CORRESPONDANCE - Année 1750 - Partie 5

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE-1750---Partie-5.JPG

 

Photo de JAMES

 

 

 

 

 

 

 

 

à Madame la marquise de Malause.

A Sceaux, ce dimanche.

 

          Aimable Colette, dites à son altesse sérénissime qu’elle souffre nos hommages et notre empressement de lui plaire (1). Il n’y aura pas, en tout, cinquante personnes au-delà de ce qui vient journellement à Sceaux. Madame la duchesse du Maine est bien bonne de croire qu’il ne lui convienne plus de donner le ton à Paris ; elle se connaît bien peu. Elle ne sait pas qu’un mérite aussi singulier que le sien n’a point d’âge ; elle ne sait pas combien elle est supérieure même à son rang. Je veux bien qu’elle ne donne pas le bal ; mais, pour des comédies nouvelles, jouées par des personnes que la seule envie de lui plaire a faites comédiens, il n’y a qu’un janséniste convulsionnaire qui puisse y trouver à redire. Tout Paris l’admire et la regarde comme le soutien du bon goût. Pour moi, qui en fais ma divinité, et qui regarde Sceaux comme le temple des arts, je serais au désespoir que la moindre tracasserie pût corrompre l’encens que nous lui offrons et que nous lui devons. Mille tendres respects.

 

 

1 – En représentant à Sceaux Rome sauvée. (G.A.)

 

 

 

 

A Madame la duchesse du Maine.

.

 

Je suis aux ordres de votre altesse sérénissime, sans réserve ; je les attends dimanche à cinq heures. Je ne suis pas ingrat comme votre petit chien, et je suis à jamais de votre belle âme l’adorateur le plus soumis, le plus respectueux et le plus fidèle, sans condition aucune. Je serai donc à vos ordres dimanche ; mais je vous supplie de m’envoyer mercredi à Versailles, où j’ai une affaire indispensable. Cette affaire n’est que la seconde qui m’intéresse ; la première est de vous plaire, de vous apporter mes vers, ma toux, mon cœur, mon admiration pour votre esprit, et ma respectueuse reconnaissance pour vos bontés.

 

 

 

 

 

à Madame la duchesse du Maine.

 

 

Ma protectrice, en arrivant de Versailles, et non de la cour, j’ai appris que votre altesse sérénissime voulait me donner de nouveaux ordres et de nouveaux conseils lundi. Elle est la maîtresse de tous les jours de ma vie, et j’ai assurément pour elle autant de respect que La Motte. J’attendrai demain les Pégases qui doivent me mener au seul Parnasse que je connaisse, et aux pieds de ma protectrice.

 

Si votre altesse sérénissime le permet, je coucherai à Sceaux.

 

 

 

 

 

à M. le chevalier Gaya

Dimanche.

 

A six heures du matin, à six heures du soir, à toutes les heures de ma vie, monsieur, je suis aux ordres du sublime génie qui connaît Sophocle, qui protège Voltaire, qui prescrit contre la barbarie, et qui soutient l’honneur de la France.

 

Présentez, je vous en conjure, mes profonds respects à son altesse sérénissime.

 

J’attendrai demain ses Pégases à l’heure que vous voulez bien me marquer.

 

Portez-vous bien ; hoc prœtat.

 

 

 

 

 

à Madame la duchesse du Maine.

 

 

          Ma protectrice, Cicéron, César, Catilina, seront jeudi, comme de raison, aux pieds de votre altesse ; le languissant auteur de tout cela reprendra des forces pour vous plaire. Il voudrait bien être digne de madame la duchesse du Maine, mais il a grand’peur de n’être digne que du siècle (1)

 

 

1 – Tous les billets précédents ont été écrits à propos de Rome sauvée, qu’on joua à Sceaux le 22 Juin ; nous ne répondons pas toutefois que leur classement soit parfaitement exact. (G.A.)

 

 

 

 

à Madame la duchesse du Maine.

Ce samedi.

 

 

          Ma protectrice, gardez mes sentiments dans votre cœur, et non mes lettres dans votre cassette ; elles vont comme elles peuvent ; mais, pour les sentiments, ils ont la hardiesse d’être dignes de toutes les bontés de votre altesse sérénissime. Je défie les La Motte, les Fontenelle, et tutti quanti ; ils n’ont point eu tant de zèle et tant d’envie de vous plaire. Permettez que je joigne à ce paquet le long et superbe rôle de M. le comte de Loss (1). Il ornera au moins le spectacle de sa belle figure, et cela vaut bien cent vers au moins, fussent-ils de Corneille.

 

          Voici aussi un petit mémoire pour M. Martel, car je ne manque à rien, et il faut que vos sénateurs soient vêtus. Si nos seigneurs les comédiens du roi prêtent des manteaux, à la bonne heure ; sinon, on conspirera très bien sans manteaux, et nous avons une douzaine de sénateurs romains qui sont, comme moi, à votre service ; mais il n’y en a aucun qui soit pénétré pour votre altesse sérénissime d’un respect plus profond, et qui admire plus votre éloquence.

 

          Il faut que votre protégé dise à votre altesse que j’ai suivi en tout les conseils dont elle m’a honoré. Elle ne saurait croire combien Cicéron et César y ont gagné. Ces messieurs-là auraient pris vos avis, s’ils avaient vécu de votre temps. Je viens de lire Rome sauvée. Ce que votre altesse sérénissime a embelli a fait un effet prodigieux. L’abbé Le Blanc, qui a un peu travaillé au Catilina  de Crébillon, ne veut pas que Cicéron se fie à César, et le pique d’honneur. Je ne le ferais pas, si j’étais l’abbé Le Blanc ; mais j’en userais ainsi, si j’étais Cicéron.

 

          La scène de Cicéron avec Catilina était digne de votre altesse, quand elle était placée au premier acte, avant que Catilina ait pris ses dernières résolutions ; mais quand ses résolutions sont prises, quand l’action est commencée, cette scène, renvoyée au second acte, ne fait plus le même effet. Cicéron doit soupçonner avant que le spectateur ait vu Catilina agir. Il est très aisé de remettre les choses en leur lieu, mais ce ne peut être pour lundi. Ainsi votre altesse aura la bonté, quand elle entendra, au second acte, ce bavard de Cicéron, de supposer que c’est au premier acte qu’il pérore. Ayez cette indulgence, et nous tâcherons de mieux jouer à la représentation qu’à la répétition.

 

          Je débarrasse encore ma protectrice du logement des histrions. Je prie seulement l’intrépide et l’exact Gauchet, de m’envoyer, lundi, à une heure précise, une gondole et un carrosse à quatre, qui amèneront et ramèneront conjurés et consuls.

 

          Ah : ma protectrice ! je suis bien fâché, mais un jour, un jour viendra que Rome sauvée ne sera pas indigne de Ludovise (2). Cicéron, le BAVARD.

 

 

1 – Ambassadeur extraordinaire d’Auguste, roi de Pologne. (G.A.)

 

2 – Surnom de la duchesse. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la duchesse du Maine.

Ce dimanche.

 

Ma protectrice, votre protégé Cicéron a changé la scène de Cicéron et de Catilina, au second acte (car il faut rendre compte de tout à sa souveraine). Nous avons répété aujourd’hui (1) la pièce avec ces changements, et devant qui, madame ? devant des cordeliers, des jésuites, des pères de l’Oratoire, des académiciens, des magistrats, qui savent leurs Catilinaires par cœur ! Vous ne sauriez croire quel succès votre tragédie a eu dans cette grave assemblée. Ah ! madame ! qu’il y a loin de Rome au cavagnole ! Cependant il faut plaire même à celles qui sont occupées d’un vieux plein. Ame de Cornélie ! nous amènerons le sénat romain aux pieds de votre altesse lundi ; après quoi, il y aura grand cavagnole, car vous réunissez tout ; et je sais l’histoire d’un problème de géométrie et des bouteilles de savon.

 

Il faut que vous sachiez, madame, que j’ai fait vos quatre vers, et que j’ai tâché de les faire du ton dont j’ai fait votre tragédie. C’est une critique digne du grand Condé, de vouloir que Cicéron, qu’un consul romain, que le chef de l’Etat ait des raisons indispensables pour envoyer un autre combattre à sa place. Où serait la vraie grandeur, madame, si elle n’était pas dans votre âme ? La reconnaissance, l’admiration, le plus tendre attachement, sont dans la mienne.

 

Le sénat et le peuple romain vous présentent leurs hommages.

 

 

 

1 – Le 21 Juin, sur le théâtre de l’hôtel de la rue Traversière. C’est donc à tort qu’on avait classé cette lettre, ainsi que la précédente, dans le mois de novembre 1749. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la duchesse du Maine.

 

 

Ame du grand Condé ! il n’y a pas moyen de reculer, il faut absolument que je parte demain (1), à cinq heures du matin. Je me trouve une espèce d’héroïsme dans le cœur, puisque j’ai le courage de partir après la lettre de ma protectrice. Ce voyage est devenu un devoir indispensable, et ce n’est que parce qu’il est devoir, que j’ose résister à vos bontés, à vos raisons et à mon cœur.

 

Quoique je n’aie guère de moments dont je puisse disposer, il faut commander au temps, quand ma protectrice parle, il y a trop de plaisir à lui obéir. Eh bien ! madame, j’aurai fait toutes mes affaires à six heures ; j’attendrai vos ordres et votre voiture ; je viendrai me jeter à vos pieds ; je viendrai chercher de nouveaux sujets de regret ; mais aussi ce sera pour moi une consolation bien flatteuse de partir rempli de l’idée de vos bontés et du bonheur d’avoir vu encore Louise de Bourbon. Je lui dirai que je lui suis plus attaché qu’à tous les rois du Nord ; mais je lui soutiendrai que son rival le roi de Prusse, qui ne la vaut pas, est pourtant un homme admirable.

 

Pourvu que je sois de retour à Paris à onze du soir, je suis aux ordres de ma protectrice.

 

 

1 – 25 Juin. Il s’en allait en Prusse. (G.A.)

 

 

 

 

CORRESPONDANCE 1750 - Partie 5

Commenter cet article