CORRESPONDANCE - Année 1748 - Partie 1

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANTE 1748 - Partie1

 

 Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

à M. de Cideville

Le 2 Janvier 1748.

 

 

 

Les rois ne me sont rien, mon bonheur ne se fonde

Que sur cette amitié dont vous sentez le prix ;

Mais, hélas ! Cideville, il est dans ce bas monde

Beaucoup plus de rois que d’amis.

 

 

         Mon malheur veut que je ne voie guère plus mes amis que les rois. Je suis presque toujours malade. Je n’ai envisagé qu’une fois le roi mon maître depuis son retour (1), et il y a plus de six mois que je ne vous ai vu.

 

         Il est bien vrai que nous avons joué à Sceaux des opéras, des comédies, des farces, et qu’ensuite, m’élevant par degrés au comble des honneurs, j’ai été admis au théâtre des petits cabinets (2), entre Moncrif et d’Arboulin. Mais, mon cher Cideville, tout l’éclat dont brille Moncrif ne m’a point séduit. Les talents ne rendent point heureux, surtout quand on est malade ; ils sont comme une jolie dame dont les galants s’amusent, et dont le mari est fort mécontent. Je ne vis point comme je voudrais vivre. Mais quel est l’homme qui fait son destin ? Nous sommes, dans cette vie, des marionnettes que Brioché mène et conduit sans qu’elles s’en doutent.

 

         On dit que vous revenez incessamment. Dieu veuille que je profite de votre séjour à Paris un peu plus que l’année passée ! En vérité, nous sommes faits pour vivre ensemble ; il est ridicule que nous ne fassions que nous rencontrer.

 

         Adieu, mon cher et ancien ami ; madame du Châtelet-Newton vous fait mille compliments.

 

 

1 – Louis XV était revenu de l’armée le 26 Septembre 1747. (G.A.)

 

2 – A Versailles. On joua l’Enfant prodigue le 30 Septembre. Madame de Pompadour faisait Lise. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Mairan

A Versailles, ce 12 Janvier 1748.

         Je vous remercie bien tendrement, monsieur, de votre livre d’Eloges (1) ; et je souhaite que de très longtemps on ne prononce le vôtre, que tout le monde fait de votre vivant. Je n’ai qu’un regret, c’est que le tourbillon de ce monde, plus plein d’erreurs, s’il est possible, que ceux de Descartes, m’empêchent de jouir de votre société, qui est aussi aimable que vos lumières sont supérieures. C’est avec ces sentiments que j’ai l’honneur d’être, monsieur, de tout mon cœur, votre, etc.

 

 

1 – Eloges des académiciens de l’Académie royale des sciences, morts dans les années 1741, 1742 et 1743. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Moncrif  (1)

 

         Mon très aimable Almanzor, j’ai été chez vous aujourd’hui pour vous demander en grâce de vouloir bien engager le libraire qui débite la nouvelle édition de la Henriade (2) à ne laisser échapper aucun exemplaire qui ne soit purgé de la note en question (3). Je fis saisir, il y a deux ans, une édition dans laquelle on avait mis cette note avec plusieurs autres qui me révoltèrent beaucoup. Je suis bien éloigné assurément de vouloir faire de la peine à ce libraire. Je n’en veux faire à personne ; mais j’avoue que je serais au désespoir qu’on défigurât mon ouvrage par des notes pareilles. Je suis persuadé que, si vous voulez bien lui écrire, il mettra un carton tel que je le lui ai fait fournir, et c’est principalement à vous que je veux en avoir l’obligation. Je vous en prie instamment, mon très aimable roi des sylphes.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Dans les Œuvres complètes imprimées à Rouen. (G.A.)

 

3 – La note des Damnés, au chant VII. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Marmontel

A Lunéville (1), à la cour, le 13 Février 1748

 

         J’avais bien raison, mon cher ami, de vous dire que j’espérais beaucoup de ce Denis (2), et de ne vous point faire de critique. Comptez que jamais les petits détails n’ajouteront au succès d’une tragédie ; c’est pour l’impression qu’il faut être sévère. L’exactitude, la correction du style, l’élégance continue, voilà ce qu’il faut pour le lecteur ; mais l’intérêt et les situations sont tout ce que demande le spectateur. Je vous fais mon compliment avec un plaisir extrême. Voilà votre succès assuré. C’est à présent qu’il faut corriger la pièce, c’est un grand plaisir d’embellir un bon ouvrage. Adieu ; je m’intéresserai toute ma vie, bien tendrement, à votre gloire et à tout ce qui vous regarde

 

 

1 – Voltaire, exilé de la cour pour avoir critiqué la vie de Versailles dans des stances à la dauphine, s’était rendu à la cour de Stanislas. (G.A.)

 

2 – Tragédie de Marmontel jouée le 5 Février. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Dom Calmet

De Lunéville, 13 Février 1748.

 

         Je préfère, monsieur, la retraite à la cour, et les grands hommes aux rois. J’aurais la plus grande envie d’aller passer quelques semaines avec vous et vos livres. Il ne me faudrait qu’une cellule chaude, et, pourvu que j’eusse du potage gras, un peu de mouton, et des œufs, j’aimerais mieux cette heureuse et saine frugalité qu’une chère royale. Enfin, monsieur, je ne veux pas avoir à me reprocher d’avoir été si près de vous et n’avoir point eu l’honneur de vous voir. Je veux m’instruire avec celui dont les livres m’ont formé, et aller puiser à la source. Je vous en demande la permission ; je serai un de vos moines ; ce sera Paul qui ira visiter Antoine. Mandez-moi si vous voudrez bien me recevoir en solitaire ; en ce cas, je profiterai de la première occasion que je trouverai ici pour aller dans le séjour de la science et de la sagesse (1). J’ai l’honneur, etc.

 

 

1 – Il n’alla à Sénones que six ans plus tard. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

A Lunéville, le 14 Février 1748.

 

         Mes divins anges, me voici donc à Lunéville ! et pourquoi ? C’est un homme charmant que le roi Stanislas ; mais, quand on lui joindrait encore le roi Auguste (1), tout gros qu’ils sont, dans une balance, et mes anges dans l’autre, mes anges l’emporteraient.

 

         J’ai toujours été malade, cependant ordonnez, et, s’il y a encore des vers à refaire, je tâcherai de me bien porter. M. de Pont de Veyle et M. de Choiseul (2) sont-ils enfin contents de ma Reine de Babylone ? Comment va leur santé ? sont-ils bien gourmands ? Oui ; et ensuite on prend de l’eau de tilleul. C’est ainsi à peu près, que j’en use depuis quarante ans, disant toujours : J’aurai demain du régime. Mais madame du Châtelet, qui n’en eut jamais, se porte merveilleusement bien : elle vous fait les plus tendres compliments. Je ne sais si elle ne restera point ici tout le mois de février. Pour moi, qui ne suis qu’une petite planète de son tourbillon, je la suis dans son orbite, cahin-caha.

 

         Je suis beaucoup plus aise, mon respectable et charmant ami, du succès de Marmontel, que je ne serais content de la précipitation avec laquelle les comédiens auraient joué cette Sémiramis ; elle n’en vaudra que mieux pour attendre. J’aime beaucoup de Marmontel ; il me semble qu’il y a de bien bonnes choses à espérer de lui.

 

         J’ai vu jouer ici le Glorieux ; il a été cruellement massacré, mais la pièce n’a pas laissé de me faire un extrême plaisir. Je suis plus que jamais convaincu que c’est un ouvrage égal aux meilleurs de Molière, pour les mœurs, et supérieur à presque tous, pour l’intrigue. Zaïre a été jouée par des petits garçons et des petites filles, ex ore infantium.

 

         Je ne peux donc, mes divins anges, sortir de Paris sans être exilé : Vos gens de Paris sont de bonnes gens d’avertir les rois et les ministres qu’ils n’ont qu’à donner des lettres de cachet, et qu’elles seront toujours les très bien venues. Moi, une lettre à madame la dauphine ! Non, assurément.

 

         Il est bien vrai que j’ai écrit quelque chose à une princesse (3), qui après la reine et madame la dauphine, est, dit-on, la plus aimable de l’Europe. Il y a plus d’un an que cette lettre fut écrite, et je n’en avais donné de copie à personne, pas même à vous. Je n’en fais pas assez de cas pour vous la montrer ; mais dites bien, je vous prie, à toutes les trompettes que vous pourrez trouver en votre chemin, que je n’écris point à madame la dauphine. Le grand-père de son auguste époux rend ici mon exil prétendu fort agréable.

 

         Il est vrai que j’ai été malade ; mais il y a plaisir à l’être chez le roi de Pologne ; il n’y a personne assurément qui ait plus soin de ses malades que lui. On ne peut être meilleur roi et meilleur homme.

 

         Je serais charmé, en revenant auprès de vous, de me trouver confrère de l’auteur du Méchant (4). Il ne nous donnera point de grammaire ridicule, comme l’abbé Girard son devancier, mais il fera de très jolis vers, ce qui vaut bien mieux.

 

         Je vous supplie de dire à M. l’abbé de Bernis que, s’il m’oublie, je ne l’oublie pas. Est-il déjà dans son palais des Tuileries (5) ? Pour moi, si je ne vivais pas avec madame du Châtelet, je voudrais occuper l’appartement où la belle Babet avait ses guirlandes et ses bouquets de fleurs. Madame du Châtelet se trouve si bien ici, que je crois qu’elle n’en sortira plus, et je sens que je ne quitterais Lunéville que pour vous. Vous ne sauriez croire, couple adorable, avec quelle respectueuse tendresse je vous suis attaché à vous et aux vôtres.

 

 

1 – Le remplaçant de Stanislas en Pologne. (G.A.)

 

2 – Le comte de Choiseul, plus tard duc de Praslin. (G.A.)

 

3 – Voltaire prétend ici que les stances sur Versailles sont adressées à la sœur du roi de Prusse et qu’il y peint la vie de Berlin. (G.A.)

 

4 – Gresset fut reçu académicien, à la place de Danchet, le même jour que le marquis de Paulmy, qui remplaçait Girard. (G.A.)

 

5 -  Bernis, surnommé Babet la bouquetière, avait obtenu un appartement aux Tuileries par le crédit de madame de Pompadour. (G.A.)

 

 

 

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