CORRESPONDANCE - Année 1744 - Partie 1

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à M. de la Martinière

Ce 3 janvier 1744.

 

 

J’ai attendu le temps des étrennes, monsieur, pour avoir l’honneur de vous répondre. J’ai cru que les usages du jour de l’an justifieraient l’insolence que j’ai de vous donner mon carrosse. Votre histoire de Puffendorf (1), dans laquelle vous avez corrigé une partie de ses fautes, est un présent plus considérable que celui que j’ose vous faire. Si j’avais l’honneur de porter quelque couronne électorale, j’enverrais le carrosse chez vous, traîné par six chevaux gris-pommelés, avec un beau brevet de pension dans les bourses de la portière ; mais je n’ai qu’une stérile couronne de laurier, et, si je pense en prince, mes étrennes ne sont que d’un homme de lettres. Ayez la bonté de les accepter, monsieur, comme celles d’un ami qui ne peut vous témoigner combien il vous estime.

 

Voulez-vous bien vous charger de présenter mes profonds respects à M. l’ambassadeur et à madame l’ambassadrice d’Espagne, à M. et à madame de Fogliani, et à tous ceux qui daignent se souvenir de moi ?

 

J’aurai l’honneur de vous envoyer le tome qui vous manque de ce mauvais recueil qu’on a fait de mes œuvres. Il est vrai que je donnai, il y a quelques années, à M. l’envoyé d’Angleterre, un exemplaire d’une autre édition, non moins mauvaise, que je trouvai à Amsterdam. Je ne manquerai pas d’obéir aux ordres de madame la marquise de Saint-Gilles, à la première occasion ; mais il faut qu’elle sache que je préfère un quart d’heure de sa vue et de sa conversation à tous les vers, à toute la prose de ce monde. Adieu, monsieur ; je suis pour toute ma vie avec la plus tendre estime, etc.

 

 

1 – Introduction à l’histoire générale et politique de l’univers. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

Bruxelles, le 2 Février 1744.

 

 

         Il me prend envie de mander des nouvelles à mes anges. M. de Stair, au nez haut, arrive ici dans ce moment ; on lui tire le canon. Je ne crois pas qu’il s’expose au nôtre. Les Hollandais ne se déclarent point. Le roi d’Angleterre portera tout le fardeau, qui est un peu pesant. Ses Hanovriens, qui campent aux portes de Bruxelles, disent publiquement qu’on les mène à la boucherie, et sont assez fâchés du voyage. J’ai vu les troupes flamandes, troupes déguenillées et mal payées. On doit actuellement onze mois aux officiers. Allons, Français, réjouissez-vous !

 

         Voici une lettre du sieur Rutan. Vous me direz : Pourquoi madame du Châtelet ne me l’envoie-t-elle pas elle-même ? Vraiment, elle avait grande envie d’accompagner la lettre de ce Rutan d’une longue épître : mais elle est si fatiguée d’avoir conversé toute la journée avec Christianus Wolffius et gens semblables, qu’elle n’a pas la force d’écrire. Vous n’aurez donc que ce billet de moi ; mais les tendres compliments qu’elle vous fait valent mieux que cent de mes lettres. Mille respects à mes anges.

 

 

 

 

 

à M. l’abbé de Valori

Paris, le 15 Février 1744.

 

 

Il n’y a, monsieur, qu’une violente maladie qui pût m’empêcher de répondre sur-le-champ à l’honneur que vous m’avez fait de m’instruire du mariage de madame votre nièce. Je ne suis pas encore en état de vous écrire de ma main, mais mon cœur ressent vos bontés aussi vivement que celui de l’homme le plus sain. Vous savez à quel point je suis attaché, monsieur, à toute votre famille. N’auriez-vous point encore quelqu’un d’une autre branche, pour mademoiselle de Valori la cadette ? Je ne manquerais pas de faire incessamment mon compliment à notre aimable Prussien (1). C’est bien dommage qu’il ne puisse pas être à la noce. Je le plains bien d’être si longtemps tout seul. Il me semble qu’il consume bien tristement des années bien précieuses, et qu’on ne lui paie pas assez le travail, l’absence, et l’ennui auquel il se condamne. Permettez-moi, monsieur, d’assurer de mes respects madame de Valori, la nouvelle mariée, celui qui va gâter sa belle taille, et la cadette, à qui j’en souhaite autant. Je suis, monsieur, avec l’attachement le plus tendre et le plus respectueux, votre, etc.

 

 

1 – Le marquis de Valori. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Pallu

Le 20 Février 1744.

 

 

         Béni soit, monsieur, l’Ancien Testament, qui me fournit l’occasion de vous dire que de tous ceux qui adorent le Nouveau, il n’y a personne qui vous soit plus attaché que moi. L’un des descendants de Jacob, honnête fripier, comme tous ces messieurs, en attendant le Messie très fermement, attend aussi votre protection, dont il a dans ce moment plus de besoin.

 

         Les gens du premier métier de saint Matthieu, qui fouillent les juifs et les chrétiens aux portes de votre ville, ont saisi je ne sais quoi, dans la culotte d’une page israélite, appartenant au circoncis (1) qui aura l’honneur de vous remettre ce billet en toute humilité.

 

         Permettez-moi de joindre mes Amen aux siens. Je n’ai fait que vous entrevoir à Paris, comme Moïse vit Dieu ; il me serait bien doux de vous voir face à face, si le mot de face est fait pour moi. Conservez, s’il vous plaît, vos bontés à votre ancien et éternel serviteur, qui vous aime de cette affection tendre, mais chaste, qu’avait le religieux Salomon pour les trois cents Sunamites.

 

 

1 – Un juif, habitant de Genève, informé par son commis qu’on lui avait saisi, à Lyon, les effets dont il était porteur, se rappela qu’il avait eu occasion de rendre un petit service à Voltaire ; il parla de son affaire à celui-ci, et réclama sa protection. C’est ce qui provoqua cette lettre au moyen de laquelle l’Israélite obtint la restitution des objets saisis.

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

A Cirey, ce 15 Avril (1).

 

 

         Vanitas vanitatum, et metaphysica vanitas. C’est ce que j’ai toujours pensé, monsieur ; et toute métaphysique ressemble assez à la coxigrue de Rabelais bombillant ou bombinant dans le vide (2). Je n’ai parlé de ces sublimes billevesées que pour faire savoir les opinions de Newton, et il me paraît qu’on peut tirer quelque fruit de ce petit passage :

 

         « Que savait donc sur l’âme et sur les idées celui qui avait soumis l’infini au calcul, et qui avait découvert la nature de la lumière et la gravitation ? Il savait douter. »

 

         Physiquement parlant, monsieur, je vous suis bien obligé de vos bontés, et surtout de celle que vous avez de vouloir bien réparer, par mon petit contrat, avec un prince et avec un saint, les pertes que j’ai faites avec tant de profanes. J’ai l’honneur de courir ma cinquantième année.

 

 

Etes-vous dans la cinquantième ?

J’y suis, et je n’en vaux pas mieux ;

C’est un assez f….. quantième,

Tâchez un jour d’en compter deux.

 

 

         En vous remerciant mille fois, monsieur, et  en vous demandant le secret. J’ai donné à Doyen le féal argent comptant, et billets qui valent argent comptant ; mais on paie le plus tard qu’on peut ; et un fesse-matthieu de fermier de M. le duc de Richelieu, nommé Duclos, qui devait, selon toutes les lois divines et humaines, me compter quatre mille livres le lendemain de Pâques, recule tant qu’il peut, tout contraignable qu’il est. Voulez-vous permettre que ce Doyen fasse toujours mon contrat à bon compte ? Sinon il n’y a qu’à le réduire à ce que Doyen a dans ses mains. Je mangerai le reste à mon retour très volontiers. Faites comme il vous plaira avec votre vieux serviteur.

 

         Je m’occupe à présent à faire un divertissement (3) pour un dauphin et une dauphine que je ne divertirai point. Mais je veux faire quelque chose de joli, de gai, de tendre, de digne du duc de Richelieu, l’ordonnateur de la fête.

 

         Cirey est charmant, c’est un bijou ; venez-y, monsieur ; tâchez d’avoir affaire à Joinville. Madame du châtelet vous aime de tout son cœur, vous désire autant que moi, et vous recevra comme elle recevait Wolff et Leibnitz. Vous valez mieux que tous ces gens-là. Portez-vous bien. Permettez que je présente mes respects à monsieur l’avocat du roi très-chrétien (4). Je vous aime et vous respecte de tout mon cœur.

 

         Votre ancien et le plus ancien serviteur, etc.

 

 

1 – Il y avait deux ans que Voltaire n’avait revu Cirey. (G.A.)

 

2 – Pantagruel, livre II, ch. VII. (G.A.)

 

3 – La Princesse de Navarre. (G.A.)

 

4 – Paulmy, fils du marquis d’Argenson, nommé avocat du roi. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le duc de Richelieu

Ce 24 Avril 1744.

 

 

Colletet envoie encore ce brimborion au cardinal-duc. Cette rapsodie le trouvera probablement dans un camp entouré d’officiers, et vis-à-vis de vilains Allemands qui se soucient fort peu des amours du duc de Foix et de la princesse de Navarre. Mais votre esprit agile, qui se plie à tout, trouvera du temps pour songer à votre fête. Vous serez comme Paul-Emile, qui, après avoir vaincu Persée, donna une fête charmante, et dit à ceux qui s’étonnaient de la fête et du souper : Messieurs, c’est le même esprit qui a conduit la guerre et qui a ordonné la fête. Pour moi, monseigneur le duc, je crois, avec la dame de Cirey, que vous ne haïrez pas ce duc de Foix qui fait la guerre, qui est amoureux, qui est fourré tout jeune dans les affaires, qui combat pour sa maîtresse, qui la gagne à la pointe de l’épée, qui a de l’esprit, et qui berne les Morillo. Si vous êtes content, voulez-vous envoyer ce premier acte à Rameau ? Il sera bon qu’il le lise, afin que sa musique soit convenable aux paroles et aux situations ; et, surtout, qu’il évite les longueurs dans la musique de ce premier acte, parce que ces longueurs, jointes aux miennes, feraient ce premier acte éternel. J’attends vos ordres sur le divertissement du second acte que je vous ai envoyé, il y a huit jours. Madame du Châtelet vous fait ses plus tendres compliments. C’est à vous et à messieurs les généraux à me fournir à présent le prologue. Adieu, monseigneur ; revenez brillant de gloire et de santé. J’attendrai avec bien de l’impatience le plaisir de vous dire ce que je vous dis depuis près de trente ans, que je vous suis dévoué avec le plus tendre respect ; j’y ajoute la plus vive reconnaissance.

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

A Cirey, en félicité, ce 28 Avril 1744.

 

 

Je vous envoie, mes anges tutélaires, un énorme paquet, par la voie de M. de La Reynière (1). Dans ce paquet vous trouverez le premier acte et le premier divertissement (2) qui doit faire bâiller le dauphin et madame la dauphine, mais qui pourra vous amuser, car il plaît à madame du Châtelet, et vous êtes dignes de penser comme elle. Quand vous aurez tant faire que de lire ce premier acte, je vous prie de la cacheter avec la lettre ci-jointe, pour M. le duc de Richelieu, et de faire mettre le tout à la poste ; mais la prière la plus essentielle que je vous fais, c’est de me faire des critiques. Vous pensez bien que j’en garde un exemplaire par devers moi, ainsi vous n’aurez seulement qu’à marquer sur un petit papier ce que vous désapprouverez. Il se pourra bien faire que vous receviez aussi, par la même poste, le divertissement du second acte ; on le copie actuellement, et il y a apparence que vous aurez encore ce petit fardeau.

 

J’ai mis aussi dans le paquet un cinquième acte de Pandore, avec une lettre pour l’abbé de Voisenon, qui demeure rue Culture ou Couture-Sainte-Catherine ; et je vous demande les mêmes bontés pour ce paquet que pour celui qui est destiné à M. le duc de Richelieu. A l’égard de la pastorale, qui sert de divertissement au second acte de la fête dauphine, vous pouvez la garder ; M. de Richelieu en a déjà un exemplaire. Vous verrez, mes chers anges, que, si j’ai perdu mon temps à Cirey, ce n’est pas à ne rien faire ; aussi j’ai fait graver sur la porte de ma galerie :

 

 

Asile des beaux-arts, solitude où mon cœur

Est toujours occupé dans une paix profonde,

C’est vous qui donnez le bonheur

Que promettrait en vain le monde.

 

 

Cela veut dire que votre amie est presque toujours dans la galerie.

 

Ne vous lassez point de moi, mes anges ; armez-vous de courage ; car, dès que j’aurai fini l’ambigu du dauphin, je vous sers d’une fausse Prude, revue et corrigée, qu’il faudra bien que vous aimiez. Quoi ! faudra-t-il que l’opéra soit toujours fade ? et la comédie toujours larmoyante ? et l’histoire un chaos de faits mal digérés, une gazette de marches et de contre-marches ? Je veux mettre ordre à tout cela avant de mourir. Les récompenses seront pour les autres, et le travail pour moi.

 

Mais Cirey et votre amitié consolent de tout. Ce Cirey est un bijou, et n’a pas besoin de l’être ; il n’a besoin que de vous posséder.

 

Je me mets toujours à l’ombre de vos ailes, et vous suis tendrement attaché, à vous, mes deux anges, et à M. de Pont de Veyle, quoiqu’il me mette moins sous ses ailes que vous. Valete.

 

 

1 – Fermier-général, directeur des postes. (G.A.)

 

2 – Divertissement supprimé depuis. (G.A.)

 

 

1744 - Partie 1

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