CORRESPONDANCE - Année 1734 - Partie 1

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à Monsieur Clément

 

 

J’ai reçu, j’ai goûté vos poissons (1) et vos vers.

Votre puissance enchanteresse

Gouverne également, par des talents divers,

Et les nymphes de l’Eure et celles de Permesse.

 

 

Rien n’est plus précieux pour moi que l’honneur de votre souvenir, monsieur ; et, si je vous disais combien j’y suis sensible, je vous écrirai des volumes, au lieu d’une petite lettre.

 

Vos vers pour madame du Maine valent encore beaucoup mieux que vos présents ; et dans le peu que je vous ai vu, vous m’avez paru valoir encore mieux que vos ouvrages. Le prix le plus flatteur que j’aie jamais reçu des miens est d’avoir connu un homme comme vous.

 

 

1 – M. Clément avait envoyé à Voltaire des truites de la rivière de Blaise qui se jette dans l’Eure un peu au-dessous de Dreux.

 

 

 

 

 

 

à Madame la duchesse d’Aiguillon

1734

 

On m’a dit, madame, que Minerve, descendue sur la terre sous les traits de Vénus et sous le nom d’Aiguillon, avait daigné honorer de ses regards et de sa protection cette Adélaïde (1) tant contredite : j’ose demander à votre divinité, les mêmes faveurs pour Charles XII et pour Henri IV, que je prends la liberté de vous envoyer.

 

 

Deux héros différents, l’un superbe et sauvage,

L’autre toujours aimable, et toujours amoureux,

A l’immortalité prétendent tous les deux ;

Mais, pour être immortel, il faut votre suffrage.

Ah ! si sous tous les deux vous eussiez vu le jour,

Plus justement leur gloire eût été célébrée ;

Henri quatre pour vous aurait quitté d’Estrée,

Et Charles XII aurait connu l’amour.

 

 

1 – Jouée le 18 janvier 1734 – Voyez tome III.

 

 

 

 

 

 

 

à Monsieur de Mairan

Du 1er février 1734

 

 

Monsieur, Adélaïde et moi nous sortons de l’agonie. Voilà pourquoi je n’ai pu encore vous remercier du beau présent dont vous m’avez honoré (1). Je voulais l’avoir lu avant de vous remercier ; mais pardonnez à un mourant, qui touchait à son dernier crépuscule, de n’avoir point vu votre aurore.

  

Pardon si je fais des points ; je viens de lire deux pages de la Vie de Marianne (2).

 

Je vais mettre demain à vous étudier et à vous admirer. Je vous devrai mon instruction et mon plaisir. Vos livres sont comme vous, monsieur, sages, instructifs et agréables. Heureux qui peut ou vous lire ou vous entendre ! Vous n’avez point de plus zélé admirateur ni de plus tendre et respectueux serviteur que V.

 

 

1 – Le traité physique et historique de l’aurore boréale, 1733

 

 

2 – La seconde partie de ce roman venait de paraître.

 

 

 

 

à Monsieur Clément

19 Février

 

 

Vous m’accablez toujours de présents, mon cher monsieur ; vos galanteries m’enchantent et me font rougir ; car quid retribuam domino, pro omnibus quoe retribuit mihi (Ps. CXV., V.12) ? Hélas ! Je ne dirai point : calicem accipiam (ibid, V.13) ; misérable que je suis ! Il me faut vivre d’un régime bien indigne de vos dindons et de vos perdrix. Je ne fais point imprimer Adélaïde sitôt et j’attends la reprise pour la donner au public. Mais je suis charmé de pouvoir vous donner sur le public une petite préférence. Je vais vous faire transcrire Adélaïde pour vous l’envoyer. Il est juste que vous ayez les fruits de ma terre.

 

J’accepte la très consolante proposition que vous daignez me faire pour la sainte Quadragésime (1) ; c’est un des plus grands plaisirs qu’on puisse faire à un pauvre malade comme moi.

 

Si vous avez la bonté de charger un de vos gens ou de vos commissionnaires d’envoyer cette petite provision au sieur Demoulin, qui prend soin de mon petit ménage, et qui, par conséquent, demeure chez moi, je vous aurai beaucoup d’obligation, à condition que vous n’empêcherez pas que Demoulin paie très exactement votre commissionnaire.

 

Adieu ; je vous embrasse tendrement. Adélaïde fut jouée hier pour la dernière fois. Le parterre eut beau la redemander à grands cris, pendant un quart d’heure, j’ai été inflexible.

 

Adieu ; mille remerciements ; je vous aime trop pour vous écrire avec cérémonie.

 

 

1 – M. Clogenson croit qu’il s’agit d’un présent de lentilles.

 

 

 

 

 

 

à Monsieur De Formont

Ce vendredi…février 1734

 

 

J’ai vu, après mon agonie, votre beau-frère, M. Deschamps, qui me paraît avoir pris de vous de la sagesse et de l’agrément. Il ne se hâte jamais de juger, et il juge bien ; Dieu le bénira.

 

Cependant il faut, mon aimable philosophe, que je ne parte point de ce monde, sans avoir un peu raisonné avec vous. Il me semble que mon vaisseau ne serait pas lesté si vous n’y aviez mis quelques grains de votre douce et aimable philosophie.

 

Je vous fais transcrire Adélaïde, pour vous et pour M. de Cideville ; vous la relirez, si vous pouvez, et vous m’en direz votre avis.

 

Les petites pièces, les opéras, la Mort de César viendront, je vous le proteste. Patientiam hake un me, et égo omnia reddam tibi. Mais comment donc ! les Charles XII ne vous sont pas encore parvenus ? On meurt dans ce monde-ci sans avoir rien fait de ce qu’on voulait y faire.

 

Annoncez encore à M. de Cideville que vous aurez la Vie de Molière, et un abrégé historique et critique de ces pièces ; le tout de ma façon, par ordre de  M. le garde des Sceaux, pour mettre à la tête de l’édition in-4c de Molière (1).

 

Il pleut ici des mauvais livres ; mais on dit beaucoup de bien de la comédie de la Surprise de la Haine(2).

 

Pour notre Linant, il a déjà fait une scène depuis deux ans, et cette scène ne vaut pas le diable. J’ai bien peur qu’il ne prenne du goût pour du talent. Je suis d’ailleurs plus mécontent de lui que de sa scène. Je ne sais ce qu’il a imaginé en venant loger chez moi ; il y est assurément comme mon fils, et il me coûte beaucoup. Cependant, il s’est plaint à trois ou quatre personnes qu’il n’avait pas assez pour ses menus plaisirs. Messieurs, vous l’avez gâté ; il se croit au-dessus de son état, avant de s’en être tiré ; il croit que c’est pour honorer son mérite que je l’ai recueilli chez moi, où il m’est absolument inutile.

 

Il ne se doute pas que ce n’est qu’à la considération de vous et de M. de Cideville. Il dort, mange, et va poudré blanc à l’orchestre de la Comédie : voilà sa vie. Sa paresse et sa hauteur très déplacée le rendront bien malheureux ; mieux aurait valu pour lui sans doute être clerc de procureur ; mais il est incapable d’affaires. S’il joint à tout cela l’ingratitude dont il me paye, il faut au moins que vous lui laviez la tête.

 

            M. de Cideville lui écrit, comme s’il écrivait à son ami intime, établi dans le monde et considéré. Il le perd avec ces séductions-là. Pour moi, je ne lui parle de rien : mes conseils pourraient avoir l’air de reproches ; c’est à vous et à M. de Cideville à lui parler.

 

Adieu, je vous demande pardon.

 

 

1 – Voyez tome IV.

 

 

2 – Par Boissy

 

 

 

 

 

 

à Monsieur de Cideville

A Paris, ce 27 Février

 

 

Mon tendre et aimable ami, j’ai été bien consolé dans ma maladie en voyant quelquefois votre ami, M. du Bourg-Théroulde (1) ; il est mon rival auprès de vous, et rival préféré ; mais je n’étais point jaloux. Nous parlions de mon cher Cideville avec un plaisir si entier et si pur ! Nous nous entretenions de l’espérance de vivre un jour à Paris avec lui ; et, aujourd’hui voilà mon cher Cideville qui me mande qu’en effet il pourra venir bientôt. Cela est-il vrai ? Puis-je y compter ? Ah ! C’est alors que j’aurai de la santé, et que je serai heureux.

 

Je commence enfin à sortir. J’allai même, samedi dernier, à l’enterrement d’Adélaïde, dont le convoi fut assez honorable. J’avais esquivé le mien, et je suis fort content du parterre, qui reçut Adélaïde mourante, et Voltaire ressuscité, avec assez de cordialité.

 

Il est vrai que je suis retombé depuis ; mais, malgré cette rechute, je veux aller au plus vite chez M. du Bourg-Théroulde pour lui parler de vous. En attendant, disons un petit mot d’Adélaïde.

 

[…] Adieu, mon cher ami. Ecrivez, je vous en prie, à Linant qu’il a besoin d’avoir une conduite très circonspecte ; que rien n’est plus capable de lui faire tort que de se plaindre qu’il n’est pas assez bien chez un homme à qui il est absolument inutile, et qui, de compte fait, dépense pour lui seize cents francs par an. Une telle ingratitude serait capable de le perdre. Je vous ai toujours dit que vous le gâtiez. Il s’est imaginé qu’il devait être sur un pied brillant dans le monde, avant d’avoir rien fait qui pût l’y produire.

 

Il oublie son état, son inutilité, et la nécessité de travailler ; il abuse de la facilité que j’ai eue de lui faire avoir son entrée à la Comédie ; il y va tous les jours, sur le théâtre, au lieu de songer à faire une pièce. Il a fait en deux ans une scène qui ne vaut rien ; et il se croit un personnage, parce qu’il va au théâtre et chez Procope (2)

 

          Je lui pardonne tout, parce que vous le protégez ; mais, au nom de Dieu, faites-lui entendre raison, si vous en espérez encore quelque chose.

 

 

1 – Président à mortier du parlement de Rouen.

 

2 – Café en face de la Comédie.

 

 

 

 

à Monsieur de Moncrif

 

 

Je suis très flatté, je vous assure, mon cher monsieur, de recevoir quelques-uns de vos ordres ; mais je crains bien de ne pouvoir les exécuter. M. Falkener, mon ami, n’est point à Alexandrie, mais à Constantinople, dont il doit partir incessamment. Il est vrai qu’il a du goût pour l’antiquaille, mais ce n’est ni pour alun, borax, terre sigilée ou plante marine. Son goût se renferme dans les médailles grecques et dans les vieux auteurs : de sorte qu’excepté les draps et les soies, auxquels il s’entend parfaitement bien, je ne lui connais d’autre intelligence que celle d’Horace et de Virgile, et des vieilles monnaies du temps d’Alexandre. Cependant, monsieur, s’il lui tombe entre les mains quelque coquille de colimaçon turc, quelques morceaux de soufre du lac de Sodome, quelque araignée ou crapaud volant du Levant ou autres utilités semblables, sans omettre de vieux morceaux de marbre ou de terre, je vais le prier de les apporter avec lui à Paris, où je compte le voir à son retour de Constantinople. Il se fera un plaisir de vous les apporter lui-même. Je lui enverrai donc, dès demain, votre mémoire. Si j’avais une copie de Tithon et l’Aurore, je l’y joindrais, bien sûr qu’il s’empresserait plus pour l’autre de cet aimable ouvrage que pour tous les princes du monde ; car il est homme d’esprit et Anglais. Je suis de tout mon cœur, monsieur, avec la plus sincère estime.

 

 

 

 

à Monsieur le marquis de Caumont

A Paris, ce 2 avril 1734

 

 

Une longue maladie, monsieur, m’a mis hors d’état de répondre plus tôt à vos bontés. M. l’abbé de Sade que vous allez revoir me servira encore de protecteur auprès de vous. Je lui ai même remis un exemplaire de ma tragédie d’Adélaïde, dont je le prie de se servir pour vous faire ma cour.

 

Je voudrais que mes vers pussent vous payer de la prose que je vous dois. Vous voyez du moins que je ne néglige point les occasions de mériter vos bontés.

 

Je suis toujours dans la résolution de faire quelque chose sur ce beau siècle de Louis XIV ; mais j’ai bien peur de n’en avoir ni le loisir, ni la santé, ni le talent. J’assemble toujours quelques matériaux en attendant que je puisse commencer cet ouvrage, qui me paraît également long et dangereux à achever.

 

Si vous trouviez dans ces Lettres en question des faits qui fussent dignes de votre attention et que vous daignassiez me les communiquer, ce serait une grâce qui, par le commerce dont vous m’honorez, serait la plus grande que vous me pussiez faire. Que ne puis-je venir vous en remercier ! J’envie bien le sort de  M. l’abbé de Sade, non que je lui envie l’honneur d’être prêtre et grand-vicaire, mais bien le plaisir d’être à Avignon et de vous y voir. Comptez à jamais, monsieur, sur ma tendre et respectueuse reconnaissance.

 

 

 

 

à Monsieur de Cideville

Ce mercredi, 7 avril

 

 

Mon cher ami, je pars pour être témoin d’un mariage que je viens de faire. J’avais mis dans ma tête, il y a longtemps, de marier le duc de Richelieu à Mademoiselle de Guide. J’ai conduit cette affaire comme une intrigue de comédie ; le dénouement va se faire à Monjeu, auprès d’Autun. Les poètes sont plus dans l’usage de faire des épithalames que des contrats ; cependant j’ai fait le contrat, et, probablement, je ne ferai point de vers (1). Vous savez ce que dit madame de Murat (2) :

 

 

Mais quand l’hymen est fait, c’est en vain qu’on réclame

Le dieu des vers et les neuf doctes sœurs.

C’est le sort des Amours et celui des auteurs,

D’échouer à l’épithalame

(L’Heureuse peine, conte)

 

 

Je pars dans une heure, mon aimable Cideville ; j’envoie devant tragédie, opéra, versiculets, et totam nugarum suppellectilem. C’est pour le coup que je vais travailler à vous faire transcrire tout ce que je vous dois. Formont vient de m’écrire une lettre où je reconnais sa raison saine et son goût délicat. Messieurs les Normands, vous avez bien de l’esprit. L’abbé du Resnel, autre Normand, traducteur de Pope, homme qui sait penser, sentir et écrire, est, ou doit être à Rouen ; je lui ai dit que mon cher  Cideville y était ; il le verra, et il en pensera comme moi. C’est un admirateur et un ami de plus que vous allez acquérir l’un et l’autre, en faisant connaissance.

 

Je n’ai pas perdu toute espérance sur Linant. Je ne crois pas que Linant ait jamais un talent supérieur ; mais je crois qu’il sera un ignorant inutile aux autres et à lui-même ; plein de goût et d’esprit, sans imagination ; il n’a rien de ce qu’il faut ni pour briller ni pour faire fortune. Il a la sorte d’esprit qui convient à un homme qui aurait vingt mille livres de rente. Voilà de quoi je le plains, mais de quoi je ne lui parle jamais. J’ai été mécontent de lui, mais je ne l’ai dit qu’à vous et à M. de Formont.

 

Adieu ; je vous aime avec tendresse. Je pars, Valete, enroe. V.

 

 

1 – Il en fit, voyez tome VI, aux Epîtres

 

2 – Femme auteur, née en 1670, morte en 1716

 

 

 

CORRESPONDANCE - 1734 - Partie 1

 

 

 

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