CORRESPONDANCE : Année 1732 - Partie 28
Photo de PAPAPOUSS
à M. l’abbé d’Olivet
Ce dimanche... 1732.
Je vous regarderai toute ma vie comme mon maître, et vous aurez toujours sur moi vos premiers droits. Je vous dois toutes les prémices de ce que je fais. Comptez, mon cher monsieur, que vous aurez en moi, toute ma vie, un ami tendre et attentif. Je n’aurai Zaïre que dans sept ou huit jours ; vous croyez bien que vous serez des premiers à qui je ferai ce petit hommage. Si placeo, tuum est ; et placerem bien davantage, si j’étais assez heureux pour passer ma vie avec vous ; mais
Non, me fata meis patiuntur ducere vitam
Auspiciis, et sponte mea componere curas.
VIRG., Eneid., IV.
On ne fait rien dans ce monde de ce qu’on voudrait, et je passe ma vie à vous regretter. Vale, dilige tuum amicum, tuum discipulum, qui vous est toujours dévoué avec l’amitié la plus respectueuse.
à M. de Cideville
Mardi, 30 Décembre 1732.
Lorsque je vous écrivis, il y a quelques jours, mon cher Cideville, et que je vous mandai que ceux qui sont à la tête de la librairie permettaient tacitement l’impression de l’Epître dédicatoire de Zaïre, j’oubliai, comme un étourdi, de vous dire que ces messieurs voulaient n’être point cités ; malheureusement pour moi, votre premier président (1) est venu à Paris, et il a conté toute l’affaire à M. Rouillé, qui est, avec raison, très fâché contre moi : c’est bien ma faute, et je ne vous le mande que parce que vous vous intéressez à moi, et que j’aime autant m’entretenir avec vous quand j’ai tort que quand je pense avoir raison. Au reste, je n’ai encore aucune nouvelle de Zaïre ; elle devait arriver hier lundi, et n’est point venue. A l’égard du Temple du Goût, je suis bien meilleur qu’il n’était ; il vaudrait beaucoup mieux encore s’il avait été fait sous vos yeux.
Mandez-moi, je vous prie, où demeure, à Paris, votre premier président ; je veux l’aller voir, mais je ne lui parlerai de rien. Adieu ; mille compliments, pour l’année prochaine, à MM. de Formont, de Brèvedent, et du Bourg-Theroulde. Je vous embrasse avec bien de la tendresse. V.
1 – Pont-Carré. (G.A.)
à M. de Maupertuis
Paris.
Je devrais être chez vous, monsieur, pour vous remercier de vos nouvelles bontés ; mais des difficultés, des tracasseries, et des injustices assez singulières, que j’essuie depuis quelques jours, au sujet d’une préface que je destinais à Zaïre, ne me laissent pas un moment de libre. Il n’y a aucune de vos réflexions sur mes Lettres à laquelle je ne me sois rendu dans l’instant. Mais, malgré la vanité que j’ai de recevoir de vos lettres, mon petit amour-propre se sent obligé de vous dire que mon copiste avait passé une page entière où j’expliquais, tant bien que mal, le mouvement des prétendus tourbillons qu’on suppose emporter les planètes autour du soleil, et le mouvement de rotation de chaque globe en particulier, qu’on suppose être la cause de la pesanteur. Je me gardais bien de confondre ces deux romans mais l’omission de près d’une page a dû vous faire croire que je pensais que c’était la même matière subtile qui, selon Descartes, faisait le mouvement annuel de la terre et la pesanteur. Je suis bien aise de me justifier auprès de vous de cette erreur, et de vous dire encore qu’on a mis Aphélis, en un endroit, pour périphélie.
Je vous supplie de vouloir bien examiner s’il est vrai que Newton assure que la lumière n’est point réfléchie par le rebondissement, si j’ose ainsi parler, des traits de lumière qui sont repoussés comme une balle par une muraille. Pemberton (1), que j’ai entre les mains, le dit positivement, et il n’y a pas d’apparence qu’il en impose à son maître. Il s’étend fort sur cet article, à la page 239 et suivantes, et il met au nombre des plus étonnants et des plus beaux paradoxes de M. Newton cette proposition, que « la lumière n’est pas réfléchie, en rejaillissant sur les parties solides des corps. »
Je n’ai pu m’étendre, dans mes Lettres, ni sur cette particularité, ni sur tant d’autres : il aurait fallu faire un livre de philosophie, et je suis à peine capable d’entendre le vôtre. J’ai cru seulement être obligé, en parlant de tous les beaux-arts, de faire un peu connaître M. Newton à des ignorants comme moi, in quantum possum et in quantum indigens.
Adieu ; je vous aime et je vous admire ; mais j’ai bien peur d’être obligé d’abandonner toute cette philosophie : c’est un métier qui demande beaucoup de santé et beaucoup de loisir ; et je n’ai ni l’un ni l’autre.
1 – Henri Pemberton, auteur de A view of sir Issac Newton’s philosophy, 1728. (G.A.)
à M. de Moncrif
Il faut se lever de bon matin pour voir les princes et messieurs leurs confidents. Il n’y a pas moyen, mon cher Moncrif, que quelqu’un qui arrive à midi trouve un chat à l’hôtel de Clermont. Je venais vous faire une proposition hardie : c’était de m’aider à travailler auprès de son altesse, pour obtenir de lui qu’il honorât nos dîners des dimanches de sa présence.
Madame de Fontaine-Martel disait, à ce propos :
Puisse-t-il, sans cérémonie,
Au saint jour de l’Epiphanie,
Dîner avec les Arts dont lui seul est l’appui !
Ah ! s’il venait dans cet asile,
Nous ferions plus de cas qu’un prince tel que lui
Que des trois rois de l’Evangile.
Voilà ce que nous chantions, madame la baronne et moi chétif. Mais comment faire pour obtenir cette faveur ? Ce n’est pas mon affaire, c’est la vôtre.
Principibus placuisse viris, non ultima laus est.
HOR., lib. I, ep. XVII.
Vous, qui savez ce secret, enseignez-nous comme il faut s’y prendre (1).
1 – Nous avons mis à l’année 1731 quelques billets adressés à Moncrif, lesquels pourraient bien être de 1732. (G.A.)
à M. de Moncrif
1732
On a imprimé malgré moi le Temple du Goût ; on vient de m’en apporter quelques exemplaires. Je vous en envoie un, mon aimable Diogène (1). Comme cela paraît sans mon consentement, il serait ridicule que j’en fisse les honneurs, et que je prisse la liberté d’en présenter à monseigneur le comte de Clermont. Je vous prie seulement d’avoir la bonté de lui lire, dans l’occasion, le petit trait qui le regarde. Je ne vais jamais lui faire ma cour, parce que je soupçonne qu’il se couche quand je me lève. Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur.
1 – Il venait de composer un dialogue intitulé, le Diogène moderne. (A. François.)