CONTE : Préface
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CONTES
PRÉFACE DES ÉDITEURS DE KEHL.
On trouve dans les CONTES de Voltaire une poésie plus brillante, une philosophie aussi vraie, moins naïve, mais plus relevée et plus profonde que dans ceux de La Fontaine. L’auteur de Joconde est un voluptueux rempli d’esprit et de gaieté, auquel il échappe, comme malgré lui, quelques traits de philosophie ; celui de l’Education d’un prince est un philosophe qui, pour faire passer des leçons utiles, a pris un masque qu’il savait devoir plaire au grand nombre des lecteurs. Dans un moindre nombre d’ouvrages, les sujets sont plus variés ; ce n’est pas toujours, comme dans La Fontaine, une femme séduite, ou un mari trompé ; la véritable morale y est plus respectée ; la fourberie, la violation des serments, n’y sont point traitées si légèrement. La volupté y est plus décente ; et, à l’exception d’un petit nombre de pièces échappées à sa première jeunesse, le ton du libertinage en est absolument banni.
Voltaire a fait des Satires comme Boileau ; et comme Boileau il a peut-être parlé trop souvent de ses ennemis personnels. Mais les ennemis de Boileau n’étaient que ceux du bon goût, et les ennemis de Voltaire furent ceux du genre humain. L’un fut injuste à l’égard de Quinault, auquel il ne pardonna jamais ni la mollesse aimable de sa versification, ni cette galanterie qui blessait l’austérité et la justesse de son goût. L’autre fut injuste envers J-Jacques Rousseau ; mais Rousseau s’était déclaré l’ennemi des lumières et de la philosophie. Il paraissait vouloir attirer la persécution sur les mêmes hommes qui avaient pris sa défense, lorsque lui-même en avait été l’objet. Mais Voltaire fut de bonne foi ainsi que Boileau. Ils n’ont méconnu, l’un dans Quinault, l’autre dans Rousseau, que des talents pour lesquels leur caractère et leur esprit ne leur donnaient aucun attrait naturel.
Si Voltaire a pris quelquefois le ton violent et presque cynique de Juvénal, c’’est qu’il avait à punir, comme lui, le vice et l’hypocrisie.
Dans le recueil des Poésies mêlées, on a évité d’en multiplier trop le nombre, et d’en insérer qui fussent d’une autre main. Souvent ce choix a été assez difficile. Dans le cours d’un long ouvrage en vers, il eût été presque impossible d’imiter la grâce piquante, le coloris brillant, la philosophie douce et libre qui caractérisent toutes les poésies de cet homme illustre : son cachet ne pouvait être aussi reconnaissable dans quinze ou vingt vers presque toujours impromptus. Il était plus aisé en s’appropriant quelques-unes de ses idées et de ses tournures, d’atteindre à une imitation presque parfaite. D’ailleurs il n’a jamais voulu ni recueillir ces pièces, ni en avouer aucune collection. Celles qu’on a publiées de son vivant, sous ses yeux, contenaient des pièces qu’il n’avait pu faire, et dont il connaissait les auteurs. C’était un moyen qu’il se réservait pour se défendre contre la persécution que chaque édition nouvelle de ses ouvrages réveillait. Il attachait très peu de prix à ces bagatelles, qui nous paraissent si ingénieuses et si piquantes. L’à-propos du moment les faisait naître, et l’instant d’après il les avait oubliées. L’habitude de donner à tout une tournure galante, ou spirituelle, ou plaisante, était devenue si forte, qu’il lui eût été presque impossible de s’exprimer d’une manière commune. Le travail de parler en rimes avait cessé d’en être un pour lui dans tous les genres où la familiarité n’est point un défaut. Il ne faut donc pas s’étonner qu’il estimât peu ce qui ne lui coûtait rien, et que cette modestie ait été sincère.