au monde je ne voudrais me trouver là.
La pièce peut réussir, il y a d’heureux détails, et, si je ne m’aveugle pas, ces seuls détails valent mieux que Cénie et les Amazones ; mais ils ne suffisent pas. Vous m’avez parlé à cœur ouvert, je vous parle de même. J’ai mandé à madame Denis que j’étais peu au fait du goût qui règne à présent, qu’elle devait consulter ceux qui fréquentent assidûment les spectacles ; que c’était à eux de lui dire si la pièce était attachante ; si les caractères étaient bien décidés et bien soutenus ; si la Coquette était assez coquette, si elle faisait un rôle principal dans les derniers actes ; si Géronte, Cléon, Dorsan, étaient des personnages nécessaires ; si chacun avait un but déterminé ; si la suivante n’était pas un caractère équivoque ; s’il y avait dans l’ouvrage de cette force comique nécessaire dans une comédie, et de cette espèce d’intérêt nécessaire dans toute pièce dramatique ; si la froideur n’était pas à craindre ; que je n’étais pas juge, parce que je suis partie trop intéressée, et que j’ai peu d’habitude du théâtre comique, et nulle connaissance de ce qui est à la mode ; qu’elle devait consulter de vrais amis qui osassent dire la vérité.
Voilà une partie de ce que je lui ai mandé : que pouvais-je de plus dans la crainte de l’affliger, dans celle d’un mauvais succès, et enfin dans celle de l’empêcher de se satisfaire et de donner un ouvrage qui peut réussir ? Elle me paraît entièrement déterminée à livrer bataille. Elle a une confiance entière en M. d’Alembert ; c’est un homme de beaucoup d’esprit, mais connaît-il assez le théâtre ?
Vous voyez si je vous ouvre mon cœur. Je suis extrêmement content de ma nièce. Elle a agi pour mes intérêts avec une chaleur et une prudence qui me la rendent encore plus chère. Je souhaite qu’elle réussisse pour elle comme pour moi ; et, en attendant, je reste à Potsdam en philosophe. Je presse la nouvelle édition du Siècle de Louis XIV. Je mène une vie conforme à mon état d’homme de lettres, et convenable à ma mauvaise santé, sans me mêler le moins du monde du métier de courtisan, n’ayant pas plus de devoirs à remplir que dans la rue Traversière, et n’ayant, si je meurs ici, aucun billet de confession à présenter. Jamais ma vie n’a été plus douce et plus tranquille. Pour la rendre telle à Paris, il faudrait renoncer entièrement aux belles-lettres ; car, tant que je me mêlerai d’imprimer, j’aurai les sots, les dévots, les auteurs à craindre ; il y a tant d’épines, tant de dégoût, d’humiliations, de chagrins attachés à ce misérable métier, qu’à tout prendre il vaut mieux vivre tout doucement avec un roi.
Mon cher ange, si je vivais à Paris, je voudrais n’y faire autre chose que donner à souper. Je ferai certainement un voyage pour vous, ce ne sera pas pour l’évêque de Mirepoix ; mais il faut attendre que l’édition du Siècle soit achevée. Vous n’avez qu’une petite partie des changements ; j’en fais tous les jours. Je ne veux revoir ma patrie qu’après avoir érigé un petit monument à sa gloire. J’espère qu’à la longue les honnêtes gens m’en sauront quelque gré. On pourra dire : C’était dommage de tant honnir un homme qui n’a travaillé que pour l’honneur de son pays. Et puis, quand quelque bonne âme aura dit cela, que m’en reviendra-t-il ? Mon cher ange, vous me tiendrez lieu, vous et votre aimable société de toute une nation honnêtement ingrate. Vivre avec vous en bonne santé, ce serait le comble du bonheur. Ces deux biens-là me manquent, et ce sont les seuls véritables ; les rois ne sont que des palliatifs. Mille tendres respects à tous les anges.
D’Argens me persécute pour vous dire qu’il vous fait mille compliments. Il m’amuse beaucoup ici.
Vous sentez bien, mon cher et respectable ami, qu’il y a quelques passage dans cette épître qui ne sont absolument que pour vous, et que le tout est bon à brûler.
à M. le marquis de Thibouville.
A Sans-Souci, le 15 Juillet 1752.
Sans-Souci est le contraire de la plupart des grands ; il est fort au-dessus de son nom. C’est de ce séjour magnifique et délicieux, où je suis logé comme un sybarite, où je vis comme un philosophe, et où je souffre comme un damné la moitié du jour, selon ma triste coutume, que je vous écris, mon cher Catilina. Je voudrais bien que vous eussiez le duché de Foix pour deux ou trois heures seulement. Comptez que je n’étais point un perfide quand je promettais de trois mois en trois mois de venir revoir à Paris des amis que j’aimerai toute ma vie, et auxquels je pense toujours. Rome, Louis XIV et le roi de Prusse, voilà trois grands noms que je cite, et voilà mes raisons. Je suis dans la nécessité de corriger les feuilles de la nouvelle édition qu’on fait, à Leipsick, du Siècle de Louis XIV. Il n’y a pas moyen de laisser cette entreprise imparfaite. Je ne pouvais imprimer à Paris un livre où je dis la vérité ; il fallait absolument ériger ce petit monument à la gloire de ma patrie, en me tenant éloigné d’elle. Je ne pouvais venir quand on jouait Rome sauvée ; comment m’exposer au ridicule d’être sifflé, ou à celui d’avoir l’air de venir pour être applaudi ? Enfin comment quitter un roi qui me comble de bontés, un roi qui, beaucoup plus jeune que moi, m’apprend à être philosophe ; et comment le quitter, surtout dans le temps que la plupart des philosophes qu’il a rassemblées autour de lui demandaient des congés, les uns pour leur santé, les autres pour leur plaisir ? La reconnaissance et la bienséance m’ont retenu. Vous dirai-je encore qu’il est assez sage de se tenir quelque temps éloigné de l’envie des gens de lettres et des persécutions de certains fanatiques, qu’il y a des temps où une absence honorable est nécessaire, et que
Virtutem incolumem odimus,
Sublatam ex oculis quærimus, invidi ?
HORACE., lib. III, od. XXIV.
Si vous voulez considérer ma situation, mes occupations, vous verrez, mon cher marquis, que je n’ai pas tort. Je viendrai vous voir sans doute ; mais laissez-moi achever l’édition du Siècle de Louis XIV, à laquelle je fais chaque jour des changements considérables.
La Coquette me tourne la tête ; je suis entre la crainte et l’espérance. Les choses charmantes dont elle est pleine me remplissent d’admiration. Je suis tout glorieux d’avoir une nièce qui soit un génie. Mais le parterre, les cabales, les comédiens, et peut-être le peu d’unité, le manque d’un dessein arrêté, et, par conséquent, le défaut d’intérêt qui pourrait en résulter, me font trembler, et m’empêchent de dormir. Que deviendra madame Denis, et que fera-t-elle, si une pièce, dont deux pages valent mieux que beaucoup de comédies qui ont réussi, ne réussit pourtant pas ? Les hommes sont-ils assez justes pour sentir tout le mérite d’un tel ouvrage, s’il n’était qu’un succès médiocre ? Pour moi, il me semble que j’aurais bien du respect pour l’auteur, quand même il aurait échoué. Est-ce que je m’aveugle ? Comparez une scène de la Coquette avec des ouvrages que je ne nomme pas, qui ont été si applaudis, et que je n’ai jamais pu lire ; comparez, et jugez. Mais il y avait un faux intérêt dans ces pièces, un air d’intrigue qui les a soutenues, soit ; mais je soutiendrai toujours qu’il y a cent fois plus de mérite à avoir fait la Coquette. Je sais bien que le mérite ne suffit pas, qu’il faut un mérite de théâtre, un mérite à la mode ; aussi je tremble, et je me tais.
Pour Amélie, cousine qui a le germain sur la Coquette (1), et qui n’a que cette supériorité, vous en ferez ce qui vous plaira, mes seigneurs et maîtres, et voici, en attendant, quelques légers changements que vous trouverez dans la page ci-jointe. Mais ne vous flattez pas que je puisse fourrer vingt vers de tendresse dans une scène où les deux amants sont d’accord ; cela n’est bon que quand on se querelle. Vous aurez beau me dire, comme milord Peterborough, à mademoiselle Lecouvreur : « Allons, qu’on me montre beaucoup d’amour et beaucoup d’esprit ; » il n’y aurait que de l’amour et de l’esprit perdu dans une scène qui n’est que d’exposition, qui n’est que préparatoire, et où les deux parties sont du même avis. Il ne faut jamais prétendre à mettre dans les choses ce que la nature n’y met pas. Voilà une étrange maxime ; mais, en fait d’arts, elle est vraie. Ce serait encore du temps perdu de faire la généalogie d’Amélie ; elle descend de seigneurs du pays fidèles à leurs rois ; elle le dit : c’en est assez. Le reste serait une longueur inutile. Il s’agit d’un temps où l’on ne connaît personne ; c’est là qu’il faut éviter tout détail étranger à l’action. En voilà trop sur ce pauvre ouvrage, qui ne vaudra qu’autant que vous le ferez valoir. Je vous en laisse absolument le maître, et je vous renouvelle les assurances du plus tendre attachement.
1 – C’est-à-dire cousine germaine de la mère de la Coquette. (G.A.)
à M. Formey.
Sans-Souci, le 15 Juillet1752.
Recevez mes remerciements, monsieur.
Il y a dans le dernier journal dont vous m’avez honoré un morceau de M. de Haller (1) qui m’a paru d’un genre supérieur ; on ne peut mieux parler des choses qu’on ne peut comprendre.
Les hommes ne savent point encore comme ils font des enfants et des idées.
Vous qui avez si bien travaillé dans ces deux genres, vous devriez en savoir plus de nouvelles que personne. Vale.
1 – C’était un article de d’Argens sur les Primœ physiologiœ de Haller, avec une citation de deux pages. Voyez la lettre suivante. (G.A.)
à M. le marquis d’Argens.
Mon cher frère, vous êtes plus heureux que vous ne pensez. M. Delaleu (1), voyant que madame d’Argens n’est pas loin de sa trentième année, a présenté un mémoire pour la faire insérer dans la classe de ceux qui ont trente ans passés ; il l’a obtenu. Mais, comme cette opération a pris du temps, vous y perdez cinq mois d’arrérages que vous sacrifierez volontiers. Vous aurez votre contrat dans un mois.
Mais, frère, dans le temps que je fais vos affaires temporelles, vous mettez mes affaires si spirituelles, celles de mon cœur, dans un cruel état. Comment avez-vous pu vous fâcher d’une plaisanterie innocente sur Haller ? en quoi cette plaisanterie pouvait-elle vous regarder (2) ? était-ce de vous qu’on pouvait rire ? peut-il vous entrer dans la tête que j’aie voulu vous déplaire ? songez avec quelle dureté, quelle mauvaise humeur, et de quel ton, vous avez dit et répété qu’il y avait des gens qui craindraient de perdre trois mille écus ; songez que vous me reprochiez, à table, avec véhémence, d’aimer ma pension, dans le temps même que j’offrais de sacrifier mille écus pour travailler avec vous. Le roi a bien senti la dureté et la hauteur avec laquelle vous parliez. Je vous jure que je n’en ai pas été blessé ; mais je vous conjure d’être plus juste, plus indulgent avec un homme qui vous aime, qui ne peut jamais avoir envie de vous déplaire, et dont vous faites la consolation. Au nom de l’amitié, soyez moins épineux dans la société ; c’est la douceur des mœurs, la facilité qui en fait le charme. N’attristez plus votre frère ; la vie a tant d’amertume, qu’il ne faut pas que ceux qui peuvent l’adoucir y versent du poison. L’humeur est de tous les poisons le plus amer. Les fripons sont emmiellés. Faut-il que les honnêtes gens soient difficiles ?
Pardonnez mes plaintes ; elles partent d’un cœur tendre qui est à vous.
1 – Notaire de Voltaire. (G.A.)
2 – Voyez la lettre précédente. (G.A.)