CORRESPONDANCE - Année 1750 - Partie 11

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - 1750 - Partie 11

 

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

à M. G.-C. Walther.

19 Septembre 1750.

 

 

          Je vous adresse, mon cher Walther, un exemplaire de votre édition que j’ai enfin trouvé le temps de corriger. J’y joins des pièces nouvelles qui ont été imprimées à Paris depuis la publication de votre dernier volume.

 

          Vous trouverez marquées, avec des papiers blancs, toutes les fautes d’impression. J’ai fait refaire de nouvelles feuilles à quelques endroits qui étaient imprimés sur des copies trop défectueuses ; j’ai ajouté deux feuilles au commencement du troisième tome ; j’ai inséré deux feuilles entières au tome second ; il y a un nouveau feuillet pour le tome troisième, page 224, un autre nouveau feuillet, page 137, beaucoup de pages presque entières corrigées à la main, beaucoup de passages rétablis.

 

          Je vous envoie trois exemplaires de ces feuilles nouvelles que j’ai fait imprimer ici, et que j’ai insérées dans votre exemplaire. Je vous prie de vouloir bien faire relier trois exemplaires complets avec ces additions, et conformément à celui dont vous resterez en possession, et qui vous servira de modèle. Vous me tiendrez ces trois exemplaires prêts, et vous me les enverrez à la fin d’Octobre à Berlin, par les chariots de poste.

 

          A l’égard de l’exemplaire corrigé qui doit vous rester, et qui sera votre modèle, voici ce que vous pourriez faire. Je vous conseillerais de réformer toute votre édition sur ce plan autant que vous le pourrez, d’y ajouter un nouveau titre qui annoncerait une édition nouvelle plus complète et très corrigée. J’y ferais une nouvelle épître dédicatoire à madame la princesse royale, et une nouvelle préface. Je serais alors autorisé, par les soins que vous auriez pris, à vous soutenir contre les libraires de Hollande, et à faire valoir votre ouvrage ; je le ferais annoncer dans les gazettes comme le seul qui contient mes œuvres véritables. Je vous exhorte à prendre ce parti. Je crois que c’est le seul moyen de faire tomber les éditions de Hollande, et de décrier ces corsaires. Je ne peux vous dissimuler que votre édition est décriée en France ; mais quand vous l’aurez un peu corrigée par le moyen que je vous indique, et avec les secours d’un correcteur habile, je ferai entrer dans Paris tant d’exemplaires que vous voudrez, et je vous procurerai un débit très avantageux.

 

          Je comptais vous parler de tout cela à Dresde au mois d’octobre prochain, et j’avais surtout la plus forte envie de faire ma cour à madame la princesse royale. J’étais venu en Allemagne dans l’espérance d’admirer de plus près cette princesse qui fait tant d’honneur à l’esprit humain, et qui étonne également la France et l’Italie ; mais je suis obligé de retourner en France, et ce ne sera que l’année prochaine que je pourrai contenter le désir extrême que j’ai toujours eu de me mettre aux pieds de cette respectable princesse. Si vous pouvez par quelque voie lui faire parvenir mes sentiments, je vous serai beaucoup plus obligé encore que de la réforme que je demande à votre édition. Je suis tout à vous. VOLTAIRE, chambellan du roi de Prusse.

 

 

 

 

 

à Madame de Fontaine.

A Berlin, le 23 Septembre 1750.

 

 

Quand vous vous y mettez, ma chère nièce, vous écrivez des lettres charmantes, et vous êtes, en vérité, une des plus aimables femmes qui soient au monde. Vous augmentez mes regrets, vous me faites sentir toute l’étendue de mes pertes. J’aurais joui avec vous d’une société délicieuse ; mais enfin j’espère que malheur sera bon à quelque chose. Je pourrai être plus utile à votre frère (1) ici qu’à Paris. Peut-être qu’un roi hérétique protégera un prédicateur catholique. Tous chemins mènent à Rome ; et, puisque Mahomet m’a si bien mis avec le pape, je ne désespère pas qu’un huguenot ne fasse du bien au prédicateur des carmélites.

 

Quand je vous dis, mon aimable nièce, que tous chemins mènent à Rome, ce n’est pas qu’ils m’y mènent. J’avais la rage de voir cette Rome et ce bon pape (2) que nous avons ; mais vous et votre sœur vous me rappelez en France ; je vous sacrifie le saint-père. Je voudrais de même pouvoir vous faire le sacrifice du roi de Prusse ; mais il n’y a pas moyen. Il est aussi aimable que vous ; il est roi, mais c’est une passion de seize ans ; il m’a tourné la tête. J’ai eu l’insolence de penser que la nature m’avait fait pour lui. J’ai trouvé une conformité si singulière entre tous ses goûts et les miens, que j’ai oublié qu’il était souverain de la moitié de l’Allemagne, que l’autre tremblait à son nom ; qu’il avait gagné cinq batailles ; qu’il était le plus grand général de l’Europe, qu’il était entouré de grands diables de héros hauts de six pieds. Tout cela m’aurait fait fuir mille lieues ; mais le philosophe m’a apprivoisé avec le monarque, et je n’ai vu en lui qu’un grand homme bon et sociable. Tout le monde me reproche qu’il a fait pour d’Arnaud des vers qui ne sont pas ce qu’il a fait de mieux ; mais songez qu’à quatre cents lieues de Paris il est bien difficile de savoir si un homme qu’on lui recommande a du mérite ou non ; de plus, c’est toujours des vers ; et, bien ou mal appliqués, ils prouvent que le vainqueur de l’Autriche aime les belles-lettres, que j’aime de tout mon cœur. D’ailleurs d’Arnaud est un bon diable qui, par ci- par-là, ne laisse pas de rencontrer de bonnes tirades. Il a du goût, il se forme ; et, s’il arrive qu’il se déforme, il n’y a pas grand mal. En un mot, la petite méprise du roi de Prusse n’empêche pas qu’il ne soit le plus aimable et le plus singulier de tous les hommes.

 

Le climat n’est point si dur qu’on se l’imagine. Vous autres Parisiennes vous pensez que je suis en Laponie ; sachez que nous avons eu un été aussi chaud que le vôtre, que nous avons mangé de bonnes pêches et de bons muscats, et que, pour trois ou quatre degrés de soleil de plus ou de moins, il ne faut pas traiter les gens du haut en bas.

 

Vous voyez jouer chez moi, à Paris, des Mahomet, mais moi je joue à Berlin des Rome sauvée, et je suis le plus enroué Cicéron que vous ayez vu. D’ailleurs, mon aimable enfant, digérons ; voilà le grand point. Ma santé est à peu près comme elle était à Paris, et, quand j’ai la colique, j’envoie promener tous les rois de l’univers. J’ai renoncé à ces divins soupers, et je m’en trouve un peu mieux. J’ai une grande obligation au roi de Prusse ; il m’a donné l’exemple de la sobriété. Quoi ! ai-je dit, voilà un roi né gourmand qui se met à table sans manger, et qui y est de bonne compagnie, et moi je me donnerais des indigestions comme un sot !

 

Que je vous plains, vous qui êtes au lait, qui quittez votre ânesse pour Forges, qui mangez comme un moineau, et qui, avec cela, n’avez point de santé ! Dédommagez-vous donc ailleurs. On dit qu’il y a d’autres plaisirs.

 

Adieu ; mes compliments à tout le monde. J’espère, au mois de novembre, vous embrasser très tendrement. J’écris à votre sœur ; mais je veux que vous lui disiez que je l’aimerai toute ma vie, et même plus que mon nouveau maître.

 

 

1 – L’abbé Mignot. (G.A.)

 

2 – Benoît XIV. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

A Berlin, ce 23 Septembre 1750.

 

 

          Mon cher et respectable ami, vous m’écrivez des lettres qui percent l’âme et qui l’éclairent. Vous dites tout ce qu’un sage peut dire sur des rois ; mais je maintiens mon roi une espèce de sage. Il n’est pas un d’Argental, mais, après vous, il est ce que j’ai vu de plus aimable. Pourquoi donc, me dira-t-on, quittez-vous M. d’Argental pour lui ? Ah ! mon cher ami, ce n’est pas vous que je quitte, ce sont les petites cabales et les grandes haines, les calomnies, les injustices tout ce qui persécute un homme de lettres dans sa patrie. Je la regrette, sans doute, cette patrie, et je la reverrai bientôt. Vous me la ferez toujours aimer, et d’ailleurs je me regarderai toujours comme le sujet et comme le serviteur du roi. Si j’étais bon Français à Paris, à plus forte raison le suis-je dans les pays étrangers. Comptez que j’ai bien prévenu vos conseils, et que jamais je n’ai mieux prévenu vos conseils, et que jamais je n’ai mieux mérité votre amitié ; mais je suis un peu comme Chie-en-pot-la-Perruque. Vous ne savez peut-être pas son histoire ; c’était un homme qui quitta Paris parce que les petits garçons couraient après lui ; il alla à Lyon par la diligence, et, en descendant, il fut salué par une huée de polissons. Voilà à peu près mon cas. D’Arnaud fait ici des chansons pour les filles, et on imprime dans les feuilles : Chanson de l’illustre Voltaire pour l’auguste princesse Amélie. Un chambellan (1) de la princesse de Bareuth, bon catholique, ayant la fièvre et le transport au cerveau, croit demander un lavement, on lui apporte le viatique et l’extrême-onction ; il prend le prêtre pour un apothicaire, tourne le cul ; et de rire. Une façon de secrétaire que j’ai amené avec moi, espèce de rimailleur, fait des vers sur cette aventure, et on imprime : Vers de l’illustre Voltaire sur le cul d’un chambellan de Bareuth, et sur son extrême-onction. Ainsi je porte glorieusement les péchés de d’Arnaud et de Tinois, portés par la beauté du sujet, ne parviennent à Paris et ne causent du scandale. J’ai grondé vivement le poète ; et je vous prie, si cette sottise parvient dans le pays natal de ces fadaises, de détruire la calomnie ; car, quoique les vers aient l’air à peu près d’être faits par un laquais, il y a d’honnêtes gens qui pourraient bien me les imputer, et cela n’est pas juste. Il faut que chacun jouisse de son bien. Franchement, il y aurait de la cruauté à m’imputer des vers scandaleux, à moi qui suis, à mon corps défendant, un exemple de sagesse dans ce pays-ci. Protestez donc, je vous en prie, dans le grand-livre de madame Doublet (2) contre les impertinents qui m’attribueraient ces impertinences. Je vous écris un peu moins sérieusement qu’à mon ordinaire ; c’est que je suis plus gai. Je vous reverrai bientôt, et je compte passer ma vie entre Frédéric, le modèle des rois, et vous, le modèle des hommes. On est à Paris en trois semaines, et on travaille chemin faisant ; on ne perd point son temps. Qu’est-ce que trois semaines dans une année ? Rien n’est plus sain que d’aller. Vous m’allez dire que c’est une chimère ; non, croyez tout d’un homme qui vous a sacrifié le pape.

 

          Nous jouâmes avant-hier Rome sauvée ; le roi était encore en Silésie ; nous avions une compagnie choisie ; nous jouâmes pour nous réjouir. Il y a ici un ambassadeur anglais qui sait par cœur les Catilinaires. Ce n’est pas milord Tyrconnell, c’est l’envoyé (3) d’Angleterre. Il m’a fait de très beaux vers anglais sur Rome sauvée ; il dit que c’est mon meilleur ouvrage. C’est une vraie pièce pour des ministres ; madame la chancelière (4) en est fort contente. Nos d’Aguesseau aiment ici la comédie en réformant les lois. Adieu ; je suis un bavard ; je vous aime de tout mon cœur.

 

 

1 – Montperni. (G.A.)

 

2 – C’était chez cette dame que se rédigeaient les nouvelles à la main. (G.A.)

 

3 – Charles Hanbury Williams. (G.A.)

 

4 – Madame de Coccéji. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. G.C. Walther.

A Berlin, ce 28 Septembre 1750.

 

 

On m’a dit, monsieur, que l’on avait publié sous mon nom, dans les gazettes, des vers qu’un jeune Français, a faits ici pour des dames de Berlin. Il y a longtemps que je suis accoutumé à de pareilles méprises ; mais on a publié ces vers comme adressés à son altesse royale madame la princesse Amélie, et cette méprise est trop forte.

 

Permettez-moi de me servir de cette occasion pour faire sentir au public combien on lui en impose en mettant souvent sur mon compte des ouvrages que je n’ai jamais lus. Il n’y a pas jusqu’aux compilateurs hollandais de mes prétendues œuvres qui ne les aient défigurées par les plus absurdes imputations. C’est un inconvénient attaché à la littérature ; et tout ce que je peux faire, c’est de me servir des papiers publics, et surtout des gazettes sages et autorisées, pour réclamer contre un abus dont tous les honnêtes gens se plaignent, et qui demande d’être réprimé par les magistrats.

 

Vous me ferez beaucoup de plaisir de rendre ma lettre publique. Je suis parfaitement, monsieur, etc.

 

 

 

 

 

à M. Formey.

A Potsdam, le 3 Octobre 1750.

 

 

          Monsieur, Dieu vous bénira, puisque, étant philosophe, vous faites des vers (1). Je voudrais bien, moi qui ai fait trop de vers, être aussi philosophe. Mais, depuis quelque temps, je mets toute ma philosophie à croire que deux et deux font quatre, et que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits. Je doute de tout ce qui n’est pas de cette évidence, et je le répète sans cesse : Vanitas vanitatum, et métaphysica vanitas. Si quelqu’un est capable de m’éclairer dans ces abîmes, c’est vous.

 

          Je vous remercie de votre livre (2) ; il me paraît que vous défendez votre cause avec une grande sagacité, mais ce n’est pas à moi de la juger.

 

          Je me borne à tâcher de mériter les marques d’amitié que vous me donnez, et  vous assurer de la sensibilité avec laquelle je suis, etc…

 

 

 

1 – Formey, admis à une représentation princière de Rome sauvée, avait adressé à Voltaire des vers de remerciement. (G.A.)

 

2 – C’était, autant que je puis me rappeler, mes Pensées raisonnables. (Note de Formey.)

 

 

 

 

à M. Lekain.

A Potsdam, ce 7 Octobre 1750.

 

          Que ne puis-je vous être bon à quelque chose, mon cher monsieur ! que ne puis-je être témoin de vos succès, et contribuer de ma faible voix à vous faire avoir les récompenses que vous méritez ! Je n’ai pas manqué d’écrire à Berlin (où je ne vais presque jamais) pour faire réussir la petite affaire que vous m’avez proposée. Si j’en viens à bout, je vous le manderai ; mais si vous ne recevez point de lettres de moi, ce sera une preuve que je n’aurai pas eu le bonheur de réussir. Ce ne sera pas assurément faute de zèle ; j’en aurai toujours un très vif pour tout ce qui vous regarde, et vous pouvez compter sur l’estime et l’amitié de V.

 

 

 CORRESPONDANCE - 1750 - Partie 11

 

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