CORRESPONDANCE - Année 1738 - Partie 7

Publié le par loveVoltaire

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Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

à M. Thieriot

Juillet. (1)

 

Je vous adresse, mon cher ami, ce paquet pour notre prince qui ne sera jamais mon prince, s’il ne vous fait du bien ; mais je suis très persuadé qu’il vous récompensera d’une manière éclatante. S’il n’avait pas ce dessein, il vous paierait régulièrement des appointements chétifs qui le dispenseraient de toute reconnaissance. Vivez seulement, et comptez que vous êtes très heureux qu’il ne vous donne rien.

 

M. des Alleurs fait fort bien de douter de beaucoup de choses ; mais qu’il ne doute ni de mon estime, ni de mon attachement pour lui, ni que deux et deux font quatre.

 

Je me flatte que M. d’Argental passera à Cirey. Je voudrais bien qu’il vous y trouvât. Il n’a jamais rien fait de si sage que de ne point aller à Saint-Domingue ; et vous ne ferez jamais rien de si bien que de venir nous voir.

 

Mon amitié est bien honteuse d’une si courte lettre ; mais, quand je vous tiendrai ici, mon amitié sera bien bavarde.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Berger

Cirey.

 

J’ai reçu votre lettre, mon cher monsieur. Non seulement j’ai souhaité que M. de Latour fût le maître de faire graver mon portrait, mais j’ai écrit à l’abbé Moussinot en conséquence ; ce n’est pas pour l’honneur de mon visage, mais pour l’honneur du pinceau de ce peintre aimable. A lui permis de m’exposer, son pinceau excuse tout. Il y a des personnes assez curieuses pour vouloir avoir ce petit visage-là gravé en pierre à cachet. Si M. de Latour veut encore se charger de cette besogne, il sera le maître du prix. Priez-le de m’instruire comment il faut s’y prendre, et dans quel temps on pourrait espérer une douzaine de pierres.

 

Si vous pouviez me faire transcrire une douzaine ou deux des lettres les plus intéressantes écrites à M. de Louvois et de ses réponses, les plus propres à caractériser ces temps-là, vous rendriez un grand service à l’auteur du Siècle de Louis XIV. Je vous supplie de ne rien épargner pour cela.

 

J’ai de meilleurs mémoires sur le czar Pierre que n’en a l’auteur de sa Vie. On ne peut être plus au fait que je le suis de ce pays-là, et quelque jour je pourrai faire usage de ces matériaux ; mais on n’aime ici que la philosophie, et l’histoire n’y est regardée que comme des caquets. Pour moi, je ne méprise rien. Tout ce qui est du ressort de l’esprit a mes hommages.

 

M. d’Argental nous a mandé son départ pour ses terres. Nous espérons qu’il passera par Cirey. Il y trouvera une espèce de Nouveau-Monde fort différent de celui de Paris. Vos lettres font toujours grand plaisir aux habitants de ce monde-là.

 

 

 

 

à M. le Comte d’Argental

14 Juillet.

 

La route de Paris à Pont-de-Veyle est par Dijon ; la route de Dijon est par Bar-sur-Aube, Chaumont, Langres, etc. De Bar-sur-Aube à Cirey il n’y a que quatre lieues ; et, si vous ne voulez pas faire quatre lieues pour voir vos amis, vous n’êtes plus d’Argental, vous n’êtes plus ange gardien, vous êtes digne d’aller en Amérique.

 

Ah ! charmant et respectable ami, vous ne vous démentirez pas à ce point, et vous ne nous donnerez pas pour excuse qu’il ne faut pas aller à Cirey, en passant ; il faut y aller, ne fût-ce que pour un jour ou pour une heure. Quoi ! Vous faisiez dix-huit cents lieues pour quitter vos amis, et vous n’en feriez pas quatre pour les voir ! Je vous avertis que, si vous prenez une autre route que celle de Bar-sur-Aube, Chaumont, Langres, si vous passez par Auxerre, nous vous ferons rougir, et nous aurons le bonheur de vous voir.

 

Vos réflexions sur les Epîtres et sur Mérope me paraissent fort justes ; et, puisque j’ai pris tant de liberté avec le marquis Maffei dans les quatre premiers actes, je pourrai bien encore changer son cinquième. En ce cas, la Mérope m’appartiendra tout entière.

 

Si on ne permet pas de se moquer des convulsions (1), il ne sera donc plus permis de rire.

 

Si le public, devenu plus dégoûté que délicat à force d’avoir du bon en tout genre, ne souffre pas qu’on égaie des sujets sérieux ; si le goût d’Horace et de Despréaux est proscrit, il ne faut donc plus écrire.

 

Mais si vous ne venez pas à Cirey, il ne faut plus rien aimer.

 

Madame du Châtelet vous persuadera ; et moi je ne veux point perdre l’espérance de voir monsieur et madame d’Argental, et de les assurer qu’ils n’auront jamais un serviteur plus tendre, plus dévoué que Voltaire, et plus affligé de la barbare idée que vous avez de détourner de votre chemin pour ne nous point voir.

 

 

1 – Voyez dans le septième des Discours sur l’Homme. (G.A.)

 

 

 

 

à M. de Cideville

A Cirey, le 14 Juillet.

 

Malgré mon silence coupable,

Et mes égarements divers,

Cideville, tout aimable,

Toujours à lui-même semblable,

Daigne encor m’envoyer des vers (1).

 

Il est ma première maîtresse,

Qui, prenant ses plus beaux atours,

Vient rendre à ses premiers amours

Un cœur formé pour la tendresse,

Que je crus usé pour toujours.

 

Croyez, mon cher Cideville, que je pourrai renoncer aux vers, mais jamais à votre tendre amitié. Cette philosophie de Newton a un peu pris sur notre commerce, mais rien sur mes sentiments. Périsse le carré des distances, périssent les lois de Kepler, plutôt qu’il me soit reproché que j’ai abandonné mon ami ! Quelle science vaut l’amitié ? Non, mon cher Cideville, non seulement je ne vous oublie point, mais je ne perds point l’espérance de vous revoir. Il est bien vrai que les Eléments de Newton me font des ennemis. Il y a deux bonnes raisons pour cela : cette philosophie est vraie, et elle combat celle de Descartes, que les Français ont adoptée avec aussi peu de raison qu’ils l’avaient proscrite.

 

Je ne suis point étonné que vous ayez entendu une philosophie raisonnable et dégagée de toutes ces hypothèses qui ne présentent à l’esprit que des romans confus. Je ne suis point surpris non plus que vous l’ayez fait entendre à la personne aimable à qui sans doute vous avez fait entendre des vérités d’un usage plus réel, et qui par là en est plus respectable pour moi. Il faut, quand on a un maître tel que vous, que le cœur et l’esprit aillent de compagnie. Permettez que je lui réponde en vers (2). Elle ne m’a point écrit dans sa langue ; sa langue est sans doute celle des dieux.

 

Vous avez dû avoir quelque peine avec cette édition d’Amsterdam ; elle est très fautive. Il faut souvent suppléer le sens. Les libraires se sont hâtés de la débiter sans me consulter. Vous recevrez incessamment quelques exemplaires d’une édition qu’on dit plus correcte. Vous aurez Mérope en même temps. Je vous paierai mes tributs en vers et en prose pour réparer le temps perdu.

 

Nous n’avons point entendu parler de Formont depuis qu’il est à la suite de Plutus.

 

Il est mort, le pauvre Formont :

Il a quitté le double mont.

Musique, vers, philosophie,

Plutus lui fait tout renier.

Pleurez, Erato, Polymnie,

Chapelle s’est fait sous-fermier.

 

Nous recevons dans le moment une lettre de lui ; ainsi nous nous rétractons. Elle est datée de la campagne.

 

Quand cette lettre fut écrite

D’un style si vif et si doux,

Sans doute il était près de vous ;

Il a repris tout son mérite.

 

Il faut que je vous dise une singulière nouvelle. Rousseau vient de me faire envoyer une ode de sa façon, accompagnée d’un billet dans lequel il dit que c’est par humilité chrétienne qu’il m’adresse son ode, qu’il m’a toujours estimé, et que j’aurais été son ami si j’avais voulu. J’ai fait réponse (3) que son ode n’est pas assez bonne pour me raccommoder avec lui ; que, puisqu’il m’estimait, il ne fallait pas me calomnier ; et que, puisqu’il m’a calomnié, il fallait se rétracter ; que j’entendais peu de chose à l’humilité chrétienne, mais que je me connaissais très bien en probité, et pas mal en odes ; qu’il fallait enfin corriger ses odes et ses procédés pour bien réparer tout.

 

Je vous envoie son ode, vous jugerez si elle méritait que je me réconciliasse. Il est dur d’avoir un ennemi ; mais quand les sujets d’initimitié sont si publics et si injustes, il est lâche de se raccommoder, et un honnête homme doit haïr le malhonnête homme jusqu’au dernier moment. Celui qui m’a offensé par faiblesse retrouvera toujours une voie pour rentrer dans mon cœur ; un coquin n’en trouvera jamais. Je me croirais indigne de votre amitié, si je pensais autrement. Adieu, mon cher ami, que j’ai tant de raisons d’aimer. Madame du Châtelet ne vous connaît que comme les bons auteurs, par vos ouvrages ; vos lettres sont des ouvrages charmants.

 

 

1 – Voyez une lettre à Moussinot de Juillet 1738. (G.A.)

 

2 – Voyez l’Epître à mademoiselle de T….. (G.A.)

 

3 – Voyez plus haut la lettre à M. R***. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Berger

Cirey.

 

Apparemment, mon cher Berger, vous n’avez pas reçu ma lettre quand vous étiez à Chantilly. J’ai écrit plusieurs fois à l’abbé Moussinot, pour avoir une autre planche plus digne du pastel de notre ami Latour. Je veux en faire les frais, et qu’on travaille sous ses yeux. Le graveur doit obéir au peintre, comme l’imprimeur à l’auteur. Si les animaux hollandais qui ont imprimé mes Eléments de Newton avaient été plus dociles, cet ouvrage ne serait pas plein de fautes d’impression. Je me tiens l’apôtre de Newton, mais j’ai peur de semer en terre ingrate. Mandez-moi si l’excellent livre de M. de Maupertuis fait le fracas qu’il doit faire. Votre peuple frivole en est très indigne.

 

Ecrivez-moi toutes ces nouvelles, et aimez qui vous aime.

 

 

 

 

à M. de Maupertuis

Juillet.

 

Voyez, notre maître à tous, si vous voulez permettre que je vous adresse cette drogue (1). Vous m’avouerez que j’ai quelque raison d’être piqué contre le pédant de continuateur qui m’insulte encore après avoir gâté mon œuvre.

 

Que Newton vous tienne en sa sainte et digne garde ! Si vous trouvez quelque sottise dans mon bavardage, ayez la bonté de la corriger. Emilie vous en prie. Je suis toujours à vos genoux avec mon encens à la main, et mon ignorance dans la tête.

 

 

1 – La lettre qu’on trouvera plus loin et qui parut dans la Bibliothèque française. (G.A.)

 

 

 

 

à M. l’abbé Moussinot

Ce 21 Juillet 1738 (1).

 

En réponse à votre paquet du 19, mon cher ami, je vous renvoie la préface de M. d’Arnaud. Je vous prie de lui mander sur-le-champ de la bien copier sur du papier honnête, et de tâcher, s’il se peut, de l’écrire d’une écriture lisible. Après quoi il vous la remettra avec un mot d’avis qu’il écrira aux libraires de Hollande.

 

Vous aurez la bonté de faire mettre le tout à la poste, à l’adresse de MM. Westein et Smith, Amsterdam.

 

Et vous me renverrez le brouillon corrigé que je vous envoie.

 

J’ai reçu le télescope et les pantoufles. Le télescope est très bien raccommodé, et ces pantoufles sont fort bien faites. Mes pieds et mes yeux vous sont fort obligés. Envoyez-moi encore, quand il vous plaira, trois paires de ces belles pantoufles.

 

Le procédé de Demoulin est d’un coquin, et celui de La Mare d’un étourdi. Je veux absolument que Demoulin paie au moins 1,000 livres ce mois d’août, et qu’il donne des sûretés pour les 2,000 livres restantes. C’est ce qu’il faut que le procureur lui fasse dire, et cela à condition qu’il me demandera pardon de l’insolence qu’il a eue de me menacer d’un mémoire. Sans ce préalable, je veux qu’on le poursuive à la rigueur.

 

Je vous ai écrit au sujet du sieur Dupuis, libraire, qui doit fournir pour environ 80 francs de livres, en lui rendant son billet, qui est, je crois, de 96 francs ; il doit être content de mon procédé.

 

De plus, il pourra me fournir des livres que je lui paierai comptant par vos mains, si vous le trouvez bon.

 

Je suis bien mécontent de la négligence de Prault, qui ne me fournit jamais les journaux, ni ce dont il est convenu, à temps.

 

Je vous prie de faire venir chez vous le chevalier de Mouhi, et de lui demander naturellement ce qu’il faut par an pour les nouvelles qu’il fournit, et ensuite je vous dirai ce qu’il faudra donner à compte. Il pourrait peut-être se charger d’envoyer les Mercures et pièces nouvelles.

 

A propos de pièces nouvelles, je vous prie de m’envoyer une rescription de 4,000 livres ; et sur ce, je vous embrasse du meilleur de mon cœur. V.

 

Je prie M. votre frère de souscrire de ma part pour le livre de M. de Brémont. C’est une traduction des Transactions philosophiques. Il y a déjà deux tomes d’imprimés. Je prie qu’on les achète, et que M. de Brémont puisse savoir que je suis un de ses partisans.

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

à M. de Marville

Le 25 Juillet.

 

Monsieur, je me donnerai bien de garde de vous prier de vous ennuyer à la lecture du livre (1) que j’ai l’honneur de vous présenter ; mais je ne peux m’empêcher de saisir cette occasion de vous marquer combien je vous suis attaché, et de vous faire souvenir d’un ancien serviteur qui compte toujours sur vos bontés. Je suis avec respect, etc.

 

 

1 – Les Eléments. (G.A.)

 

 

 

 

à M. de Maupertuis

Cirey, le 26 Juillet.

 

Depuis feu saint Thomas, il n’y a personne de si incrédule que vous. Ne croyez point aux tourbillons, à la terre élevée aux pôles ; confondez les erreurs des philosophes, mon grand philosophe ; mais, pour Dieu, croyez les faits, quand votre ami et votre admirateur vous les articule. L’article de Saturne ne m’appartient pas plus qu’à vous dans ces Eléments de Newton, et je trouve cette graine de satellites formant un anneau tout aussi ridicule que cette pépinière de petites planètes dont on s’avise de composer la lumière zodiacale, en la comparant encore plus ridiculement, à mon gré, avec la voie lactée. J’ignore encore quel est le mathématicien qui s’est chargé de cette besogne ; tout ce que je sais, c’est que les libraires ont fait coudre, pour de l’argent, cette étoffe étrangère à l’étoffe dont je leur avais fait présent. Les libraires sont des faquins, et je ne sais que dire du savant mercenaire qui a copié, pour de l’argent, tant d’acta eruditorum et d’anciens mémoires de l’Académie. Je suis obligé de ne point me brouiller avec lui. 1° parce qu’il ne faut point se battre contre un masque, quand on est à visage découvert ; 2° parce que cela ferait une querelle indécente et ruineuse pour le parti de la vérité ; mais j’espère un jour réparer ses torts.

 

Madame du Châtelet ne voulait pas m’en croire, quand je lui disais que c’était une très grande erreur de ma part d’avoir voulu faire cadrer les propositions de la chute des corps, découvertes par Galilée, avec la raison inverse du carré des distances, de Newton. J’avais beau lui dire que ces deux vérités ne découlaient point l’une de l’autre, que je m’étais trompé, il a fallu enfin que l’oracle parlât pour qu’elle se soumît.

 

J’entends toujours dire qu’un grand parti subsiste contre vous ; mais j’espère qu’il ne subsistera pas longtemps. Vous avez reçu une lettre du prince royal ; c’est le seul prince, je crois, digne de vous lire. On dit que l’empereur de la Chine en est fort digne aussi ; mais je vous prie, n’allez point à la Chine.

 

Vous devriez bien d’un coup de votre massue d’Hercule écraser ces fantômes de tourbillons que je n’attaque qu’avec mes faibles roseaux. Voici, je crois, si vous voulez m’aider, un coup de fouet contre les tourbillons :

 

Les longueurs des pendules sont entre elles comme les carrés des temps de leurs vibrations. Si, sur la surface de la terre, trois pieds huit lignes donnent une seconde, le diamètre de la terre donne une heure vingt-quatre minutes et plus, et la terre tourne à peu près en dix-sept heures et dix-sept fois vingt-quatre minutes, et ce plus ; donc la pesanteur qui fait l’oscillation des pendules ne peut venir sur la surface de la terre d’un fluide circulant qui devrait faire aller nos pendules à secondes dix-sept fois plus vite qu’elles ne vont ; donc, etc. Mettez-moi cela au clair, je vous prie ; dites-moi si j’ai raison, et ce qu’on peut répondre à ces arguments.

 

Expliquez-moi comment des journaux peuvent louer des leçons de physique où l’on imagine de petits tourbillons avec un petit globule dur au milieu (1). Dites-moi si cela ne couvre pas de honte notre nation aux yeux des étrangers.

 

Dites-moi si je ne suis pas bien importun ; mais, si mes questions le sont, je vous prie, que mon amitié ne le soit pas.

 

Vous voilà dans votre pays, où vous êtes prophète ; mais, si vous étiez à Cirey, vous seriez, comme dit l’autre (2), plus quam propheta.

 

J’ai eu l’honneur de faire porter chez vous, rue Sainte-Anne, deux exemplaires de la nouvelle édition des Eléments de Newton. Madame du Châtelet reçoit dans le moment votre lettre. Il est bien triste que vous alliez ailleurs, quand votre personne est si nécessaire à Paris. Que deviendra la vérité ? Les hommes n’en sont pas dignes ; mais vous êtes digne de la faire connaître. Si votre esprit sublime vous permet d’aimer, aimez-nous.

 

 

1 – M. de Voltaire parle des leçons de Réaumur. (K.)

 

2 - Matthieu. (G.A.)

 

 

 

 

à M. L’abbé Moussinot

Juillet.

 

Pas un sou à Prault, mon cher abbé, que je n’aie arrêté son compte, et que je sache ce que je dois payer de chaque volume (1). Nous étions convenus à trente sous, il me demande aujourd’hui un écu : ce n’est pas là notre marché. Je suis très mécontent de lui et de la tournure qu’il prend pour me faire payer ma marchandise plus cher que je ne l’ai achetée. Vous pouvez toujours lui donner cinq cents francs pour les autres livres qu’il m’a fournis, mais, encore une fois, pas un sou au-delà.

 

Voudriez-vous, mon cher abbé, écrire au grand d’Arnaud de rendre son avertissement quatre fois plus court et plus simple, d’en retrancher les louanges que je ne mérite pas, et de laisser dans le seul carré de papier qui contiendra cet avertissement une marge pour les corrections que je ferai ? Mon cher ami, ma santé va bien mal.

 

 

1 – Voyez la lettre à Moussinot du 9 Juillet. (G.A.)

 

 

 

 

à M. l’abbé Moussinot

Cirey, Juillet.

 

Il y a beaucoup d’insolence à Demoulin de me menacer de faire un mémoire, et cela seul mérite qu’on le punisse. M. d’Argental n’aurait pas dû s’en mêler. Je suis très fâché que son amitié se soit fourrée entre moi et ce Demoulin ; et je me vois forcé de faire pour M. d’Argental ce que certainement je n’aurais pas fait pour ce coquin qui m’a volé vingt mille francs. Sursoyez donc la procédure jusqu’à la fin du mois d’août. Je veux absolument qu’à cette époque il me paie au moins dix mille francs, et qu’il me donne des sûretés pour les vingt mille restants ; et tout cela à condition qu’il me demandera pardon de l’insolence qu’il a eue de me menacer d’un mémoire. Sans ce préalable, point de paix et qu’on le poursuive à la rigueur.

 

Le procédé de Demoulin est d’un coquin, et celui du petit La Mare d’un grand étourdi. S’il a encore l’impudence de venir menacer de la part de Demoulin, ou même s’il se présente chez vous, faites-lui passer la porte, au cas que vous ne vouliez pas vous servir de la fenêtre.

 

Grand merci du télescope et des pantoufles. Le télescope est très bien raccommodé, et les pantoufles sont fort bien faites. Mes pieds et mes yeux vous sont fort obligés, mon cher ami. (1).

 

 

1 – On a déjà trouvé plus haut cette phrase. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot

A Cirey, le 2 Août.

 

Je vous remercie bien tendrement, mon cher ami, de tant de bons passeports que vous avez donnés à cette Philosophie de Newton. Vous êtes accoutumé à faire valoir plus d’une vérité venue d’Angleterre. M. Cousin vous donnera tant d’exemplaires que vous voudrez. Voulez-vous vous charger d’un pour M. Pallu, d’un pour M. de Chauvelin, intendant d’Amiens, ou voulez-vous que je m’en charge ?

 

Je suis bien étonné que cette Lettre imprimée contre mes Eléments soit du P. Regnault ; elle n’est pas digne d’un écolier. Je crois que j’y réponds (1) de façon à forcer l’auteur à être fâché contre lui-même, et non contre moi.

 

Nous avons ici un fermier-général qui me paraît avoir la passion des belles-lettres ; c’est le jeune Helvétius, qui sera digne du temple de Cirey, s’il continue. Voilà Minerve réconciliée avec Plutus. M. de La Popelinière avait déjà commencé cette grande négociation. Je doute qu’on y réussisse mieux que lui.

 

Ce qui me fait le plus de plaisir, dans la copie de la lettre trop flatteuse pour moi que vous a écrite notre prince, c’est qu’il vous parle avec confiance. Plus il vous connaîtra, et plus son cœur s’ouvrira pour vous. Apparemment que cette lettre, où il prend mon parti avec tant de bonté, est en réponse à la satire injurieuse et absurde du P. Regnault, et à d’autres ouvrages contre moi que vous lui avez envoyés. Si je ne craignais d’opposer trop d’amour-propre à ces injures, je vous dirais de lui envoyer les témoignages honorables, aussi bien que ceux qui peuvent me décrier ; je pourrais faire voir que je ne suis ni si haï ni si méprisé qu’on le fait accroire à ce prince, dont le goût et les bontés s’affermissent par ces infâmes injures.

 

Mon cher ami, voici bientôt le temps où l’on vous possédera à Cirey. J’ai beaucoup de choses à vous dire qui sont pour vous d’une extrême importance. Je vous embrasse tendrement.

 

 

1 –  Voyez plus haut la lettre à l’abbé Prévost. (G.A.)

 

 

 

 

à M. L’abbé Moussinot

2 Août 1738 (1).

 

Mon cher abbé, je reçois une nouvelle bien agréable : je trouve l’occasion d’obliger M. Pitot.

 

Je vous prie de vouloir bien passer chez lui. Vous aimez volontiers à courir chez les gens, quand il faut rendre service. Je ne peux guère lui prêter que 800 livres, à cause des grandes dépenses que je fais ; car, outre les 4,000 livres que vous m’avez envoyés, il faut encore que vous donniez à compte 100 pistoles à M. Cousin, qui doit devenir mon compagnon de solitude et de chimie. Prêtez donc ces 800 livres à M. et madame Pitot. Ils me les rendront dans l’espace de cinq années, rien la première, et deux cents livres la seconde année, autant la troisième, ainsi du reste. Le billet de M. et madame Pitot, portant paiement sur leur terre, suffira sans contrat. Il ne faut point, me semble, de notaire avec un philosophe.

 

Assurez M. et madame Pitot que s’ils se trouvaient pressés dans la suite, je n’exigerai pas le paiement, et qu’au contraire ma bourse serait encore à leur service.

 

Dès que les Transactions philosophiques seront en vente, vous aurez donc la bonté de les acheter, et de souscrire. En attendant, je prie M. Cousin ou vous, mon cher abbé, de vouloir bien présenter les Eléments de Newton, bien reliés, à M. de Brémont (2).

 

Je veux bien encore pardonner à Demoulin, et j’accepte le marché qu’il propose : 1.600 livres sur Duchauson, et 400 comptant. Vous pouvez conclure.

 

Voici un papier qui vous fera voir les dimensions de ma table de marbre, et celles de la jolie commode que je demande. Prenez le tout comme il vous plaira.

 

J’ai reçu la montre.

 

Je ne sais ce qu’est devenue une caisse que Prault dit avoir envoyée.

 

Le chevalier de Mouhi demeure rue des Moineaux, butte Saint-Roch. Vous pourriez lui écrire un mot pour savoir ce qu’il faut par mois, et pourquoi il n’envoie plus de nouvelles depuis huit jours.

 

Et M. d’Auneuil ?

 

Voulez-vous bien m’envoyer un bâton d’ébène, long de deux pieds ou environ, pour servir de manche à une bassinoire d’argent ? Je suis un philosophe très voluptueux.

 

Si de Mouhi veut 200 livres par an, à condition d’être mon correspondant littéraire et d’être infiniment secret, volontiers. J’aurais mieux aimé mon d’Arnaud ; mais il n’a pas voulu seulement apprendre à former ses lettres.

 

Je vous embrasse de tout mon cœur.

 

Connaîtriez-vous quelqu’un qui veuille servir de valet de chambre, et qui sache bien écrire ? Il y a 200 livres de fixe, beaucoup de présents en habits et un honnête ordinaire.

 

P.-S. Je vous prie d’envoyer ou de vouloir bien porter ce mémoire à M. l’abbé Trublet, rue Guénégaud, pour être inséré au Journal des Savants.

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. (G.A.)

 

2 – Tout le commencement de cette lettre a été classé jusqu’ici au mois d’octobre. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Pitot

Cirey, 4 Août.

 

Je ne veux pas croire, mon cher ami, ce qu’on me mande de plusieurs endroits, que M. l’abbé de Molières, votre confrère, se joint avec l’abbé Desfontaines, pour mettre des invectives contre moi dans la feuille des Observations.

 

Je ne puis penser qu’un homme de mérite se joigne à un scélérat, et un savant au plus ignorant écrivain, pour outrager un honnête homme qui ne lui a jamais voulu nuire, et qui est plein d’estime pour lui.

 

Pour toute vengeance, je vous prie de lui donner un de mes livres de ma part, et de l’assurer que, si c’est lui qui écrit contre moi au sujet de la trisection de l’angle, il peut s’épargner cette peine ; je n’ai jamais traité de la trisection de l’angle, et n’en ai jamais même parlé à personne de ma vie.

 

S’il me hait parce que je ne crois pas aux tourbillons, qu’il me pardonne en faveur de l’estime que j’ai pour ses ouvrages et pour sa personne : on peut être de communion différente sans se haïr. Les philosophes ne doivent pas ressembler aux jésuites et aux jansénistes.

 

Je vous embrasse, mon cher philosophe.

 

 

1738-7

 

 

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