CORRESPONDANCE - Année 1735 - Partie 8

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Photo de KHALAH

 

 

 

 

 

à M. l’Abbé Asselin

A Cirey, 4 Novembre.

 

          Demoulin a bien mal fait, monsieur, de ne vous avoir pas envoyé cette dernière scène complète. Je viens de lui écrire et de lui recommander de vous la porter sur-le-champ. C’est, comme je vous l’ai dit, une traduction assez fidèle de la dernière du Jules César de Shakespeare. Ce morceau devient par là un morceau singulier et assez intéressant dans la république des lettres. Voilà le point de vue dans lequel un journaliste devait examiner ma tragédie. Elle donne une véritable idée du goût des Anglais. Ce n’est pas en traduisant des poètes en prose qu’on fait connaître le génie poétique d’une nation, mais en imitant en vers leur goût et leur manière. Une dissertation sur ce goût, si différent du nôtre, était ce qu’on devait attendre de l’abbé Desfontaines. Il sait l’anglais ; il doit avoir lu Shakespeare ; il était à portée de donner sur cela des lumières au public. Si, au lieu de s’écrier, en parlant de ma pièce : Que de mauvais vers ! Que de vers durs ! il avait voulu distinguer entre l’éditeur et moi, et s’attacher à faire voir, en critique sage, les différences qui se trouvent entre le goût des nations, il aurait rendu un service aux lettres, et ne m’aurait point offensé. Je me connais assez en vers, quoique je n’en fasse plus pour assurer que cette tragédie, telle qu’on l’imprime à présent en Hollande, est l’ouvrage le plus fortement versifié que j’aie fait. Tous les étrangers, qui retrouvent d’ailleurs dans cette pièce les hardiesses qu’on prend en Italie et à Londres, et qu’on prenait autrefois à Athènes, me rendent un peu plus de justice que l’abbé Desfontaines et mes ennemis ne m’en ont rendu.  Ils distinguent  entre le goût des nations et celui des Français ; ils savent par cœur une partie de ces vers que l’abbé Desfontaines trouve si durs et si faibles ; ils disent que Brutus doit parler en Brutus ; ils savent que ce Romain a écrit à Cicéron et à Antoine qu’il aurait tué son père pour le salut de l’Etat ; ils ne me reprochent point un tutoiement qui est si noble en poésie, que c’est la seule manière dont on parle à Dieu ; ils ne traitent point de controverse l’admirable scène de Shakespeare, dont on n’a joué chez vous qu’une petite partie, et qu’on a imprimée si ridiculement. Quand ils voient des vers tels que celui-ci :

 

 

          A vos tyrans Brutus ne parle qu’au sénat,

 

 

ils savent bien, pour peu qu’ils aient de connaissance de la langue française, qu’un tel vers ne peut être de moi.

 

          Je pardonne de tout mon cœur à l’abbé Desfontaines, si, dans les choses désagréables qu’il a semées contre moi dans vingt de ses feuilles, il n’a point eu l’intention de m’outrager. Cependant, monsieur, je vous enverrai, si vous voulez, vingt lettres de mes amis qui me parlent de son procédé avec beaucoup plus de chaleur que je n’en ai parlé moi-même. Enfin, monsieur, quoi qu’il en soit, j’oublierai tout. Les disputes des gens de lettres ne servent qu’à faire rire les sots aux dépens des gens d’esprit, et à déshonorer les talents, qu’on devrait rendre respectables. Je puis vous assurer qu’il y a plus d’un ennemi de l’abbé Desfontaines qui m’a écrit pour me proposer des vengeances que j’ai rejetées. Je souhaite qu’il revienne à moi avec l’amitié que j’avais droit d’attendre de lui ; mon amitié ne sera pas altérée par la différence de nos opinions. Vous pouvez lui communiquer cette lettre.

 

          Je vous suis attaché pour toute ma vie, avec bien de la reconnaissance.

 

 

 

 

à M. de la Place

A Cirey en Champagne, le 11 Novembre 1735

 

 

          J’ai reçu, monsieur, à la campagne où je suis depuis quelques mois, et où je compte rester encore du temps, la lettre dont vous m’avez honoré et les vers aimables qui l’accompagnent. De quelque main qu’ils soient, ils annoncent beaucoup de goût et de génie, deux choses rares, même séparément, et encore plus rares à trouver ensemble. Ma passion pour les belles-lettres me rend ami de quiconque les cultive. Personne ne me paraît avoir plus de droit à mon amitié et à mon estime que vous, monsieur, dont la jeunesse et les talents donnent tant d’espérance. Je n’ai que des louanges à vous donner, et bien des remerciements à vous faire, etc.

 

 

 

 

à M. l’Abbé Desfontaines

A Cirey,le 14 Novembre.

 

 

          Si l’amitié vous a dicté, monsieur, ce que j’ai lu dans la feuille trente-quatrième (1) que vous m’avez envoyée, mon cœur en est bien plus touché que mon amour-propre n’avait été blessé des feuilles précédentes. Je ne me plaignais pas de vous comme d’un critique, mais comme d’un ami ; car mes ouvrages méritent beaucoup de censure ; mais moi, je ne méritais pas la perte de votre amitié. Vous avez dû juger, à l’amertume avec laquelle je m’étais plaint à vous-même, combien vos procédés m’avaient affligé ; et vous avez vu, par mon silence sur tous les autres critiques, à quel point j’y suis sensible. J’avais envoyé à Paris, à plusieurs personnes, la dernière scène, traduite de Shakespeare, dont j’avais retranché quelque chose pour la représentation d’Harcourt, et que l’on a encore beaucoup tronquée dans l’impression. Cette scène était accompagnée de quelques réflexions sur vos critiques. Je ne sais si mes amis les feront imprimer ou non ; mais je sais que, quoique ces réflexions aient été faites dans la chaleur de mon ressentiment, elles n’en étaient pas moins modérées. Je crois que M. l’abbé Asselin les a ; il peut vous les montrer, mais il faut regarder tout cela comme non avenu.

 

          Il importe peu au public que la Mort de César soit une bonne ou une méchante pièce ; mais il me semble que les amateurs des lettres auraient été bien aises de voir quelques dissertations instructives sur cette espèce de tragédie qui est si étrangère à notre théâtre. Vous en avez parlé et jugé comme si elle avait été destinée aux comédiens français. Je ne crois pas que vous ayez voulu, en cela flatter l’envie et la malignité de ceux qui travaillent dans ce genre ; je crois plutôt que, rempli de l’idée de notre théâtre, vous m’avez jugé sur les modèles que vous connaissez. Je suis persuadé que vous auriez rendu un service aux belles-lettres si, au lieu de parler en peu de mots de cette tragédie comme d’une pièce ordinaire, vous aviez saisi l’occasion d’examiner le théâtre anglais et même le théâtre d’Italie, dont elle peut donner quelque idée. La dernière scène, et quelques morceaux traduits mot pour mot de Shakespeare, ouvraient une assez grande carrière à votre goût. Le Giulo Cesare de l’abbé Conti (2), noble vénitien, imprimé à Paris il y a quelques années, pouvait vous fournir beaucoup. La France n’est pas le seul pays où l’on fasse des tragédies ; et notre goût, ou plutôt notre habitude de ne mettre sur le théâtre que de longues conversations d’amour, ne plaît pas chez les autres nations. Notre théâtre est vide d’action et de grands intérêts, pour l’ordinaire. Ce qui fait qu’il manque d’action, c’est que le théâtre est offusqué par nos petits maîtres (3) ; et ce qui fait que les grands intérêts en sont bannis, c’est que notre nation ne les connaît point. La politique plaisait du temps de Corneille, parce qu’on était tout rempli des guerres de la Fronde ; mais aujourd’hui on ne va plus à ses pièces. Si vous aviez vu jouer la scène entière de Shakespeare, telle que je l’ai vue, et telle que je l’ai à peu près traduite, nos déclarations d’amour et nos confidences vous paraîtraient de pauvres choses auprès. Vous devez connaître, à la manière dont j’insiste sur cet article, que je suis revenu à vous de bonne foi, et que mon cœur, sans fiel et sans rancune, se livre au plaisir de vous servir, autant qu’à l’amour de la vérité. Donnez-moi donc des preuves de votre sensibilité et de la bonté de votre caractère. Ecrivez-moi ce que vous pensez et ce que l’on pense sur les choses dont vous m’avez dit un mot dans votre dernière lettre. La pénitence que je vous impose est de m’écrire au long ce que vous croyez qu’il y ait à corriger dans mes ouvrages dont on prépare en Hollande une très belle édition. Je veux avoir votre sentiment et celui de vos amis. Faites votre pénitence avec le zèle d’un homme bien converti, et songez que je mérite par mes sentiments, par ma franchise, par la vérité et la tendresse qui sont naturellement dans mon cœur, que vous vouliez goûter avec moi les douceurs de l’amitié et celle de la littérature.

 

 

1 – Desfontaines s’était rétracté. (G.A.)

 

2 – Mort en 1749. (G.A.)

 

3 – Il y avait des bancs sur le théâtre même. Voyez la dédicace de l’Ecossaise. (G.A.)

 

 

 

 

à M. de Formont

A Cirey, 15 Novembre.

 

          Pourquoi vous rebuter d’un ouvrage si admirable (1), et auquel il manque si peu de chose pour être parfait ? Nous n’avons dans notre langue que cette seule traduction du plus beau monument de l’antiquité ; car je compte pour rien toutes les mauvaises qu’on a faites.

 

 

Virgile, du sein du tombeau,

Vous dit-il pas, en son langage :

Il faut achever ton ouvrage,

Quand je t’ai prêté mon pinceau ?

 

 

          Je viens d’apprendre que la Didon, qui a fait tant de fracas sur notre théâtre, est une espèce de traduction d’un opéra italien de Metastasio, se disant poète de l’empereur. Je tiens cette anecdote d’un jeune Vénitien (2) qui est ici. Personne ne sait cela en France ; tant nous sommes bien instruits dans notre petit coin du Parnasse de ce qui se passe dans les autres coins !

 

          Je n’ai point encore vu la traduction en prose de la première scène de la Cléopâtre de Dryden. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’une traduction en prose d’une scène en vers est une beauté qui me montrerait son cul, au lieu de me montrer son visage ; et puis, je vous dirai qu’il s’en faut beaucoup que le visage de Dryden soit une beauté. Sa Cléopâtre est un monstre, comme la plupart des pièces anglaises où plutôt, comme toutes les pièces de ce pays-là ; j’entends les pièces tragiques. Il y a seulement une scène de Ventidius et d’Antoine qui est digne de Corneille. C’est là le sentiment de milord Bolingbroke et de tous les bons auteurs ; c’est ainsi que pensait Addison.

 

          Je n’ai point encore lu la traduction que l’abbé du Resnel a faite de l’Essai de Pope (3) ; mais, comme cela n’est point intitulé Réponse à Pascal (4), il n’a rien à craindre.

 

          Je vais tâcher d’avoir ce journal, où vous dites que je trouverai des absurdités métaphysiques, à propos de mes sentiments. Je sais qu’il est de l’essence d’un jésuite d’être mauvais philosophe ; ce sont des gens à qui on dicte, à l’âge de quinze ou vingt ans, des mots qu’ils prennent ensuite pour des idées. Je ne sais pas si Locke a raison, mais il en a bien l’air. J’ai beau chercher, je ne vois pas qu’on puisse jamais prouver que la matière ne saurait penser ; mais, après tout, qu’importe, pourvu que nous pensions bien, c’est-à-dire que nous pensions de façon à nous rendre heureux ? Je me trouve très bien d’être matière, si j’ai des sensations et des idées agréables.

 

          S’il vous vient quelque pensée, sur cette chape à l’évêque, dont les hommes se débattent, faites-m’en un peu part, s’il vous plaît,

 

 

Candidus imperti………

(Hor., liv. I, ép. VI)

 

 

          Pour moi, j’ai envoyé à notre ami Cideville, la dernière scène de la Mort de César, qui est très mal imprimée et toute tronquée dans la misérable édition qu’on en a faite ; je l’ai prié de vous en faire tenir une copie. Je vous envoie des bagatelles de ma façon, en attendant de vous des idées et des lumières ; chacun donne ce qu’il a. Je vais grand train dans le Siècle de Louis XIV ; je saute à pieds joints sur toutes les minuties que je trouve en mon chemin. C’est un taillis fourré où je me fais de grandes routes ; je voudrais bien m’y promener avec vous. La sublime, la légère, l’universelle Emilie vous fait mille compliments. Linant croit qu’il fera une pièce, et je n’en crois rien. Vale.

 

 

1 – La traduction du quatrième livre de l’Enéide. (G.A.)

 

2 – Algarotti. (G.A.)

 

3 - Elle ne parut que deux ans plus tard. (G.A.)

 

4 – Allusion à ses Remarques sur Pascal, pour lesquelles il fut persécuté. (G.A.)

 

 

 

 

à M. de Cideville

A Cirey, ce 28 Novembre.

 

 

          Que dites-vous, mon cher Cideville, des scélérats de commis de la poste ? Nous avions, Linant et moi, mis bien proprement deux louis d’or, bien entourés de cire, dans un gros paquet adressé à sa pauvre sœur ; et nous avions pris ce parti parce que le besoin était pressant. La malheureuse a bien reçu la lettre d’avis, mais point la lettre à argent. Pour remédier à cette violation cruelle du droit des gens, je m’adresse à M. le marquis (1). Ce M. le marquis me doit des monts d’or ; il vous remettra les deux louis. Je m’adresse à vous pour cette petite commission, ne sachant en quel endroit du monde il se carre pour le présent.

 

          J’ai la tête en compote, mon cher ami ; je ne vous en écris pas davantage ; je n’en ai pas la force. Qu’importe une longue lettre ? C’est de longues amitiés qu’il faut.

 

          Adieu, mon charmant ami. V.

 

 

1 – M. de Lezeau. (G.A.)

 

 

 

à M. Thieriot

A Cirey, le 30 Novembre.

 

          Vos fenêtres donnent donc à présent sur le Palais-Royal ; j’aimerais mieux qu’elles donnassent sur la prairie et sur la petite rivière (1) que je vois de mon lit ; mais on ne peut pas tout avoir à la fois, et il faut bien que M. de La Popelinière soit récompensé de son mérite, en ayant auprès de lui un homme aussi aimable que vous. Vous êtes le lien de la société ; le nom de compère vous sied à merveille en ce sens-là, comme on appelait certain philosophe (2) la sage-femme des pensées d’autrui.

 

          Je suis enchanté de la bonne fortune que vous avez, depuis six mois, avec Locke. Vous me charmez de lire ce grand homme qui est, dans la métaphysique, ce que Newton est dans la connaissance de la nature. Quel est donc ce curé (3) de village dont vous me parlez ? Il faut le faire évêque du diocèse de Saint-Vrain. Comment ! Un curé, et un Français, aussi philosophe que Locke ? Ne pouvez-vous point m’envoyer le manuscrit ? Il n’y aurait qu’à l’envoyer, avec les lettres de Pope, dans un petit paquet à Demoulin ; je vous le rendrais très fidèlement.

 

          Si j’avais auprès de moi un domestique qui sût écrire, je ferais copier quelques chapitres d’une Métaphysique (4) que j’ai composée, pour me rendre compte de mes idées ; cela vous divertirait peut-être de voir quelle espèce de philosophe c’est que l’auteur de la Henriade et de Jeanne la Pucelle. Vous auriez bien aussi quelques chants de Jeanne, car je sais que vous êtes discret et fidèle.

 

          Le corsaire Desfontaines a bien les vices que vous n’avez pas. Vous connaissez cette guenille que j’avais écrite (5) au comte Algarotti ; l’abbé Desfontaines me demande la permission de l’imprimer ; je lui fais réponse, au nom de monsieur et madame du Châtelet, qu’ils regarderont cette impression comme une offense personnelle ; je le prie et je lui recommande de se bien donner de garde de publier cette bagatelle ; je lui fais sentir que ce qui est bon entre amis devient très dangereux entre les mains du public. A peine a-t-il reçu ma lettre, qu’il imprime. Ce qui m’étonne, c’est que son examinateur sache assez peu le monde pour souffrir que le nom de madame du Châtelet soit livré indignement à la malignité du pamphletier. Si monsieur et madame du Châtelet se plaignent à M. le garde des sceaux, comme ils devraient faire, je suis persuadé que l’abbé Desfontaines se repentirait de son imprudence.

 

          On m’a envoyé une nouvelle édition de Jules César. J’ai reconnu qu’elle était nouvelle à des différences considérables qui s’y trouvent. Il est donc absolument nécessaire de donner ce petit ouvrage tel qu’il est, puisqu’on l’a comme il n’est pas. L’abbé de La Mare se chargera de l’édition, et le peu de profit qu’on en pourra tirer sera pour lui. C’est une libéralité que vous lui ferez volontiers, surtout à présent que vous êtes grand seigneur.

 

          Si vous connaissiez quelque domestique qui sût bien écrire, envoyez-le moi au plus vite ; vous y gagnerez mille chiffons par an, vers, prose ; vous me tiendrez lieu du public. Adieu, mon ami.

 

P.S – Qu’est-ce qu’une estampe de moi, qui se vend chez Odieuvre, près de la Samaritaine, cela veut dire, je crois, sur le Pont-Neuf ? Il est juste que je sois avec mon héros. Voyez si cette estampe ressemble.

 

 

1 – La Blaise. (G.A.)

 

2 – Socrate. (G.A.)

 

3 – Meslier, mort en 1733. Voyez notre Avertissement en tête des Sentiments de ce curé. (G.A.)

 

4 – Voyez, ce Traité. (G.A.)

 

5 – Voyez l’Epître du 15 Octobre 1735 : (G.A.)

 

 

 

 

A. M. le Comte Algarotti  (1)

 

 

1735.

 

Lorsque ce grand courrier de la philosophie,

Condamine l’observateur (2),

De l’Afrique au Pérou conduit par Uranie,

Par la gloire, et par la manie,

S’en va griller sous l’équateur,

Maupertuis et Clairaut, dans leur docte fureur,

Vont geler au pôle du monde.

Je les vois d’un degré mesurer la longueur ;

Pour ôter au peuple rimeur

Ce beau nom de machine ronde,

Que nos flasques auteurs, en chevillant leurs vers,

Donnaient à l’aventure à ce plat univers.

Les astres étonnés, dans leur oblique course,

Le grand, le petit Chien, et le Cheval, et l’Ourse,

Se disent l’un à l’autre, en langage des cieux :

« Certes, ces gens sont fous, ou ces gens sont des dieux. »

Et vous, Algarotti (3), vous cygne de Padoue,

Elève harmonieux du cygne de Mantoue,

Vous allez donc aussi, sous le ciel des frimas,

Porter, en grelottant, la lyre et le compas,

Et, sur des monts glacés traçant des parallèles,

Faire entendre aux Lapons vos chansons immortelles ?

Allez donc, et du pôle observé, mesuré,

Revenez aux Français apporter des nouvelles.

Cependant je vous attendrai,

Tranquille admirateur de votre astronomie,

Sous mon méridien, dans les champs de Cirey,

N’observant désormais que l’astre d’Emilie.

Echauffé par le feu de son puissant génie,

Et par sa lumière éclairé,

Sur ma lyre, je chanterai

Son âme universelle autant qu’elle est unique ;

Et j’atteste les cieux, mesurés par vos mains,

Que j’abandonnerais pour ses charmes divins

L’équateur et le pôle arctique.

 

 

1 – Cette épître fut imprimée par Desfontaines malgré Voltaire. Voyez la lettre à Thieriot, 30 Novembre 1735. (G.A.)

 

 

2 – MM. Godin, Bouguer, et de La Condamine, étaient partis alors pour faire leurs observations en Amérique, dans des contrées voisines de l’équateur.

MM. de Maupertuis, Clairaut, et Le Monnier, devaient, dans la même vue, partir pour le nord, et M. Algarotti était du voyage. Il s’agissait de décider si la terre est un sphéroïde aplati ou allongé. (1739)

 

3 – M. Algarotti faisait très bien des vers en sa langue, et avait quelques connaissances en mathématiques. (1733)

 

 

 

 

à M. L’Abbé d’Olivet

A Cirey, par Vassy en Champagne, ce 30 Novembre.

 

          Je vous prie, mon cher maître en Apollon, d’envoyer à mon logis, vis-à-vis Saint-Gervais, votre petit antidote (1) contre le style impertinent dont nous sommes inondés. C’est une prescription contre la barbarie. J’attends ce Discours avec très grande impatience : joignez-y la Vie du martyr (2) de Toulouse ; je ne la garderai qu’un jour, et on la reportera chez vous.

 

          Je vous abandonne Marc-Antoine ; l’assassin de votre bon ami (3), que vous avez embelli en français, mérite bien votre indignation. Je ne vous avais envoyé cette scène que pour vous faire connaître le goût du théâtre anglais, et point du tout pour vous faire aimer Antoine.

 

          Avez-vous lu une lettre du P. Tournemine (4), qu’il a fait imprimer dans le Journal de Trévoux, au mois d’octobre ? Il dispute bien mal contre M. Locke, et parle de Newton comme un aveugle des couleurs. Si des philosophes s’avisaient de lire cette brochure, ils seraient bien étonnés, et auraient bien mauvaise opinion des Français. En vérité nous sommes la crème fouettée de l’Europe. Il n’y a pas vingt Français qui entendent Newton. On dispute contre lui à tort et à travers, sans avoir lu ses démonstrations géométriques. Il me semble que je vois Thomas Diafoirus qui soutient thèse contre les circulateurs. Nous avons ici un noble vénitien qui entend Newton comme les Eléments d’Euclide. Cela n’est-il pas honteux pour nos Français !

 

          L’Académie des inscriptions, en corps, a voulu faire une devise (belle occupation !) pour les opérations mathématiques qu’on va faire vers l’équateur (5). Ils ont mis, dans leur inscription, que l’on mesure un arc du méridien sous l’équateur. Est-il possible que toute une Académie fasse une ânerie pareille, et qu’il faille que M. Maffei (6), un étranger, redresse nos bévues.

 

          Mais, dans votre Académie, pourquoi ne recevez-vous pas l’abbé Pellegrin ! Est-ce que Danchet serait trop jaloux ? Vous savez qu’il y a vingt ans que je vous ai dit que je ne serais jamais d’aucune Académie. Je ne veux tenir à rien dans ce monde, qu’à mon plaisir ; et puis je remarque que telles Académies étouffent toujours le génie, au lieu de l’exciter. Nous n’avons pas un grand peintre, depuis que nous avons une Académie de peinture ; pas un grand philosophe formé par l’Académie des sciences. Je ne dirai rien de la française. La raison de cette stérilité dans des terrains si bien cultivés est, ce me semble, que chaque académicien, en considérant ses confrères, les trouve très petits, pour peu qu’il ait de raison, et se trouve très grand en comparaison, pour peu qu’il ait d’amour-propre. Danchet se trouve supérieur à Mallet, et en voilà assez pour lui ; il se croit au comble de la perfection. Le petit Coypel (7) trouve qu’il vaut mieux que Detroy le jeune, et il pense être un Raphaël. Homère et Platon n’étaient, je crois, d’aucune Académie. Cicéron n’en était point, ni Virgile non plus. Adieu, mon cher abbé ; quoique vous soyez académicien, je vous aime et vous estime de tout mon cœur ; vous êtes digne de ne l’être pas. Vale, et me ama.

 

          Mandez-moi quel est le jésuite qui a fait les Mémoires pour servir à l’Histoire du dernier siècle, et celui qui a fait les Mémoires chronologiques (8) sur les matières ecclésiastiques. Mais vous, que faites-vous ? Ne m’en direz-vous point de nouvelles ?

 

 

 

1 – Discours prononcé le 25 Août1735, avant la distribution des prix, par l’abbé d’Oliver, directeur de l’Académie française. (G.A.)

 

2 – La Vie et les sentiments de L. Vanini (par D. Durand), 1717. (G.A.)

 

3 – Cicéron. (G.A)

 

4 – Lettre sur l’immortalité de l’âme et les sources de l’immortalité. (G.A.)

 

5 – Voyez la lettre à Formont du 17 Avril 1735. (G.A.)

 

6 – L’auteur de la Mérope italienne. (G.A.)

 

7 – Peintre du roi. (G.A)

 

8 – D’Avrigny. (G.A.)

 

 

CORRESPONDANCE - 1735 - 8

 

 

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P
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L
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