CORRESPONDANCE - Année 1751 - Partie 4

Publié le par loveVoltaire

  CORRESPONDANCE - 1751 - Partie 4 

 

 Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

 

à M. Darget

Février 1751.

 

 

          Mon chien de procès n’étant point encore fini, et l’Ancien-Testament me persécutant toujours, je ne sais que vous mander, mon cher ami. Ma maladie augmente, j’ai besoin d’un peu de courage ; car, en vérité, si vous songez qu’après avoir suscité contre moi un d’Arnaud, après avoir corrompu mon secrétaire, et après m’avoir exposé par là aux suites les plus funestes, après m’avoir attaqué auprès du roi jusqu’à entrer dans les détails les plus bas, on me poursuit encore ; si vous songez à toutes les mauvaises nouvelles que j’ai reçues à la fois de chez moi ; si vous ajoutez à tout cela une maladie affreuse, et la privation de la vue de sa majesté ; vous m’avouerez qu’il me faudrait quelque fermeté. Je n’ai plus le bonheur de lire de beaux vers, de voir et d’entendre le seul homme sur la terre pour qui j’ai pu quitter ma patrie. Je me console en travaillant à l’histoire du Siècle de Louis XIV, dans les heures où mes maux me laissent quelque relâche. Je suis continuellement dans la chambre que sa majesté a daigné m’accorder, pénétré de ses bontés, attendant la fin de ses rigueurs. Le roi ne sait pas tout ce que j’ai essuyé ; peut-il connaître tous les trous que font les taupes dans les jardins de Sans-Souci ? Bonsoir, mon très cher ami. Ma nièce me mande que je dois trouver dans vous bien de la consolation, et elle a bien raison. On a créé pour Moncrif la place de secrétaire-général des postes de France. Moncrif est plus vieux que moi. Il ne fait peut-être pas mieux des vers, mais il se porte bien. Ah ! mon cher ami , la perte de la santé, à trois cents lieues de sa famille, est bien horrible ! conservez la vôtre, et goûtez le bonheur d’être auprès de votre adorable maître.

 

 

 

 

 

à M. Formey

Le 14 Février 1751.

 

 

          Je vous demande en grâce, monsieur, de ne pas refuser aujourd’hui le petit dîner philosophique. Il faut absolument que nous mangions le rôt du roi philosophe. Vous serez aussi libre et aussi à votre aise que chez vous, et je serai charmé de pouvoir vous entretenir de suite. Ce ne serait point la peine d’être venu à Berlin pour ne pas profiter de votre société. Voyez si vous voulez que je vous envoie un carrosse, à deux heures précises. Vale ; c’est le plus beau des compliments.

 

 

 

 

 

à M. Darget

Berlin, 15 Février 1751.

 

 

          Mon cher ami, on a beau faire le plaisant, les maladies, telle que la diablesse qui me mine, sont comme les gens de mauvaise compagnie, qui n’entendent point raillerie. Milord Tyrconnell est encore plus mal que moi. Nous verrons à qui partira le premier. Je crois que cela se passera fort galamment de part et d’autre, et que nous ne mourrons point en imbéciles. Songez à vivre, vous qui êtes encore jeune, qui avez des ressources, et qui trouverez à Paris des remèdes. Mais, entre nous, je crois qu’il n’y en a point pour M. de Tyrconnell ni pour moi. Chaque être apporte en naissant le principe de sa destruction, et il faut aller ranimer la nature sous une autre forme, quand le moment de la dissolution totale est venu : on meurt après avoir fait tout juste le nombre de folies, de sottises, après avoir eu le nombre d’illusions auxquelles on était destiné. J’ai rempli ma tâche assez complètement. J’ai peut-être encore cinq ou six mois à donner à la société ; je tâcherai de les employer gaiement. Le roi fait fort bien de lire des Montecuculli et des Turenne, il passe d’Horace et de Virgile à eux. Il a raison ; on aime ses semblables. Celui-là est d’une autre pâte que le reste des hommes. Il faudrait que les trois sœurs filandières, qu’on appelle les Parques, eussent un fil pour lui, cinq ou six fois plus long que pour les autres humains. Il est ridicule qu’il n’ait qu’un corps quand il a plusieurs âmes. Je compte samedi venir mettre mon âme faible et misérable aux pieds des siennes. Il faut rentrer au bercail ; je suis une brebis galeuse, mais il sera le bon pasteur. Adieu, mon cher ami ; je viendrai malgré Liberkuhn. Je vous embrasse de tout mon cœur d’avance.

 

 

 

 

à Madame Denis.

A Berlin, 15 Février .(1)

 

 

          Le marquis d’Adhémar sera donc à madame la margrave de Bareuth : je lui ai toujours conseillé de prendre ce parti. Le service des dames est plus doux. J’ai un peu abandonné celui de mon nouveau maître. Je suis toujours trop malade pour aller souper à Potsdam. L’hiver me tue, et je veux donner à Louis XIV le peu de temps que mes maux me laissent.

 

          Je vous avoue qu’en m’amusant à de nouveaux ouvrages, je suis bien fâché de ces nouvelles éditions qu’on fait à Paris et à Rouen de mes anciennes rêveries ; je voudrais en corriger la moitié et anéantir l’autre. D’ailleurs toutes ces éditions sont faites sur d’anciennes copies très informes. Je vois bien que je n’aurai jamais la consolation d’être imprimé à ma fantaisie. Il faudrait que le public n’adoptât d’un auteur que ce qu’il en adopterait lui-même, et tout n’en irait que mieux.

 

          Je vous envoie un gros paquet sur nos affaires. Adieu. Je vous demande toujours pardon d’être ici.

 

 

1 – Editeurs de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Darget

A Berlin, 18 Février 1751.

 

 

          Mon cher ami, j’ai compté sans mon hôte, et cet hôte est un diable qui ne me laisse pas compter sur un moment.

 

 

Durum sed levius fit patientia

Quidquid corrigere est nefas !

 

HOR., liv. I, od. XXIV.

 

 

          Peut-être serai-je en état de partir lundi ou mardi. Le Fils de l’Homme dit que nous ne savons ni le jour ni l’heure. Je vous supplie de présenter mes remerciements à M. Federsdorf, pour ses attentions obligeantes dont je profiterai aussitôt qu’il me sera possible. Je ne sais point par moi-même, depuis deux jours, comment va milord Tyrconnell, parce que j’ai gardé le lit ; on dit qu’il va mieux ; mais quel mieux ? Mon pis à moi est de n’être pas à Potsdam ; car, vous m’en croirez si vous voulez, ce n’est pas pour madame Bock (1) que je suis venu dans ce pays-ci, et que j’ai quitté, à mon âge, ma patrie et mes amis. Ménagez votre santé, mon cher ami, et que le roi conserve la sienne. C’est un bien fort au-dessus de tous les trônes de la terre.

 

          Je vous embrasse avec une extrême impatience de vous voir.

 

 

1 – Voltaire habitait chez cette dame. (G.A.)

 

 

 

 

à Madame Denis.

A Berlin, le 20 Février 1751.

 

 

          Je vous remercie tendrement de tout ce que vous m’envoyez. Je m’amuse, ma chère enfant, pendant les intervalles de ma maladie, à finir ce Siècle de Louis XIV. Il serait plus rempli de recherches, plus curieux, plus plein, s’il était achevé dans son pays natal ; mais il ne serait pas écrit si librement. Je me trouverais le matin avec des jansénistes, le soir avec des molinistes ; la préférence m’embarrasserait ; au lieu qu’ici je jouis de toute mon indifférence et de la plus parfaite impartialité. Votre intention est donc de redonner Mahomet avant Catilina ? Nous verrons si vous y réussirez.

 

          Franchement ? je n’ai jamais trop conçu comment le prophète de la Mecque avait scandalisé les dévots de Paris. J’imagine bien qu’à Constantinople on trouverait mauvais que j’eusse ainsi traité le prophète des Osmanlis ; mais quel intérêt y prennent vos rigoristes ? En vérité, c’est un plaisant exemple de ce que peuvent la cabale et l’envie. Qui pourra jamais croire qu’un homme tel que l’abbé Desfontaines eût persuadé à quelques gens de robe, mal instruits, que cette tragédie était dangereuse à la religion ? Encore, si j’avais fait l’embrasement de Sodome, cet honnête abbé aurait eu quelque prétexte de se plaindre ; mais rien ne l’attachait à Mahomet. Enfin il parvint à exciter le zèle d’un homme (1) en place, et quelquefois un homme en place est un sot. Le préjugé subsiste toujours, et je crois que votre négociation trouvera bien des obstacles. M. le maréchal de Richelieu aura beau faire, les Turcs ne s’endormiront pas. Quelle pitié ! Si cet ouvrage avait été d’un inconnu, on n’aurait rien dit ; mais il était de moi, et il fallait crier. La méchanceté et le ridicule de vos cabales me consolent souvent d’être ici. Ce n’est point de l’enthousiasme qu’il nous faut à nous autre chétifs enfants d’Apollon, c’est de la patience, et ce n’est pas là d’ordinaire notre vertu.

 

Faites tout ce qu’il vous plaira. Je vous remets Rome et  la Mecque entre les mains ; ce sont deux saintes villes. Pour moi, je ne sais plus à quel saint me vouer depuis que je me suis avisé si mal à propos de vivre loin de vous. Je suis bien malade et justement puni.

 

 

1 – Le cardinal Fleury. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Darget.

A Berlin, dimanche 20 Février 1751.

 

 

          Mon cher ami, j’espère encore être en état de venir vous embrasser mercredi ou jeudi ; mais sur quoi peut-on compter ? Milord Tyrconell se porte mieux, et moi j’empire. Etre absolument seul, sans secours, sans consolation d’aucune espèce, presque sans espérance, à quatre cents lieues de sa famille et de ses amis ; être privé, par la violence de ses maux, de la ressource de la lecture et de l’étude ; se voir mourir pièce à pièce, entre deux toits couverts de neige ! voilà mon état ; profitez de cet exemple. Ménagez-vous jusqu’au temps où vous irez chercher à Paris une guérison sûre. J’ai peur que vos jours et vos nuits ne soient tristes. Je voudrais pouvoir vous consoler ; et si mes maux me donnent un peu de relâche, je viendrai vous dire, mercredi ou jeudi, quel tendre intérêt je prends aux vôtres. Je vous supplie de bien faire mes compliments à M. le comte Algarotti et à M. le marquis d’Argens.

 

 

 

 

à M. le baron de Marschall  (1)

 

 

 

          Voltaire, que sa maladie séquestre de tous les devoirs comme de tous les plaisirs, ne peut venir lui-même remercier M. le baron de Marschall. Il lui renvoie l’Histoire de Reboulet (2) et la Vie des Peintres (3). Il le supplie de lui faire savoir quels livres il a encore à lui. Il n’ose présenter ses respects à madame la baronne, qu’il n’a pas encore eu l’honneur de saluer ; mais il trouvera bon qu’il y ait ici les plus tendres compliments pour M. de …..

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Histoire de Louis XIV, in-4°, 1742-1744. (A. François.)

 

3 – Par Félibien. (A. François.)

 

 

 

 

à M. Darget

Ce dimanche.

 

 

          Mon cher ami, voici une lettre (1) pour le roi, que je vous prie de lui remettre. Ma foi, j’ai tort d’avoir voulu avoir publiquement raison contre un misérable, et le roi a plus de bon sens que moi, comme il a plus de talent. Je ne sais pas comment diable il fait pour être si sage en faisant des vers. Il serait plaisant que je mourusse de cela. Je voudrais déjà être au Marquisat, mais ce ne sera que pour le 6 ou le 7 ; car l’humeur s’est un peu jetée sur la poitrine, et les gencives ne sont pas mieux. Malgré le peu d’approbation qu’a eu la saignée de M. de Rothembourg (2), j’ai très grande foi à La Mettrie. Qu’on me montre un élève de Boerhaave qui ait plus d’esprit et qui ait mieux écrit sur son métier.

 

          Mais qu’il guérisse vos yeux ; voilà d’abord ce que je lui demande.

 

          J’étais fort en peine de M. d’Hamon et d’un gros paquet pour l’édition qu’on fait à Paris de mes rêveries, édition qui, par parenthèse, ne vaudra pas mieux que les autres, parce qu’elle a été faite sans me consulter et pendant mon absence.

 

          Ce d’Hamon, en arrivant chez moi (3), a trouvé des Damis, des Eraste, et des Angélique, et des Clarisse, qui l’attendaient à souper. On va le voir par curiosité, comme un homme venant de la part de Frédéric-le-Grand. Un certain marquis (4), un peu bavard, lui ayant fait une enfilade de questions fort longues, M. de Thibouville, qui n’avait encore rien dit : « Monsieur, je prends acte que tous les Français ne sont pas si pressants. » Il a été huit jours enfermé chez moi, sans sortir, parce qu’il fallait qu’il ne fît point de visite avant d’avoir été présenté ; et le roi de France est à Versailles tout le moins qu’il peut. M. de Boufflers, colonel des gardes du roi Stanislas, a été tué sans qu’on sache trop comment. Tout le monde en raisonne, et demain personne n’en parlera. Vanité des vanités ! Adieu.

 

 

1 – Voyez la  Correspondance avec le roi de Prusse à cette époque. (G.A.)

 

2 –Il mourut le 29 Décembre 1751. (G.A.)

 

3 –A Paris. (G.A.)

 

4 – Ximenès. (G.A.)

 

 

 

CORRESPONDANCE - 1751 - Partie 4

 

 

 

 

 

 

 

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