CORRESPONDANCE - Année 1750 - Partie 3

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 Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

à M. Destouches

A Paris (1).

 

 

Auteur solide, ingénieux,

Qui du théâtre êtes le maître,

Vous qui fîtes le Glorieux,

Il ne tiendra qu’à vous de l’être ;

Je le serai, j’en suis tenté,

Si mardi ma table s’honore

D’un convive si souhaité ;

Mais je sentirai plus encore

De plaisir que de vanité.

 

 

Venez donc, mon illustre ami, mardi à trois heures ; vous trouverez quelques académiciens, nos confrères ; mais vous n’en trouverez point qui soit plus votre partisan et votre ami que moi. Madame Denis dispute avec moi, je l’avoue, à qui vous estime davantage ; venez  juger cette querelle. Savez-vous bien que vous devriez apporter votre pièce nouvelle ? Vous nous donneriez les prémices des plaisirs que le public attend. L’abbé du Resnel ne va point aux spectacles, et il est très bon juge ; ma nièce mérite cette faveur par le goût extrême qu’elle a pour tout ce qui vient de vous ; et moi, qui vous ai sacrifié Oreste de si bon cœur, moi qui, depuis si longtemps, suis votre enthousiaste déclaré, ne mérité-je rien ? A mardi, à trois heures, mon cher Térence.

 

 

1 – Cette lettre, toujours classée au mois de janvier, ne peut être que postérieure au 7 février, date de la suspension d’Oreste. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

Février 1750. (1)

 

Je m’éveille assez agréablement pour un malade qui a été obligé de se coucher ; je reçois des ordres de mes anges.

 

Mes anges me prendront pour un grand insolent, quand je dirai, comme Samuel Bernard, Qu’on aille trouver mon notaire ! Il faut bien pourtant en passer par cette impertinence. Je leur demande très sérieusement pardon de ne pas y courir moi-même ; mais madame la duchesse du Maine m’attend, et mes anges peuvent aisément envoyer chez Laleu, ce soir ou demain matin : ils peuvent être sûrs qu’ils seront obéis sur-le-champ.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis des Issarts

 

AMBASSADEUR DE FRANCE A DRESDE.

A Paris, le 19 Février 1750.

 

 

Je vous renvoie, monsieur, ce que je voudrais rapporter moi-même sur-le-champ aux pieds de celle (1) qui fait tant d’honneur à la France et à l’Italie. Je vous avoue que je suis bien étonné ; il n’y a pas une faute de français dans tout l’ouvrage (2) ; il n’y en a pas deux contre les règles sévères de notre versification, et le style est beaucoup plus clair que celui de bien de nos auteurs. Rien ne marque mieux un esprit juste et droit que de s’exprimer clairement. Les expressions ne sont confuses que quand les idées le sont.

 

Cet ouvrage est le fruit d’une connaissance profonde et fine de la langue française et de l’italienne, et d’un génie facile et heureux. Un tel mérite est bien rare dans les conditions ordinaires ; il est unique dans l’état où la personne respectable dont je tais le nom est née. Je lui dresse en secret des autels, et je voudrais pouvoir lui porter mon encens dans la partie du ciel qu’elle habite.

 

Quels talents divers elle allie !

Comme elle charme tour à tour

Tantôt les dieux de ce séjour,

Et tantôt ceux de l’Italie !

 

Rome, la première cité,

Et Paris, au moins la seconde,

Ont dit dans leur rivalité :

Son esprit, comme sa beauté,

Est de tous les pays du monde.

 

On dit qu’autrefois de Sava

Certaine reine un peu savante

Devers Salomon voyagea,

Et s’en retourna fort contente ;

 

Mais, s’il était un Salomon,

Je sais ce que ferait le Sage ;

Il ferait à Dresde un voyage,

Et viendrait y prendre leçon.

 

Mais, retenu par les merveilles

Qui soumettent à leurs appas

Le cœur, les yeux et les oreilles,

Le Sage ne reviendrait pas.

 

 

 

1 – Marie-Amélie de Saxe, alors reine des Deux-Siciles.

 

2 – Tragédie en vers français, que la princesse de Saxe, sœur de madame la dauphine, avait envoyée à M. de Voltaire, pour l’examiner et lui en dire son sentiment. (K.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

Versailles, 10 Mars 1750. (1)

 

          On m’a renvoyé ici vos ordres ; je suis à Versailles enfin (2) ; je n’y avais pas mis le pied depuis la perte de votre amie (3) ; j’étais resté dans sa maison, je n’en sortais pas, elle me servait de tombeau. Je m’étais présenté quelquefois à votre porte ; mais ne dînant point et sortant tard, je n’ai point eu la consolation de vous entretenir.

 

          J’apprends dans le moment que Pouilli, mon ancien ami, le frère de Champeau votre protégé, vient de mourir : on n’est entouré que de désastres. On voit tomber à droite et à gauche, comme dans une mêlée, et on reçoit enfin le coup, après avoir fatigué inutilement sa vie.

 

          Venons à M. de Contades, qui mourra aussi bientôt à son tour, ainsi que moi. Il suffit que M. le marquis d’Argenson me donne un ordre sur son compte, pour que je fasse mes affaires des siennes. Croyez que j’aurai toujours pour vous le tendre et respectueux attachement qu’on fait semblant d’avoir pour les gens en place. J’aurai l’honneur de vous soumettre à Paris toutes les idées que j’ai pour servir M. de Contades, s’il veut être servi. Vous me demandez peut-être ce que je fais à Versailles : je vois le roi passer un moment, et le reste du temps je travaille dans ma chambre.

 

Tuus ero semper, tuus non aulicus.    V.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Où on venait de jouer Alzire sur le théâtre des Petits Cabinets. (G.A.)

 

3 – Voltaire n’était donc pas à Versailles en janvier, comme l’affiche une lettre à d’Argental. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

A Paris, le 13 Mars 1750.

 

 

          J’arrive ; je suis assurément toute ma vie aux ordres de M. le marquis d’Argenson. Il y a bien longtemps que j’ai besoin de la consolation de passer quelques heures auprès de lui ; mais j’arrive malingre ; je suis à pied ; s’il a beaucoup d’équipages, veut-il m’envoyer chercher après son dîner ? ou aura-t-il le courage de venir dans la maison (1) que j’ai le courage d’habiter, et où je nourris autant de douleur et de regrets que de sentiments inviolables de respect et d’attachement pour le meilleur citoyen qui ait jamais tâté du ministère ?

 

 

1 – Rue traversière. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Berryer

A Paris, 15 Mars 1750. (1)

 

Monsieur, je me suis présenté à votre porte pour vous supplier de ne point laisser avilir les gens de lettres en France, et surtout ceux que vous honorez de vos bontés, au point qu’il soit permis aux sieurs Fréron et à l’abbé de La Porte d’imprimer tous les quinze jours les personnalités les plus odieuses. L’abbé Raynal, attaqué comme moi, est venu avec moi, monsieur, pour vous supplier de supprimer ces scandales dont tous les honnêtes gens sont indignés. Ayez la bonté, monsieur, d’en conférer avec M. d’Argenson, si vous le jugez nécessaire. Daignez prévenir les querelles violentes qui naîtront infailliblement d’une pareille licence ; elle est portée au plus haut point, et pour peu que vous le vouliez, elle cessera. Il est dur pour un homme de mon âge, pour un officier du roi, d’être compromis avec de pareils personnages. Je vous conjure de m’en épargner les désagréments. Je vous aurai deux obligations, celle de mon repos et celle de rester en France.

 

J’ai l’honneur d’être, avec une respectueuse reconnaissance, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Mairan

22 Mars 1750. (1)

 

Je suis venu pour avoir l’honneur de voir M. de Mairan, et je suis revenu pour le supplier de vouloir bien parler à M. le chancelier (2) au sujet des feuilles que Fréron et La Porte font imprimer, au mépris du privilège du journal, et au mépris des lois qui défendent qu’on imprime sans permission.

 

S’ils se bornaient à juger des ouvrages, il faudrait leur interdire une liberté qui ne leur appartient pas ? mais ils vont jusqu’à insulter personnellement plusieurs citoyens ; ils causent dans Paris un scandale continuel ; ils excitent des querelles. Il est sans doute de l’équité de M. le chancelier de réprimer une telle licence, et de sa prudence d’en prévenir les suites. Je suis persuadé qu’il écoutera les sages remontrances d’un homme tel que M. de Mairan. Je lui en aurai en mon particulier une extrême obligation.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

1 – D’Aguesseau. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Darget

A Paris, 22 Mars 1750.

 

Je profite avec un extrême plaisir, monsieur, de cette occasion de me rappeler un peu à votre souvenir, et de vous renouveler mes sentiments.

 

Voici une espèce d’essai de la manière dont le roi votre maître pourrait être servi en fait de nouvelles littéraires. L’abbé Raynal, qui commence cette correspondance, a l’honneur de vous écrire et de vous demander vos instructions. C’est un homme d’un âge mûr, très sage, très instruit, d’une probité reconnue, et qui est bien venu partout. Personne, dans Paris, n’est plus au fait que lui de la littérature, depuis les in-folio des bénédictins jusqu’aux brochures du comte de Caylus. Il est capable de rendre un compte très exact de tout, et vous trouverez souvent ses extraits beaucoup meilleurs que les livres dont il parlera. Ce n’est pas, d’ailleurs, un homme à vous faire croire que les livres sont plus chers qu’ils ne le sont en effet ; il les met à leur juste prix pour l’argent comme pour le mérite. Je peux vous assurer, monsieur, qu’il est de toutes façons digne d’une telle correspondance. Soyez persuadé qu’il était de l’honneur de ceux qui approchent votre respectable maître, de ne pas être en liaison avec un homme aussi publiquement déshonoré que Fréron. Ses friponneries sont connues, ainsi que le châtiment qu’il en a reçu ; et il n’y a pas encore longtemps que la police l’a obligé de reprendre une balle de livres qu’il avait envoyée en Allemagne, et qu’il avait vendue trois fois au-dessus de sa valeur. Vous sentez quel scandale c’eût été de voir un tel homme honoré d’un emploi qui ne convient qu’à un homme qui ait de la sagesse et de la probité. J’ai osé mander à sa majesté ce que j’en pensais. J’ai ajouté même que Fréron était mon ennemi déclaré ; et je n’ai pas crainte que sa majesté pensât que mes mécontentements particuliers m’aveuglassent sur cet écrivain. Fréron n’a été mon ennemi que parce que je lui ai refusé tout accès dans ma maison, et je ne lui ai fait fermer ma porte que par les raisons qui doivent l’exclure de votre correspondance.

 

Quant à l’abbé Raynal, je vous supplie, monsieur, de vouloir bien l’excuser si, pour cette première fois, il a manqué à quelque chose, ou s’il a rempli ses feuilles d’anecdotes littéraires déjà connues. Vous voyez par la rapidité de son style, et par sa facilité, qu’il sera en état de se plier à toutes les formes qui lui seront prescrites. Je vous donne ma parole d’honneur que je ne peux faire à sa majesté un meilleur présent. Non seulement, monsieur, je vous prie de le protéger, mais je vous demande en grâce de ne mander à personne que c’est moi qui vous le présente. C’est une chose que j’ose attendre de votre ancienne amitié pour moi. Vous sentez combien de gens de lettres désirent un tel emploi. Le nom de Frédéric est devenu un terrible nom ; et quand il n’y aurait que de l’honneur à lui faire tenir des nouvelles et des livres, on se disputerait cet emploi comme on se dispute ici un bénéfice ou une place de sous-fermier. Ne me commettez donc, je vous en conjure, avec personne, et laissez-moi vous servir paisiblement. Envoyez-moi un petit mot pour l’abbé Raynal, par lequel vous l’instruirez de la manière dont il faut s’y prendre ; il attend vos ordre et vos bontés (1). Quant à moi, monsieur, je compte être bientôt plus heureux que vos correspondants, j’espère vous voir. Il faut, avant que je meure, que je me mette encore aux pieds de ce grand homme, si simple, de ce philosophe roi, si aimable. Je sais bien qu’il est ridicule que je voyage dans l’état où je suis, mais les passions font tout faire. Autant vaut, après tout, être malade à Berlin qu’à Paris. Et s’il fallait partir de ce monde, il me semble qu’on prend congé dans ce pays-là avec des cérémonies moins lugubres que dans le nôtre. En un mot, si j’ai seulement la force de me mettre dans un carrosse, vous verrez arriver le Scarron tragique de son siècle, et je prendrai sur la route le titre de malade du roi de Prusse.

 

Adieu, monsieur, si quelqu’un se souvient de moi, recommandez-moi à lui ; surtout, conservez-moi votre amitié.

 

 

1 – Frédéric ne voulut pas de Raynal pour correspondant ; il fit choix de l’auteur dramatique Pierre Morand. (G.A.)

 

 

 

 CORRESPONDANCE 1750 - Partie 3

 

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