CORRESPONDANCE - Année 1745 - Partie 5

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à M. de Cideville

A Paris, ce 12 Mai 1745.

 

 

         Je suis réduit à la prose, mon cher ami, en qualité de malade. Je sens que bientôt je ne vivrai plus que par la seconde vie que me donnent vos beaux vers. Mais, tant que je vivrai dans ce monde, mon cœur sera à vous.

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

Jeudi 13, à 11 heures du soir (1).

 

 

         Ah ! le bel emploi pour votre historien ! Il y a trois cents ans (2) que les rois de France n’ont rien fait de si glorieux. Je suis fou de joie.

 

         Bonsoir, monseigneur.

 

 

1 – La nouvelle de la victoire de Fontenoy venait d’arriver. (G.A.)

 

2 – Depuis Charles VII. Une version porte : Les Français, au lieu de : Rois de France. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la marquise de Pompadour  (1)

 

 

 

Quand César, ce héros charmant,

De qui Rome était idolâtre,

Battait le Belge ou l’Allemand,

On en faisait son compliment

A la divine Cléopâtre.

Ce héros des amants ainsi que des guerriers

Unissait le myrte aux lauriers ;

Mais l’if est aujourd’hui l’arbre que je révère,

Et, depuis quelque temps, j’en fais bien plus de cas

Que des lauriers sanglants du fier dieu des combats,

Et que des myrtes de Cythère.

 

 

         Je suis persuadé, madame, que, du temps de ce César, il n’y avait point de frondeur janséniste qui osât censurer ce qui doit faire le charme de tous les honnêtes gens, et que les aumôniers de Rome n’étaient pas des imbéciles fanatiques. C’est de quoi je voudrais avoir l’honneur de vous entretenir avant d’aller à la campagne. Je m’intéresse à votre bonheur plus que vous ne pensez, et peut-être n’y a-t-il personne à Paris qui y prenne un intérêt plus sensible. Ce n’est point comme vieux galant flatteur de belles que je vous parle, c’est comme bon citoyen ; et je vous demande la permission de venir vous dire un petit mot à Etiolles ou à Brumoi, ce mois de mai. Ayez la bonté de me faire dire quand et où.

 

         Je suis avec respect, madame, de vos yeux, de votre figure, et de votre esprit, le très, etc.

 

 

1 – C’est à tort qu’on a toujours classé cette lettre à l’année 1747. Elle est de 1745, et les vers faits à propos de la victoire de Fontenoy ont été remaniés depuis. A la place des six derniers, il faut lire :

 

 

Quant Louis, ce héros charmant

Dont tout Paris fait son idole,

Gagne quelque combat brillant,

On doit en fait compliment

A la divine d’Etiole.

 

 

 

A ce moment, madame d’Etiolles n’avait pas encore son brevet de marquise de Pompadour. (G.A.)

 

 

à M. le marquis d’Argenson

Le 20 de mai au soir.

 

 

         Vous m’avez écrit, monseigneur, une lettre (1) telle que madame de Sévigné l’eût faite, si elle s’était trouvée au milieu d’une bataille. Je viens de donner bataille aussi, et j’ai eu plus de peine à chanter la victoire (2), que le roi à la remporter. M. Bayard de Richelieu vous dira le reste (3). Vous verrez que le nom de d’Argenson n’est pas oublié. En vérité, vous me rendez ce nom bien cher ; les deux frères le rendront bien glorieux.

 

         Adieu, monseigneur, j’ai la fièvre à force d’avoir embouché la trompette. Je vous adore.

 

 

1 –Voyez le Commentaire historique. (G.A.)

 

2 – Voyez le Poème de Fontenoy. (G.A.)

 

3 –Voyez le Précis du Siècle de Louis XV. – chapitre XV. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

Ce 26 Mai 1745.

 

 

         Tenez, monseigneur, je n’en peux plus ; voilà tout ce que j’ai pu tirer de mon cerveau, en passant la journée à chercher des anecdotes, et la nuit à rimailler.

 

         On en fera demain une quatrième édition (1). J’ai rendu justice ; et on a pour moi, cette fois-ci, quelque indulgence.

 

         Je vous remercie des faveurs du saint-père ; je me flatte qu’il n’y aura pas là-bas conflit de ministère ; s’il y en avait, je demeurerais entre deux médailles le cul à terre. Le fait est qu’à Rome, comme ailleurs, on est jaloux de sa besace.

 

         Je me recommande à Dieu et à vous, et j’attendrai les bénédictions paternelles sans me remuer.

 

         Le roi est-il content de ma petite drôlerie ?

 

         Je suis à vos ordres à jamais.

 

 

P.S. : Autre paquet de Batailles de Fontenoy. Permettez, monseigneur, que tout cela soit sous vos auspices, et que j’aie encore l’honneur d’en envoyer beaucoup, par votre protection, dans les pays étrangers ; ce sont des réponses aux gazetiers et aux journalistes de Hollande.

 

 

1 – Du Poème. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

A Paris, le 29 Mai 1745.

 

 

         Malgré l’envie, ceci a du débit. Seriez-vous mal reçu, monseigneur, à dire au roi qu’en dix jours de temps, il y a eu cinq éditions de sa gloire ? N’oubliez pas, je vous en prie, cette petite manœuvre de cour.

 

         Je croyais M. votre fils à Paris ; point du tout, il instrumente avec vous. A-t-il vu la bataille ? il se serait mis, avec son cousin (1), à la tête des moutons de Berry. Je le supplie de lire cette cinquième édition, la plus correcte de toutes, la plus ample, et la plus honnête. J’en envoie de cette fournée à je ne sais combien de têtes couronnées. Vous permettez bien, suivant votre bénignité ordinaire, que j’en mette quelques-unes, sous votre couvert, aux Valori, aux Aunillon, aux La Ville (2), à tous ceux qui auraient été honnis en pays étranger si nous avions été battus.

 

         J’en envoie à M. l’abbé de Canillac, et je le remercie de ses bontés que je vous dois. Mais j’ai bien peur que M. l’abbé de Tolignan et le cardinal Aquaviva ne soient fâchés qu’on leur souffle une négociation ; je veux avoir mes médailles papales, et je vous supplie que M. l’abbé de Canillac traite cette grande affaire avec sa très grande prudence.

 

         Adieu, Monseigneur ; triomphez, et revenez avec le rameau d’olivier.

 

 

1 – Marc-René de Voyer, fils du comte d’Argenson, mestre de camp du régiment de Berry. (G.A.)

 

2 – Ambassadeurs de France. (G.A.)

 

 

 

 

à M. de Cideville

30 Mai 1745.

 

 

         Vos vers sont charmant, mon très cher ami ; c’est à eux et non aux miens que je devrai cette belle fumée après laquelle on court. Permettez-moi donc la vanité de les faire imprimer. Les encouragements que vous me donnez me font plus de plaisir que vos beaux vers n’humilient les miens. Bonjour ; la tête me tourne ; je ne sais comment faire avec les dames, qui veulent que je loue leurs cousins et leurs greluchons. On me traite comme un ministre ; je fais des mécontents.

 

         Quant au maréchal de Noailles, il a été très satisfait, et c’est lui qui a fait au roi la lecture de l’ouvrage. Il n’y a personne à l’armée qui n’ait senti combien il était délicat de parler de M. le maréchal de Noailles, l’ancien du maréchal de Saxe, et n’ayant pas le commandement. Les deux vers qui expriment qu’il n’est point jaloux, et qu’il ne regarde que l’intérêt de la France, sont un petit trait de politique, si ce n’en est pas un de poésie ; et ce sont précisément ces vérités qui donnent à penser à un lecteur judicieux. Ces traits si éloignés des lieux communs, et ces allusions aux faits qu’on ne doit pas dire hautement, mais qu’on doit faire entendre, ce sont là, dis-je, ces petites finesses qui plaisent aux hommes comme vous, et qui échappent à ceux qui ne sont que gens de lettres. Bonsoir ; je suis excédé. Je vous embrasse tendrement.

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

Le 30 Mai 1745.

 

 

         Au milieu des énormes paquets dont je vous accable, pour la gloire du roi mon maître, ou pour son ennui, il faut, s’il vous plaît, monseigneur, que j’éclaircisse ma petite affaire avec le pape. La voici :

 

         Vous savez que les bontés de mademoiselle du Thil (1) m’ont valu les bons offices de l’abbé de Tolignan, et que M. l’abbé de Tolignan m’a valu un petit compliment de la part de sa sainteté, sans que cette sainte négociation passât par d’autres mains.

 

         Vous vous souvenez peut-être qu’il y a près de deux mois l’envie me prit d’avoir quelque marque de la bienveillance papale qui pût me faire honneur en ce monde-ci et dans l’autre. J’eus l’honneur de vous communiquer cette grande idée ; mais vous me dîtes qu’il n’était guère possible de mêler ainsi les choses célestes aux politiques. Sur-le-champ j’allai trouver mademoiselle du Thil, qui a été pour moi turis eburnea, fœderis arca, etc., et elle me dit qu’elle essaierait si l’abbé de Tolignan aurait assez de crédit encore pour obtenir de sa sainteté deux médailles qui vaudraient pour moi deux évêchés.

 

         Nouvelles coquetteries de ma part avec le pape ; je lis ses livres, j’en fais un petit extrait ; je versifie, et le pape devient mon protecteur in petto.

 

         Je vous mande tout cela il y a trois semaines, et je vous écris que M. l’abbé de Canillac ferait très bien sa cour en parlant de moi à sa sainteté ; mais je ne parle point de médailles. Alors il vous revient en mémoire que j’avais eu grande envie du portrait du saint-père, et vous en écrivez à M. l’abbé de Canillac. Pendant ce temps-là qu’arrive-t-il ? Le pape, le très saint, le très aimable, donne deux grosses médailles pour moi à M. l’abbé de Tolignan ; et le maître de la chambre m’écrit de la part de sa sainteté. L’abbé de Tolignan a en poche médailles et lettres, et les enverra quand et comme il pourra.

 

         A peine M. de Tolignan est-il muni de ces divins portraits, que M. de Canillac va en demander pour moi au saint-père. Il me paraît que sa sainteté a l’esprit présent et plaisant ; elle ne veut pas dire au ministre de France : Monsù, un altro a le medaglie ; mais elle lui dit qu’à la Saint-Pierre il y en aura de plus grosses.

 

         Vous recevrez, monseigneur, la lettre de l’abbé de Canillac, qui vous mande cette pantalonnade du pape tout sérieusement ; et mademoiselle du Thil reçoit la lettre de M. l’abbé de Tolignan, qui lui mande la chose comme elle est.

 

         Est-ce assez parler de deux médailles ? Non vraiment, monseigneur. Il faut que je réussisse dans ma négociation, car elle va plus loin que vous ne pensez, et vous n’êtes pas au bout.

 

         Le grand point est donc que M. l’abbé de Canillac ne souffle pas la négociation à l’abbé de Tolignan, parce qu’alors il se pourrait faire que tout échouât. Je vous supplie donc d’écrire tout simplement à votre ministre romain (2) que le poids de marc ne fait rien à ces médailles, qu’il vous fera plaisir de me protéger dans l’occasion, que l’abbé de Tolignan étant mon ami depuis longtemps, il n’est pas étonnant qu’il m’ait servi, et que vous le priez d’aider l’abbé de Tolignan dans cette affaire, etc., etc. etc.

 

         Moyennant ce tour très simple et très vrai, il n’y aura point de tracasserie ; j’aurai mes médailles ; tout le monde sera content, et je vous aurai la plus grande obligation du monde.

 

         Pardonnez-moi. Comment peut-on écrire quatre pages sur ces balivernes ! Cela est honteux.

 

P.S. – A force de bonté, vous devenez mon bureau d’adresse. Pardon, monseigneur ; mais la princesse de Suède (3) est plus jolie que le pape ; elle m’a envoyé son portrait, et je n’ai pas encore celui du saint-père ; ainsi permettez que je mette sous votre protection cet énorme paquet, en attendant que j’aie l’honneur de vous en dépêcher d’autres pour la famille.

 

         Prenez la citadelle (4), prenez-en cent, et revenez l’arbitre de la paix.

 

 

1 – Attachée longtemps au service de madame du Châtelet. (G.A.)

 

2 – L’abbé de Canillac. (G.A.)

 

3 – Ulrique. (G.A.)

 

4 – La citadelle de Tournay. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

CORRESPONDANCE 1745 - Partie 5

 

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