CORRESPONDANCE - Année 1749 - Partie 11
Photo de PAPAPOUSS
à Madame la duchesse du Maine
Fontainebleau, le 2 Novembre 1749.
Ma protectrice, il n’y a pas d’apparence que les nouveaux chagrins qui m’arrivent me permettent d’être aux ordres de votre altesse sérénissime, mardi prochain. On m’a volé à Lunéville la tragédie de Sémiramis, la petite comédie de Nanine, plusieurs autres manuscrits, et, ce qui est cent fois plus cruel, l’Histoire de la dernière guerre, que j’avais écrite avec vérité, quoique par ordre du roi. Tout cela est imprimé en province, plein de fautes absurdes, d’omissions, d’additions, de tout ce qui peut déshonorer les lettres et un pauvre auteur. Je suis forcé d’être à Fontainebleau, pour tâcher d’arrêter le cours de ces misères. Je me flatte que votre altesse sérénissime, non seulement me pardonne, mais daignera entrer dans ma peine, avec sa bonté ordinaire. Son Catilina ne s’en trouvera pas plus mal. La petite-fille du grand Condé trouvait la place assez tenable ; mais elle y verra, à mon retour, de nouvelles fortifications, et, puisqu’elle a été bâtie par ses ordres, j’espère qu’elle résistera aux assauts des barbares. O madame, que les petits barbares sont en grand nombre ! que ce malheureux siècle a besoin de vous ! Mais c’est moi qui en ai le plus grand besoin ; il faut que je combatte sous vos étendards. Me voilà comme les anciens héros qui devaient purger la terre de monstres, avec le secours des déesses.
Ma protectrice, voici des Grecs (1) en attendant des Romains. J’ai bien peur d’avoir mal peint les uns et les autres ; mais je suis bien sûr d’avoir raison, si je dis que, dans la patrie d’Alcibiade et de César, il est bien difficile qu’il y ait eu des dames qui valussent madame la duchesse du Maine. Des héros, on en trouve partout ; des âmes comme la vôtre, cela est un peu plus rare. Jugez quel est mon sort, si cette belle âme est toujours la protectrice de V.
1 – Oreste. (G.A.)
à Madame la comtesse de Montrevel (1)
Le 15 Novembre 1749.
Madame, permettez que je remette sous vos yeux le résultat de l’entretien que j’eus l’honneur d’avoir avec vous, il y a deux jours. M. le marquis du Châtelet se souvient que, de plus de quarante mille francs à lui prêtés pour bâtir Cirey et pour d’autres dépenses, je me restreignis à trente mille livres, en considération de sa fortune et de l’amitié dont il m’a toujours honoré ; que, de cette somme, réduite à trente mille livres, il me passa une promesse de deux mille livres de rente viagère que lui dicta Bronod, notaire. Vous savez, madame, si j’ai jamais touché un sou de cette rente, si j’en ai rien demandé, et si même je n’ai pas donné quittance, plusieurs années de suite, étant assurément très éloigné d’en exiger le paiement.
Vous n’ignorez pas, madame, et M. du Châtelet se souvient toujours avec amitié, qu’après avoir eu le bonheur d’accommoder son procès (2) de Bruxelles, et de lui procurer deux cent mille livres d’argent comptant, je le priai de trouver bon que je transigeasse avec lui pour cette somme de trente mille livres, et pour les arrérages dont je n’avais pas donné quittance, et que je touchasse seulement, pour finir tout compte entre nous, une somme de quinze mille livres une fois payée. Il daigna accepter d’un ancien serviteur cet arrangement, qu’il n’eût pas accepté d’un homme moins attaché, et sa lettre est un témoignage de sa satisfaction et de sa reconnaissance. En conséquence, je reçus dix mille livres, savoir : deux mille livres qu’il me donna à Lunéville, et huit mille livres que me compta le sieur de Lacroix, à Paris.
Les cinq mille livres restant devaient être employées, par madame du Châtelet, à mon appartement d’Argenteuil (3), et à l’acquisition d’un terrain, et je remis une quittance générale à madame du Châtelet.
L’emploi de ces cinq mille livres n’ayant pu être fait, vous voulez que j’en agisse toujours avec M. du Châtelet comme j’en ai déjà usé. J’avais cédé trente mille livres pour quinze mille livres ; eh bien ! aujourd’hui, je céderai cinq mille livres pour cent louis, et ces cent louis encore je demande qu’ils me soient rendus en meubles ; et en quels meubles ! dans les mêmes effets qui viennent de moi, que j’ai achetés et payés, comme la commode de Boule, par moi achetée à l’inventaire de madame Dutort, mon portrait garni de diamants, et autres bagatelles. Je prendrai d’ailleurs d’autres effets que je paierai comptant. Vous n’avez pas été mécontente de cet arrangement, et je me flatte que M. le marquis du Châtelet m’en saura quelque gré, et qu’il me conserve des bontés qui me sont aussi précieuses que les vôtres. Je fais plus de cas de son amitié que de cinq mille livres. J’ai l’honneur, etc.
1 – Sœur de madame du Châtelet. (G.A.)
2 – Avec la famille Honsbruck. (G.A.)
3 – Près Paris. (G.A.)
à M. le chevalier de Falkener
Paris, 26 Novembre 1749 (1).
Dear sir, I had the nonour to see, but for too little a time, the worthy son of your great lord High Chancellor. He seems to me to be a gentleman of much wit, without any kind of affectation, learned, yet having a good taste, and of a very amiable character.
I send you, mu dear friend, the two first exemplaires of Sémiramis, just come from the press. I have not sent one yet to cardinal Querini, to whom the work is dedicated. But I pray you to give one copy to your friend M. Yorke, who seems to me to be as good a judge of these matters as the whole sacred college of cardinals. Yours for ever.
TRADUCTION
Cher monsieur, j’ai eu l’honneur de voir, pendant trop peu de temps, le digne fils de votre lord chancelier. Il me semble être un homme de beaucoup d’esprit, sans aucune espèce d’affectation, savant, et pourtant plein de goût et d’un très aimable caractère.
Je vous envoie, mon cher ami, les deux premiers exemplaires de Sémiramis qui sortent de la presse. Je n’en ai pas encore envoyé au cardinal Querini, à qui l’ouvrage est dédié. Mais je vous prie d’en donner un à votre ami M. Yorke, que je crois un aussi bon juge en ces matières que tout le sacré collége des cardinaux.
A vous pour toujours.
1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)
à M. de Mairan
Paris, 3 Décembre 1749.
Pour m’y être pris une heure trop tard, je suis puni, et je le mérite bien ; mais enfin, monsieur, vous ne me punirez pas tout à fait, et j’aurai le bonheur de vous posséder après votre dîner. J’ai appris une bonne nouvelle : c’est que vous soupez quelquefois ; cela est bon à savoir. Nous vous ferons notre cour, madame Denis et moi, pour vous faire souper (1), et je dirai :
Cœnæ sine aulæis et ostro
Sollicitam explicuere frontem.
J’ai lu votre Glace (2). Vous vous moquez du monde ; votre Glace est un prétexte. Cela est plein de recherches profondes de physique et tient à tout. Je m’instruis toujours dans vos ouvrages. Mais il faudra que je vous relise avec plus d’attention ; car à présent il s’agit de faire parler Marc-Tulle Cicéron (3) ; après quoi je reviendrai à vous.
On ne peut ni plus estimer ce que vous faites, ni plus respecter votre personne ; je défie tous vos amis d’être plus vos partisans que V.
1 – Rue Traversière. (G.A.)
2 – Dissertation sur la glace, récemment publiée. (A. François.)
3 – Dans Rome sauvée. (G.A.)
à Madame la duchesse du Maine
Le 26 Novembre 1749.
Promesse.
Je soussigné, en présence de mon génie et de ma protectrice, jure de lui dédier, avec sa permission, Electre et Catilina, et promets que la dédicace sera un long exposé de tout ce que j’ai appris dudit génie dans sa cour.
Fait au Palais des Arts et des Plaisirs. LE PROTÉGÉ.
au P. Vionnet
Paris, le 14 Décembre 1749.
J’ai l’honneur, mon révérend Père, de vous marquer ma très faible reconnaissance d’un fort beau présent (1). Vos manufactures de Lyon valent mieux que les nôtres ; mais j’offre ce que j’ai. Il me paraît que vous êtes un plus grand ennemi de Crébillon que moi. Vous avez fait plus de tort à son Xerxès que je n’en ai fait à sa Sémiramis. Vous et moi nous combattons contre lui. Il y a longtemps que je suis sous les étendards de votre société. Vous n’avez guère de plus mince soldat, mais aussi il n’y en a point de plus fidèle. Vous augmentez encore en moi cet attachement, par les sentiments particuliers que vous m’inspirez pour vous, et avec lesquels j’ai l’honneur d’être, etc.
1 – Une tragédie de Xerxès, jouée sur le théâtre du collège, à Lyon. (G.A.)