CORRESPONDANCE - Année 1744 - Partie 8

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Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

à M. le Président Hénault

(1)

 

 

D’un pinceau ferme et facile

Vous nous avez, trait pour trait,

Dessiné l’homme inutile (2).

On ne dira jamais, grâce à votre style :

« Le peintre a fait là son portrait. »

On dira : « Ce mortel aimable

Unissait Minerve et les Ris,

Et dans tous les beaux-arts, comme avec ses amis,

Mêlait l’utile à l’agréable. »

 

 

         Oui, monsieur, si vous avez assez de loisir pour vouloir bien retoucher cette pièce, dont le fond est si vrai et les détails si charmants ; si vous vous donnez la peine de l’embellir au point où elle mérite de l’être, vous en ferez un ouvrage digne de Boileau ; mais il faut sa patience. C’est pour ne l’avoir pas eue que je ne suis point encore content de mes vers sur les Evénements présents ; c’est pour cela que je ne les imprime point. C’est bien assez que vous ayez aperçu, à travers les négligences, quelques beautés qui demandent grâce pour le reste. C’est un encouragement pour finir la pièce à loisir ; mais, en vérité, il y a trop de vers sur ce sujet. Je crois que le confesseur du roi lui a ordonné, pour pénitence, de les lire tous.

 

         Homme charmant, je reçois deux lettres de vous où je vois l’excès de vos bontés ; vous ne savez pas à quel point elles me sont chères. Mais où êtes-vous ? où ma lettre et mes tendres remerciements vous trouveront-ils ? Je partis hier de Champs pour venir faire répéter la Princesse de Navarre.

 

         Rameau travaille ; je commence à espérer que je pourrai donner du plaisir à la cour de France. Mais vous avouerai-je que je compterai plus sur l’opéra de Prométhée, pour former un beau spectacle, que sur une comédie-ballet ? Je ne sais si Royer n’est pas devenu un bon musicien. J’attends avec impatience le retour de M. le président Hénault pour juger de tout cela. Je retourne à Champs dans l’instant ; j’y vais retrouver madame du Deffand, et disputer même avec elle à qui vous aime davantage. Mais savez-vous avec quelle impatience vous êtes attendu ? Vous êtes aimé comme Louis XV. Vale, vive, veni.

 

         On ne peut vous être attaché avec une tendre plus respectueuse que VOLTAIRE.

 

 

1 – Cette lettre, toujours datée du 6 Juillet 1745, ne peut être que de 1744, et encore du mois de Septembre ou d’Octobre. (G.A.)

 

2 – Le président avait composé une épître intitulée : l’Homme inutile. (K.)

 

 

 

 

 

à M. Amelot

Ce lundi, à une heure après minuit, 16 Novembre 1744 (1).

 

 

         Le Prussien est entièrement dans vos intérêts, monsieur, et il dit que les intérêts communs seraient mieux ménagés s’ils l’étaient par les deux frères (2). Cette raison, jointe à ce que tout le monde doit penser de vous, en acquiert bien de la force. Il ne s’agit plus que de trouver un exorde au discours qu’il pourrait tenir. C’est sur quoi je voudrais avoir l’honneur de recevoir vos ordres. Je vous ai cherché trois fois de suite. Ayez la bonté de donner une heure à votre ancien attaché V. (3).

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. (G.A.)

 

2 – Peut-être les d’Argenson. (A. François.)

 

3 – Amelot n’était plus ministre depuis sept mois. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson (1)

29 Novembre 1744.

 

 

         De quoi m’avisai-je, moi, d’écrire à M. le duc de Richelieu qu’il fallait sur-le-champ envoyer un courrier pour cette terre que vous deviez acheter ? Il m’appartient bien de bourdonner, à moi, mouche du coche !

 

         Or vous voilà cocher, monseigneur ; menez-nous à la paix tout droit par le chemin de la gloire  et, quand vous verrez, en passant, votre ancien attaché dans les broussailles, donnez-lui un coup d’œil.

 

         Vous allez embrasser, être embrassé, remercier, promettre, vous installer, travailler comme un chien ; mais surtout portez-vous bien, et aimez toujours Voltaire.

 

 

1 – Nommé ministre des affaires étrangères le 28 Novembre. Cette lettre est donc du 29, et non du 19, comme on l’a toujours datée. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Néricault Destouches

Le 3 Décembre 1744.

 

         J’ai toujours été, monsieur, au rang de vos amis ; mais, en vérité, je ne me croyais pas dans celui de vos créanciers. Le premier titre m’est si cher que je ne pense point du tout à l’autre. Il y a eu une étrange fatalité sur ces souscriptions de la Henriade. Les quinze qui avaient échappé à votre mémoire sont en sûreté ; et je sais, il y a longtemps, que vous conduisez une affaire aussi bien qu’une pièce de théâtre ; mais il n’en alla pas de même de cent souscriptions dont mon pauvre Thieriot me perdit l’argent, sans aucune ressource. Il m’a offert depuis, fort souvent, de me rembourser ; mais il serait ruiné, et moi je serais bien indigne d’être homme de lettres, si je n’aimais pas mieux perdre cent louis que de gêner mon ami (1). Jugez, monsieur, si, ayant remis à Thieriot cent louis qu’il me devait, j’aurai la mauvaise grâce de vous presser sur quinze louis que j’avais oubliés. J’aime mieux vos vers que votre argent, et j’attends avec bien plus d’impatience le recueil de vos ouvrages que les guinées dont vous me parlez. Je voudrais que le tourbillon de Paris pût me laisser assez de liberté pour aller philosopher avec vous dans votre retraite, et y jouir des charmes de votre amitié et de ceux de votre conversation ; mais quand vous viendrez à Paris (2), n’oubliez pas de faire avertir votre ancien ami, et comptez que vous le trouverez toujours comme vous l’avez laissé, attaché à votre gloire et à votre personne. C’est avec ces sentiments que je serai toute ma vie, etc.

 

 

1 – Encore une lettre où le cœur de Voltaire se montre à nu. (G.A.)

 

2 – Destouches vivait dans sa terre de Fortoiseau, voisine de Melun. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

Ce 7 Décembre 1744.

 

 

         M. de Schmettau (1) vient de me montrer un petit imprimé intitulé : Lettre d’un ami à votre ennemi Bartenstein. Il a grande raison de vouloir que cet écrit soit rendu public. Je soupçonne M. Spon, ministre de l’empereur auprès du roi de Prusse, d’en être l’auteur ; mais, de quelque main qu’il parte, je vais le faire imprimer sur la parole que M. de Schmettau m’a donnée que vous le trouverez bon, et sur la confiance que j’ai, en le lisant, qu’il fera un très bon effet.

 

         Si vous pouviez me faire envoyer la Déduction en faveur des droits de l’empereur à la succession des Etats héréditaires, je serais plus en état de travailler aux choses auxquelles vous permettez que je m’emploie.

 

         Adieu, monseigneur ; tôt ou tard on aura la paix, et votre ministère sera probablement bien glorieux. Vous savez si je m’y intéresse.

 

 

1 – Samuel Schmettau, envoyé dès septembre par Frédéric pour annoncer à Louis XV que l’armée prussienne entrait en Bohème. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

Ce jeudi.

 

 

         L’un et l’autre de mes anges, je vous prie de battre de vos ailes un très aimable homme nommé l’abbé de Bernis. Il faut absolument que vous lui fassiez changer un endroit de son Discours (1) ; il le faut, il le faut ; vous allez en convenir, et lui aussi, ou tout est perdu.

 

         Les plus cruels ennemis de l’Académie, et puis tous les talents de l’esprit de ces plus cruels ennemis. Ah ! les lâches, les ridicules ennemis, passe ! et du mérite, du mérite ! les grands talents : Roy ? de grands talents ! quatre ou cinq scènes de ballet ; des vers médiocres dans un genre très médiocre ; voilà de plaisants talents ! Y a-t-il là de quoi racheter les horreurs de sa vie ? Puisqu’il daigne désigner Roy, est-ce ainsi qu’on le doit désigner, lui, le plus cruel ennemi de l’Académie (2) ? C’est ainsi qu’on eût parlé d’Antoine dans le sénat ; c’est mettre Roy dans la balance avec l’Académie, c’est l’égaler à elle, c’est la rabaisser à lui. Ah ! divins anges ! c’est trop d’honneur pour ce faquin ; ne le souffrez pas, élevez-vous de toute votre force ; qu’il ne soit pas dit qu’un homme aussi aimable que l’abbé de Bernis ait paru se plaindre tendrement de Roy, au nom de l’Académie. Il n’en faut parler qu’avec mépris, avec horreur, ou s’en taire. C’est mon avis à jamais. Bonsoir, mes deux anges.

 

 

1 – Bernis fut reçu à l’Académie française en décembre 1744. (G.A.)

 

2 – Allusion au Discours prononcé à la porte de l’Académie, pamphlet de Roy contre Voltaire. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

Samedi au soir, 18 au 19 décembre 1744.

 

 

         J’ai l’honneur de vous renvoyer, monseigneur, les armes que vous m’avez mises en main, et qui ne valent pas celles de vos trois cent mille hommes. J’y joins mon thème (1), que je vous supplie de corriger à votre loisir.

 

         Vous me faites un petit abbé de Saint-Pierre. J’en ai les bonnes intentions ; c’est tout ce que vous trouverez, dans cette ébauche, qui puisse mériter votre suffrage. Pardonnez-moi si vous ne me trouvez que bon citoyen, et soyez sûr qu’il n’y en a point qui attende de vous de plus grandes choses, quand je vous en donne de si petites. Je suis pétri pour vous d’attachement, de respect, et de reconnaissance.

 

         Madame du Châtelet vous aime de tout son cœur.

 

 

1 – Rédaction de quelque pièce diplomatique. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

Ce samedi, 26 Décembre 1744.

 

 

         Vous avez trop de bonté pour ce pauvre avocat (1), et vous empêcherez bien, monseigneur, qu’il ne soit l’avocat des causes perdues. Je vous remercie bien tendrement de ce que vous avez daigné dire un mot de mon griffonnage.

 

         Je m’occupe à présent à tâcher d’amuser par des fêtes celui que je voudrais servir par mes plaidoyers ; mais j’ai bien peur de n’être ni amusant ni utile.

 

         Il est bien ridicule que je ne vous aie pas encore contemplé depuis votre nouvelle grandeur. Je suis toujours bien aise de vous dire que les ministres étrangers sont enchantés de vous. Il me paraît qu’ils aiment vos mœurs, et qu’ils respectent votre esprit. Ce que je vous dis là est à la lettre.

 

         Comptez sur la véracité de votre ancien et très ancien serviteur. Je me flatte d’accompagner votre amie dans votre château, à quatre lieues de Paris, et de vous y faire ma cour.

 

 

1 – Voltaire lui-même. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Vauvenargues

Décembre 1744.

 

         L’état où vous m’apprenez que sont vos yeux a tiré, monsieur, des larmes des miens ; et l’éloge funèbre (1) que vous m’avez envoyé a augmenté mon amitié pour vous, en augmentant mon admiration pour cette belle éloquence avec laquelle vous êtes né. Tout ce que vous dites n’est que trop vrai, en général. Vous en exceptez sans doute l’amitié. C’est elle qui vous a inspiré, et qui a rempli votre âme de ces sentiments qui condamnent le genre humain. Plus les hommes sont méchants, plus la vertu est précieuse ; et l’amitié m’a toujours paru la première de toutes les vertus, parce qu’elle est la première de nos consolations. Voilà la première oraison funèbre que le cœur ait dictée, toutes les autres sont l’ouvrage de la vanité. Vous craignez qu’il n’y ait un peu de déclamation. Il est bien difficile que ce genre d’écrire se garantisse de ce défaut ; qui parle longtemps, parle trop sans doute. Je ne connais aucun discours oratoire où il n’y ait des longueurs. Tout art à son endroit faible : quelle tragédie est sans remplissage, quelle ode sans strophes inutiles ? Mais, quand le bon domine, il faut être satisfait ; d’ailleurs, ce n’est pas pour le public que vous avez écrit, c’est pour vous, c’est pour le soulagement de votre cœur ; le mien est pénétré de l’état où vous êtes. Puissent les belles-lettres vous consoler ! elles sont en effet le charme de la vie quand on les cultive pour elles-mêmes, comme elles le méritent ; mais, quand on s’en sert comme d’un organe de la renommée, elles se vengent bien de ce qu’on ne leur a pas offert un culte assez pur, elles nous suscitent des ennemis qui persécutent jusqu’au tombeau. Zoïle eût été capable de faire tort à Homère vivant. Je sais bien que les Zoïles sont détestés, qu’ils sont méprisés de toute la terre, et c’est là précisément ce qui les rend dangereux. On se trouve compromis, malgré qu’on en ait, avec un homme couvert d’opprobre.

 

         Je voudrais, malgré ce que je vous dis là, que votre ouvrage fût public ; car, après tout, quel Zoïle pourrait médire de ce que l’amitié, la douleur, et l’éloquence, ont inspiré à un jeune officier ? et qui ne serait étonné de voir le génie de M. Bossuet à Prague ? Adieu, monsieur ; soyez heureux, si les hommes peuvent l’être ; je compterai parmi mes beaux jours celui où je pourrai vous revoir. Je suis avec les sentiments les plus tendres, etc.

 

 

1 – Eloge de Caumont, jeune officier, ami de Vauvenargues, mort à Prague en 1742. (G.A.)

 

CORRESPONDANCE 1744 - Partie 8

 

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