CORRESPONDANCE : Année 1740 - Partie 2

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Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

2 Février 1740.

 

 

C’est moi qui me donne aujourd’hui à tous les diables, pour y avoir presque envoyé hier mes bons anges. Vous mandez par votre lettre à madame du Châtelet que vous avez une mauvaise santé. Vous ne pouviez mander une nouvelle plus affligeante pour nous. Je consens que mes ouvrages meurent, mais je veux que vous viviez.

 

Ce qui est plus de votre goût sera plus du mien. Je ferai de Pandore ce qu’il vous plaira.

 

Une scène de Mahomet vaut certainement mieux que tout Zulime ; je vous enverrai l’un et l’autre en deux paquets, sous le couvert de M. de Pont de Veyle, ou sous celui de M. Maurepas, selon les ordres que vous me donnerez. Vous exercerez votre empire absolu sur les deux pièces ; mais, si j’ose avoir mon avis, Mahomet, malgré son faible cinquième acte, qui sera toujours faible, est un morceau très singulier, et Zulime un peu in communi martyrum.

 

Vous ne voulez donc pas qu’une femme (1) soit aussi friponne que Tartufe ? Il ne faut donc les représenter que faibles et point méchantes ? Dites-moi donc pourquoi on souffre Cléopâtre dans Rodogune ; et dites-moi donc pourquoi on ne peut peindre une femme friponne. S’il ne tenait qu’à adoucir les teintes, et à ne donner à M. Scupulin d’autre crime que d’avoir épousé la maîtresse de son ami, ce serait l’affaire d’une heure. Il me paraît que le personnage d’Adine est bien intéressant, et je vous défie de nier que madame Burnet ne soit une bonne diablesse. Je crois qu’avec des corrections cette pièce serait assez suivie ; mais la physique ne s’accommode pas de tout cela, et j’y retourne. Je vous supplie de faire ma cour à M. de Solar (2), et de vouloir bien lui présenter mes très humbles remerciements.

 

Je vous envoie le gros vin de Mahomet, et la crème fouettée de Zulime ; vous choisirez. Je baise les ailes de mes anges. La maison d’Ussé se souvient-elle de moi ?

 

Un petit mot ; c’est sur Pandore. Vous ne goûtez pas la scène de la friponnerie de Mercure, qui lui persuade d’ouvrir la cassette ; mais Mercure fait là l’office du serpent qui persuada Eve. Si Eve eût mangé par pure gourmandise, cela eût été bien froid ; mais le discours avec le serpent réchauffe l’histoire.

 

Je sais fort bien que l’aventure de Pandore n’est pas à l’honneur des dieux ; je n’ai pas prétendu justifier leur providence, surtout depuis que vous êtes malade.

 

 

1 – Il s’agit de la comédie de la Prude. (G.A.)

 

2 – Ambassadeur du roi de Sardaigne. (G.A.)

 

 

 

 

à Mademoiselle Quinault

4 Février.

 

 

         [ Il lui envoie Mahomet et Zulime par l’occasion du marquis du Châtelet ; donne quelques détails sur Zulime ; et annonce qu’il n’est pas content du dernier acte de Mahomet.]

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

Ce 16….

 

 

         Mes anges sont des dieux ; ils me commandent l’impossible. J’étais si dégoûté à Paris des deux derniers actes de Zulime, que je les laissai parmi mes paperasses inutiles, chez l’abbé Moussinot. Je n’en ai pas ici la moindre trace ; mais si vous êtes dans la résolution de hasarder cette pauvre Zulime, que je ne ferai jamais imprimer, qu’importent deux ou trois liaisons de plus ou de moins qui occasionneraient quelques critiques au coin du feu, mais qui glissent sur les spectateurs à la représentation ? La grande affaire n’est pas de savoir si le départ des Espagnols est bien assuré au cinquième acte, ni si le serment de fidélité a été dûment prêté au quatrième : De minimis non curat SPECTATOR. Le point est de savoir si le cœur ne sera pas à la place quand Zulime, changeant tout d’un coup d’intérêt, clabaudera pour la perte de son père le trouble-fête. Elle n’est point dans le cas de la jeune et innocente Chimène ; c’est une femme un peu effrontée qui a franchi toutes les barrières, et qui, après avoir résisté en face à M. son père, peut l’enterrer sans tant de remords. On sent bien que cet excès de douleur de Zulime, cette ardeur de venger un père très importun sur un amant qu’elle adore, est un sentiment plus honnête que naturel, une passion de commande ; mais malheur sur la scène à ces sentiments-là ! il ne faut que des passions bien vraies ; la plus effrontée réussira plus que la bienséante, si elle est naturelle : c’est là surtout ce qui m’a fait trembler pour Zulime.

 

         Peut-être aurez-vous une douzaine de représentations ; mais je ne veux jamais avoir fait cette pièce. Il n’y a que les trois premiers actes de supportables. Je demande en grâce qu’elle ne soit point imprimée, que mademoiselle Quinault vous en remette la copie, après les douze jours de vie que cette pauvre diablesse aura eus. Que Minet ne transcrive ni la pièce ni les rôles. Ayez la bonté, mes saints anges, d’envoyer chercher un écrivain qui fasse tout sous vos ordres, et que l’abbé Moussinot paiera.

 

         Souffrez par les mêmes raisons que je ne me découvre point à la petite Gaussin ; elle est aussi incapable de garder un secret que de conserver un amant. Bonne créature ! Sed plena rimarum, hac illoc diffluit. J’ai extrêmement à cœur de ne point passer pour l’auteur de cette pièce qui me paraît sans génie.

 

         Il y aurait bien quelque chose de plus raisonnable peut-être à faire ; ce serait de l’oublier, et de jouer Mahomet. Quand ce Mahomet ne serait joué que  sept fois en carême, je le ferais imprimer, parce qu’il y a plus de neuf, plus d’invention, plus de choses, dans une seule scène de ce drôle-là, que dans toutes les lamentations amoureuses de la faible Zulime. J’envoie à tout hasard aujourd’hui, par la poste, les deux derniers actes de Mahomet, à l’adresse de M. l’intendant des classes (1). Après cela, jugez, faites à votre serviteur selon votre sainte volonté. Je suis résigné à vous pour ma vie.

 

         Si vous persistez à faire jeûner le public ce carême avec Zulime, vous pouvez aisément faire parler à Gaussin, et lui donner le rôle d’Atide, reine de Valence, en grosses lettres ; elle n’est pas d’ailleurs difficile à séduire.

 

         Adieu, tous mes anges ; je me mets sous vos ailes. Emilie l’archange vous fait des compliments célestes.

 

 

1 – Pont de Veyle. (G.A.)

 

 

 

 

à Mademoiselle Quinault

16 Février 1740.

 

         [Les derniers actes de Zulime sont à Paris dans ses paperasses ; il faut donner cette tragédie d’après le manuscrit que possède mademoiselle Quinault ; ne veut pas s’en déclarer l’auteur ni la faire imprimer, eût-elle quarante représentations. Distribution des rôles de Mahomet ; envoi de ses deux derniers actes à M. de Pont de Veyle. Il ne faut pas donner le secret de Zulime à mademoiselle Gaussin.]

 

 

 

 

à Mademoiselle Quinault

17 Février..

 

         [Réponse à la demande des corrections que mademoiselle Quinault voulait pour Zulime.]

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

25…

 

         Mon cher ange saura que j’ai reçu aujourd’hui sa lettre et le cinquième acte de Zulime, que j’ai obéi sur-le-champ, que j’ai travaillé, que j’ai renvoyé le tout. Mes anges, je suis votre diable de la chose impossible (1) ; vous ordonnez toujours, et je rabote toujours. Mais Zulime réussira-t-elle ? Je l’espère à la fin. J’ai relu ce cinquième acte avec quelque satisfaction. Marions donc Zulime avant d’établir son gros frère Mahomet. Qu’est-ce que cette comédie nouvelle qu’on joue (2) ? Me voilà probablement remis après le saint temps de Pâques. Tant mieux, je n’ai dans tout ceci ni lenteur, ni empressement dans l’esprit : jamais mes anges ne trouveront créature plus résignée ; d’ailleurs, je suis si heureux ici que rien ne m’inquiète. Adieu, couple adorable, il ne me manque que vous. J’écris à M. de Pont de Veyle et à mademoiselle Quinault.

 

 

1 – Voyez les Contes de La Fontaine. (G.A.)

 

2 – Les Dehors trompeurs, par de Boissy. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Falkener

Bruxelles, ce 2 Mars. (1)

 

         Dear sir, I take the liverty to send you my old follies, having no new things to present you with. I am now at Bruxelles with the same lady, madame du Châtelet, who hindered me some years ago from paying you a visit at Constantinople, and whom I shall live with in all probability the greatest part of my life, since for these ten years I have not departed from her. She is now at the trouble of a damn’d suit in law, that she persues at Bruxelles. We have abandoned the most agreeable retirement in the country, to bawl here in the grotto of the flemish chicane.

 

         The high dutch baron who takes upon himself to present you with this packet of french reveries, is one of the noble players whom the emperor sends into Turky to represent the majesty of the Roman empire, before the Higness of the Musulman power.

 

         I am persuaded you are become, now a days, a perfect Turk ; you speak no doubt their language very well, and you keep, to be sure, a pretty harem. Yet I am afraid you want two provisions or ingredients which I think necessary to make that nauseous draught of life go down, I mean books and friends. Should you be happy enough to have met at Pera with men whose conversation agrees with your way of tinking ? If so, you want for nothing ; for you enjoy health, honours and fortue. Health and places I have not : I regret the former, I am satisfied without the other. As to fortune, I enjoy a véry competent, one, and I have a friend besides. Thus I reckon myself happy, though I am sickly as you saw me at Wandsworth.

 

         I hope I shall return to Paris with madame du Châtelet in two years time. If, about that season, you return to dear England by the way of Paris, I hope I shall have the pleasure to see your dear Excellency at her house, which is without doubt one of the finest at Paris, and situated in a position worthy of Constantinople ; for it looks upon the rive, and a long tract of land interspers’d with pretty houses, is to be seen from every window. Upon my word, I would, with all that, prefer the vista of the sea of Marmora before that of the Seine, and I would pass some months with you at Constantinople, if I  could live without that lady, whom I look upon as a great man, and as a most solid and respectable driend. She understands Newton ; she despises supersition, and in short, she makes me happy.

 

         I have received, this week, two summons from a french man who intends to travel to Constantinople. He would fain intice me tho that pleasant journéy. But since you could not, nobody can.

 

         Farewell, my dear friend, whom I will love ad honour all my life time, farewell. Tell me how you fare ; tell me you are happy ; I am so, if you continue to be so. Yours for ever !

 

 

 

TRADUCTION :

 

 

           Mon cher monsieur, je prends la liberté de vous envoyer mes vieilles folies, n’en ayant pas de nouvelles à vous offrir. Je suis en ce moment à Bruxelles avec la même madame du Châtelet qui m’a empêché, il y a quelques années, de vous rendre visite à Constantinople, et avec laquelle il est probable que je passerai la plus grande partie de ma vie, car depuis dix ans je ne l’ai pas quittée. Elle est maintenant dans les embarras d’un maudit procès qu’elle poursuit à Bruxelles. Nous avons quitté la plus agréable retraite à la campagne, pour venir criailler ici dans l’antre de la chicane flamande.

 

           Le haut baron hollandais qui se charge de vous transmettre ce paquet de rêveries françaises, est un de ces nobles acteurs que l’empereur envoie en Turquie pour représenter la majesté de l’empire romain devant sa hautesse la puissance musulmane.

 

           Je suis persuadé que vous êtes devenu, à cette heure, un véritable Turc ; vous parlez sans doute la langue à merveille ; vous avez, j’en suis sûr, un joli harem. Cependant je crains qu’il ne vous manque que deux provisions ou deux objets qui me semblent indispensables pour faire passer l’amère boisson de la vie, je veux dire des livres et des amis. Seriez-vous assez heureux pour avoir rencontré à Péra des hommes dont la conversation s’accorde avec votre manière de penser ? S’il en est ainsi, il ne vous manque rien, car vous avez de la santé, des honneurs et de la fortune. Moi je n’ai ni santé ni place ; je regrette le premier de ces biens, je me passe volontiers de l’autre. Quant à la fortune, celle que j’ai me suffit, et j’ai de plus un ami. Je me trouve donc heureux, quoique tout aussi souffrant que vous m’avez vu à Wandsworth.

 

           J’espère retourner à Paris avec madame du Châtelet dans deux ans. Si vers cette époque vous revenez dans votre chère Angleterre par la route de Paris, j’espère avoir le plaisir de voir votre chère Excellence à l’hôtel de madame la marquise qui est sans contredit un des plus beaux de Paris et situé dans une position digne de Constantinople, car il a vue sur la rivière, et de toutes les fenêtres on découvre une vaste étendue parsemée de jolies maisons. Sur ma parole, je préférerais malgré tout cela la vue de la mer de Marmara à celle de la Seine, et je passerais quelques mois avec vous à Constantinople, si je pouvais vivre sans cette dame que je regarde comme un grand homme, comme le plus solide et le plus respectable ami. Elle comprend Newton ; elle méprise la supersitition ; en un mot, elle me rend heureux.

 

           J’ai reçu cette semaine, deux sommations d’un français qui veut aller à Constantinople : il m’aurait entraîné à faire ce charmant voyage ; mais puisque vous n’avez  pu m’y décider, personne ne le pourra.

 

           Adieu, mon cher ami, que j’aimerai et que je respecterai toute ma vie, adieu. Dites-moi comment vous vous portez ; dites-moi que vous êtes heureux ; je le serai, si vous continuez à l’être. A vous pour toujours. (A. François.)

 

 

1 – Et de la main de M. Falkener : received the first of august. (A. François.)

 

 

 

 

à M. le Président Hénault

 

LE FAVORI DES MUSES.

 

Bruxelles, ce 2 Mars 1740.

 

 

Quand à la ville un solitaire envoie

Des fruits nouveaux, honneur de ses jardins,

Nés sous ses yeux, et plantés par ses mains,

Il les croit bons, et prétend qu’on le croie.

 

Quand, par le don de son portrait flatté,

La jeune Aminte à ses lois vous engage,

Elle ressemble à la divinité

Qui veut vous faire adorer son image.

 

Quand un auteur, de son œuvre entêté,

Modestement vous en fait une offrande,

Que veut de vous sa fausse humilité ?

C’est de l’encens que son orgueil demande.

 

Las ! Je suis loin de tant de vanité.

A tous ces traits gardez de reconnaître

Ce qui par moi vous sera présenté ;

C’est un tribut, et je l’offre à mon maître.

 

 

         J’ose donc, monsieur, vous envoyer ce tribut très indigne ; j’aurais voulu faire encore plus de changements à ces faibles ouvrages ; mais Bruxelles est l’éteignoir de l’imagination.

 

 

Les vers et les galants écrits

Ne sont pas de cette province,

Et dans les lieux où tout est prince

Il est très peu de beaux esprits.

Jean Rousseau, banni de Paris,

Vit émousser dans ce pays

Le tranchant aigu de sa pince ;

Et sa muse, qui toujours grince,

Et qui fuit les jeux et les ris,

Devint ici grossière et mince.

Comment vouliez-vous que je tinsse

Contre les frimas épaissis ?

Voudriez-vous que je redevinsse

Ce que j’étais, quand je suivis

Les traces du pasteur du Mince,

Et que je chantais les Henris ?

Apollon la tête me rince,

Il s’aperçoit que je vieillis ;

Il voulut qu’en lisant Leibnitz

De plus rimailler je m’abstinsse ;

Il le voulut, et j’obéis ;

Auriez-vous cru que j’y parvinsse ?

 

 

         Il serait plus doux, monsieur, de parvenir à avoir l’honneur de vivre avec vous, et à jouir des délices de votre commerce. L’imagination de Virgile eût langui s’il avait vécu loin des Varius et des Pollion. Que dois-je devenir loin de vous ? La France a très peu de philosophes ; elle a encore moins d’hommes de goût. C’est là où le nombre des élus est prodigieusement petit ; vous êtes un des saints de ce paradis, et Bruxelles est un purgatoire. Il serait l’enfer et les limbes à la fois pour des êtres pensants, si madame du Châtelet n’était ici. J’ai lu le Parallèle des Romains (1), etc., etc., comme vous me l’avez ordonné. Il est vrai que la comparaison est un peu étonnante, mais le livre est plein d’esprit ; je le croirais fait par un bâtard de M. de Montesquieu, qui serait philosophe et bon citoyen. J’espère que nous aurons quelque chose de mieux sur l’Histoire de France, et vous savez bien pourquoi. Vous êtes une coquette qui m’avez montré une fois quelques-unes de vos beautés ; je me flatte que, quand je serai à Paris, j’obtiendrai de plus grandes faveurs. Adieu, monsieur ; madame du Châtelet, qui est pleine d’estime et d’amitié pour vous, vous fait les plus sincères compliments. Vous connaissez mon tendre et respectueux attachement pour vous.

 

         Le petit ballot de mes rêveries doit être à Paris, par la voiture de samedi, à l’inquisition de la chambre syndicale. Il a été mis au coche de Lille.

 

 

1 – Le Parallèle des Romains et des Français, par l’abbé de Mably. (G.A.)

 

 

 

 

à Mademoiselle Quinault

Bruxelles, 11 Mars 1740.

 

 

[Corrections de Zulime ; détails sur la manière dont cette tragédie doit être jouée.]

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

Le 12 Mars.

 

 

         Mon très cher ange gardien, je fis partir hier, à l’adresse de votre frère, un petit paquet contenant à peu près toutes les corrections que mon grand conseil m’a demandées pour cette Zulime. Je m’étais refroidi sur cet ouvrage, et j’en avais presque perdu l’idée, aussi bien que la copie. Il a fallu que mademoiselle Quinault m’ait renvoyé les cinq actes, pour me mettre au fait de mon propre ouvrage. Il est bien difficile de rallumer un feu presque éteint  il n’y a que le souffle de mes anges qui puisse en venir à bout. Voyez si vous retrouverez encore quelque chaleur dans les changements que j’ai envoyés. Je commence à espérer beaucoup de succès de cet ouvrage aux représentations, parce que c’est une pièce dans laquelle les acteurs peuvent déployer tous les mouvements des passions ; et une tragédie doit être des passions parlantes. Je ne crois pas qu’à la lecture elle fît le même effet, parce que la pièce a trop l’air d’un magasin dans laquelle on a brodé les vieux habits de Roxane, d’Atalide, de Chimène, de Callirhoé (1).

 

         J’en reviens à Mahomet, il est tout neuf.

 

 

         .  .  .  .  .  .  . Tentanda via est, qua me quoque possim

                            Tollere humo.

 

GEORG., lib. III.

 

 

         Mais Zulime sera la pièce des femmes, et Mahomet la pièce des hommes : je recommande l’une et l’autre à vos bontés.

 

         Avez-vous oublié Pandore ? Vous m’aviez dit qu’on en pouvait faire quelque chose. Je crois qu’il me sera plus aisé de vous satisfaire sur Pandore que sur  Zulime. Je vous avoue que je serais fort aise d’avoir courtisé avec succès, une fois en ma vie, la muse de l’opéra ; je les aime toutes neuf, et il faut avoir le plus de bonnes fortunes qu’on peut, sans être pourtant trop coquet.

 

         Le prince royal m’a écrit une lettre touchante, au sujet de monsieur son père qui est à l’agonie. Il semble qu’il veuille m’avoir auprès de lui ; mais vous me connaissez trop pour penser que je puisse quitter madame du Châtelet pour un roi, et même pour un roi aimable. Permettez, à ce sujet, que je vous demande un petit plaisir. Vous ne pouvez passer dans la rue Saint-Honoré sans vous trouver auprès d’Hébert (2) ; je vous supplie de passer chez lui, et de voir une écritoire de Martin, que nous faisons faire pour la présenter au prince royal. Voyez si elle vous plaît. Le présent est assez convenable à un prince comme lui ; C’est Soliman (3) qui envoie un sabre à Scanderbeg ; mais ce maudit Hébert me fait attendre des siècles. Le roi de Prusse se meurt ; et, s’il est mort avant que ma petite écritoire arrive, ma galanterie sera perdue. Il n’y a pas trop de bonne grâce à donner à un roi qui peut rendre beaucoup. Cet air intéressé ôterait tout le mérite de l’écritoire.

 

         Vous devriez bien me dire quelques nouvelles des spectacles ; ils m’intéressent toujours,quoique je sois à présent tout hérissé des épines de la philosophie.

 

         Mais vous ne me mandez jamais rien de ce qui vous regarde, rien sur votre vessie ni sur vos plaisirs ; je m’interroge à tout cela plus qu’à tous les spectacles du monde. Allez-vous toujours les matins vous ennuyer en robe à juger des plaideurs ?

 

1 – Callirhoé, opéra de Roi. (G.A.)

 

2 – Joaillier. (G.A.)

 

3 – Mahomet II (G.A.)

 

 

 

 

 

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