CORRESPONDANCE - Année 1732 - Partie 26
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à Mademoiselle de Lubert
A Tours (1)
A Fontainebleau, ce 29 Octobre 1732.
Muse et Grâce, madame de Fontaine-Martel m’a envoyé votre lettre, pour me servir de consolation, dans l’exil où je suis à Fontainebleau. Je vois que vous êtes instruite des tracasseries que j’aie eues avec mon parlement (2), et de la combustion où toute la cour a été, pendant trois ou quatre jours, au sujet d’une mauvaise comédie que j’ai empêché d’être représentée. J’ai eu un crédit étonnant en fait de bagatelles, et j’ai remporté des victoires signalées sur des choses où il ne s’agissait de rien du tout. Il s’est formé deux partis ; l’un de la reine et des dames du palais, et l’autre des princesses et de leurs adhérents. La reine a été victorieuse, et j’ai fait la paix avec les princesses. Il n’en a coûté, pour cette importante affaire, que quelques petits vers médiocres, mais qui ont été trouvés fort bons par celles à qui ils étaient adressés ; car il n’y a point de déesses dont le nez ne soit réjoui de l’odeur de l’encens. Que j’aurais de plaisir à en brûler pour vous, Muse et Grâce ! mais il faut vous le déguiser trop adroitement ; il faut vous cacher presque tout ce qu’on pense.
Je n’ose dans mes vers parler de vos beautés
Que sous le voile du mystère.
Quoi ! sans art je ne puis vous plaire,
Lorsque sans lui vous m’enchantez ?
Non, Muse et Grâce, il faut que vous vous accoutumiez à vous entendre dire naïvement qu’il n’y a rien dans le monde de plus aimable que vous, et qu’on voudrait passer sa vie à vous voir et à vous entendre. Il faut que vous raccommodiez le parlement avec la cour, afin que vous puissiez venir souper très fréquemment chez madame de Fontaine-Martel , car, si vous restez à Tours seulement encore quinze jours, il y aura assurément une députation du Parnasse pour venir vous chercher. Elle sera composée de ceux qui font des vers, de ceux qui les récitent, de ceux qui les notent, de ceux qui les chantent, de ceux qui s’y connaissent. Il faudra que tout cela vienne vous enlever de Tours, ou s’y établir avec vous. Je me mêlerai parmi messieurs les députés ; et je vous dirai :
Un parlement m’est nécessaire
Que pour tout maudit chicaneur ;
Mais les gens d’esprit et d’honneur
Font du plaisir leur seule affaire.
Plaignez leur destin rigoureux :
Six semaines de votre absence
Les ont tous rendus malheureux ;
Rendez-vous à leur remontrance,
Et revenez vivre avec eux ;
Tout en ira bien mieux en France.
Permettez-moi d’assurer M. le Président de Lubert de mes respects, et daignez m’honorer de votre souvenir.
1 – Où son père, président au parlement, était alors exilé. (G.A.)
2 – Les comédiens à Fontainebleau. (G.A.)
à M. de Maupertuis (1)
Fontainebleau, 30 Octobre 1732, à l’hôtel de Richelieu.
Etant à la cour, monsieur, sans être courtisan, et lisant des livres de philosophie, sans être philosophe, j’ai recours à vous dans mes doutes, bien fâché de ne pouvoir jouir du plaisir de vous consulter de vive voix. Il s’agit du grand principe de l’attraction de M. Newton. A qui puis-je mieux m’adresser qu’à vous, monsieur, qui l’entendez si bien, qui travaillez même sur sa philosophie, et qui êtes si capable d’en confirmer la vérité, ou d’en démontrer le faux ?
Je vous envoie mon petit mémoire que j’avais fait très long pour un autre, et que j’ai fait très court pour vous, bien sûr que, sur le seul énoncé, vous suppléerez à tout ce qui y manque. Je vous demande pardon de mon importunité ; mais je vous supplie très instamment de vouloir bien employer un moment de votre temps à m’éclairer. J’attends votre réponse, pour savoir si je dois croire ou non à l’attraction. Ma foi dépendra de vous ; et, si je suis persuadé de la vérité de ce système, comme je le suis de votre mérite, je suis assurément le plus ferme newtonien du monde.
J’ai l’honneur d’être, monsieur, avec toute l’estime que je vous dois, votre, etc.
1 – Première lettre de Voltaire à Maupertuis. (G.A.)
à M. de Maupertuis
Fontainebleau 3 Novembre.
Je ne vous avais demandé qu’une démonstration, et vous m’en donnez deux ! Je vous remercie assurément de tout mon cœur de votre libéralité, et je suis bien aise de voir que ce sont les riches qui sont prodigues. Vous avez éclairci mes doutes avec la netteté la plus lumineuse ; me voici newtonien de votre façon ; je suis votre prosélyte, et fais ma profession de foi entre vos mains. A la manière dont vous écrivez, je ne doute pas que votre livre 1) ne vous fasse bien des disciples. Vous êtes si intelligible que, sans doute, unusquisque audiet linguam suam.
J’aurai seulement le bonheur d’avoir été instruit avant les autres, et d’être le premier néophyte. On ne peut plus s’empêcher de croire à la gravitation newtonienne, et il faut proscrire les chimères des tourbillons.
. . . . . Deus ille fuit, Deus, inclyte Memmi. (LUCR., liv. III.)
Ergo vivida vis animi pervicit, et extra
Processit longe flammantia mœnia mundi. (ID., Liv. I.)
Voilà le cas où vous êtes ; j’attends votre livre avec la dernière impatience ; vous serez l’apôtre du dieu dont je vous parle. Plus j’entrevois cette philosophie, et plus je l’admire. On trouve, à chaque pas que l’on fait, que cet univers est arrangé par des lois mathématiques qui sont éternelles et nécessaires.
Qui aurait pensé, il y a cinquante ans, que le même pouvoir faisait le mouvement des astres et la pesanteur ! Qui aurait soupçonné la réfrangibilité et les autres propriétés de la lumière, découvertes par Newton ! Il est notre Christophe Colomb ; il nous a menés dans un nouveau monde, et je voudrais bien y voyager, à votre suite. Que de questions, peut-être mal fondées, je vous ferais ! Mais je me flatte que vous y répondriez avec la même bonté avec laquelle vous avez levé mes premiers scrupules.
Je vous dirais que le système de l’attraction et l’anéantissement des tourbillons de matière subtile ne donnent aucune raison de la rotation des planètes sur leurs axes.
Je vous demanderais pourquoi, si la force de l’attraction augmente si prodigieusement, par le voisinage, la comète de 1680, qui, dans son périgée, était presque dans le disque du soleil, et qui n’en était éloignée que de la huitième ou sixième partie, n’y a pas été entraînée ; pourquoi les corps graves n’accélèrent plus leur chute sur la terre, au bout de quelques minutes ; comment M. Newton peut apporter l’aimant en preuve de son système, puisque, selon ce système, l’aimant devrait attirer le fer, ou en être attiré en tous les sens, au lieu qu’il a un pôle qui attire et un autre qui repousse.
Votre écolier deviendrait enfin bien importun ; mais il voudrait mériter d’avoir un tel maître. Je sens avec douleur que toute mon attention, tous mes efforts, et tout mon temps, me suffiraient à peine pour être un peu instruit, et que je n’ai à donner à cette étude sublime que quelques heures sans suite, et une attention distraite par mille objets, et surtout par ma mauvaise santé.
Je n’en sais qu’autant qu’il faut pour vous admirer, et non pas pour vous suivre. Je suis, monsieur, avec les sentiments les plus vifs d’estime et de reconnaissance, votre, etc.
1 – Discours sur les différentes figures des astres. (G.A.)
à M. de Maupertuis
Fontainebleau, mercredi, 5 Novembre 1732.
Ah ! il me vient un scrupule affreux, et toute ma foi est ébranlée ; si vous n’avez pitié de moi, la grâce m’abandonne.
Si B D vaut réellement quinze pieds, j’ai l’honneur d’être très croyant. Mais la lune ne peut être supposée tomber en D d’une minute, qu’il ne soit démontré que l’effort seul de la pesanteur l’a fait tomber en F dans l’espace d’une minute.
Or il est certain que le mouvement circulaire de B en F, dans l’espace d’une minute, est composé de deux mouvements dont un seul lui ferait décrire la tangente, l’autre l’attirerait en A. Si la lune partant de B ne suivant que le mouvement de projectile, elle serait arrivée plus loin que E dans sa tangente, dans l’espace d’une minute, puisque durant ce temps, la pesanteur l’a toujours rapprochée de A ; et réciproquement, si elle n’avait eu que sa détermination vers le centre, elle serait tombée plus bas que E, puisque, dans ce temps, elle était toujours poussée par le mouvement en ligne droite. Il paraît donc faux de dire que l’effort de la pesanteur seul a fait tomber le globe de E en F. Certainement cet effort seul l’aurait entraînée plus bas, comme la tangente seule l’aurait conduite plus loin. Mais la lune se trouve en F parce que ces deux forces sont balancées l’une par l’autre. Je ne peux donc pas connaître par là quelle est la force absolue de la pesanteur. Ces quinze pieds que l’on compte de E en F ne sont que le résultat d’une partie de la force centripète. Donc la lune abandonnée à elle-même tomberait de beaucoup plus de quinze pieds. Donc la proportion supposée selon les carrés des distances ne se trouve plus ; donc ce n’est pas le même pouvoir qui agit sur les corps graves dans notre atmosphère, et qui retient la lune dans son orbite.
Ces objections que je me fais me paraissent assez fortes, et je les fortifie encore par ce raisonnement-ci :
Le corps A, poussé dans la diagonale A R, n’y est poussé que par les quatre degrés de force qu’il a dans la ligne horizontale, et les deux degrés qu’il a dans sa perpendiculaire. Cette force qui l’entraîne dans la perpendiculaire n’est que de deux degrés parce que la force contraire est de quatre ; mais si cette force contraire était ôtée, certainement la force perpendiculaire aurait eu bien plus de deux degrés, et ce corps, qui arrive en R au bout de deux secondes dans sa diagonale, aurait parcouru un espace beaucoup plus grand en même temps, s’il avait été abandonné au seul mouvement de la pesanteur. Cette expérience est sûre et commune sur la terre ; donc il en arrive autant là-haut. Donc, si le corps A, n’ayant ici qu’un seul mouvement, était tombé bien plus bas que B, de même, dans la première figure, B devrait, n’ayant qu’un seul mouvement, tomber bien plus bas que D. Donc, encore une fois, la pesanteur seule ferait tomber un corps en cet endroit de beaucoup plus que quinze pieds par minute.
Peut-être ne sais-je ce que je dis. Je m’en vais entendre la musique de Tancrède (1), et j’attends votre réponse avec toute la docilité d’un disciple assez heureux pour avoir trouvé un maître tel que vous :
Non ita certandi cupidus quam propter amorem
Quod te imitari aveo. Quid enim contendat hirundo
Cycnis, etc. (LUCR., liv. III.)
Je vous cite toujours des vers ; mais je crois que vous ne haïssez pas des bribes de Lucrèce.
1 – Opéra de Danchet, musique de Campra. Reprise. (G.A.)
à M. de Maupertuis
Fontainebleau, 8 Novembre 1732.
Pardon, monsieur, mes tentations sont allées au diable, d’où elles venaient. Votre première lettre m’a baptisé, dans la religion newtonienne ; votre seconde m’a donné la confirmation. En vous remerciant de vos sacrements. Brûlez, je vous prie, mes ridicules objections ; elles sont d’un infidèle. Je garderai à jamais vos lettres ; elles sont d’un grand apôtre de Newton : lumen ad revelationem gentium.
Je suis avec bien de l’admiration, de la reconnaissance, et de la honte, votre très humble et indigne disciple.
à Madame la marquise du Deffand
Le…
Vous m’avez proposé, madame, d’acheter une charge d’écuyer chez madame la duchesse du Maine, et, ne me sentant pas assez dispos pour cet emploi, j’ai été obligé d’attendre d’autres occasions de vous faire ma cour. On dit qu’avec cette charge d’écuyer, il en vaque une de lecteur ; je suis bien sûr que ce n’est pas un bénéfice simple chez madame du Maine comme chez le roi. Je voudrais de tout mon cœur prendre pour moi cet emploi ; mais j’ai en main une personne qui, avec plus d’esprit, de jeunesse, et de poitrine, s’en acquittera mieux que mieux.
Voici, madame, une occasion de montrer la bonté de votre cœur et votre crédit. La personne dont je vous parle est un jeune homme nommé M. l’abbé Linant, à qui il ne manque rien du tout que de la fortune. Il a auprès de vous une recommandation bien puissante ; il est ami de M. de Formont, qui vous répondra de son esprit et de ses mœurs ; Je ne suis ici que le précurseur de M. de Formont qui va bientôt obtenir cette grâce de vous ; et je vous en remercierai comme si c’était à moi seul que vous l’eussiez faite. En vérité, si vous placez ce jeune homme, vous ferez une action charmante ; vous encouragerez un talent bien décidé qu’il a pour les vers ; vous vous attacherez, pour le reste de votre vie, quelqu’un d’aimable, qui vous devra tout ; vous aurez le plaisir d’avoir tiré le mérite de la misère, et de l’avoir mis dans la meilleure école du monde. Au nom de Dieu, réussissez dans cette affaire pour votre plaisir, pour votre honneur, pour celui de madame du Maine, et pour l’amour de Formont, qui vous en prie par moi.
Adieu, madame ; je vous suis attaché comme l’abbé Linant vous le sera, avec le plus respectueux et le plus tendre dévouement.
à M. de Cideville
J’ai envoyé, mon très aimable Cideville, une petite boite à Jore, contenant deux chiffons d’espèce très différente. L’un est un parchemin (1), avec un tel est notre plaisir ; l’autre est une Epître dédicatoire de Zaïre, moitié vers, moitié prose, dans laquelle j’ai mis plus d’imagination qu’il n’y en a dans cet autre ouvrage en parchemin. J’ai bien recommandé à Jore de vous porter cette épître ; il y a bien des choses à réformer avant qu’on l’imprime. Je ne sais même si la délicatesse excessive de ceux qui sont chargés de la librairie ne se révoltera pas un peu contre la liberté innocente de cet ouvrage. J’en ai adouci quelques traits, et je le communique corrigé à M. Rouillé, afin qu’il donne au moins une permission tacite, et que Jore ne puisse être inquiété.
A l’égard de l’impression de Zaïre, je ne peux faire ce que Jore demande ; mais je le dédommagerai en lui faisant imprimer mes Lettres anglaises, qui composeront un volume assez honnête. Je compte que vous verrez bientôt ces guenilles ; mais je vous supplie surtout de bien recommander à Jore de ne pas tirer un seul exemplaire de Zaïre par delà les deux mille cinq cents que je lui ai prescrits. Il ne faut pas que personne en puisse avoir, avant que je l’aie présentée au garde des sceaux.
Pour notre abbé Linant, je crois qu’il retournera bientôt à Rouen ; j’ai été assez malheureux pour lui être inutile à Paris. Mais que faire de Lui ? Il ne sait pas seulement écrire assez lisiblement pour être secrétaire, et j’ai bien peur qu’il n’ait la vertu aimable de la paresse, qui devient un grand vice dans un homme qui a sa fortune à faire. Il a de l’esprit, du goût, de la sagesse ; je ne doute pas qu’il ne fasse tôt ou tard sa fortune, s’il veut joindre à cela un peu de travail.
Il faut, surtout, qu’il ne dédaigne pas les petits emplois convenables à son âge, à sa fortune, et à son état ; car, quoiqu’il soit né avec du mérite, il n’a encore rien fait d’assez bon pour qu’on le mette au rang des gens de lettres qui ont à se plaindre de l’injustice du siècle.
Je voudrais qu’il pût attraper quelque bénéfice de votre archevêque. Voilà ce me semble, ce qui lui conviendrait le mieux. Peut-être que vous pourrez, avec M. de Formont et avec le secours de M. de Tressan, lui procurer quelque petit établissement de cette espèce, sans quoi il sera réduit à passer par l’amertume des emplois subalternes. Ce qu’il a de mieux à faire, pendant qu’il est encore jeune, c’est de se retirer dans un grenier, chez sa mère, et de cultiver son talent dans la retraite, en attendant qu’il puisse le produire au grand jour avec succès.
Je vais m’arranger pour vous donner les étrennes que vous me demandez. Ce sont de vraies étrennes, car tout cela n’est que bagatelle. Je ne compte pas faire imprimer si tôt toutes ces petites pièces fugitives ; il ne faut pas assommer le public coup sur coup. Je vais seulement finir l’édition de la Henriade qui est entre les mains de Jore. Il n’y a plus de Henriades, à Paris, chez les libraires, et il ne faut pas en laisser manquer, de peur qu’on ne se désaccoutume de les demander. Après cela viendra l’édition des Lettres anglais, et je serai le
Bienheureux Scudéry, dont la fertile plume
Peut tous les mois, sans peine, enfanter un volume.
BOILEAU, Sat. II.
Mandez-moi, je vous prie, comment va la guerre civile de la Rivière-Bourdet. Ragotin (2) a-t-il raccommodé madame Bouvillon avec M. de la Baguenaudière ? Adieu ; je vous embrasse de tout mon cœur. V.
1 – C’était le privilège pour l’impression de Zaïre.
2 – Ces noms de personnages du Roman comique, dit M. Clogenson, désignent ici le marquis de Lezeau, avec M. et madame de Bornières, qui ne vivaient pas entre eux en bonne intelligence. (G.A.)
à M. de Cideville
A Paris, ce samedi 15 Novembre 1732.
J’arrive de Fontainebleau, mon cher ami ; mais ne croyez pas que j’arrive de la cour. Je ne me suis point gâté dans ce vilain pays.
J’ai hanté ce palais du vice,
Où l’on fait le bien par caprice,
Et le mal par un goût réel,
Où la fortune et l’injustice
Ont un hommage universel ;
Mais, loin d’y faire un sacrifice,
J’ai bravé sur leur maître-autel
Ces dieux qu’adore l’avarice ;
J’ai porté mon air naturel
Dans le centre de l’artifice.
Ce poison subtil et mortel,
Que l’on avale avec délice,
Me semblait plus amer que fiel ;
Je l’ai renversé comme Ulysse ;
Je n’ai point bu dans ce calice
Tant vanté par Machiavel.
Le pied ferme, et l’œil vers le ciel,
J’étais au bord du précipice
J’en fus sauvé par l’Eternel ;
Car on peut aller au b…..
Sans y gagner la ch…
Je me rends tout entier, mon cher Cideville, aux doux plaisirs de l’amitié. Je vous écris en liberté, je jouis de la douceur de vous dire combien je vous suis attaché. Je voulais vous écrire tous les jours, mais la vie dissipée que je menais à Fontainebleau me rendait le plus paresseux ami du monde.
Je n’ai point répondu, ce me semble, à une de vos dernières lettres, où vous me parliez de ce divertissement en trois actes. Je ne sais comment j’avais pu oublier un article qui me paraît si important. Je viens de relire la lettre où vous m’en parlez ; vous me semblez indécis sur le choix du second acte. J’imagine qu’à présent vous ne l’êtes plus, et que vous avez pris votre parti à la campagne. Vous vous serez aperçu, en essayant dans votre imagination les sujets que vous vous proposiez, qu’il y en a toujours un qui se fait faire malgré qu’on en ait. Le goût se détermine tout seul vers le sujet pour lequel on se sent plus de talent.
Il est des nœuds secrets, il est des sympathies….
CORN., Rodog., act. I, sc. VII.
Je crois donc votre sujet trouvé et travaillé malgré vous.
. . . . . . . Mox, ubi publicas
Res ordinaris, grande munus
Cecropio repetes cothurno.
HOR., liv. II, od. I.
C’est ce qu’Horace écrivait à l’autre Cideville ; et cela ne veut dire autre chose sinon, quand vous aurez jugé vos procès, vous recommencerez votre opéra.
On a rejoué ici Zaïre ; il y avait honnêtement de monde, et cela fut assez bien reçu à ce qu’on m’a dit. Il n’en est pas de même de B…. [illisible] (1) et de son frère Caunus ; mais on y va, quoiqu’on en dise du mal. L’Opéra est un rendez-vous public où l’on s’assemble à de certains jours, sans savoir pourquoi : c’est une maison où tout le monde va, quoiqu’on dise, du mal du maître, et qu’il soit ennuyeux. Il faut, au contraire, bien des efforts pour attirer le monde à la Comédie ; et je vois presque toujours que le plus grand succès d’une bonne tragédie n’approche pas de celui d’un opéra médiocre.
La comédie (2) de la cour et du parlement vient de finir par un acte fort agréable, où tout le monde paraît content. Ce n’est pas que l’intrigue de la pièce ne puisse recommencer, mais je ne me mêle pas de ces farces-là.
Un jeune conseiller de nos enquêtes, nommé M. de Montessu, avait pris le parti de ne point aller au lieu que le roi lui avait donné pour sa retraite, et s’était tapi, à Paris, chez la demoiselle Lacote, comédienne assez médiocre, mais assez jolie p….. Il est mort incognito, de la petite-vérole, au grand étonnement des connaisseurs, qui s’attendaient à un autre genre de maladie.
A propos de comédienne, si vous n’avez point vu mes petits versiculets (3) pour la demoiselle Gaussin, je vous les enverrai. Vous avez des droits sur mes ouvrages, et vous en aurez sur moi toute ma vie.
Mandez-moi un peu, je vous prie, si vous avez vu l’épouse de Gilles Bernières, et si M. le marquis (4) se trouve bien de son ménage. M. le marquis ne m’a pas écrit un petit mot. V.
1 – Opéra de Fleury, musique de Lacoste. (G.A.)
2 – Voyez l’Histoire du Parlement. Ch LXIV. (G.A.)
3 – Voyez l’Epître à mademoiselle Gaussin (1732). (G.A.)
4 – M. de Lezeau. (G.A.)