CORRESPONDANCE : Année 1725-26 - Partie 15

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à Madame la présidente de Bernières.

 

A Fontainebleau, 13 Novembre 1725.

 

 

          La reine vient de me donner, sur sa cassette, une pension de quinze cents livres, que je ne demandais pas : c’est un acheminement pour obtenir les choses que je demande. Je suis très bien avec le second premier ministre, M. Duverney. Je compte sur l’amitié de madame de Prie. Je ne me plains plus de la vie de la cour (1) ; je commence à avoir des espérances raisonnables d’y pouvoir être quelquefois utile à mes amis ; mais si vous êtes encore gourmande, et si vous avez encore vos maux d’estomac et vos maux d’yeux, je suis bien loin de me trouver un homme heureux. S’il est vrai que vous restiez à votre campagne jusqu’à la fin de décembre, ayez la bonté de m’en assurer, et de ne pas donner toutes les chambres de la Rivière. Les agréments que l’ont peut avoir dans le pays de la cour ne valent pas les plaisirs de l’amitié ; et la Rivière, à tous égards, me sera toujours plus chère que Fontainebleau. Permettez-moi d’adresser ici un petit mot à mon ami Thieriot.

 

 

1 – « Cela est plaisant et presque naïf, dit fort bien M. Desnoiresterre. Comme une petite pension tombée à propos suffit à changer la couleur et le relief des choses ! » (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot.

 

 

 

          Ne croyez pas, mon cher Thieriot, que je sois aussi dégoûté de Henri IV que vous le paraissez de Mariamne. Je viens de mettre en vers, dans le moment, feu M. le duc d’Orléans et son système avec Lass. Voyez si tout cela vous paraît bien dans son cadre, et si notre sixième chant (1) n’en sera point déparé. Songez qu’il m’a fallu parler noblement de cet excès d’extravagance, et blâmer M. le duc d’Orléans, sans que mes vers eussent l’air de satire.

 

          Je dis, en parlant de ce prince :

 

 

D’un sujet et d’un maître il a tous les talents ;

Malheureux toutefois, dans le cours de sa vie,

D’avoir reçu du ciel un si vaste génie.

Philippe, garde-toi des prodiges pompeux

Qu’on offre à ton esprit trop plein du merveilleux.

Un Ecossais arrive et promet l’abondance ;

Il parle, il fait changer la face de la France.

Des trésors inconnus se forment sous ses mains :

L’or devient méprisable aux avides humains.

Le pauvre, qui s’endort au sein de l’indigence,

Des rois, à son réveil, égale l’opulence.

Le riche en un moment voit fuir devant ses yeux

Tous les biens qu’en naissant il eut de ses aïeux.

Qui pourra dissiper ces funestes prestiges ?

 

 

          Je crois que l’on ne pouvait pas parler plus modérément du système ; mais je ne sais si j’en ai parlé assez poétiquement ; nous en raisonnerons, à ce que j’espère, à la Rivière. La cour m’a peut-être ôté un peu de feu poétique. Je viendrai le reprendre avec vous. Soyez toujours moins en peine de mon cœur que de mon esprit. Je cesserai plutôt d’être poète que d’être l’ami de Thieriot.

 

 

1 – Aujourd’hui le septième. Les nouveaux vers n’y furent pas ajoutés. (G.A.)

 

 

 

 

à l’abbé Desfontaines.

 

 

 

          Et vous, mon cher abbé Desfontaines, j’ai bien parlé de vous à M. de Fréjus (1) ; mais je sais, par mon expérience, que les premières impressions sont difficiles à effacer. Je n’ai point encore vu votre dernier journal (2). Je vous suis presque également obligé pour Mariamne et pour le Héros de Gratien (3). Je suis fâché que vous soyez brouillé avec les révérends pères ; mais, puisque vous l’êtes, il n’est pas mal de s’en faire craindre. Peut-être voudront-ils vous apaiser, et vous feront-ils avoir un bénéfice par le premier traité de paix qu’ils feront avec vous. Je ne sais aucune nouvelle de M. l’abbé Bignon. Je serais bien fâché de sa maladie s’il vous avait fait du bien.

 

          Le pauvre Saint-Didier est venu à Fontainebleau avec Clovis, et tous deux ont été bien bafoués. Il sollicita M. de Mortemart et l’importuna pour avoir une pension. M. de Mortemart lui répondit que, quand on faisait des vers, il les fallait faire comme moi. Je suis fâché de la réponse. Saint Didier ne me pardonnera point cette injustice de M. de Mortemart. Il y a ici des injustices plus véritables qui me font saigner le cœur. Je ne peux pas m’accoutumer à voir l’abbé Raguet (4) dans l’opulence et dans la faveur, tandis que vous êtes négligé. Cependant n’aimez-vous pas encore mieux être l’abbé Desfontaines que l’abbé Raguet ?

 

          Je présente mes respects au maître de la maison, à M. l’abbé d’Amfreville, à tutti quanti, qui ont le bonheur d’être à la Rivière.

 

          Buvez tous à ma santé : et vous, madame la présidente, soyez sobre, je vous en prie.

 

 

1 – Fleury, plus tard cardinal. Il avait alors la feuille des bénéfices et l’entrée au conseil. Desfontaines, sorti de Bicêtre et exilé de Paris, était allé se réfugier chez M. de Bernières. (G.A.)

2 – L’abbé travaillait alors au Journal des Savants. (G.A.)

3 – Le Héros, ouvrage du jésuite espagnol Balthasar Gracian, venait d’être traduit en français par le Père Bourbeville. (G.A.)

4 – Directeur spirituel de la Compagnie des Indes. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Potet. (1)

 

 

          Que vous êtes heureux, mon cher Potet ! Vous comparaîtrez lundi, à dix heures, devant les juges consuls de la bonne ville de Paris, à la requête de dame Pissat, qui a déclaré devant les juges que vous êtes mon ami. Je ne crois pas que votre témoignage la désavoue en cela. Elle prétend de plus que vous êtes témoin qu’elle ne me doit rien ; vous rendrez donc gloire à la vérité devant Dieu, Chauvin et Thieriot, votre frère, votre juge et le mien. Souvenez-vous de faire un beau discours éloquent, où ces messieurs entendront peu de chose. En attendant, ne pourrait-on vous voir ?

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

à Madame la présidente de Bernières (1).

 

 

          J’ai été à l’extrémité ; je n’attends que ma convalescence pour abandonner à jamais ce pays-ci (2) ; Souvenez-vous de l’amitié tendre que vous avez eue pour moi ; au nom de cette amitié, informez-moi par un mot de votre main de ce qui se passe, ou parlez à l’homme que je vous envoie, en qui vous pouvez prendre une entière confiance. Présentez mes respects à madame du Deffand ; dites à Thieriot que je veux absolument qu’il m’aime, ou quand je serai mort, ou quand je serai heureux ; jusque-là, je lui pardonne son indifférence. Dites à M. le chevalier des Alleurs que je n’oublierai jamais la générosité de ses procédés pour moi. Comptez que tout détrompé que je suis de la vanité des amitiés humaines (3), la vôtre me sera à jamais précieuse. Je ne souhaite de revenir à Paris que pour vous voir, vous embrasser encore une fois, et vous faire voir ma constance dans mon amitié et dans mes malheurs.

 

 

1 – Il est à croire que cette lettre fut écrite après l’affaire de Voltaire avec le chevalier Rohan-Chabot. Voyez, sur cette affaire, la Vie de Voltaire, par Condorcet. (G.A.)

2 – Sans doute la cour. (G.A.)

3 – Allusion à la conduite du duc de Sully. (G.A.)

 

 

 

 

au Ministre du département de Paris. (1)

1726.

 

 

          Le sieur de Voltaire remontre très humblement qu’il a été assassiné par le brave chevalier de Rohan, assisté de six coupe-jarrets, derrière lesquels il était hardiment posté, qu’il a toujours cherché, depuis ce temps-là, à réparer, non son honneur, mais celui du chevalier, ce qui était trop difficile. S’il est venu de Versailles ; il est très faux qu’il ait été demandé le chevalier de Rohan-Chabot chez M. le cardinal de Rohan.

 

          Il est très aisé de prouver le contraire, et il consent de rester toute sa vie à la Bastille, s’il en impose. Il demande la permission de manger avec M. le gouverneur de la Bastille et de voir du monde. Il demande avec encore plus d’instance la permission d’aller incessamment en Angleterre. Si on doute de son départ, on peut l’envoyer avec un exempt jusqu’à Calais.

 

 

1 – Ce billet fut envoyé de la Bastille même où Voltaire avait été mis le 17 Avril. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot.

De la Bastille, Avril 1726.

 

 

          J’ai été accoutumé à tous les malheurs, mais pas encore à celui d’être abandonné de vous entièrement.

 

          Madame de Bernières, madame du Deffand, M. le chevalier des Alleurs devraient bien me venir voir. Il n’y a qu’à demander permission à M. Hérault, ou à M. de Maurepas.

 

 

 

 

à M. Thieriot.

Ce mardi, 1726 (1).

 

 

          On doit me conduire demain, ou après-demain, de la Bastille à Calais. Je vous attends, mon cher Thieriot, avec impatience. Venez au plus tôt. C’est peut-être la dernière fois de ma vie que nous nous verrons.

 

 

1 – Ce billet est de la fin d’Avril. Voltaire sortit de la Bastille le 2 Mai. (G.A.)

 

 

 

 

à Madame la présidente de Bernières. (1)

 

 

          On doit me conduire demain ou après-demain de la Bastille droit à Calais. Pouvez-vous, madame, avoir la bonté de me prêter votre chaise de poste ? Celui (2) qui m’aura conduit vous la ramènerait. Demain mercredi, ceux qui voudront me venir voir, peuvent entrer librement. Je me flatte que j’aurai l’occasion de vous assurer encore une fois en ma vie de mon véritable et respectueux attachement.

 

          Venez, je vous en prie, avec madame du Deffand ; je compte aussi que je verrai notre ami Thieriot.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et François. (G.A.)

2 – L’agent Condé. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot.

A Calais, ce 5 Mai 1726, chez M. Dunoquet.

 

 

          Mon cher Thieriot, je n’ai que le temps de vous dire que je suis à Calais, où je compte rester quatre ou cinq jours, que je vous aime réellement, que je regrette madame de Bernières plus qu’elle ne pense, que je serais consolé si je pouvais trouver en Angleterre quelque imagination comme madame du Deffand, et quelque malade comme le chevalier des Alleurs, que je suis très fâché d’avoir connu si peu madame de Godefroy, et qu’il faut que vous m’écriviez tout à l’heure quelque longue lettre, où il y ait bien des nouvelles et bien des amitiés de votre part et de celle de madame de Bernières, à laquelle je serai attaché toute ma vie.

 

 

 

 

à Madame de Ferriol.

Calais, 6 Mai (1).

 

 

          N’auriez-vous point, madame, quelques ordres à me donner pour monsieur ou pour madame de B*** (2) ? J’attends à Calais que vous daigniez me charger de quelques commissions. Je suis ici chez M. Dunoquet (3), et je sens bien à la réception qu’il me fait, qu’il croit que vous m’honorez d’un peu d’amitié. La première chose que je fais dans ce pays-ci, est de vous écrire. C’est un devoir dont mon cœur s’acquitte. Vos bontés pour moi sont aussi grandes que mes malheurs et sont bien plus vivement ressenties. Vous avez toujours été constante dans la bienveillance que je vous ai vue pour moi, et je vous assure que vous êtes ce que je regrette le plus en France. Si j’avais pu vivre selon mon choix, j’aurais assurément passé ma vie dans votre cour ; mais ma destinée est d’être malheureux et par conséquent loin de vous. Permettez-moi de saluer et d’embrasser M. de Pont de Vesle et M. d’Argental (4). Ayez la bonté d’assurer madame de Tencin (5) qu’une de mes plus grandes peines, à la Bastille, a été de savoir qu’elle y fût. Nous étions comme Pyrame et Thisbé : il n’y avait qu’un mur qui nous séparât, mais nous ne nous baisions point par la fente de la cloison. Et vous, la nymphe de Circassie (6), et surtout celle de M. Dunoquet, dont vous avez rendu la femme jalouse, je vous jure que s’il y avait seulement en France trois personnes comme vous, je me pendrais de désespoir d’en sortir. Si vous voulez mettre le comble aux consolations que je reçois dans mon malheur, faites-moi l’honneur de me donner de vos nouvelles et de m’envoyer vos ordres.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et François. (G.A.)

2 – Sans doute, M. et Madame de Bolingbroke. (G.A.)

3 – Trésorier des troupes. (G.A.)

4 – Fils de madame de Ferriol. (G.A.)

5 – Sœur de madame de Ferriol et mère de d’Alembert. Elle avait été arrêtée, à la suite du suicide de son amant dans sa propre maison. (G.A.)

6 – Mademoiselle Aïssé. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot.

Le 12 Août 1726 (1).

 

 

          J’ai reçu bien tard, mon cher Thieriot, une lettre de vous, du 11 du mois de mai dernier. Vous m’avez vu bien malheureux à Paris. La même destinée m’a poursuivi partout. Si le caractère des héros de mon poème est aussi bien soutenu que celui de ma mauvaise fortune, mon poème assurément réussira mieux que moi. Vous me donnez par votre lettre des assurances si touchantes de votre amitié, qu’il est juste que j’y réponde par de la confiance. Je vous avouerai donc, mon cher Thieriot, que j’ai fait un petit voyage à Paris, depuis peu. Puisque je ne vous y ai point vu, vous jugerez aisément que je n’ai vu personne. Je ne cherchais qu’un seul homme (1) que l’instinct de sa poltronnerie a caché de moi, comme s’il avait deviné que je fusse à sa piste. Enfin la crainte d’être découvert m’a fait partir plus précipitamment que je n’étais venu. Voilà qui est fait, mon cher Thieriot ; il y a grande apparence que je vous reverrai plus de ma vie. Je suis encore très incertain si je me retirerai à Londres. Je sais que c’est un pays où les arts sont tous honorés et récompensés, où il y a de la différence entre les conditions, mais point d’autre entre les hommes que celle du mérite. C’est un pays où on pense librement et noblement, sans être retenu par aucune crainte servile. Si je suivais mon inclination, ce serait là que je me fixerais, dans l’idée seulement d’apprendre à penser. Mais je ne sais si ma petite fortune, très dérangée par tant de voyage, ma mauvaise santé, plus altérée que jamais, et mon goût pour la plus profonde retraite, me permettront d’aller me jeter au travers du tintamarre de Whitehall et de Londres. Je suis très bien recommandé en ce pays-là, et on m’y attend avec assez de bonté ; mais je ne puis pas vous répondre que je fasse le voyage. Je n’ai plus que deux choses à faire dans ma vie, l’une de la hasarder avec honneur dès que je le pourrai ; et l’autre, de la finir dans l’obscurité d’une retraite qui convient à ma façon de penser, à mes malheurs, et à la connaissance que j’ai des hommes.

 

          J’abandonne de bon cœur mes pensions du roi et de la reine ; le seul regret que j’aie est de n’avoir pu réussir à vous les faires partager. Ce serait une consolation pour moi dans ma solitude de penser que j’aurais pu, une fois en ma vie, vous être de quelque utilité ; mais je suis destiné à être malheureux de toutes façons. Le plus grand plaisir qu’un honnête homme puisse ressentir, celui de faire plaisir à ses amis, m’est refusé.

 

          Je ne sais comment madame de Bernières pense à mon égard.

 

Prendrait-elle le soin de rassurer mon cœur

Contre la défiance attachée au malheur ?

 

                                                                           (Mithridate.)

 

          Je respecterai toute ma vie l’amitié qu’elle a eue pour moi, et je conserverai celle que j’ai pour elle. Je lui souhaite une meilleure santé, une fortune rangée, bien du plaisir, et des amis comme vous. Parlez-lui quelquefois de moi. Si j’ai encore quelques amis qui prononcent mon nom devant vous, parlez de moi sobrement avec eux, et entretenez le souvenir qu’ils veulent bien me conserver.

 

          Pour vous, écrivez-moi quelquefois, sans examiner si je fais exactement réponse. Comptez sur mon cœur plus que sur mes lettres.

 

Adieu, mon cher Thieriot, aimez-moi malgré l’absence et la mauvaise fortune.

 

 

1 – Cette lettre est écrite d’Angleterre. (G.A.)

2 – Le chevalier de Rohan. (G.A.)

 

 

 

 

à Mademoiselle Bessières.

 

A Wandsworth, le 15 Octobre 1726.

 

 

          Je reçois, mademoiselle, en même temps une lettre de vous, du 10 Septembre, et une de mon frère, du 12 Août. La retraite ignorée où j’ai vécu depuis deux mois (1), et mes maladies continuelles, qui m’ont empêché d’écrire à mon correspondant de Calais, sont cause que ces lettres ont tardé si longtemps à venir jusqu’à moi. Tout ce que vous m’écrivez m’a percé le cœur. Que puis-je vous dire, mademoiselle, sur la mort de ma sœur (2), sinon qu’il eût mieux valu pour ma famille et pour moi que j’eusse été enlevé à sa place ? Ce n’est point à moi à vous parler du peu de cas que l’on doit faire de ce passage si court et si difficile qu’on appelle la vie : vous avez sur cela des notions plus lumineuses que moi, et puisées dans des sources plus pures. Je ne connais que les malheurs de la vie, mais vous en connaissez les remèdes, et la différence de vous à moi est du malade au médecin.

 

          Je vous supplie, mademoiselle, d’avoir la bonté de remplir jusqu’au bout le zèle charitable que vous daignez avoir pour moi en cette occasion douloureuse : ou engagez mon frère à me donner, sans différer un seul moment, des nouvelles de sa santé, ou donnez-m’en vous-même. Il ne vous reste plus que lui de toute la famille de mon père, que vous avez regardée comme la vôtre. Pour moi, il ne faut plus me compter. Ce n’est pas que je ne vive encore pour le respect et l’amitié que je vous dois ; mais je suis mort pour tout le reste. Vous avez grand tort, permettez-moi de vous le dire avec tendresse et avec douleur, vous avez grand tort de soupçonner que je vous aie oubliée. J’ai bien fait des fautes dans le cours de ma vie. Les amertumes et les souffrances qui en ont marqué presque tous les jours ont été souvent mon ouvrage. Je sens le peu que je vaux ; mes faiblesses me font pitié, et mes fautes me font horreur. Mais Dieu m’est témoin que j’aime la vertu, et qu’ainsi je vous suis tendrement attaché pour toute ma vie.

 

          Adieu ; je vous embrasse, permettez-moi ce terme, avec tout le respect et toute la reconnaissance que je dois à mademoiselle Bessières.

 

 

1 – Chez M. Falkener. (G.A.)

2 – Madame Mignot. (G.A.)

 

 

 

 

à Madame la présidente de Bernières.

 

A Londres, 16 Octobre.

 

 

          Je n’ai reçu qu’hier, madame, votre lettre du 3 de septembre dernier. Les maux viennent bien vite, et les consolations bien tard. C’en est une pour moi très touchante que votre souvenir : la profonde solitude où je suis retiré ne m’a pas permis de la recevoir plus tôt. Je viens à Londres pour un moment ; je profite de cet instant pour avoir le plaisir de vous écrire, et je m’en retourne sur-le-champ dans ma retraite.

 

          Je vous souhaite, du fond de ma tanière, une vie heureuse et tranquille, des affaires en bon ordre, un petit nombre d’amis, de la santé, et un profond mépris pour ce qu’on appelle vanité. Je vous pardonne d’avoir été à l’Opéra avec le chevalier de Rohan (1), pourvu que vous en ayez senti quelque confusion.

 

          Réjouissez-vous le plus que vous pourrez à la campagne et à la ville. Souvenez-vous quelquefois de moi avec vos amis, et mettez la constance dans l’amitié au nombre de vos vertus. Peut-être que ma destinée me rapprochera un jour de vous. Laissez-moi espérer que l’absence ne m’aura point entièrement effacé dans votre idée, et que je pourrai retrouver dans votre cœur une pitié pour mes malheurs qui du moins ressemblera à l’amitié.

 

          La plupart des femmes ne connaissent que les passions ou l’indolence ; mais je crois vous connaître assez pour espérer de vous de l’amitié.

 

          Je pourrai bien revenir à Londres incessamment, et m’y fixer. Je ne l’ai encore vu qu’en passant. Si, à mon arrivée, j’y trouve une lettre de vous, je m’imagine que j’y passerai l’hiver avec plaisir, si pourtant ce mot de plaisir est fait pour être prononcé par un malheureux comme moi. C’était à ma sœur à vivre, et à moi à mourir ; c’est une méprise de la destinée. Je suis douloureusement affligé de sa perte : vous connaissez mon cœur, vous savez que j’avais de l’amitié pour elle. Je croyais bien que ce serait elle qui porterait le deuil de moi. Hélas ! madame, je suis plus mort qu’elle pour le monde, et peut-être pour vous. Ressouvenez-vous du moins que j’ai vécu avec vous. Oubliez tout de moi, hors les moments où vous m’avez assuré que vous me conserveriez toujours de l’amitié. Mettez ceux où j’ai pu vous mécontenter au nombre de mes malheurs, et aimez-moi par générosité si vous ne pouvez plus m’aimer par goût.

 

          Mon adresse, chez milord Bolingbroke, à Londres.

 

 

1 – Celui-là même qui avait fait bâtonner Voltaire. (G.A.)

 

 

 

 

 

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