CORRESPONDANCE - Année 1736 - Partie 12

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à M. le Comte de Tressan

Ce 9 Décembre 1736.

 

 

          Il est certain que c’est M. le président Dupuy qui a distribué des copies du Mondain dans le monde, et, qui pis est, des copies très défigurées. La pièce, tout innocente qu’elle est, n’était pas faite assurément pour être publique. Vous savez d’ailleurs que je n’ai jamais fait imprimer aucun de ces petits ouvrages de société qui sont, comme les parades du prince Charles et du duc de Nevers, supportables à huis clos (1). Il y a dix ans que je refuse constamment de laisser prendre copie d’une seule page du poème de la Pucelle, poème cependant plus mesuré que l’Arioste, quoique peut-être aussi gai. Enfin, malgré le soin que j’ai toujours pris de renfermer mes enfants dans la maison, ils se sont mis quelquefois à courir les rues. Le Mondain a été plus libertin qu’un autre. Le président Dupuy dit qu’il le tenait de l’évêque de Luçon, lequel prélat, par parenthèse, n’était pas encore assez mondain, puisqu’il a eu le malheur d’amasser douze mille inutiles louis dont il eût pu, de son vivant, acheter douze mille plaisirs.

 

          Venons au fait. Il est tout naturel et tout simple que vous ayez communiqué ce Mondain de Voltaire à cet autre mondain d’évêque. Je suis fâché seulement qu’on ait mis dans la copie :

 

 

                              Les parfums les plus doux

                    Rendent sa peau douce, fraîche, et polie ;

 

 

Il fallait mettre :

 

 

                    Rendent sa peau plus fraîche et plus polie.

 

 

Voilà sans doute le plus grand grief. Rien ne peut arriver de pis à un poète qu’un vers estropié.

 

          Le second grief est qu’on ait pu avoir la mauvaise foi, et, j’ose dire la lâche cruauté de chercher à m’inquiéter pour quelque chose d’aussi simple, pour un badinage plein de naïveté et d’innocence. Cet acharnement à troubler le repos de ma vie sur des prétextes aussi misérables, ne peut venir que d’un dessein formé de m’accabler et de me chasser de ma patrie. J’avais déjà quitté Paris pour être à l’abri de la fureur de mes ennemis. L’amitié la plus respectable a conduit dans la retraite des personnes qui connaissent le fond de mon cœur, et qui ont renoncé au monde, pour vivre en paix avec un honnête homme dont les mœurs leur ont paru dignes peut-être de tout autre prix que d’une persécution. S’il faut que je m’arrache encore à cette solitude, et que j’aille dans les pays étrangers, il m’en coûtera sans doute, mais il faudra bien s’y résoudre ; et les mêmes personnes qui daignent s’attacher à moi aiment beaucoup mieux me voir libre ailleurs que menacé ici.

 

          Monsieur le prince royal de Prusse m’a écrit depuis longtemps, en des termes qui me font rougir, pour m’engager à venir à sa cour. On m’a offert une place auprès de l’héritier d’une vaste monarchie (2), avec dix mille livres d’appointements ; on m’a offert des choses très flatteuses en Angleterre. Vous devinez aisément que je n’ai été tenté de rien, et que si je suis obligé de quitter la France, ce ne sera pas pour aller servir des princes.

 

          Je voudrais seulement savoir, une bonne fois pour toutes, quelle est l’intention du ministère, et si, parmi mes ennemis, il n’y en a point d’assez cruels pour avoir juré de me persécuter sans relâche. Ces ennemis, au reste, je ne les connais pas ; je n’ai jamais offensé personne ; ils m’accablent gratuitement.

 

Ploravere suis non respondere favorem

Speratum meritis.                     

 

(Hor., liv. II, ép. I.)

 

 

          Je demande uniquement d’être au fait, de bien savoir ce qu’on veut, de n’être pas toujours dans la crainte, de pouvoir enfin prendre un parti. Vous êtes à portée, et par vous-même et par vos amis, de savoir précisément les intentions. M. le bailli de Froulai, M. de Bissi, peuvent s’unir avec vous. Je vous devrai tout, si je vous dois au moins la connaissance de ce qu’on veut. Voilà la grâce que vous demande celui qui vous a aimé dès votre enfance, qui a vu un des premiers tout ce que vous deviez valoir un jour, et qui vous aime avec d’autant plus de tendresse, que vous avez passé toutes ses espérances.

 

          Soyez aussi heureux que vous méritez de l’être, et à la cour, et en amour. Vous êtes né pour plaire, même à vos rivaux. Je serai consolé de tout ce qu’on me fait souffrir, si j’apprends au moins que la fortune continue à vous rendre justice. Comptez qu’il n’y a pas deux personnes que votre bonheur intéresse plus que moi.

 

          Permettez-moi de présenter mes respects à mademoiselle de Tressan et à madame de Genlis (3). Vous m’écriviez :

 

Formosam résopare doces Amaryllida sylvas ; (Virg., égl. I.)

 

Faudra-t-il que je réponde :

 

Nos patriam fugimus ?...

 

          Adieu, Pollion ; adieu, Tibulle. On me traite comme Bavius.

 

 

1 – Voyez la lettre à Cideville du 29 Avril 1735. (G.A.)

 

2 – En Russie. (G.A.)

 

3 – De la famille de Tressan. (G.A.)

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argens

A Cirey, le 10 Décembre.

 

 

          J’attends avec bien de l’impatience, monsieur, le nouvel ouvrage que vous m’avez annoncé. J’y trouverai sûrement ces vérités courageuses que les autres hommes osent à peine penser. Vous êtes né pour faire bien de l’honneur aux lettres, et, j’ose dire, à la raison humaine.

 

          L’habitude que vous avez prise de si bonne heure de mettre vos pensées par écrit est excellente pour fortifier son jugement et ses connaissances. Quand on ne réfléchit que pour soi, et comme en passant, on accoutume son esprit à je ne sais quelle mollesse qui le fait languir à la longue ; mais, quand on ose, dans une si grande jeunesse, se recueillir assez pour écrire en philosophe et penser pour soi et pour le public, on acquiert bientôt une force de génie qui met au-dessus des autres hommes. Continuez à faire un si noble usage du loisir que peut vous laisser l’attachement respectable (1) qui vous a conduit où vous êtes.

 

          Je crois que j’irai bientôt en Prusse voir un autre prodige. C’est le prince royal, qui est à peu près de votre âge, et qui pense comme vous. Je compte, à mon retour, passer par la Hollande, et avoir l’honneur de vous y embrasser. Un de mes amis, qui va à Leyde, et qui doit y passer quelque temps, sera, en attendant, si vous le voulez bien, le lien de notre correspondance. Il s’appelle de Révol (2) ; il est sage, discret et bon ami. Ce sera lui qui vous fera tenir ma lettre ; vous pourrez vous confier à lui en toute sûreté. Je ne lui ai point dit votre demeure, et vous resterez le maître de votre secret : je lui ai dit seulement qu’il pouvait vous écrire chez M. Prosper (3), à La Haye.

 

          Adieu, monsieur ; permettez-moi de présenter mes respects à la personne qui vous retient où vous êtes.

 

 

1 – Il s’agit de l’amour de d’Argens pour mademoiselle Cochois, comédienne qu’il épousa plus tard. (G.A.)

 

2 – C’est sous ce nom que Voltaire se réfugia en Hollande à la fin de cette année-là. (G.A.)

 

3 – Prosper Marchand, libraire. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Berger

A Cirey, le 12 Décembre.

 

 

          Je reçois votre lettre du 8. Je fais partir, par cet ordinaire, la pièce (1) et la préface, pour être imprimées par le libraire qui en offrira davantage ; car je ne veux faire plaisir à aucun de ces messieurs, qui sont, comme les comédiens, créés par les auteurs, et très ingrats envers leurs créateurs.

 

          Je suis indigné contre Prault de ce qu’il ne m’envoie point le carton du portrait (2) de M. le duc d’Orléans, et de ce qu’il ne m’envoie point la préface (3) imprimée, et de ce qu’il a l’impertinence de ne pas répondre exactement à mes lettres. Faites-lui sentir ses torts, et punissez-le en donnant la pièce à un autre.

 

          Vous aurez la Newtonade (4), ou plutôt l’Eucliade.  Thieriot doit vous la faire voir ; mais il faut être un peu philosophe pour aimer cela.

 

          Je vous prie de passer chez l’abbé Moussinot ; il y a une très jolie pendule d’or moulu, dont je veux faire présent à mademoiselle Quinault, pour ses peines. Voyez si vous voulez avoir la bonté de vous charger de faire ce présent. Vous n’avez pas besoin de cela pour être reçu à merveille ; mais ce sera un petit véhicule pour vous faire avoir vos entrées. Il faudra forcer mademoiselle Quinault à accepter cette bagatelle. Voilà déjà une petite négociation, en attendant mieux.

 

          A l’égard de l’Enfant prodigue, il faut qu’il soit mieux que la Henriade. Je suis honteux de la négligence de Prault ; mauvais papier, mauvais caractère, point de table ; cela est honteux.

 

          Vous trouverez la pièce et la préface chez M. d’Argental, qui vous remettra l’une et l’autre ; ainsi négociez avec le libraire le moins fripon et le moins ignorant que faire se pourra.

 

          Comment pourrait-on faire pour avoir par écrit le procès (5) de Castel et de Rameau ? Vous êtes un correspondant à qui on peut demander de tout. Envoyez-moi ce procès ; écrivez-moi souvent ; sachez comment va l’Enfant prodigue ; aimez le père, qui vous aime de tout son cœur.

 

          Je défie M. le chevalier de Villefort d’avoir dit, et même d’avoir connu combien on est heureux à Cirey.

 

          Les nuages que les Rousseau et les Desfontaines veulent élever, du sein de la fange où ils rampent, ne vont pas jusqu’à moi. Je crache quelquefois sur eux, mais sans y songer. Adieu.

 

 

1 – L’Enfant prodigue. (G.A.)

 

2 – Dans la Henriade, ch. VII. (G.A.)

 

3 – De Linant. (G.A.)

 

4 – Toujours l’épître à madame du Châtelet. (G.A.)

 

5 – Toujours sur le Clavecin oculaire. (G.A.)

 

 

 

 

à M. l’Abbé Moussinot

 Cirey, Décembre.

 

 

          Que dites-vous, mon cher abbé, de ce petit La Mare, qui est venu escroquer de l’argent chez vous par un mensonge, et qui ne m’a pas écrit depuis que j’ai quitté Paris ? L’ingratitude me paraît innée dans le genre humain, bien plus que les idées métaphysiques dont parlent Descartes et Malebranche. Vous avez raison d’être plus content du jeune Baculard. (1), à qui vous avez donné de l’argent, que du sieur La Mare, qui vous en a escamoté, et je vois leurs caractères fort différents ; je vois dans l’un encourager la vertu, je ne vois rien dans l’autre. Vous les connaissez ; c’est à vous d’en juger.

 

          Si vous avez de l’argent, je vous prie de donner cent francs à M. Berger ; et, si vous ne les avez pas, de vendre vite quelqu’un de mes meubles pour les lui donner, dussiez-vous lui donner cinquante francs une fois, et cinquante livres une autre fois. Ayez la bonté de lui faire ce plaisir ; je lui ai une grande obligation de vouloir bien s’adresser à moi. Le plus grand regret que j’aie, dans le dérangement où Demoulin a mis une fortune, est d’être si peu utile à des amis tels que M. Berger. Enfin, il faut songer à ce qui me reste, plus qu’à ce que j’ai perdu, et tâcher d’arranger mes petites affaires de façon que je puisse passer ma vie à être un peu utile à moi-même et à ceux que j’aime.

 

          Si le chevalier de Mouhi vient vous voir, dites-lui que je suis prêt à lui faire tous les plaisirs qui dépendront de moi ; mais ne vous engagez pas, et même ne lui donnez pas de parole trop positive.

 

          Depuis huit jours, je suis sur le point de partir pour aller voir le prince de Prusse, qui m’a fait l’honneur de m’écrire souvent pour m’inviter d’aller à sa cour passer quelque temps. Je vous embrasse, mon cher chanoine, et vous aimerai toujours bien sincèrement, même après avoir vu le prince royal de Prusse.

 

 

1 – Il ne devait guère être plus reconnaissant que les autres. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Berger

A Cirey, Décembre.

 

 

          Vous vous moquez de moi, mon cher ami, avec votre billet. Est-ce que les amis se font des billets ? Je suis très en colère, messieurs ; vous ne trouvez pas la préface de M. Linant bonne, faites-en une meilleure, et on l’imprimera ; mais tant que vous n’en ferez point, on imprimera la sienne.

 

          Il serait très ridicule de demander pardon au public de ce qu’on imprime si souvent la Henriade. On la réimprime quand les éditions sont épuisées. Il faudrait le demander, si on ne la réimprimait pas. Les criailleries de quelques ennemis, que je ne dois qu’à mes succès et à mes bienfaits, ne doivent point fermer la bouche à mes amis ; et ils ne doivent pas être timides, parce que Rousseau est un monstre de jalousie, et Desfontaines un monstre d’ingratitude.

 

          Je vous prie, mon cher ami, de me mander si la lettre au prince royal de Prusse, envoyée cachetée le 8 de ce mois à Thieriot le marchand, pour être remise à l’envoyé de Prusse, a été en effet remise à ce ministre. A l’égard du paquet à cachet volant, contenant l’épître en vers (1), vous l’avez sans doute remis à M. Chambrier. Je serais très fâché que cette épître courût. Elle n’est pas finie. Elle trouvera grâce devant un prince favorablement disposé, et n’en trouverait pas devant des critiques sévères ; mais j’ai voulu payer par un prompt hommage les bontés de ce prince. J’aurais attendu trop longtemps si j’avais limé mon ouvrage.

 

          Tâchez de trouver le prussien Gresset (2). Il va dans une cour où Rousseau est regardé comme un faquin de versification, dans une cour où l’on aime la philosophie et la liberté de penser, où l’on déteste le cagotisme, et où l’on m’aime comme homme et poète. Faites adroitement la leçon à son cœur et à son esprit. Vous êtes fait pour en conduire plus d’un. Je vous embrasse.

 

 

1 – Au prince de Prusse. (G.A.)

 

2 – Frédéric l’avait appelé auprès de lui. Gresset ne s’y rendit pas. (G.A.)

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argens

Le 20 Décembre.

 

 

          J’ai reçu, monsieur, votre lettre du 10 Décembre, et, depuis ce temps, une heureuse occasion a fait parvenir jusqu’à moi votre livre de philosophie. Mes louanges vous seront fort inutiles : je suis un juge bien corrompu. Je pense absolument comme vous presque sur tout. Si l’intérêt de mon opinion ne me rendait pas un peu suspect, je vous dirais :

 

 

Macte animo, generose ; sic itur ad astra.

 

 

          Mais je ne veux pas vous louer, je ne veux que vous remercier. Oui, je vous rends grâces, au nom de tous les gens qui pensent, au nom de la nature humaine qui réside dans eux seuls, des vérités courageuses que vous dites : Vox exœquat victoria cœlo. Je vous trouve l’esprit de Bayle et le style de Montaigne. Votre livre doit avoir un très grand succès, et les écrits de la superstition et de l’hypocrisie ne serviront qu’à votre gloire. Mon dieu, que votre indepair m’a réjoui ! et que cela donne un bon ridicule à l’indéfini ! mais qu’il y a de choses qui m’ont plu, et que j’ai envie de vous voir pour vous le dire ! Vous devez mener une vie très heureuse ; vous vivez avec les belles-lettres, la philosophie, tous les arts. Je vous fais bien mes compliments sur tout cela.

 

          Qu’il me soit permis de profiter de votre exemple, et d’être un peu philosophe à mon tour. Je vous envoie une Epître à madame la marquise du Châtelet, épître qui est, ce me semble, dans un autre goût que celles de Rousseau. N’est-ce pas un peu rappeler l’art des vers à son origine, que de faire parler à Apollon le langage de la philosophie ? Je voudrais bien n’avoir consacré mon temps qu’à des choses aussi dignes de la curiosité des hommes raisonnables. Je suis surtout très affligé d’être obligé quelquefois de perdre des heures précieuses à repousser les indignes attaques de Rousseau et de Desfontaines. La jalousie a fait le premier mon ennemi, l’autre ne l’est devenu, que par excès d’ingratitude. Ce qui me console et me justifie, c’est que mes ennemis sont les vôtres.

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

 

Ce dimanche, à quatre heures du matin, Décembre.

 

 

          Votre amie (1) a été d’abord bien étonnée quand elle a appris qu’un ouvrage aussi innocent que le Mondain avait servi de prétexte à quelques-uns de mes ennemis ; mais son étonnement s’est tourné dans la plus grande confusion et dans l’horreur la plus vive, à la nouvelle  qu’on voulait me persécuter sur ce misérable prétexte. Sa juste douleur l’a emporté sur la résolution de passer avec moi sa vie. Elle n’a pu souffrir que je restasse plus longtemps dans un pays où je suis traité si inhumainement. Nous venons de partir de Cirey, nous sommes, à quatre heures du matin, à Vassy, où je dois prendre des chevaux de poste. Mais mon véritable, mon tendre et respectable ami, quand je vois arriver le moment où il faut se séparer pour jamais de quelqu’un qui a fait tout pour moi, qui a quitté pour moi Paris, tous ses amis, et tous les agréments de la vie, quelqu’un que j’adore et que je dois adorer, vous sentez bien ce que j’éprouve ; l’état est horrible. Je partirais avec une joie inexprimable ; j’irais voir le prince de Prusse, qui m’écrit souvent pour me prier d’aller à sa cour ; je mettrais entre l’envie et moi un assez grand espace pour n’en être plus troublé ; je vivrais, dans les pays étrangers, en Français qui respectera toujours son pays ; je serais libre, et je n’abuserais point de ma liberté ; je serais le plus heureux homme du monde : mais votre amie est devant moi, qui fond en larmes. Mon cœur est percé. Faudra-t-il la laisser retourner seule dans un château qu’elle n’a bâti que pour moi, et me priver de ce qui est la consolation de ma vie parce que j’ai des ennemis à Paris ? Je suspens, dans mon désespoir, mes résolutions ; j’attendrai encore que vous m’ayez instruit de l’excès de fureur où l’on peut se porter contre moi.

 

          C’est bien, assurément, réunir l’absurdité de l’âge d’or et la barbarie du siècle de fer, que de me menacer pour un tel ouvrage. Il faut donc qu’on l’ait falsifié. Enfin je ne sais que croire. Tout ce que je sais, c’est que je voudrais être ignoré de toute la terre, et n’être connu que de vous et de votre amie. Elle était déterminée, à neuf heures du soir, à me laisser partir ; mais, moi, je vous dis, à quatre heures du matin, à présent de concert avec elle : Faites tout ce que vous croyez convenable. Si vous jugez l’orage trop fort, mandez-le nous à l’adresse ordinaire, et j’achèverai ma route ; si vous le croyez calmé véritablement, je resterai. Mais quelle vie affreuse ! Etre éternellement bourrelé par la crainte de perdre, sans forme de procès, sa liberté sur le moindre rapport, j’aimerais mieux la mort. Enfin je m’en rapporte à vous ; voyez ce que je dois faire. Je suis épuisé de lassitude, accablé de chagrin et de maladie. Adieu ; je vous embrasse mille fois, vous et votre aimable frère.

 

          Pourquoi mademoiselle Quinault ne m’aime-t-elle pas assez pour daigner recevoir un colifichet (2) de ma part.

 

 

1 – Madame la marquise du Châtelet. (K.)

 

2 – Elle avait refusé la pendule en or comme le petit secrétaire. (G.A.)

 

 

 

 

à Madame de Champbonin

 

De Givet, Décembre.

 

 

          M. de Champbonin, madame, a un cœur fait comme le vôtre ; il vient de m’en donner une preuve bien sensible. Je me flatte que vous rendrez encore un plus grand service à la plus adorable personne du monde ; vous la consolerez, vous resterez auprès d’elle autant que vous le pourrez. J’ai plus besoin encore de consolations ; j’ai perdu mille fois davantage, vous le savez ; vous êtes témoin de tout ce que son cœur et son esprit valent ; c’est la plus belle âme qui soit jamais sortie des mains de la nature : voila ce que je suis forcé de quitter. Vous auriez été le lien de nos cœurs, s’ils avaient pu ne se pas unir eux-mêmes. Hélas ! Vous partagez nos douleurs ! Non, ne les partagez pas, vous seriez trop à plaindre. Les larmes coulent de mes yeux en vous écrivant. Comptez sur moi comme sur vous-même. Je vous remercie encore une fois de la marque d’amitié que vient de me donner M. de Champbonin.

 

 

 

 

à Madame la marquise du Châtelet

 

Décembre.

 

…………………………………………………………………………………………J’écris à madame de Richelieu ; mais je ne lui parle presque pas de mon malheur. Je ne veux pas avoir l’air de me plaindre (1).

 

 

1 – Ces deux lignes et quatre autres, que nous avons données en note dans les POESIES MELEES, sont tout ce que l’on connaît de la correspondance de Voltaire avec madame du Châtelet. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot

 

Ce 24 Décembre. (1)

 

 

          Je ne vous écris point de ma main, mon cher ami, parce que je me trouve un peu mal. J’ai reçu une nouvelle lettre du prince royal, beaucoup plus pleine encore de bonté que la première ; et, ce qui vous surprendra, c’est qu’elle est écrite avec la correction et l’élégance d’un Français homme d’esprit, dont le métier serait d’écrire. Jamais de si grands sentiments n’ont été si bien exprimés. Je vous en enverrai une copie. Je sais combien votre cœur y sera sensible. Votre correspondance avec ce prince est, en vérité, ce qui pouvait vous arriver de plus flatteur dans votre vie. J’ai pris la liberté de lui écrire qu’il ne pouvait faire un meilleur choix. Vous verrez par sa lettre qu’il m’honore de quelque confiance. Je suis très persuadé qu’un jour votre emploi auprès de lui ne sera pas borné aux seules belles-lettres.

 

          Ma mauvaise santé m’empêchera de lui faire ma cour, cet hiver. Je pourrais bien aller aux eaux d’Aix-la-Chapelle. Ecrivez-moi des nouvelles de votre Parnasse. La poste va partir, je n’ai pas le temps d’écrire à M. Berger. Je vous prie de l’assurer de ma tendre amitié, et de lui dire que je lui demande en grâce de m’écrire des nouvelles une fois la semaine.

 

          Mon adresse est : A Monsieur de Révol, chez Monsieur Hellin, banquier, à Anvers.

 

          Je vous demande à vous et à M. Berger un profond secret sur notre commerce et sur cette adresse. Je vous embrasse. Comptez que vous n’aurez jamais d’ami plus tendre que moi.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

CORRESPONDANCE - 1736-12

 

 

 

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