CORRESPONDANCE - Année 1738 - Partie 1

Publié le par loveVoltaire

1738-1.jpg

 

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

à Mademoiselle Quinault

2 Janvier 1738.

 

 

[Voltaire se rend aux observations de mademoiselle Quinault et de M. d’Argental. Il avoue ne pas avoir conçu assez qu’elle est la différence qui doit exister entre l’auditoire de Paris et celui de Vérone, à propos de Mérope ; dit qu’il ne connaissait, lorsqu’il a composé cette pièce, ni le Téléphonte de La Chapelle, ni l’Amasis de Lagrange-Cancel, et qu’il n’a d’abord voulu donner Mérope que comme une imitation de la pièce de Maffei, qui est parfaite. Il annonce Adélaïde corrigée, ainsi que l’Enfant prodigue et Zaïre.]

 

 

 

 

à M. Thieriot

2 Janvier 1738. (1)

 

 

Je vous adresse, mon cher ami, ce paquet pour notre prince (2), qui ne sera jamais mon prince, s’il ne vous fait du bien ; mais je suis très persuadé qu’il vous récompensera d’une manière éclatante : s’il n’avait pas ce dessein, il vous paierait régulièrement des appointements chétifs qui le dispenseraient de toute reconnaissance. Vivez seulement et comptez que vous êtes très heureux qu’il ne vous donne rien.

 

Cette lettre et le paquet ci-joint ne vous arriveront que dans sept ou huit jours, je vous l’adresse par un valet de chambre qui va à Paris. On fait venir la berline que je comptais qui vous amènerait avec mes nièces ; mais nous ne manquerons pas de voitures : il sera plus aisé d’avoir des berlines que le consentement de monsieur et de madame de La Popelinière.

 

Qu’est-ce qu’une Métromanie du maniaque Piron ? On dit que l’aventure de ce Maillard déguisé en Lavigne, en fait le nœud ; j’ai peur que cela ne soit point plaisant (3).

 

Adieu, mon cher ami, portez-vous bien ; écrivez-moi quelquefois. Je n’ai pas le temps d’écrire à Berger, parce qu’on part dans la minute. Je vous prie de lui faire mes excuses et de l’assurer de ma tendre amitié.

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. (G.A.)

 

2 – Frédéric II. (G.A.)

 

3 – Voyez l’article DESFORGES-MAILLARD dans la liste des correspondants. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot

Cirey, ce 24 Janvier 1738.

 

 

Je reçois, mon cher ami, un paquet de vous et du prince royal. Je vous enverrai une énorme réponse incessamment. Je ne peux toujours m’empêcher de vous féliciter ici, en courant, de la manière pleine de désintéressement et de sagesse avec laquelle vous vous êtes conduit auprès du prince. Je vous en parlerai plus au long dans mon premier paquet.

 

Voici une lettre que je vous prie de faire tenir sur-le-champ à M. Duclos.

 

Vous devez recevoir un paquet de moi, écrit avant la réception de la lettre du prince royal.

 

 

 

 

à M. Thieriot

Cirey, le 25 Janvier.

 

 

Je comptais, mon cher ami, vous envoyer un énorme paquet pour le prince, et j’aurais été charmé que vous eussiez lu tout ce qu’il contient. Vous eussiez vu et peut-être approuvé la manière dont je pense sur bien des choses, et surtout sur vous. Je lui parle de vous comme le doit faire un homme qui vous estime et qui vous aime depuis si longtemps. Il doit, par vos lettres, vous aimer et vous estimer aussi ; cela est indubitable, mais ce n’est pas assez. Il faut que vous soyez regardé par lui comme un philosophe indépendant, comme un homme qui s’attache à lui par goût, par estime, sans aucune vue d’intérêt. Il faut que vous ayez auprès de lui cette espèce de considération qui vaut mieux que mille écus d’appointements, et qui, à la longue, attire en effet des récompenses solides (1). C’est sur ce pied-là que je vous ai cru tout établi dans son esprit, et c’est de là que je suis parti toutes les fois qu’il s’est agi de vous. J’étais d’autant plus disposé à le croire que vous me mandâtes, il y a quelque temps, à propos de M. de Kaiserling, que le prince envoya de Berlin à madame la marquise du Châtelet : Le prince nous a aussi envoyé un gentilhomme, etc. Vous ajoutiez je ne sais quoi de bruit dans le monde, à quoi je n’entendais rien ; et tout ce que je comprenais, c’était que le prince vous donnait tous les agréments et toutes les récompenses que vous méritez, et que vous devez en attendre.

 

          Enfin je croyais ces récompenses si sûres, que M. de Kaiserling, qui est en effet son favori, et dont le prince ne me parle jamais que comme de son ami intime, me dit que l’intention de son altesse royale était de vous faire sentir de la manière la plus gracieuse les effets de sa bienveillance. Voici à peu près mot à mot ce qu’il me dit : « Notre prince n’est pas riche à présent, et il ne veut pas emprunter, parce qu’il dit qu’il est mortel, et qu’il n’est pas sûr que le roi son père payât ses dettes. Il aime mieux vivre en philosophe, attendant qu’il vive un jour en grand roi, et il serait très fâché, alors, qu’il y eût un prince sur la terre qui récompensât mieux ses serviteurs que lui. Je vous avouerai même, continua-t-il, que l’extrême envie qu’il a d’établir sa réputation chez les étrangers l’engagera toujours à prodiguer des récompenses d’éclat sur ses serviteurs qui ne sont pas ses sujets. »

 

C’est à cette occasion que je parlai de vous à M. de Kaiserling dans des termes qui lui firent une très grande impression. C’est un homme de beaucoup de mérite, qui s’est conduit avec le roi en serviteur vertueux, et, auprès du prince, en ami véritable. Le roi l’estime, et le prince l’aime comme son frère. Madame la marquise du Châtelet l’a si bien reçu, lui a donné des fêtes si agréables, avec un air si aisé, et qui sentait si peu l’empressement et la fatigue d’une fête, elle l’a forcé d’une manière si noble et si adroite à recevoir des présents extrêmement jolis, qu’il s’en est retourné enchanté de tout ce qu’il a vu, entendu, et reçu. Ses impressions ont passé dans l’âme du prince royal, qui en a conçu pour madame la marquise du Châtelet toute l’estime, et, j’ose dire, l’admiration qu’elle mérite. Je vous fais tout ce détail, mon cher ami, pour vous persuader que M. de Kaiserling doit être l’homme par qui les bienfaits du prince doivent tomber sur vous.

 

Je vous répète que je suis bien content de la politique habile et noble que vous avez mise dans le refus adroit d’une petite pension, et si, par hasard (car il faut prévoir tout), il arrivait que son altesse royale prît votre refus pour un mécontentement secret, ce que je ne crois pas, je vous réponds qu’en ce cas M. de Kaiserling vous servirait avec autant de zèle que moi-même. Continuez sur ce ton ; que vos lettres insinuent toujours au prince le prix qu’il doit mettre à votre affection à son service, à vos soins, à votre sagesse, à votre désintéressement ; et je vous réponds, moi, que vous vous en trouverez très bien. J’ai été prophète une fois en ma vie, aussi, n’était-ce pas dans mon pays ; c’était à Londres, avec notre cher Falkener. Il n’était que marchand, et je lui prédis qu’il serait ambassadeur à la Porte. Il se mit à rire ; et enfin le voilà ambassadeur. Je vous prédis que vous serez un jour chargé des affaires du prince devenu roi (2) ; et, quoique je fasse cette prédiction dans mon pays, votre sagesse l’effectuera. Mais, d’une manière ou d’autre, soyez sûr d’une fortune.

 

Je suis bien aise que Piron gagne quelque chose à me tourner en ridicule (3). L’aventure de la Malcrais-Maillard est assez plaisante. Elle prouve au moins que nous sommes très galants ; car, quand Maillard nous écrivait, nous ne lisions pas ses vers ; quand mademoiselle de Lavigne nous écrivit, nous lui fîmes des déclarations.

 

Monsieur le chancelier (4) n’a pas cru devoir m’accorder le privilège des Eléments de Newton ; peut-être dois-je lui en être très obligé. Je traitais la philosophie de Descartes comme Descartes a traité celle d’Aristote. M. Pitot, qui a examiné mon ouvrage avec soin, le trouvait assez exact ; mais enfin je n’aurais eu que de nouveaux ennemis, et je garderai pour moi les vérités que Newton et s’Gravesande m’ont apprises. Adieu, mon cher ami.

 

 

1 – Thieriot, devenu agent littéraire de Frédéric, fut toujours fort mal payé. (G.A.)

 

2 – Voltaire est ici mauvais prophète. (G.A.)

 

3 – Dans la Métromanie, jouée le 7 janvier. (G.A.)

 

4 – D’Aguesseau (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Maupertuis

A Cirey, janvier.

 

 

Romulus et Liber pater, et cum Castore Pollux …

Ploravere suis non respondere favorem

Speratum meritis.

 

                                                   (Hor., lib. II, ep. I.)

 

Je ne puis m’empêcher, monsieur, de vous rappeler à ce petit texte dont votre mérite, vos travaux, et le prix injuste que vous en recevez, sont le commentaire.

 

Vos huit triangles liés entre eux, et formant ce bel heptagone qui prouve tout d’un coup l’infaillibilité de vos opérations, enfin votre génie et vos connaissances, très fort au-dessus de cette opération même, doivent vous assurer, en France, et les plus belles récompenses et les éloges les plus unanimes. Mais ce n’est pas d’aujourd’hui que l’envie se déchaînait contre vous. Des personnes incapables de savoir même quel est votre mérite s’avisaient à Paris de vous chansonner, quand vous travailliez sous le cercle polaire, pour l’honneur de la France et de la raison humaine. Je reçus à Amsterdam, l’hiver dernier, une chanson plate et misérable contre plusieurs de vos amis et contre vous ; elle était de la façon du petit Lélio (1), et je crus reconnaître son écriture. Le couplet qui vous regardait était très outrageant, et finissait par :

 

 

Des meules de moulin

De ce calotin.

 

 

C’est ainsi qu’un misérable bouffon traitait et votre personne et votre excellent livre (2), qui n’a d’autre défaut que d’être trop court. Mais aussi M. Musschenbrocck me disait, en parlant de ce petit livre, que c’était le meilleur ouvrage que la France eût produit en fait de physique. S’Gravesande en parlait sur ce ton, et l’un et l’autre s’étonnaient fort que M. Cassini, et après lui M. de Fontenelle, assurassent si hardiment le prétendu ovale de la terre sur les petites différences très peu décisives qui se trouvaient dans leurs degrés, tandis que les mesures de Norwood assuraient à la terre une forme toute semblable à celle que vos raisonnements lui ont donnée, et que vos mesures infaillibles ont confirmée.

 

Tôt ou tard il faut bien que vous et la vérité vous l’emportiez. Souvenez-vous qu’on a soutenu des thèses contre la circulation du sang ; songez à Galilée, et consolez-vous.

 

Je suis persuadé que, quand vous avez refusé les douze cents livres de pension que vous avez généreusement répandues sur vos compagnons de voyage, vous avez dû paraître au ministère un esprit plus noble que mécontent. Vous devez en être plus estimé ; et il vient un temps où l’estime arrache les récompenses  (3).

 

J’avais osé, dans les intervalles que me laissent mes maladies, écrire le peu que j’attendais de Newton, que mes chers compatriotes n’entendent point du tout. J’ai suspendu cette édition qui se faisait à Amsterdam, pour avoir l’attache du ministère de France ; j’avais remis une partie de l’imprimé et le reste du manuscrit à M. Pitot, qui se chargeait de solliciter le privilège. Le livre est approuvé depuis huit mois ; mais M. le chancelier ne me le rend point. Apparemment que de dire que l’attraction est possible et prouvée, que la terre doit être aplatie aux pôles, que le vide est démontré, que les tourbillons sont absurdes, etc., cela n’est pas permis à un pauvre français. J’ai parlé de vous et de votre livre, dans mes petits Eléments, avec le respect que j’ai pour votre génie. Peut-être m’a-t-on rendu service en supprimant ces Eléments ; vous n’auriez eu que le chagrin de voir votre éloge dans un mauvais ouvrage. M. Pitot m’avait pourtant flatté que ce petit catéchisme de la foi newtonienne était assez orthodoxe. Je vous prie de lui en parler. Il y a six mois que j’ai quitté toute sorte de philosophie. Je suis retombé dans mon ignorance et dans les vers ; j’ai fait une tragédie, mais je n’attends que des sifflets. J’ai une fois fait un poème épique ; il y en a plus de vingt éditions dans toute l’Europe : toute ma récompense a été d’être joué en personne, moi, mes amis, et ma Henriade, aux Italiens et à la Foire, avec approbation et privilège.

 

Qui bene latuit bene vixit. Je n’ai plus assez de santé pour travailler à rien, ni pour vous étudier ; mais je vous admirerai et vous aimerai toute ma vie, vous et le grand petit Clairaut.

 

 

1 – Riccoboni (G.A.)

 

2 – Discours sur les différentes figures des astres. (G.A.)

 

3 – Maupertuis avait été blessé de la modicité de la récompense ; il voulait qu’on le regardât comme le chef de l’entreprise, et ses confrères comme des élèves qui avaient travaillé sous lui. Ces confrères étaient cependant Clairaut, Camus, Lemonnier. (K.)

 

 

 

 

à M. l’abbé Moussinot.

Janvier.

 

 

Je fais premièrement, mon cher trésorier, mon compliment à votre chapitre de ce qu’il vous a remis dans votre emploi d’hierophanta, mot grec qui signifie receveur sacré. Je tremble que ce chapitre ne me fasse baisser un peu dans votre cœur, et que le devoir ne l’emporte sur l’amitié ; mais, Dieu merci, vous aimez vos amis comme vos devoirs.

 

J’accepte les douze assiettes de la belle porcelaine ; non les plats, le lustre à la mode, tel que Le Brun en vend, non les vieux lustres, quelque beaux qu’on les dise ; et je vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

 

 

à M. l’abbé Moussinot.

Février.

 

 

On doit, mon cher abbé, vous allez voir, de la part d’un M. de Médine (1), et vous demander trois cents florins de Flandre. Vous direz à l’envoyé : « J’ai reçu commission de les prêter, hoc verum ; mais de les prêter en l’air, hoc absurdum. Qu’un bon banquier fasse son billet payable dans un an. Il faut prêter et non perdre, être bon et non dupe. Je ne connais pas ce M. de Lanthenée ; il suffit donc de l’aider, et c’est l’aider que de lui prêter cent écus.

 

A votre loisir, je vous prie de voir un avocat, et d’avoir son avis sur ce point de jurisprudence. Un homme (2) a des rentes viagères ; il s’en va à Utrecht pour jansénisme ou calvinisme, comme il vous plaira. Il doit cent mille florins ; et, avant de partir, il délègue dix mille livres de rente pour dix ans. Cependant on confisque son bien. La confiscation a-t-elle lieu ? Ses créanciers seront-ils payés ? Ses délégations sont-elles payables sa vie durant ? Belles questions ! Vale !

 

 

1 – Il a déjà été parlé de ce juif ex-ami de J.-B. Rousseau. (G.A.)

 

2 – Le comte de Bonneval. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot

Cirey, ce 7 Février.

 

 

Je vous envoie, mon cher ami, une lettre pour le prince royal, en réponse à celle que vous m’avez dépêchée par l’autre voie. Sa lettre contenait une très belle émeraude accompagnée de diamants brillants, et je ne lui envoie que des paroles. Soyez sûr, mon cher Thieriot, que mes remerciements pour lui seront bien plus tendres et bien plus énergiques, quand il aura fait pour vous ce que vous méritez et ce que j’attends. Ne soyez point du tout en peine de la façon dont je m’exprime sur votre compte, quand je lui parle de vous ; je ne lui écris jamais rien qui vous regarde, qu’à l’occasion des lettres qu’il peut faire passer par vos mains, et que je le prie de vous confier. Je suis bien loin de paraître soupçonner qu’il soit seulement possible qu’il vous ait donné le moindre sujet d’être mécontent. Quand je serais capable de faire cette balourdise, l’amitié m’en empêcherait bien. Elle est toujours éclairée quand elle est si vraie et si tendre. Continuez donc à le servir dans le commerce aimable de littérature dont vous êtes chargé, et soyez sûr, encore une fois, qu’il vous dira un jour : « Euge, serve bone et difelis, quia super pauca fuisti fidelis, etc. »

 

Vous vous intéressez à mes nièces ; vous savez sans doute ce que c’est que M. de La Rochemondière (1), qui veut de notre aînée. Je le crois homme de mérite, puisqu’il cherche à vivre avec quelqu’un qui en a. Si je peux faciliter ce mariage, en assurant vingt-cinq mille livres, je suis tout prêt ; et, s’il en veut trente, j’en assurerai trente ; mais, pour de l’argent comptant, il faut qu’il soit assez philosophe pour se contenter du sien, et de vingt mille écus que ma nièce lui apportera. Je me suis cru, en dernier lieu, dans la nécessité de prêter tout ce dont je pouvais disposer. Le prêt est très assuré : le temps du paiement ne l’est pas ; ainsi je ne peux m’engager à rien donner actuellement par un contrat. Mais ma nièce doit regarder mes sentiments pour elle comme quelque chose d’aussi sûr qu’un contrat par devant notaire. J’aurais bien mauvaise opinion de celui qui la recherche, si un présent de noce de plus ou de moins (qu’il doit laisser à ma discrétion) pouvait empêcher le mariage. C’est une chose que je ne peux soupçonner. Je ferai à peu près pour la cadette ce que je fais pour l’aînée. Leur frère (2) sera, quand il voudra, officier dans le régiment de M. du Châtelet. Voilà toute la nichée établie d’un trait de plume. Votre cœur charmant, et qui s’intéresse si tendrement à ses amis, veut de ces détails. C’est un tribut que je lui paie.

 

Mandez-moi si ce que l’on publie touchant la cuirasse de François 1er est vrai. Je ne sais de qui est Maximien (3) On la dit de l’abbé Le Blanc. Mais quel qu’en soit l’auteur, je serais très fâché qu’on m’en donnât la gloire, si elle est bonne ; et, en cas qu’elle ne vaille rien, je rends les sifflets à qui ils appartiennent.

 

J’achèterai sur votre parole le livre (4) de l’abbé Banier ; je compte n’y point trouver que Cham est l’Ammon des Egyptiens, que Loth est l’Ericthée, qu’Hercule est copié de Samson, que Baucis et Philémon sont imités d’Abraham et de Sara. Je ne sais quel académicien des belles-lettres avait découvert que les patriarches étaient les inventeurs du zodiaque, que Rebecca était la Vierge. Esaü et Jacob les Gémeaux. Il est bon d’avoir quelques dissertations pareilles dans son cabinet, pour mettre à côté du poème de la Madelène (5) ; mais il n’en faut pas trop.

 

Empêchez-donc M. d’Argental d’aller à Saint-Domingue (6). Un homme de probité, un homme aimable comme lui, doit rester dans ce monde.

 

 

1 – Conseiller auditeur à la chambre des comptes. (G.A.)

 

2 – Plus tard, abbé Mignot. Il fut un moment militaire. (G.A.)

 

3 – Tragédie de La Chaussée. (G.A.)

 

4 – La Mythologie et les Fables expliquées par l’histoire. (G.A.)

 

5 – Par le P. Pierre de Saint-Louis. (G.A.)

 

6 – D’Argental venait d’être nommé intendant de cette colonie, où, du reste, il n’alla pas. (G.A.)

 

 

 

à M. l’abbé Moussinot

Ce 11 Février 1738.

 

 

Je vous prie, mon cher ami, de joindre aux soins que vous prenez pour moi avec tant d’amitié celui d’écrire à M. Tanevot, premier commis des finances à Versailles. Mandez-lui, s’il vous plaît, que, comme vous voulez bien faire pour moi par amitié ce que vous faites pour votre chapitre, vous vous souvenez que j’ai une pension dont vous n’avez depuis longtemps vu les ordonnances, et que vous n’avez pas oublié qu’il avait eu quelquefois la bonté de vous les envoyer. Je crois qu’il m’est dû deux ordonnances au moins. Au reste, parlez, mon cher ami, en votre nom ; car quand on parle pour son ami, on demande justice, et si je parlais, j’aurais l’air de demander grâce.

 

Je me recommande à vos bontés pour les nouveaux Eléments, pour le temporel que j’attends des Villars, Richelieu, Bressay, d’Estaing, Guebriant, comédie, voir même machine pneumatique. Je vous embrasse de tout mon cœur. V.

 

 

 

 

à Mademoiselle Quinault

22…

 

 

[Voltaire envoie une correction pour la fin du quatrième acte de l’Enfant prodigue. Il ne demande pas l’amitié de Guyot de Merville, mais qu’il cesse de l’injurier dans ses préfaces. Il annonce avoir corrigé Mérope, et avoir recommandé à Linant de consulter souvent, pour ses ouvrages, mademoiselle Quinault.]

 

 

 

 

à M. l’abbé Moussinot

Février.

 

 

Vraiment, mon cher ami, vous m’avez fait une belle tracasserie avec le sieur Médine ou Medina. Ah ! mon cher abbé, ne montrez donc point mes lettres. Je veux bien obliger ce juif ; je veux bien aussi ne point perdre d’argent  que je lui prête ; mais je ne voulais pas qu’il fût instruit de la défiance très raisonnable que j’avais du paiement. J’avais grande raison de demander une signature d’homme solvable. Je voulais et je devais lui épargner la mortification d’un refus, qui lui fit sentir que l’état où il est trop connu. C’est un homme obéré que je voulais servir avec un peu de prudence, sans lui marquer que je suis instruit du mauvais état de ses affaires. Vous me ferez plaisir de raccommoder ce petit mal, sinon je m’en console.

 

Un nommé Darius vous viendra voir de sa part. Si ce Darius est bon, et qu’il endosse le billet, vous lui direz que je suis très aise de faire plaisir à M. Médine ; mais que ce n’est qu’à cette condition que vous pouvez vous dessaisir de l’argent qu’il demande, attendu que c’est un argent de famille. Cela tranche net et prévient toute difficulté. Avant tout, informez-vous si ce Darius est bon ; Paquier vous dira cela, et continuez-moi vos soins dont j’ai besoin, et votre amitié dont j’ai encore plus besoin.

 

 

 

 

à M. Thieriot

Cirey, 22 Février 1738 (1).

 

 

J’ai reçu, mon cher ami, votre lettre et les paquets de Berlin. Notre prince, en vérité, est plus adorable que jamais. J’aurais bien des choses à vous dire de lui, et je voudrais bien lui avoir l’obligation de vous attirer à Cirey. Ma foi, j’ai envie de lui demander qu’il envoie à madame Du Châtelet un second ambassadeur, et que cet ambassadeur soit vous.

 

Je ne reçois point de nouvelles de mes nièces ; les noces les occupent. Je pourrais me plaindre que la Mignot (2) ait préféré l’abominable séjour de Landau à notre vallée de Tempé ; mais vous savez que je veux qu’elle soit heureuse à sa façon et non à la mienne.

 

Je n’ai point vu la Gressade (3), ni l’Amour-propre de De Lille (4) ;.je les ferai venir si vous les jugez dignes des regards d’Emilie. J’écris pour avoir ce recueil de Ferrand dont vous me parlez ; mais je vous avoue que je suis toujours dans des transes que ces maudits livres ne troublent mon repos. Je pardonne aux Almanachs du Diable (5) ; mais je crains la calomnie ; je crains qu’on ne m’impute des vers de l’abbé de Chaulieu, qu’on a déjà mis sur mon compte (6).

 

Je vous demande en grâce, mon cher ami, de me mander sur-le-champ ce que vous savez de ce livre, s’il fait du bruit, s’il y a quelque chose à craindre des calomnies du monde que vous habitez. Je vous prie de ne pas perdre un instant, et de me tirer de l’inquiétude où cette nouvelle m’a mis. Ecrivez-moi souvent, je vous en prie : vos lettres ajoutent toujours à mon bonheur ; Adieu. Ne vous verra-t-on jamais ?

 

 

1 – Editeurs de Cayrol et A. François (G.A.)

 

2 – Cette nièce venait d’épouser M. Denis. (G.A.)

 

3 – Ode de Gresset sur l’Amour de la patrie. (G.A.)

 

4 – Poème de Delille de la Drevetière. (G.A.)

 

5 – Par Quesnel. (G.A.)

 

6 – Sans doute les Epîtres sur le bonheur. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Prault

A C.irey, le 24 Février

 

 

J’ai reçu votre lettre du 20. Je ne me plains donc plus du correspondant. Je vous prie, mon cher paresseux, qui ne le serez plus, de prier, par un petit mot de lettre, M. Berger de passer chez vous pour affaire ; on a de ses nouvelles à l’hôtel de Soissons. Cette affaire sera que vous lui compterez dix pistoles ; vous lui demanderez de vous-même un billet, par lequel il reconnaîtra avoir reçu cent livres de mes deniers par vos mains. Je remets à votre prudence et à votre esprit le soin de lui faire sentir doucement que, quoique les plaisirs que je lui fais soient peu considérables, cependant vous ne laissez pas d’être surpris de la manière peu mesurée dont il parle de moi en votre présence, et qu’un cœur comme le mien méritait des amis plus attachés. Je vous prie de m’envoyer incessamment une demi-douzaine d’exemplaires de la nouvelle édition d’Œdipe. Vous n’aurez Mérope que dans un mois ; je ne crois pas que les approbateurs puissent vous inquiéter, quoiqu’elle soit sous mon nom. Je vous prie de bien déclarer qu’il est très faux que Maximien soit de moi. Je n’aime point à me charger des ouvrages des autres.

 

 

 

 

à M. Berger

A Cirey, Février.

 

 

Vous avez grande raison assurément, monsieur, de vouloir me développer l’histoire de Constantin ; car c’est une énigme que je n’ai jamais pu comprendre, non plus qu’une infinité d’autres traits d’histoire. Je n’ai jamais bien concilié les louanges excessives que tous nos auteurs ecclésiastiques, toujours très justes et très modérés, ont prodiguées à ce prince, avec les vices et les crimes dont toute sa vie a été souillée. Meurtrier de sa femme, de son beau-père, plongé dans la mollesse, entêté à l’excès du faste, soupçonneux, superstitieux ; voilà les traits sous lesquels je le connais. L’histoire de sa femme Fausta et de son fils Crispus était un très beau sujet de tragédie ; mais c’était Phèdre sous d’autres noms. Ses démêlés avec Maximien-Hercule, et son extrême ingratitude envers lui, ont déjà fourni une tragédie à Thomas Corneille, qui a traité à sa manière la prétendue conspiration de Maximien-Hercule. Fausta se trouve, dans cette pièce, entre son mari et son père ; ce qui produit des situations fort touchantes. Le complot est très intrigué, et c’est une de ces pièces dans le goût de Camma et de Timocrate (1). Elle eut beaucoup de succès dans son temps ; mais elle est tombée dans l’oubli, avec presque toutes les pièces de Thomas Corneille, parce que l’intrigue, trop compliquée, ne laisse pas aux passions le temps de paraître ; parce que les vers en sont fort faibles ; en un mot, parce qu’elle manque de cette éloquence qui seule fait passer à la postérité les ouvrages de prose et les vers. Je ne doute pas que M. de La Chaussée n’ait mis dans sa pièce tout ce qui manque à celle de Thomas Corneille. Personne n’entend mieux que lui l’art des vers ; il a l’esprit cultivé par de longues études, et plein de goût et de ressources. Je crois qu’il se pliera aisément à tout ce qu’il voudra entreprendre. Je l’ai toujours regardé comme un homme fort estimable, et je suis bien aise qu’il continue à confondre le misérable auteur (2) des Aïeux chimériques et des trois Epîtres tudesques où ce cynique hypocrite prétendait donner des règles de théâtre, qu’il n’a jamais mieux entendues que celles de la probité. Je m’aperçois que je vous ai appelé monsieur ; mais dominus entre nous veut dire amicus.

 

 

1 – Tragédie de Thomas Corneille. (G.A.)

 

2 – J.-B. Rousseau. (G.A.)

 

3 – Le comte de Bonneval. (G.A.)

 

 

1738-1

 

 

Commenter cet article