CORRESPONDANCE - Année 1738 - Partie 3

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à M. Thieriot

 

 

 

Je reçois votre lettre du 25, et bien des nouvelles qui me chagrinent. Premièrement, je suis assez fâché que Racine que je n’ai jamais offensé, ait sollicité la permission d’imprimer une satire dévote de Rousseau contre moi. Je suis encore plus fâché qu’on m’attribue des épîtres sur la Liberté (1). Je ne veux point me trouver dans les caquets de Molina ni de Jansénius. On m’envoie un morceau d’une autre pièce de vers où je trouve un portrait assez ressemblant à celui du prêtre de Bicêtre ; mais, en vérité, il faut être bien peu fin pour ne pas voir que cela est de la main d’un académicien, ou de quelqu’un qui aspire à l’être. Je n’ai ni cet honneur ni cette faiblesse ; et si j’ai à reprocher quelque chose à ce monstre d’abbé Desfontaines, ce n’est pas de s’être moqué de quelques ouvrages des Quarante.

 

          Je suis bien aise que vous ayez gagné un louis (2) à gentil Bernard ; je voudrais que vous en gagnassiez cent mille à Crésus-Bernard.

 

Je n’ai point vu l’Epître sur la Liberté ; je vais la faire venir avec les autres brochures du mois. C’est un amusement qui finit d’ordinaire par allumer mon feu.

 

Autre sujet d’affliction. On me mande que, malgré toutes mes prières, les libraires de Hollande débitent mes Eléments de la philosophie de Newton, quoique imparfaits ; or, da mi consiglio. Les libraires hollandais avaient le manuscrit depuis un an, à quelques chapitres près. J’ai cru qu’étant en France, je devais à monsieur le chancelier le respect de lui faire présenter le manuscrit entier. Il l’a lu, il l’a marginé de sa main ; il a trouvé surtout le dernier chapitre peu conforme aux opinions de ce pays-ci. Dès que j’ai été instruit par mes yeux des sentiments de monsieur le chancelier, j’ai cessé sur-le-champ d’envoyer en Hollande la suite du manuscrit ; le dernier chapitre surtout, qui regarde les sentiments théologiques de M. Newton, n’est pas sorti de mes mains. Si donc il arrive que cet ouvrage tronqué paraisse en France par la précipitation des libraires et si monsieur le chancelier m’en savait mauvais gré, il serait aisé, par l’inspection seule du livre, de le convaincre de ma soumission à ses volontés. Le manque des derniers chapitres est une démonstration que je me suis conformé à ses idées, dès que je les ai pu entrevoir ; je dis entrevoir, car il ne m’a jamais fait dire qu’il trouvât mauvais qu’on imprimât le livre en pays étranger. En un mot, soit respect pour monsieur le chancelier, soit aussi amour de mon repos, je ne veux point de querelle pour un livre ; je les brûlerais plutôt tous. Voulez-vous lire ce petit endroit de ma lettre à M. d’Argenson ? Est-il à propos que je lui en écrive ? Conduisez-moi. M. le bailli de Froulai est venu ici, et a été, je crois, aussi content de Cirey que vous le serez. Les Denis en sont assez satisfaits.

 

J’ai toujours Mérope sur le métier. Vale, te amo.

 

 

1 – Troisième des Discours sur l’Homme. (G.A.)

 

2 – En pariant que les Epîtres ou Discours n’étaient pas de Voltaire. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot

Cirey, 1erMai. (1)

 

 

Vous faites fort mal, mon cher ami, d’envoyer l’écrit en question à ce misérable journal, très mal fait, presque inconnu, qui ne se débite que tous les trois mois, qui ne sera dans Paris que dans un an, et dont il me vient tout au plus une vingtaine d’exemplaires. Vous avez cent autres débouchés. On peut obtenir des permissions ; on peut se servir des brochures hebdomadaires. Vous devriez même consulter le R. Père sur l’ouvrage, en lui faisant tenir une copie ; je suis sûr que la lecture lui fera impression. Il faudrait consulter de la même façon les mathématiciens qui ont examiné les mêmes problèmes. J’abandonne le tout à votre prud’homie.

 

Je reçois en même temps votre lettre du 25.

 

 

1 – Editeurs E. Bayoux et A. François. Je doute que ce billet soit bien à sa place, et j’ignore de quel ouvrage scientifique Voltaire entend parler. (G.A.)

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

2 Mai 1738 . (1)

 

 

Je vous importunerai jusqu’au dernier moment. M. Rouillé (2) voudra-t-il permettre qu’on adresse, sous son couvert, les Eléments de Newton avec une seconde enveloppe pour vous ? Ensuite vous auriez la bonté de me faire tenir le livre par M. le marquis du Châtelet, qui viendra le prendre chez vous.

 

On dit que les libraires de Hollande, alarmés apparemment par l’indiscrétion de Prault, se sont hâtés de distribuer le livre, quoique je ne leur aie point envoyé les derniers chapitres.

 

Sur les remarques et sur le refus de M. le chancelier, j’ai cessé de leur faire tenir la suite du manuscrit. M. le chancelier sera peut-être content de cette conduite ; il ne pourra douter de ma soumission à ses idées et d’un respect qui a prévenu ses ordres. Me conseillez-vous d’en écrire à M. d’Argenson ?

 

J’ai lu Maximin. Avez-vous lu Alméide (3) de Linant ? Peut-on faire quelque chose de l’homme et de l’ouvrage ? Me conseillez-vous de continuer à l’assister ?

 

Voulez-vous, avant votre départ (4), une seconde dose de Mérope ? Je suis comme les chercheurs de pierre philosophale : ils n’accusent jamais que leurs opérations, et ils croient que l’art est infaillible. Je crois Mérope un très beau sujet, et je n’accuse que moi. J’en ai fait trois nouveaux actes : cela vous amuse-t-il ? Mes compliments à l’honnête homme, auteur du Fat puni (5). Nous ne cessons ici de regretter le jeune Alvarès (6) et l’héroïne qui vont régner sur des nègres. − V.

 

P.-S. J’ai envie de présenter un mémoire à M. le chancelier, par lequel, lui ayant fait voir quelle a été mon extrême soumission à ses idées, je demanderais de présenter à l’examen l’ouvrage corrigé entièrement selon ses vues, et purgé des fautes dont les éditeurs de Hollande l’ont farci. M. d’Argenson voudra-t-il se charger du mémoire ? Voulez-vous bien me guider ? Je vous demanderai encore des conseils, quand vous serez en Amérique : vous m’éclairerez d’un hémisphère à l’autre.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Alors ministre des affaires étrangères. (G.A.)

 

3 – Ou plutôt, Maximilien, de La Chaussée. (G.A.)

 

4 – Pour Saint-Domingue. (G.A.)

 

5 – Pont de Veyle. (G.A.)

 

6 – Personnage d’Alzire. (G.A.)

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

4 Mai.

 

 

Je  ne puis, mon cher et respectable ami, laisser partir la lettre de madame la marquise du Châtelet, sans mêler encore mes regrets aux siens. Nous imaginions vous posséder, parce qu’au moins vous êtes à Paris. C’est une consolation de vous savoir dans notre hémisphère ; mais cette consolation va dont bientôt nous être ravie. Madame du Châtelet, que l’amitié conduit toujours, vous parle de nos craintes au sujet de ces Elément de Newton ; pour moi je n’ai d’autre crainte que d’être séparé d’elle, et d’autre malheur que d’être destiné à vivre loin de vous. Je serai privé de la douceur de vous embrasser avant votre départ. Je ne pourrai pas dire à madame d’Argental tout ce que je pense de son cœur et du vôtre. Vous serez tous deux heureux à Saint-Domingue ; il n’y aura que vos amis à plaindre. J’embrasse tendrement M. de Pont de Veyle, à qui je suis attaché comme à vous.

 

 

 

 

à M. Thieriot

A Cirey, le 5 mai.

 

 

Mon cher ami, je vous ai envoyé un chiffon pour vous et monsieur votre frère, et un gros paquet pour le fils du roi des géants (1). Je ne sais si je pourrai prendre le jeune homme qui a appartenu à madame Dupin. On m’a, je crois, arrêté un jeune mathématicien très savant et très aimable. En ce cas, ce ne sera pas lui qui sera auprès de moi, mais bien moi auprès de lui ; je lui appartiendrai, et je le paierai.

 

Vraiment j’ai bien d’autres affaires que d’imprimer des épîtres en vers.

 

I nunc et versus tecum méditare canoros. (Hor. lib. II, ; ep. II.)

 

Le débit précipité de mes Eléments de Newton m’occupe très désagréablement. Le titre charlatan (2) que d’imbéciles libraires ont mis à l’ouvrage est ce qui m’inquiète le moins. Cependant je vous prie de détromper sur ce point ceux qui me soupçonneraient de cette affiche ridicule.

 

Je vous avoue que je serais fort aise que l’ouvrage parût à Paris, purge des fautes infinies que les éditeurs hollandais ont faites. Je suis persuadé que l’ouvrage peut être utile. Je serai auprès de M. de Maupertuis ce qu’est Despautère auprès de Cicéron ; mais je serai content si j’apprends à la raison humaine à bégayer les vérités que Maupertuis n’enseigne qu’aux sages. Il sera le précepteur des hommes, et moi des enfants ; Algarotti le sera des dames, mais non pas de madame du Châtelet, qui en sait au moins autant que lui, et qui a corrigé bien des choses dans son livre (3).

 

Je vous réponds qu’avec un peu d’attention un esprit droit me comprendra. Tâchez de recueillir les sentiments, et d’informer le monde qu’on ne doit m’imputer ni le titre ni les fautes glissées dans cette édition. On dit d’ailleurs qu’elle est très belle ; mais j’aime mieux une vérité que cent vignettes.

 

Je voudrais bien savoir quel est le Sosie qui me fait honnir en vers, pendant qu’on m’inquiète ainsi en prose. Ce Sosie m’a bien la mise d’être l’auteur de l’Epître à Rousseau, si longue et si inégale. Je sais qui il est, je connais ses manœuvres. Il doit haïr Rousseau et Desfontaines. Il veut se servir de moi pour tirer les marrons du feu. Je ne lui pardonnerai jamais d’avoir fait tomber sur moi le soupçon d’être l’auteur de cette misérable épître. Qu’il jouisse de ses succès passagers, qu’il se fasse de la réputation à force d’intrigues, mais qu’il ne me donne point ses enfants à élever.

 

Mon cher ami, on a bien de la peine dans ce monde. Ce monde méchant est jaloux du repos des solitaires ; il leur envie la paix qu’il n’a point. Adieu ; je n’ai jamais moins regretté Paris.

 

 

1 – Le roi des géants est le roi de Prusse. Frédérique-Guillaume. (G.A.)

 

2 – Voyez notre Avertissement en tête des Eléments. (G.A.)

 

3 – Le Newtonianisme pour les dames. (G.A.)

 

 

 

 

à M. l’abbé Moussinot

Cirey, le 9 Mai.

 

 

Sans aucun délai, mon cher ami, courez chez Prault, chez le paresseux Prault ; portez-lui ce Mémoire (1) pour être inséré dans le Mercure, dans le Journal de Trévoux, dans tous les journaux de France, de Suisse, de Hollande, d’Allemagne, et de tous les pays du monde, s’il est possible. C’est au sujet du livre des Eléments de Newton, qu’on vend informe, tronqué, plein de fautes.

 

Faites gourmander Prault par M. votre frère ; gourmandez-le vous-même bien fort. Je n’ai point encore reçu les livres qu’il m’a annoncés. J’en demande beaucoup d’autres. Qu’on les achète où l’on voudra, mais qu’on les achète promptement, et qu’on me les envoie sans aucun retard. Il me faut l’histoire des Vents par Dampier, l’histoire de la Mer de Delisle, la Physique de Keill, Huygens de Horologio oscillatorio, tous les numéros des Observations, tous ceux du Pour et Contre, les Transactions de Londres. Il me faut encore une prompte réponse à ce billet ci-inclus de la part de MM. de Fontenelle, Mairan et Réaumur ; il faut surtout avec ces trois académiciens ce secret impénétrable que vous joignez à vos autres vertus.

 

Je veux absolument que ce soit Prault qui donne cinquante livres à Linant. J’ai mes raisons. Si je lui dois de l’argent, payez-le, afin qu’il n’ait aucune excuse pour ne pas donner ces cinquante francs.

 

A l’égard des autres affaires d’argent, je n’ai pas le courage de vous en parler. Je suis accablé du travail qu’il me faut faire pour les Eléments de Newton qu’on débite sous mon nom.

 

 

1 – Voyez, les Eclaircissements. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot

Cirey, ce 9 mai (1).

 

 

Voici, mon cher ami, un petit paquet pour le fils (2) du roi Og. Je suis outré de la sottise des libraires de Hollande. Je joins à mon paquet un mémoire pour le Journal des Savants, et un autre, que je vous prie de faire tenir en Angleterre. Je crois que la simplicité et la vérité qui y règne, vous engageront à les faire valoir. Ne pourrez-vous point donner à l’abbé Trublet celui que je destine au Journal des Savants ? J’envoie des doubles en Hollande. On ne saurait trop, ce me semble, avoir soin de son honneur, et ce serait manquer de respect au public que de me taire, quand on lui donne un ouvrage si informe. Vous feriez une bonne action si vous faisiez comprendre à l’abbé Trublet  combien il sied mal à un honnête homme comme lui, de se rendre complice des traits qu’on trouve dans les Observations (3) dont il est l’approbateur.

 

Adieu. Je suis aussi affairé qu’un oisif de Paris qui se hâte pour aller souper. Madame du Châtelet vous fait bien des compliments.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Frédéric, fils de Guillaume, amateur de géants. (G.A.)

 

3 – De Desfontaines. (G.A.)

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argental

9 Mai (1).

 

 

Puis-je ajouter un mot à tout ce que l’amitié la plus respectable vient de vous dire ? Ne serait-il pas mieux de nier que j’aie la moindre part à un ouvrage innocent, empoisonné par la calomnie, que de m’en avouer l’auteur ? Il est bien démontré, sans doute, qu’il est impossible que j’aie jamais eu dessein d’offenser la personne en question (2). Mais enfin ce n’est point être innocent que d’avoir donné un prétexte à ces explications odieuses. Dès qu’on abuse de mon ouvrage, ce malheureux ouvrage est bien criminel. Que faire donc ? C’est à vous à le savoir ; moi je ne peux que me désespérer. Faut-il donner une nouvelle édition de l’Epître corrigée ? Faut-il l’anéantir ? Faut-il m’anéantir moi-même ? Ordonnez. Ce qui est sûr, c’est que je ne vivrai que pour sentir vos bontés aussi vivement que je sens le contre-coup affreux de cette détestable application.

 

Ce ne sera point mentir que de dire que je n’en suis point l’auteur ; car je ne puis être l’auteur de rien qui puisse déplaire à la personne dont il est question.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. Ces quelques lignes faisaient suite à une lettre de madame du Châtelet. (G.A.)

 

2 – Madame de Ruffec, veuve du président de Maisons, et fille du secrétaire d’Etat d’Angervilliers, à laquelle on appliquait un vers du troisième des Discours sur l’Homme. (G.A.)

 

 

 

 

à M.de Pont de Veyle

10 Mai.

 

 

Je fais mon très humble compliment à l’honnête homme, quel qu’il soit, qui a fait cette jolie comédie (1) du Gascon de La Fontaine, dont on m’a dit tant de bien.

 

Puisque vous êtes coadjuteur de M. d’Argental, dans le pénible emploi de mon ange gardien, voici de quoi faire usage de vos bontés.

 

Je vous envoie, ange gardien charmant, une petite addition à un mémoire que je suis obligé de publier au sujet des Eléments de Newton, débités trop précipitamment, etc. Cette petite addition vous mettra au fait. Vous connaissez mon caractère, vous savez combien je suis vrai.

 

J’ai poussé la vertu jusques à l’imprudence (2).

 

Autre tracasserie : des Epîtres nouvelles, dont je ne veux certainement pas être l’auteur, des imputations que vous savez que je ne mérite pas, un vers qu’on applique à la fille d’un ministre ! Je suis au désespoir ! J’ai mille obligations à ce ministre. Il y a vingt-cinq ans que je suis attaché à la mère de la personne à qui l’on ose faire cette application malheureuse. J’aime personnellement cette personne ; son mari, que je pleure encore, est mort dans mes bras ; par quelle rage,  par quelle démence aurais-je pu l’offenser ? Sur quoi fonde-t-on cette interprétation si maligne ? A-t-elle jamais fait des couplets contre quelqu’un ? Si on persiste à répandre un venin si affreux sur des choses si innocentes, il faut renoncer aux vers, à la prose, à la vie.

 

J’ai fait la valeur de quatre nouveaux actes à Mérope, j’y travaille encore ; voilà pourquoi je ne l’ai point envoyée à madame de Richelieu. Si vous la voyez, dites-lui à l’oreille un mot de réponse. Je me recommande à Raphaël, lorsque Gabriel (3) s’en va au diable. Madame du Châtelet, qui vous aime infiniment, vous fait les plus tendres compliments. Je vous suis attaché comme à monsieur votre frère ; que puis-dire de mieux ? Adieu, Castor et Pollux, mea sidera, qui n’habiterez bientôt plus le même hémisphère.

 

Ordonnez ce qu’il faut faire pour réparer le malheur de cette horrible application. J’écris à Prault de tout supprimer ; j’écris à monsieur votre frère en conséquence. Je vous demande en grâce le secret sur les Epîtres que je désavoue, et la plus vive protection sur l’abus qu’on en fait. Madame du Châtelet vous fait les plus tendres compliments et partage ma reconnaissance. Vous devriez bien nous faire avoir le Fat puni ; on dit qu’il est charmant.

 

 

1 – Le Fat puni. (G.A)

 

2 – Voyez Phèdre, acte IV, sc. II. (G.A.)

 

3 – Raphaël, Pont de Veyle, Gabriel, d’Argental. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot

11 Mai (1).

 

 

Je reçois votre lettre du 7 Mai, père Mersenne ; je vous dis qu’en sautant par-dessus ce qui est trop géométrique, vous entendrez très bien mon petit newtonisme. Il n’est pas pour les DAMES (2). Mais je suis sûr que le commentateur charmant ou charmante de Rameau l’entendra et le jugera.

 

M. Pitot avait été beaucoup plus content du système planétaire que de l’explication de la lumière ; mais si M. Nicolle et M. Brémont (3) ne pensent pas de même, il faut les en croire, et préférer toujours celui qui critique à celui qui loue. Je persiste dans le dessein de faire imprimer l’ouvrage à Paris ; j’espère en obtenir la permission ; et si M. Nicolle veut bien avoir la bonté de mettre par écrit ce qu’il trouve à redire, il me rendra grand service ; j’en instruirai le public, et je publierai ma reconnaissance.

 

Voici une petite addition pour le Journal des Savants. Jamais je n’ai rien dit de si vrai, ni de si bon gré ; je vous prie de le faire présenter au journal et d’en faire beaucoup d’usage.

 

Je n’ai point encore vu mon livre. Tout le monde la, hors l’auteur et celle à qui il est dédié. Les libraires de Hollande sont, comme ceux de Paris, des ingrats ; je leur ai fait présent du manuscrit, et ils ne m’ont pas envoyé un exemplaire.

 

Souffrez, au moins, que je vous rembourse de ceux que vous avez achetez. Vous êtes charmant de diriger un peu ma nièce ; si vous la trouvez aimable, je l’aimerai bien davantage. Je vais lui écrire.

 

Non seulement je ne suis point l’auteur des Epîtres, mais je suis outré contre ceux qui me les attribuent ; et je regarde votre fermeté à repousser cette injure comme une des plus fortes preuves de notre amitié.

 

Madame la marquise du Châtelet vous fait bien des amitiés. Quand nous vous posséderons, nous vous parlerons à fond du prince et de nos vues sur vous. Vivez seulement. Adieu. Je vous embrasse.

 

 

 

 

1 – Editeurs de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Comme le livre d’Algarotti. (G.A.)

 

3 – L’un géographe, l’autre traducteur d’ouvrages anglais sur la physique. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Berger

A Cirey, le 14 Mai.

 

 

Il y a longtemps, monsieur, qu’on m’impute des ouvrages que je n’ai jamais vus ; je viens enfin de voir ces trois Epîtres en question. Je puis vous assurer que je ne suis point l’auteur de ces sermons. Je conçois fort bien que le portrait de l’abbé Desfontaines est peint d’après nature (1) ; mais, de bonne foi, suis-je le seul qui connaisse, qui déteste, et qui puisse peindre ce misérable ? Y a-t-il un homme de lettres qui ne pense ainsi sur son compte ? Je ne veux imputer ces Epîtres à personne ; mais, s’il était question d’en deviner l’auteur, je crois que je trouverais aisément le mot de cette énigme. Tout ce qui m’importe le plus est de ne pas passer pour l’auteur des ouvrages que je n’ai pas faits. Le peu de connaissance que j’ai depuis quatre ans dans le monde fait que je ne peux devenir les allusions dont vous me parlez ; mais il suffit qu’on fasse des applications malignes pour que je sois au désespoir qu’on m’attribue un écrit qui a donné lieu à ces applications. J’ai toujours détesté la satire ; et, si j’ai de l’horreur pour Rousseau et pour Desfontaines, c’est parce qu’ils sont satiriques, l’un en vers très souvent durs et forcés, l’autre en prose sans esprit et sans génie. Je vous prie, au nom de la vérité et de l’amitié, de détromper ceux qui penseraient que j’aurais la moindre part à ces Epîtres.

 

Il y a longtemps que je ne m’occupe uniquement que de physique. Je ne comptais pas que les Eléments de Newton parussent sitôt. Je ne les ai point encore ; mais ce que je peux dire, c’est qu’il n’y a point d’exemple d’une audace et d’une impertinence pareilles de la part des libraires de Hollande. Ils n’ont pas attendu la fin de mon manuscrit ; ils osent donner le livre imparfait, non corrigé, sans table, sans errata ; les autres derniers chapitres manquent absolument. Je ne conçois pas comment ils en peuvent vendre deux exemplaires ; leur précipitation mériterait qu’ils fussent ruinés. Ils se sont empressés, grâce à l’auri sacra fames, de vendre le livre ; et le public curieux et ignorant l’achète comme on va en foule à une pièce nouvelle. L’affiche de ces libraires est digne de leur sottise ; leur titre n’est point assurément celui que je destinais à cet ouvrage ; ce n’était pas même ainsi qu’était ce titre dans les premières feuilles imprimées que j’ai eues, et que j’ai envoyées à monsieur le chancelier ; il y avait simplement : Eléments de la philosophie de Newton. Il faut être un vendeur d’orviétan pour y ajouter : mis à la portée de tout le monde, et un imbécile pour penser que la philosophie de Newton puisse être à la portée de tout le monde. Je crois que quiconque aura fait des études passables, et aura exercé son esprit à réfléchir, comprendra aisément mon livre ; mais, si l’on s’imagine que cela peut se lire entre l’opéra et le souper, comme un conte de La Fontaine, on se trompe assez lourdement ; c’est un livre qu’il faut étudier. Quand M. Algarotti me lut ses Dialogues sur la lumière, je lui donnai l’éloge qu’il méritait d’avoir répandu infiniment d’esprit et de clarté sur cette belle partie de la physique ; mais alors il avait peu approfondi cette matière. L’esprit et les agréments sont bons pour des vérités qu’on effleure ; les Dialogues des Mondes (2), qui n’apprennent pas grand’chose, et qui, d’ailleurs, sont trop remplis de la misérable hypothèse des tourbillons, sont pourtant un livre charmant, par cela même que le livre est d’une physique peu recherchée, et que rien n’y est traité à fond. Mais si M. Algarotti est entré, depuis notre dernière entrevue à Cirey, dans un plus grand examen des principes de Newton, son titre per le Dame ne convient point du tout, et sa marquise imaginaire, devient assez déplacée. C’est ce que je lui ai dit, et voilà pourquoi j’ai commencé par ce trait (3) qu’on me reproche, en parlant à une philosophe plus réelle. Je n’ai aucune intention de choquer l’auteur des Mondes, que j’estime comme un des hommes qui font le plus d’honneur à ce monde-ci. C’est ce que je déclare publiquement dans les mémoires envoyés à tous les journaux. Continuez, mon cher ami, à écrire à Cirey à votre ami.

 

 

1 – Dans le troisième des Discours ou Epîtres. (G.A.)

 

2 – Les Entretiens de Fontenelle. (G.A.)

 

3 – Voyez le début de l’Avant-propos des Eléments, 1738. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Pitot

18 Mai (1).

 

 

Mon cher philosophe, en vous remerciant de tout mon cœur de M. Cousin (2) que vous me procurez ; il n’a qu’à travailler avec M. Nollet, sitôt la présente reçue ; et, puisqu’il veut bien recevoir un petit honoraire, il lui sera compté du jour qu’il voudra bien aller chez M. l’abbé Nollet. Il pourra d’ailleurs m’acheter beaucoup d’instruments qui serviront à ses occupations et à ses plaisirs, quand il sera à Cirey. Vous voulez bien que je mette cette lettre pour lui dans la vôtre.

 

Je viens enfin de voir un exemplaire des Eléments de Newton. J’ai eu à peine encore le temps de le parcourir ; il est honteux combien cela fourmille de fautes, combien les cinq ou six derniers chapitres sont dérangés et barbouillés. J’avais bien raison de chercher à faire une édition correcte, à Paris, et franchement on aurait pu le permettre. Je suis très affligé ; il y aura, sans doute, bien des gens qui prendront plaisir à m’imputer des erreurs qui ne sont pas les miennes. Il est triste de voir son enfant aussi mal traité ; mais encore faudrait-il ne pas reprocher au père les défauts de l’enfant que l’on a gâté en nourrice.

 

Il faut que je vous confie une autre affliction que j’ai sur le cœur. Peut-être m’adressé-je à mon juge, mais je suis toujours sûr que je m’adresse à mon ami.

 

J’ai composé pour le prix dont le sujet était la Nature et la propagation du feu ; mon numéro était 7°, ma devise :

 

Ignis ubique latet, naturam amplectitur omnem :

Cuncta parit, renovat, dividit, unit, alit.

 

M. de Réaumur, à ce que l’on me mande, a dit que cette pièce avait concouru, et il paraît même qu’il lui aurait volontiers donné le prix ; mais, dit-il, cet ouvrage était fondé sur des principes un peu trop durs, et c’est  ce qui a fait son malheur. Je suis bien loin assurément de me plaindre ; je me crois très bien jugé ; je regarde même comme un très grand bonheur d’avoir concouru ; mais je suis pourtant bien fâché de n’avoir pas eu le prix ; c’eût été pour moi un agrément infini dans les circonstances présentes. Vous avez été probablement mon juge ; M. Dufay l’aura été aussi. Franchement, dites-moi, croyez-vous que l’ouvrage soit passable ? Pourrai-je obtenir de l’Académie qu’on l’imprime à la suite de la pièce couronnée ? Pourrai-je voir la pièce qui a eu la préférence ? Pourriez-vous me dire qui en est l’auteur ? (3) Ai-je eu effectivement l’honneur de balancer un moment les suffrages ?

 

          Parlez-moi de tout cela à cœur ouvert, comme à un honnête homme qui n’abusera jamais de votre confiance et de vos conseils.

 

          Je crois vous avoir mandé que j’avais envoyé un mémoire à tous les journaux, pour me justifier sur l’édition des Eléments de Newton. Je vous supplie d’apprendre, en attendant, la vérité à ceux qui vous en parleront.

 

Madame la marquise du Châtelet vous fait mille compliments ; elle voudrait bien que vous pussiez venir à Cirey ; elle ne serait pas la seule à qui vous feriez un plaisir extrême.

 

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Mécanicien et machiniste. (G.A.)

 

3 – Voyez notre Notice en tête de l’Essai sur le feu. (G.A.)

 

 

 

 

1738-3

 

 

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