CANDIDE, ou l'Optimisme - Avertissement
Photo de PAPAPOUSS
CANDIDE, OU L’OPTIMISME.
TRADUIT DE L’ALLEMAND DE M. LE DOCTEUR RALPH,
AVEC LES ADDITIONS QU’ON A TROUVÉES DANS LA POCHE
DU DOCTEUR LORSQU’IL MOURUT À MINDEN, L’AN DE GRÂCE 1759.
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AVERTISSEMENT POUR LA PRÉSENTE ÉDITION.
Nous engageons quiconque voudra lire, ou plutôt relire Candide dans cette édition, à parcourir d’abord la préface du Poème sur le désastre de Lisbonne qu’on trouvera plus loin. C’est un excellent résumé de la question philosophique qui sert de thème au chef d’œuvre de Voltaire.
On sait qu’en 1756 Jean-Jacques Rousseau, se faisant le défenseur de l’optimisme à propos du poème dont nous parlons, avait envoyé aux Délices une longue lettre sur la Providence, et qu’il prétendit plus tard que Candide, écrit plus de deux ans après sa lettre, en avait été la réponse, ‒ réponse, du reste, qu’il ne voulut jamais lire, et devant laquelle ses disciples affectèrent et affectent encore, à l’exemple du maître, de se voiler comme devant un scandale.
Il ne faut pas croire un mot de ce que Rousseau dit là : Voltaire ne songeait pas à sa personne, encore moins à sa lettre, quand il imagina Candide ; et il faut dévorer ce livre feuille à feuille, ligne par ligne, et s’en nourrir fortement l’esprit, car c’est l’ouvrage le plus vrai, le plus sincère, le plus honnête qui fut jamais.
Ce roman, ou plutôt cette épopée, ‒ Candide est l’Odyssée du dix-huitième siècle comme la Pucelle en est l’Iliade (1), ‒ fut composé au moment où Voltaire venait d’achever son Essai sur les mœurs, c’est-à-dire après qu’il eut exploré en détail plus de dix siècles de l’humanité ; au moment où, autour de lui, l’Europe entière était à feu et à sang ; et lorsque lui-même, au bout de quarante-cinq ans d’épreuves et d’agitations de toutes sortes, n’arrivait enfin à saisir le bien-être qu’en s’enfermant dans son jardin des Délices, son paradis, non pour y dormir comme un dieu, mais pour y travailler en homme libre.
Or, Voltaire s’était élancé dans la vie en chantant le Tout est bien que lui avait appris son maître Bolingbroke ; il avait cru que les choses formaient, comme dit Proudhon, une ronde de parfait amour. Mais, à mesure qu’il s’était avancé, qu’il avait vu, qu’il avait étudié, il lui avait fallu, au contraire, constater que dans la société tout n’était encore que bataille. Qu’on juge le cri que dut pousser cette âme affamée de justice. Il fit Candide, lui qui l’avait été si longtemps ! et l’alerte fut telle que tous les béats de ce monde, que tous les abstracteurs de quintessence ne lui ont pas encore pardonné ce rappel qui les troubla dans leurs jouissances et dans leurs rêves.
Le dernier mot de Candide, « Cultive ton jardin, » est le mot de l’avenir. Cultive ton jardin ! c’est-à-dire, travaille, et agis pour produire, et sur tu seras ta providence à toi-même, et tu seras en même temps celle des autres.
Candide a été bien des fois imité, amplifié, rhabillé. Deux ans après l’apparition du vrai Candide, Thorel de Champigneulles publiait une seconde partie qu’on attribuait à Voltaire. En 1766, Linguet éditait la Cacomonade, histoire politique et morale, traduite de l’allemand, du docteur Pangloss, par le docteur lui-même, depuis son retour de Constantinople (ouvrage qui fut condamné) ; puis vinrent : Candide en Danemark ou l’Optimisme des honnêtes gens ; Antoine Bernard et Rosalie, ou le Petit Candide (1796) ; Voyage de monsieur Candide fils au pays d’Eldorado, vers la fin du dix-huitième siècle, pour servir de suite aux Aventures de monsieur son père (1803) ; le Carnaval de Venise, imitation du chapitre XXVI, par Lemontey (1815). ‒ Au théâtre ce fut : Léandre-Candide, ou les Reconnaissances, comédie-parade, par Piis et Barré (1784) ; Candide marié, ou Il faut cultiver son jardin, comédie par Radet et Barré (1788) ; le Petit Candide, ou l’Ingénu, comédie, par Sewrin et Chazet (1809) ; Candide à Venise, comédie, par Doigny de Ponceau (1826). Enfin hier encore, un journal se baptisait Candide. En vérité, Candide est immortel.
Georges AVENEL.
1 – « Nos vrais poèmes sociaux, nos révélations révolutionnaires, a dit Proudhon, sont Pantagruel, Roland furieux, Don Quichotte, Gil Blas, Candide, et, toute licence à part, la Pucelle. » (G.A.)