CORRESPONDANCE : Année 1740 - Partie 1

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LA CORRESPONDANCE   1733 à 1739 SE TROUVE DANS LA PARTIE GAUCHE …

 

 

 

 

à M. Pitot

 

2 Janvier 1740.

 

         Mon cher philosophe, je vous remercie tendrement de votre souvenir et de la fidélité avec laquelle vous avez soutenu la bonne cause, dans l’affaire de Prault (1). Il y a longtemps que je connais, que je défie, et que je méprise les calomniateurs. Les esprits malins et légers, qui commencent par oser condamner un homme dont ils n’imiteraient pas les procédés, n’ont garde de s’informer de quelle manière j’en ai usé. Ils le pourraient savoir de Prault lui-même ; mais il est plus aisé de débiter un mensonge au coin du feu que d’aller chez les parties intéressées s’informer de la vérité. Il y a peu d’âmes comme la vôtre qui aiment à rendre justice. Les vérités morales vous sont aussi chères que les vérités géométriques. Je vous prie de voir M. Arouet (2), et de demander l’état où il est. Dites-lui que j’y suis aussi sensible que je dois l’être, et que je prendrais la poste pour le venir voir, si je croyais lui faire plaisir. Je vous demande en grâce de m’écrire des nouvelles de la disposition de son corps et de son âme. Adieu ; mille amitiés à madame Pitot sans cérémonie.

 

 

1 – Voyez la lettre à d’Argenson du 8 Janvier 1740. (G.A.)

 

2 – Le frère de Voltaire avait été frappé d’apoplexie. (G.A.)

 

 

 

 

à Mademoiselle Quinault

 

5 Janvier 1740.

 

         [Il lui annonce que deux actes de Zulime sont refaits, et que les épines de Mahomet sont ôtées.]

 

 

 

 

à M. Helvétius

 

5 Janvier.

 

         Je vous salue au nom d’Apollon, et je vous embrasse au nom de l’amitié. Voici l’ode de la Superstition (1), que vous demandez, et l’opéra (2), dont vous nous avons parlé. Quand vous aurez lu l’opéra, mon cher ami, envoyez-le à M. de Pont de Veyle, porte Saint-Honoré. Mais, pour Dieu, envoyez-moi de meilleures étrennes. Je n’ai jamais tant travaillé que ce dernier mois ; j’ai la tête fendue. Guérissez-moi par quelque belle épître. Adieu les vers, cet hiver, je n’en ferai point ; la physique est de quartier ; mais vos lettres, votre souvenir, votre amitié, vos vers, seront pour moi de service toute l’année. Avez-vous ce Recueil qu’avait fait Prault ? Pourquoi le saisir ? Quelle barbarie ? Suis-je né sous les Goths et sous les Vandales ? Je méprise la tyrannie autant que la calomnie. Je suis heureux avec Emilie, votre amitié, et l’étude. Vous l’avez bien dit (2) ; l’étude console de tout. Je vous embrasse mille fois.

 

 

1 – L’Ode sur le Fanatisme faisait partie du Recueil saisi. (G.A.)

 

2 – Pandore. (G.A.)

 

3 – Dans l’Epître sur l’Etude. (G.A.)

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

A Bruxelles, ce 8 Janvier 1740.

 

Vous m’allez croire un paresseux, monsieur, et, qui pis est, un ingrat ; mais je ne suis ni l’un ni l’autre. J’ai travaillé à vous amuser depuis que je suis à Bruxelles, et ce n’est pas une petite peine que celle de donner du plaisir. Je n’ai jamais tant travaillé de ma vie ; c’est que je n’ai jamais eu tant d’envie de vous plaire.

 

Vous savez, monsieur, que je vous avais promis de vous faire passer une heure ou deux assez doucement ; je devais avoir l’honneur de vous présenter ce petit Recueil qu’imprimait Prault. Toutes ces pièces fugitives que vous avez de moi, fort informes et fort correctes, m’avaient fait naître l’envie de vous les donner un peu plus dignes de vous. Prault les avait aussi manuscrites. Je me donnai la peine d’en faire un choix, et de corriger avec un très grand soin tout ce qui devait paraître. J’avais mis mes complaisances dans ce petit livre. Je ne croyais pas qu’on dût traiter des choses aussi innocentes plus sévèrement qu’on n’a traité les Chapelle, les Chaulieu, les La Fontaine, les Rabelais, et même les épigrammes de Rousseau.

 

Il s’en faut beaucoup que le Recueil de Prault approchât de la liberté du moins hardi de tous les auteurs que je cite. Le principal objet même de ce Recueil était le commencement du Siècle de Louis XIV, ouvrage d’un bon citoyen et d’un homme très modéré. J’ose dire que, dans tout autre temps, une pareille entreprise serait encouragée par le gouvernement. Louis XIV donnait six mille livres de pension aux Valincour, aux Pélisson, aux Racine, et aux Despréaux, pour faire son histoire, qu’ils ne firent point ; et moi je suis persécuté pour avoir fait ce qu’ils devaient faire. J’élevais un monument à la gloire de mon pays, et je suis écrasé sous les premières pierres que j’ai posées (1). Je suis en tout un exemple que les belles-lettres n’attirent guère que des malheurs.

 

Si vous étiez à leur tête, je me flatte que les choses iraient un peu autrement, et plût à Dieu que vous fussiez dans les places que vous méritez ! Ce n’est pas pour moi, c’est pour le bonheur de l’Etat que je le désire.

 

Vous savez comment Gowers a gagné ici son procès tout d’une voix, comment tout le monde l’a félicité, et avec quelle vivacité les grands et les petits l’ont prié de ne point retourner en France. Je compte, pour moi, rester très longtemps dans ce pays-ci ; j’aime les Français, mais je hais la persécution. Je suis indigné d’être traité comme je le suis, et, d’ailleurs, j’ai de bonnes raisons pour rester ici. J’y suis entre l’étude et l’amitié, je n’y désire rien, je n’y regrette que de vous point voir.

 

Peut-être viendra-t-il des temps plus favorables pour moi, où je pourrai joindre aux douceurs de la vie que je mène celles de profiter de votre commerce charmant, de m’instruire avec vous, et de jouir de vos bontés. Je ne désespère de rien.

 

J’ai vu ici M. d’Argens ; je suis infiniment content de ses procédés avec moi. Je vois bien que vous m’aviez un peu recommandé à lui. Madame du Châtelet vous a écrit, ainsi je ne vous dis rien pour elle. Conservez-moi vos bontés, je vous en conjure ; vous savez si elles me sont précieuses.

 

 

1 – On avait supprimé ce Recueil le 4 Décembre 1739. Prault, le libraire, fut condamné à cinq cents livres d’amende et à tenir sa boutique fermée pendant trois mois. (G.A.)

 

 

 

 

à M. de Cideville

A Bruxelles, ce 9 janvier 1740.

 

 

         Mon très cher ami, depuis le moment où vous m’apparûtes à Paris, j’accompagnai madame de Richelieu jusqu’à Langres, je retournai à Cirey, de Cirey j’allai à Bruxelles ; j’y suis depuis plus d’un mois, et si ce mois n’a pas été employé à vous écrire, il l’a été à écrire pour vous, à mon ordinaire. Je n’ai jamais été si inspiré de mes dieux, ou si possédé de mes démons. Je ne sais si les derniers efforts que j’ai faits sont ceux d’un feu prêt à s’éteindre ; je vous enverrai ma besogne, mon cher ami, et vous en jugerez.

 

Vous y verrez du moins un homme que les persécutions ne découragent point, et qui aime assurément les belles-lettres pour elles-mêmes. Elles me seront éternellement chères, quelques ennemis qu’elles m’aient attirés. Cesserai-je d’aimer des fruits délicieux parce que des serpents ont voulu les infecter de leur venin ?

 

On avait préparé à Paris un petit Recueil de la plupart de mes pièces fugitives, mais fort différentes de celles que vous avez ; et, en vérité, il fallait bien qu’il en parût enfin une bonne leçon, après toutes les copies informes qui avaient inondé le public dans tant de brochures qui paraissent tous les mois. J’avais donc corrigé le tout avec un très grand soin ; on avait mis à la tête de cette petite collection le commencement de mon Essai sur le Siècle de Louis XIV. Si vous ne l’avez pas vu, je vous l’enverrai. Vous jugerez si ce n’est pas l’ouvrage d’un bon citoyen, d’un bon Français, d’un amateur du genre humain, et d’un homme modéré. Je ne connais aucun auteur citramontain qui ait parlé de la cour de Rome avec plus de circonspection, et j’ose dire que le frontispice de cet ouvrage était l’entrée d’un temple bâti à l’honneur de la vertu et des arts. Les premières pierres de ce temple sont tombées sur moi ; la main des sots et des bigots a voulu apparemment m’écraser sous cet édifice, mais ils n’y ont pas réussi ; et l’ouvrage et moi nous subsisterons.

 

Louis XIV donna deux mille écus de pension aux Pélisson, aux Racine, aux Despréaux, aux Valincour, pour écrire son histoire, qu’ils ne firent point. J’ai embrassé, à moins de frais, un objet plus important, plus digne de l’attention des hommes, l’histoire d’un siècle plus grand que Louis-le-Grand, j’ai fait la chose gratis, ce qui devait plaire par le temps qui court ; mais le bon marché n’a pas empêché qu’on en ait agi avec moi comme si j’étais parmi des Vandales ou des Gépides. Cependant, mon cher ami, il y a encore d’honnêtes gens, il y a des êtres pensants, des Emilie, des Cideville, qui empêchent que la barbarie n’ait droit de prescription parmi nous. C’est avec eux que je me console ; ce sont eux qui sont ma récompense.

 

Que faites-vous, mon cher ami ? Etes-vous à Rouen ou à la campagne, avec les Thomson ou avec les Muses ? Quand vivrons-nous ensemble ? car vous savez bien que nous y vivrons. Il faut qu’à la fin le petit nombre des adeptes se rassemble dans un petit coin de la terre. Nous y serons comme les bons Israélites en Egypte, qui avaient la lumière pour eux tout seuls, à ce qu’on dit, pendant que la cour de Pharaon était dans les ténèbres. Madame du Châtelet vous fait les compliments les plus sincères et les plus vifs. Adieu, mon cher Cideville, adieu, jusqu’au premier envoi que je vous ferai de mes bagatelles. V.

 

Il y a quatre jours que cette lettre est écrite ; j’ai eu quatre accès de fièvre depuis. Je me porte mieux, madame du Châtelet vous fait ses compliments.

 

 

 

 

à M. Helvétius

A Bruxelles, ce 19… (1).

 

Eh bien ! nous n’entendrons donc parler de vous ni en vers ni en prose. Je me flatte que mon cher Apollon naissant me paiera de son silence avec usure. Apparemment que vous préludez à présent, et que bientôt nous aurons la pièce (2). Cependant, mon cher ami, je vous prie de me mander si vous avez reçu le brouillon de Pandore, et si vous l’avez envoyé à M. de Pont de Veyle, rue et porte Saint-Honoré. Si vous êtes content de l’esquisse, je finirai le tableau ; sinon je le mettrai au rebut. Madame du Châtelet vous fait mille compliments, et moi je vous suis attaché pour la vie. Mandez-nous donc ce que c’est qu’Eugénie. Cela est-il digne d’être vu plusieurs fois de vous ? Mes compliments à votre ami (3). Adieu, je vous embrasse, mon jeune Apollon. V.

 

Je vous supplie de vouloir bien faire mettre cette lettre à la poste.

 

 

 

1 – C’est à tort que MM. de Cayrol et A. François ont daté cette lettre du 19 Septembre 1741. Elle doit être du 19 Janvier 1740. (G.A.)

 

2 – Voyez la lettre à Helvétius du 5 Janvier 1740. (G.A.)

 

3 – Montmirel. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Helvétius

Bruxelles, 24 Janvier 1740.

 

 

Ne les verrai-je point ces beaux vers que vous faites (1),

Ami charmant, sublime auteur ?

Le ciel vous anima de ces flammes secrètes

Que ne sentit jamais Boileau l’imitateur,

Dans ses tristes beautés si froidement parfaites.

Il est des beaux esprits, il est plus d’un rimeur ;

Il est rarement des poètes.

Le vrai poète est créateur ;

Peut-être je le fus, et maintenant vous l’êtes.

 

 

         Envoyez-moi donc un peu de votre création. Vous ne vous reposerez pas après le sixième jour ; vous corrigerez, vous perfectionnerez votre ouvrage, mon cher ami. Votre dernière lettre m’a un peu affligé. Vous tâtez donc aussi des amertumes de ce monde, vous éprouvez des tracasseries, vous sentez combien le commerce des hommes est dangereux ; mais vous aurez toujours des amis qui vous consoleront, et vous aurez, après le plaisir de l’amitié, celui de l’Etude ;

 

 

Nam nil dulcius est bene quam munita tenere

Edita doctrina sapentum templa serena,

Despicere unde queas alios, passimque videre

Errare atque viam palantes quærere vitæ.

 

LUCRECE., II.

 

Il y a bientôt huit ans que je demeure dans le temple de l’amitié et de l’étude. J’y suis plus heureux que le premier jour. J’y oublie les persécutions des ignorants en place, et la basse jalousie de certains animaux amphibie qui osent se dire gens de lettres. J’y puise des consolations contre l’ingratitude de ceux qui ont répondu à mes bienfaits par des outrages. Madame du Châtelet, qui a éprouvé à peu près la même ingratitude, l’oublie avec plus de philosophie que moi, parce que son âme est au-dessus de la mienne.

 

Il y a peu de grands seigneurs de deux cent mille livres de rente qui fassent pour leurs parents ce que madame du Châtelet avait fait pour Kœnig. Elle avait soin de lui et de son frère, les logeait, les nourrissait, les accablait de présents, leur donnait des domestiques, leur fournissait à Paris des équipages. Je suis témoin qu’elle s’est incommodée pour eux ; et, en vérité, c’était bien payer la métaphysique romanesque de Leibnitz, dont Kœnig l’entretenait quelquefois les matins. Tout cela a fini par des procédés indignes que madame du Châtelet veut encore avoir la grandeur d’âme d’ignorer.

 

Vous trouverez, mon cher ami, dans votre vie, peu de personnes plus dignes qu’elle de votre estime et de votre attachement.

 

Adieu, mon jeune Apollon ; je vous embrasse, je vous aime à jamais.

 

 

1 – Le poème sur le Bonheur qu’Helvétius commençait alors. (G.A.)

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

A Bruxelles, le 26 Janvier.

 

         Les infamies de tant de gens de lettres ne m’empêchent point du tout d’aimer la littérature. Je suis comme les vrais dévots, qui aiment toujours la religion, malgré les crimes des hypocrites. Je vous avoue que, si je suivais entièrement mon goût, je me livrerais tout entier à l’Histoire du Siècle de Louis XIV, puisque le commencement ne vous en a  pas déplu ; mais je n’y travaillerai point tant que je serai à Bruxelles ; il faut être à la source pour puiser ce dont j’ai besoin ; il faut vous consulter souvent. Je n’ai point assez de matériaux pour bâtir mon édifice hors de France. Je vais donc m’enfoncer dans les ténèbres de la métaphysique et dans les épines de la géométrie, tant que durera le malheureux procès de madame du Châtelet.

 

         J’ai fait ce que j’ai pu pour mettre Mahomet dans son cadre, avant de quitter la poésie ; mais j’ai peur que, dans cette pièce, l’attention à ne pas dire tout ce qu’on pourrait dire n’ait un peu éteint mon feu. La circonspection est une belle chose, mais en vers elle est bien triste. Etre raisonnable et froid, c’est presque tout un ; cela n’est pas à l’honneur de la raison.

 

         Si j’avais de la santé, et si je pouvais me flatter de vivre, je voudrais écrire une histoire de France à ma mode. J’ai une drôle d’idée dans ma tête, c’est qu’il n’y a que des gens qui ont fait des tragédies qui puissent jeter quelque intérêt dans notre histoire sèche et barbare. Mézerai et Daniel m’ennuient ; c’est qu’ils ne savent ni peindre ni remuer les passions. Il faut, dans une histoire comme dans une pièce de théâtre, exposition, nœud et dénouement.

 

         Encore une autre idée. On n’a fait que l’histoire des rois, mais on n’a point fait celle de la nation. Il semble que, pendant quatorze cents ans, il n’y ait eu dans les Gaules que des rois, des ministres, et des généraux ; mais nos mœurs, nos lois, nos coutumes, notre esprit, ne sont-il donc rien ?

 

         Adieu, monsieur ; respect et reconnaissance.

 

 

à M. le comte d’Argental

Ce 29 Janvier..

 

Je suis absolument de l’avis de l’ange gardien et de ses chérubins sur le retranchement de la scène d’Atide, au quatrième acte. Non seulement cette arrivée d’Atide ressemblait en quelque chose à l’Atalide de Bajazet, mais elle me paraît peu décente et très froide dans une circonstance si terrible, et à la vue du corps expirant d’un père, qui doit occuper toute l’attention de la malheureuse Zulime.

 

Après avoir bien examiné les autres observations, et avoir plié mon esprit à suivre les routes qu’on me propose, je les trouve absolument impraticables.

 

On veut que Zule doute si son amant a assassiné son père ; on veut ensuite qu’elle puisse l’excuser sur ce qu’il l’a tué sans le savoir, et que cette idée de l’innocence de Ramire soit l’objet qui occupe principalement le cœur de Zulime.

 

Je crois avoir ménagé assez le peu de doutes qu’elle doit avoir, et je crois que ce serait  perdre toute la force du tragique que de vouloir rendre toujours son amant innocent. Le véritable tragique, le comble de la terreur et de la pitié est, à mon avis, qu’elle aime son amant criminel et parricide. Point de belles situations sans de grands combats, point de passions vraiment intéressantes sans de grands reproches. Ceux qui conseillèrent à Pradon de ne pas rendre Phèdre incestueuse, lui conseillèrent des bienséances bien malheureuses et bien messéantes au théâtre. Ah ! ne me traitez pas en Pradon !

 

Je condamne aussi sévèrement toute assemblée de peuple. Ce n’est pas d’une vaine pompe dont il s’agit ; il faut que Zulime, en mourant, adore encore la cause de ses crimes et de ses malheurs ; il faut qu’elle le dise, et, si elle était devant le peuple, cette affreuse confidence serait déplacée ; c’est alors que les bienséances seraient violées. J’aime la pompe du spectacle, mais j’aime mieux un vers passionné.

 

Voici donc les seuls changements que mon temps, mes occupations, et mon départ, me permettent. Begnigno animo legete ; et publici juris in theatro fiant. Je vous supplie d’adresser vos ordres chez l’abbé Moussinot, qui aura mon adresse.

 

Je me flatte que je vous adresserai bientôt mieux que Zulime. Permettez-moi de baiser respectueusement la belle main (1) qui a écrit les remarques auxquelles j’ai obéi en partie.

 

 

.  .  .  .  .  .  .  .   Si quid novisti rectius istis,

Candidus imperti ; si non, his utere mecum

 

HOR., lib. I, ep. VI.

 

         Voyez si vous êtes à peu près content. Donnez cela à mademoiselle Quinault quand il vous plaira, sinon donnez-moi donc de nouveaux ordres ; Mais je sens les limites de mon esprit ; je ne pourrai guère aller plus loin, comme je ne peux vous aimer ni vous respecter davantage.

 

 

1 – La main de madame d’Argental, qui servait souvent de secrétaire à son mari. (G.A.)

 

 

 

 

à M. l’abbé Moussinot

Février.

 

Je n’entends plus parler, mon cher ami, de la maladie de mon frère. Voilà tout terminé pour le retour de sa santé, et je vous prie de me renvoyer la lettre par laquelle je vous priais, en cas d’accident, de prendre les arrangements de famille convenables.

 

Quant au testament, je ne doute pas que, avec votre prudence ordinaire, sans me commettre, et sans marquer que je puisse avoir sur cela quelque inquiétude, vous ne soyez informé de ce qui en était. Il serait très désagréable que mes nièces et neveux eussent à me faire ma part ; ce serait à moi, ce me semble, à faire la leur.

 

Point de réponse de M. d’Auneuil. Quand vous serez de loisir, rappelez-lui qu’il a promis plusieurs fois de payer les mille livres qui sont en souffrance. Ainsi vous en demanderez trois mille. Je recommande aussi à vos soins le seigneur de Lezeau et celui de Belle-Poule (1) ; et si ce Belle-Poule est saisi par le roi, il faut procéder pour obtenir juridiquement une autre délégation.

 

Autre anicroche. Le Poyet ne veut plus que les tableaux partent par le coche ; mais, de quelque façon qu’ils partent, soyons tous contents. J’attends vos ordres là-dessus. Voici un petit mot de lettre pour notre grand d’Arnaud ; et, pour qu’il ait de quoi payer le port, donnez-lui, je vous prie, vingt livres, en attendant ce que nous ferons en avril.

 

 

1 – Ce dernier domaine appartenait à M. d’Estaing. (G.A.)

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

1er Février.

 

Mes anges, je suis près quelquefois de vous donner à tous les diables ; vous ne m’écrivez pas un mot ni sur Eugénie, ni sur Mahomet, ni sur Zulime, ni sur Madame Prudise (2), ni sur Pandore.

 

Cependant il me semble qu’on peut faire quelque chose de toutes ces pièces, hors d’Eugénie que je ne connais point.

 

J’ai envoyé un cinquième acte de Mahomet ; s’il peut passer tel qu’il est, les autres sont tout prêts, et je vous réponds qu’il y a deux derniers actes de Zulime dont vous ferez à la fin quelque chose. Mais puis-je envoyer tout cela sous le couvert de l’intendant des classes ? Pourquoi mes anges sont-ils muets ? C’est bien la peine d’avoir des anges gardiens ! Je vous baise les ailes ; mais écrivez-moi donc un petit mot.

 

 

1 – C’est à tort  que MM. de Cayrol et A. François, éditeurs de cette lettre, l’ont classée à l’année 1741. Elle est de 1740. (G.A.)

 

2 – La Prude. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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