CORRESPONDANCE - Année 1751 - Partie 14
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à M. le comte Algarotti.
Le ...
In sono un pocco casalingo e pigro, moi caro signor conte ; voi sapete qual sia il cattivo stato della mia sanità. Non ho gran cura di fare otto miglia (1) per ritornare alla mia cella. Aspettero dunque il mio gentil frate nel nostro monastero ; e, quando egli avrà disposto del pomo in favor della polputa Venere Astrua (2), quando avrà goduto abbastanza I favori della sua Elena, quando avrà veduto tutte le regine, tutti I principi, e tutti quanti, ritornerà piacevolmente anoi poveri romiti, ritornerà a suoi dotti e leggiadri lavori, a quelle ingegnose edjistruttive lettere che faranno l’onor della bella Italia, e le delizie di tutte le nazioni. Le bacio di cuore le mani.
1 – C’est la distance de Berlin à Potsdam. (G.A.)
2 – Cantatrice. (G.A.)
à M. le marquis d’Argens.
Très cher frère, vous me faites un grand plaisir. Je lirai le tout avec avidité, et je voudrais avoir les autres tomes. En vérité, il faudrait abolir la sottise, une fois pour toutes ; ce serait un petit amusement. Frère, j’ai corrigé les morceaux de la dernière partie qui vous avaient paru équivoques, ainsi que j’ai corrigé le vers sur Despréaux, que le roi avait condamné avec raison.
Mon frère, il faut passer sa vie à se corriger. Bonjour, digne ennemi du fanatisme et de la friponnerie.
à M. le marquis d’Argens.
Frère, vous avez un don de Dieu pour connaître les hommes. Je bénirai le Dieu de nos pères, si on découvre que ce saint de Marseille est un fripon d’Italie. N’est-il pas parent du révérend père Mecenati ? Frère, il faut approfondir cette affaire, et ne point porter de jugements téméraires. Cet homme est prêtre ; il a son obédience en bonne forme, sa croix de mathurin ; il parle latin… Un matelot piémontais ne parle point latin. Invoquons le Saint-Esprit, et examinons cet homme, avant de le condamner.
Vis content et heureux.
à M. le marquis d’Argens.
Frère, si loquela sua manifestum hunc facit, s’il est Piémontais, matelot et fripon, Dieu soit loué, et les méchants confondus : mais cette belle obédience ! mais ces lettres ! Frère, il y a de grandes présomptions contre ce saint. Cependant tremblons de condamner nos frères légèrement, examinons encore. Craignons les justes jugements de Dieu.
Je me recommande à vos prières, et je m’anéantis devant le Tout-Puissant. La paix soit avec vous.
à M. le comte d’Argental.
Vous voyez ce qu’il m’en coûte pour trouver grâce devant vous. J’ai déjà envoyé à madame Denis trois feuilles du Siècle de Louis XIV. Je ne crois pas qu’elles réussissent auprès d’un certain homme de beaucoup d’esprit (1), à qui j’ai grande envie de plaire. Louis XIV est sa bête, et il me semble que j’en ai fait un bien grand homme, dans l’administration intérieure de son Etat. Je ne crois pas d’ailleurs qu’on puisse m’accuser d’avoir élevé le siècle passé aux dépens du siècle présent ; mais enfin quiconque écrit, et surtout sur des matières aussi délicates, a tout à craindre. Vous savez qu’on s’avisa de saisir le premier chapitre de cette histoire, quand je le donnai pour essayer le goût du public. Il n’y a peut-être jamais eu de persécution si injuste et si ridicule ; c’est aujourd’hui ce même chapitre qui a donné, j’ose le dire, à toute l’Europe l’envie de voir le reste. J’ai réfléchi trop tard sur l’acharnement de l’envie qui voulait exterminer un citoyen, parce qu’il est le seul qui ait donné à sa patrie un poème épique, et qu’il a réussi dans d’autres ouvrages qui ont plu à cette même patrie ; et cette lâche envie ne se borne pas aux gens de lettres, elle s’étend aux plus indifférents. Le Français est de tous les peuples celui qui se plaît le plus à écraser ceux qui le servent, en quelque genre que ce puisse être.
Vous savez tout ce que j’ai essuyé. Si j’étais resté plus longtemps à Paris, on m’y aurait fait mourir de chagrin. Certainement il n’y avait pour moi d’autre parti à prendre que de m’enfuir au plus vite. Ce parti est cruel pour un cœur aussi sensible à l’amitié que le mien ; mais comptez que j’ai bien fait de le prendre. Dieu veuille que les cabales ne subsistent plus, et qu’elles ne se déchaînent pas contre Rome sauvée et contre l’histoire du Siècle ! J’enverrai incessamment à madame Denis le premier tome tout entier ; je vous donnerai encore Adélaïde toute refondue ; il n’était pas praticable de faire un parricide d’un prince du sang connu.
Quodcumque ostendis mihi sic, incredulus odi.
HOR., de Art. poet.
J’ai transporté la scène dans des temps plus reculés, qui laissent un champ plus libre à l’invention. La peinture des maires du palais et des Maures qui ravageaient alors la France, vaudra bien Charles VII et les Anglais. Du moins, mon cher ami, je répare autant que je peux mon absence par de fréquents hommages ; j’aurais moins travaillé à Paris.
Adieu ; je vous recommande Rome et mon Siècle. Votre amitié, votre zèle, et mon éloignement, font beaucoup. Je me flatte que vous engagerez fortement M. de Richelieu dans votre parti. Je n’ai plus le temps d’écrire à ma nièce, cet ordinaire ; la poste va partir ; montrez-lui ma lettre, qui est pour elle comme pour vous. Ma santé est bien mauvaise ; mais je travaillerai jusqu’au dernier moment à mériter votre amitié et votre suffrage. Je me recommande aux bontés de toute votre société. Je prie ma nièce de me faire réponse sur tous les articles qu’elle a peut-être oubliés en faveur de Rome et de la Mecque qui l’occupent. Adieu, comptez que vous n’avez jamais été aimé si tendrement à Paris que vous l’êtes à trois cents lieues.
1 – l’abbé Chauvelin. (G.A.)
à M. Darget.
1751.
Mon cher et aimable ami, Miseriis hominum succurrere discis. Dans le temps que la mort, escortée du scorbut, me talonne, le sieur Henning facit meos canos descendere cum amaritudine ad inferos (1). Ce monsieur, qu’on dit dévot, a fait mettre dans les gazettes de Hambourg qu’il avait à vendre la traduction allemande du Siècle de Louis XIV. Il est évident qu’il n’a nul droit d’avoir fait traduire cet ouvrage, qu’il viole un dépôt, et qu’il me vole. Il est soupçonné d’une autre perfidie, d’avoir vendu l’original à des libraires, et les présomptions contre lui sont très fortes. Je vous supplie, au nom de notre amitié et de votre caractère bienfaisant, de lui représenter sa turpitude, et de lui dire que je me plaindrai au roi, et qu’il sera perdu dans ce monde-ci et dans l’autre. Parlez-lui fortement, employez votre vertu et votre éloquence. Ne serai-je venu dans ce pays-ci que pour être volé, tantôt par un juif, tantôt par un imprimeur ? pour essuyer tant de malheurs, et pour y mourir dans le désespoir d’avoir sacrifié ma patrie à mon inutile tendresse pour le roi ? Adieu.
1 – Genèse. (G.A.)
à M. Darget.
1751.
Mon cher ami, j’avais bien raison de soupçonner Henning : ou il m’a fait une bien cruelle infidélité, ou il a permis qu’un de ses ouvriers en fût coupable. On vend l’histoire du Siècle de Louis XIV publiquement à Francfort-sur-l’Oder et à Breslau. Je n’ai point vu l’édition de Breslau, mais M. de Bielfeld (1) a vu celle de Francfort-sur-l’Oder. Je regrette peu les deux mille écus que cette impression de Berlin peut m’avoir coûtés ; mais il est bien triste qu’on ait imprimé l’ouvrage avec toutes les fautes que je m’occupe jour et nuit à corriger, malgré les maladies dont je suis accablé. Il n’y aurait qu’un moyen d’arrêter le mal : ce serait que le roi eût la bonté d’envoyer un ordre à Francfort et à Breslau de faire saisir l’ouvrage chez le libraire. S’il le fallait, j’irais moi-même à Francfort, et j’enverrais en même temps à Leipsick, où, sans doute, on aura envoyé l’édition subreptice. Voilà une friponnerie pire, s’il est possible, que celle d’Hirschell ; mais je suis accoutumé à ces perfidies ; je vois que les libraires de tous les pays se ressemblent. Mon cher ami, il faut souffrir beaucoup de la part de la nature, et de la part des hommes. S’ils étaient tous comme vous, on serait trop heureux.
1 – Conseiller privé du roi de Prusse. (G.A.)
à M. Darget.
1751.
Voici, mon cher ami, la lettre que Herring a écrite à Francheville, et ma réponse (1). Je vous supplie de jeter un coup d’œil sur l’une et sur l’autre, et de me les renvoyer.
Je ferai parvenir ma réponse à Francheville par le courrier.
Si vous avez le temps de faire écrire au sieur Henning qu’on pourrait se plaindre au roi, et que le roi aime qu’on tienne ses marchés, vous pouvez écrire un petit mot, si vous avez le temps, et si cela ne vous gêne pas ; je vous serai très obligé.
1 – On n’a pas cette réponse. (G.A.)
à Madame Denis.
A Potsdam, le 20 Septembre 1751.
Voici une douzaine de feuilles du Siècle de Louis XIV ; il est juste que vous en ayez les prémices. Je voudrais bien que M. de Malesherbes eût le temps et la bonté de les lire. Il me semble que, dans cet abrégé, il y a des détails utiles, des traits de citoyen. La plupart des historiens s’appesantissent dans leur cabinet sur des détails de guerre qui ne conviennent qu’aux gens du métier, et qui, étant presque toujours très infidèles, ne sont bons pour personne. J’ai tâché de faire connaître Louis XIV et la nation. Je conçois bien que Paris est à présent ivre de joie de la naissance d’un duc de Bourgogne (1) : mais que voulez-vous que j’en dise ? Je ne verrai sûrement pas son règne, et je ne suis occupé que de celui de son trisaïeul. Son berceau sera couvert des odes de nos poètes. On lui prédira des victoires ; on lui dira qu’il fera les délices du genre humain.
Rejeton de cent rois, espoir fragile et tendre
D’un héros adoré de nous,
Que vous êtes heureux de ne pouvoir entendre
Les mauvais vers qu’on fait pour vous !
Depuis ma dernière lettre, je vais bride en main sur la louange. J’attends impatiemment votre réponse, et je prends patience sur le reste.
1 – Né le 13 Septembre 1751, mort le 22 Mars 1761. (G.A.)