COMMENTAIRE SUR LE LIVRE DES DELITS ET DES PEINES - Du crime de la prédication, et d'Antoine
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COMMENTAIRE
SUR LE LIVRE DES DÉLITS ET DES PEINES.
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VII. – DU CRIME DE LA PRÉDICATION, ET D’ANTOINE.
Un prédicant calviniste qui vient prêcher secrètement ses ouailles dans certaines provinces est puni de mort s’il est découvert (1), et ceux qui lui ont donné à souper et à coucher sont envoyés aux galères perpétuelles.
Dans d’autres pays un jésuite qui vient prêcher est pendu. Est-ce Dieu qu’on a voulu venger en faisant pendre ce prédicant et ce jésuite ? S’est-on des deux côtés appuyé sur cette loi de l’Evangile : « Quiconque n’écoute point l’assemblée soit traité comme un païen et comme un receveur des deniers publics ? » Mais l’Evangile n’ordonna pas qu’on tuât ce païen et ce receveur.
S’est-on fondé sur ces paroles du Deutéronome (2) ? « S’il s’élève un prophète….. et que ce qu’il a prédit arrive ….. et qu’il vous dise : Suivons des dieux étrangers ….. et si votre frère ou votre fils, ou votre chère femme, ou l’ami de votre cœur, vous dit : Allons, servons des dieux étrangers…. Tuez-le aussitôt ; frappez le premier, et tout le peuple après vous. » Mais ni ce jésuite ni ce calviniste ne vous ont dit : Allons, suivons des dieux étrangers.
Le conseiller Dubourg, le chanoine Jehan Chauvin, dit Calvin, le médecin Servet, Espagnol, le Calabrois Gentilis, servaient le même Dieu. Cependant le président Minard fit pendre le conseiller Dubourg ; et les amis de Dubourg firent assassiner Minard ; et Jehan Calvin fit brûler le médecin Servet à petit feu, et eut la consolation de contribuer beaucoup à faire trancher la tête au Calabrois Gentilis ; et les successeurs de Jehan Calvin firent brûler Antoine. Est-ce la raison, la piété, la justice, qui ont commis tous ces meurtres ?
L’histoire d’Antoine est une des plus singulières dont le souvenir se soit conservé dans les annales de la démence. Voici ce que j’en ai lu dans un manuscrit très curieux, et qui est rapporté en partie par Jacob Spon (3). Antoine était né à Brieu (4) en Lorraine, de père et de mère catholiques, et avait étudié à Pont-à-Mousson chez les jésuites. Le prédicant Ferri l’engagea dans la religion protestante à Metz. Etant retourné à Nancy, on lui fit son procès comme à un hérétique ; et si un ami ne l’avait pas fait sauver, il allait périr par la corde. Réfugié à Sedan, on le soupçonna d’être papiste, et on voulut l’assassiner.
Voyant par quelle étrange fatalité sa vie n’était en sûreté ni chez les protestants ni chez les catholiques, il alla se faire juif à Venise. Il se persuada très sincèrement, et il soutint jusqu’au dernier moment de sa vie, que la religion juive était la seule véritable, et que, puisqu’elle l’avait été autrefois, elle devait l’être toujours. Les juifs ne le circoncirent point, de peur de se faire des affaires avec le magistrat, mais il n’en fut pas moins juif intérieurement. Il n’en fit point profession ouverte, et même, étant allé à Genève en qualité de prédicant, il fut premier régent du collège, et enfin il devint ce qu’on appelle ministre.
Le combat perpétuel qui s’excitait dans son cœur entre la secte de Calvin, qu’il était obligé de prêcher, et la religion mosaïque à laquelle seule il croyait, le rendit longtemps malade. Il tomba dans une mélancolie et dans une maladie cruelle ; troublé par ses douleurs, il s’écria qu’il était juif. Des ministres vinrent le visiter, et tâchèrent de le faire rentrer en lui-même ; il leur répondit qu’il n’adorait que le Dieu d’Israël, qu’il était impossible que Dieu changeât, que Dieu ne pouvait avoir donné lui-même et gravé de sa main une loi pour l’abolir. Il parla contre le christianisme ; ensuite il se dédit ; il écrivit une profession de foi pour échapper à la condamnation ; mais après l’avoir écrite, la malheureuse persuasion où il était ne lui permit pas de la signer. Le conseil de la ville assembla les prédicants, pour savoir ce qu’il devait faire de cet infortuné. Le petit nombre de ces prêtres opina qu’on devait avoir pitié de lui, qu’il fallait plutôt tâcher de guérir sa maladie du cerveau que la punir. Le plus grand nombre décida qu’il méritait d’être brûlé, et il le fut. Cette aventure est de 1632 (5). Il faut cent ans de raison et de vertu pour expier un pareil jugement.
1 – Edit de 1724, et édits antérieurs.
2 – Chap. XIII.
3 – Médecin et antiquaire, né à Lyon en 1647, mort en 1685 ; auteur d’une Histoire de la ville et de l’Etat de Genève. (G.A.)
4 – Ou plutôt, Briey. (G.A.)
5 – Jacob Spon, page 500 ; et Gui-Vances.