ARTICLE DE JOURNAUX : Sur les Œuvres de Maupertuis

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ARTICLES DE JOURNAUX.

 

 

 

 

 

SUR LES ŒUVRES DE M. DE MAUPERTUIS.

 

 

 

Les œuvres de M. de Maupertuis, à Dresde, 1752, in-4° de quatre cent quatre pages : une Epître dédicatoire, et une Préface, qui en font vingt-deux.

 

C’est un recueil de plusieurs dissertations dont quelques-unes avaient déjà été reçues favorablement. La première est un Essai de Cosmologie – Bibliothèque raisonnée, troisième trimestre, 1752.

 

(1).

 

 

 

___________

 

 

 

Il y a au-devant de ce petit Traité de cosmologie un correctif qui a paru nécessaire à l’auteur. Le Traité roule principalement sur deux points. Le premier infirme les preuves de l’existence de Dieu les plus naturelles ; et dans le second on recherche la preuve de cet Etre suprême dans une loi de réfraction. Il est clair qu’il y a plus de lecteurs capables de sentir cette foule d’arguments, par lesquels la nature démontre son maître à tous les sens, qu’il n’y en a qui puissent le reconnaître dans une formule d’algèbre. C’eût été rendre problématique une vérité si importante et si nécessaire aux hommes, que d’ébranler la force des témoignages les plus reçus, et de ne réserver la certitude d’un Etre souverain qu’à un problème. L’auteur a donc fait sagement de prévenir les reproches que quelques lecteurs pouvaient lui faire.

 

Il est difficile d’être de son avis, quand il combat les preuves de l’existence de Dieu, qui ont paru si fortes à Newton et à tant d’autres philosophes. Newton voyait, ainsi que Platon, dans toute la nature un but et des moyens ; moyens uniformes dans les êtres de même espèce ; moyens variés dans les autres genres, moyens infinis dans l’étendue immense des choses.

 

On est étonné qu’un philosophe comme l’auteur se serve du terme de hasard, que la saine philosophie a proscrit il y a longtemps.

 

On n’est pas moins surpris qu’il cherche à avilir cette divine industrie, qui préside à la formation des insectes. « Tout cela, dit-il, aboutit à produire un insecte immonde, que le premier oiseau dévore, ou qui tombe dans les filets d’une araignée. » Il n’a pas pensé que ces animaux destinés en partie à la pâture des autres, sont certainement un moyen de conserver l’espèce qui s’en nourrit ; un moyen qui prouve un choix, qui par conséquent annonce la puissante intelligence qui a fait ce choix ; et ce moyen ne peut être l’effet du hasard, le hasard n’étant qu’un mot vide de sens.

 

L’auteur, après avoir plaint les mouches d’être mangées par les araignées, plaint ensuite les hommes de ce que les « mers couvrent la moitié de la terre, et qu’on y voit des rochers escarpés, etc. » Il aurait dû se souvenir qu’il est démontré que ces mers servent à fournir toute l’eau qui s’en évapore, et qui retombe ensuite sur cette chaîne de rochers, réservoirs perpétuels de toutes les sources de rivières qui arrosent et fertilisent la terre. « Examinez, dit-il ensuite, les mœurs de ceux qui l’habitent ; vous trouverez le mensonge, le meurtre, le vol, et partout les vices plus communs que la vertu. »

 

Cette ancienne objection tant rebattue n’a pas tant de force que plusieurs personnes l’ont cru. Il est très faux qu’il soit plus commun d’être volé et assassiné que de jouir en liberté de son bien et de sa vie. Parcourez mille villages, vous ne trouverez pas dix meurtres et dix vols dans un siècle. Il ne se commet pas à Londres, à Rome, à Constantinople, à Paris, dix meurtres par an. Il y a des années où il ne s’en commet point du tout. Les guerres sont ce qu’il y a de plus fatal après les grandes pestes ; mais sur cent millions d’habitants au moins, dont l’Europe est peuplée, la guerre ne fait pas périr en un siècle, parmi les mâles, la trentième partie des cent millions, qui chaque année se renouvellent. Quand on examine ces lieux communs avec des yeux attentifs, on voit qu’en effet il y a beaucoup plus de bien que de mal sur la terre (2). On voit évidemment que ces reproches, faits de tout temps à la Providence, ne viennent que du plaisir secret que les hommes ont de se plaindre, et qu’ils sont plus frappés des maux qu’ils éprouvent que des avantages dont ils jouissent. L’histoire, qui est pleine d’événements tragiques, contribue d’ordinaire beaucoup à favoriser l’idée qu’il y a incomparablement plus de mal que de bien ; mais on ne fait pas réflexion que l’histoire n’est que le tableau des grands événements, des querelles des rois et des nations. Elle ne tient point compte de l’état ordinaire des hommes. Cet état ordinaire est l’ordre et la sûreté dans la société. Il n’y a point de ville au monde qui n’ait été vingt fois plus longtemps tranquille que troublée de séditions. Il y a plus de cent ans qu’il n’y a eu de sédition à Paris. Depuis Charles-Quint, Rome n’a point souffert. Le vaste empire de la Chine est entièrement paisible depuis plus d’un siècle. L’intérieur de Venise a été mille ans tranquille.

 

Cette ancienne question épuisée du mal moral et du mal physique ne devrait être traitée qu’en cas qu’on eût des choses nouvelles à dire. Mais remarquons qu’elle n’attaque point l’intelligence suprême : elle attaque l’idée que nous nous faisons de sa bonté. L’auteur, en examinant succinctement les opinions qui justifient la bonté du Créateur, omet la plus digne observation, et la plus philosophique. La voici : c’est que, dans l’ordre et dans la chaîne infinie des êtres créés, il faut qu’il se trouve un être tel que l’homme : or si dans cette chaîne infinie l’homme doit être tel qu’il est aujourd’hui, quel reproche peut-on faire à la Divinité ?

 

Enfin l’auteur, après avoir trop sommairement jeté des doutes sur les preuves les plus palpables de la Providence, traite la cosmologie plus sommairement encore en un seul chapitre. Il vient ensuite au choc des corps, et à l’action par laquelle la lumière passe d’un milieu dans un autre. Il se sert de la découverte de Newton, qui le premier a vu cette inflexion singulière des rayons (3). Il n’est pas assurément démontré, et Newton n’a jamais cru que ces rayons s’infléchissent, parce que la nature y emploie la moindre action possible. Le fait tient à une autre cause qui allonge le temps et le chemin de la lumière. Cependant l’auteur prétend qu’on trouve évidemment dans ce phénomène le principe de la moindre action possible ; et il prétend que cette moindre action possible est une loi mathématique générale de son invention. C’est sur cette loi générale mathématique qu’il fonde l’existence de Dieu.

 

Il est difficile de concilier cette prétendue loi avec la profusion qu’on remarque dans toutes les opérations de la nature. Cette loi paraît même directement opposée à l’effet qui arrive dans le chemin, et le temps allongé que prend un rayon de lumière dans la réfraction. Enfin si cette loi a quelque vraisemblance, elle ne serait que l’ancien axiome, que la nature agit toujours par les voies les plus simples.

 

Mais ce qu’il est très important d’observer, c’est que rien ne serait plus capable de jeter des doutes sur le dogme si vrai et si nécessaire de l’existence d’un Dieu infiniment sage et infiniment juste, que de réduire toutes les preuves morales et physiques de cette vérité à une formule algébrique. Un théorème géométrique est une vérité nécessaire. Les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits, parce que la chose ne peut être autrement. Or la nécessité des choses est précisément l’opposé d’un Dieu infiniment puissant et infiniment libre. Ce qui est nécessaire exclut un choix. C’est dans ce choix des moyens que le grand géomètre Newton trouvait une des convictions des plus frappantes de l’existence de l’Etre créateur et gouverneur. Il serait à souhaiter que l’auteur eût plus corrigé qu’il n’a fait cet Essai de cosmologie, trop superficiel d’ailleurs pour instruire, et dans lequel il y a trop de vérités combattues, des assertions hasardées, et pas assez de clarté.

 

Cet Essai est suivi d’un Discours sur les différentes figures des astres, qui avait déjà paru, et dont l’auteur a sagement retranché des propositions trop peu vraisemblables sur l’idée qu’il s’était faite de quelques étoiles qu’il faisait ressembler à des meules de moulin. Ce petit traité, purgé de ces singularités qui l’avaient décrié, est plein de connaissances physiques. On voit que l’auteur est très instruit. Nous n’entrerons point dans le détail de cet ouvrage, parce que toutes ces choses sont connues, et enseignées dans toutes les académies de l’Europe.

 

Le Voyage au cercle polaire vient après le Discours sur les astres. C’est un ouvrage bien fait, curieux et instructif, dont on a déjà rendu compte plusieurs fois ; et nous pouvons avancer que ce voyage est le meilleur traité de ce recueil.

 

Les Eléments de géographie sont bien inférieurs à ce voyage. Ils paraissent mal intitulés, Eléments de géographie ; ce sont des Eléments de la sphère. On désirerait qu’ils fussent plus approfondis, et que l’auteur eût plus profité de Keill et de Grégori (4). Cependant, comme ces Eléments ont rapport à la figure de la terre, il y a des chapitres intéressants. On a écrit tant de livres sur ces matières, qu’il est bon d’avertir en général les auteurs, que ce n’est pas assez de dire ce que le public sait déjà, et qu’il n’est utile d’écrire que des choses neuves. Un homme est instruit des principes de la géométrie : mais à quoi bon apprendre au public qu’il en est instruit ? Nous ne faisons pas cette réflexion pour l’auteur des Eléments, mais en général pour tous ceux qui font imprimer ce qu’on a déjà dans tant de volumes.

 

La Lettre sur la comète serait peut-être dans ce cas d’inutilité, si ce n’était pas un ouvrage où l’auteur a cherché à répandre des agréments. Ce n’est ni une histoire, ni une explication des comètes. L’auteur se sert, dans ce petit ouvrage, du privilège qu’on a dans ces lettres, de ne dire que ce qu’on veut, et d’effleurer les sujets. Il a cru être en droit d’imiter le style de M. de Fontenelle : « Une comète pourrait nous voler notre lune ; les comètes pourraient porter leurs attentats jusqu’au soleil ; un tempérament mal à propos robuste, » et d’autres expressions pareilles, sont de ce style familier que le genre épistolaire admet, mais dont on doit se garder dans les lettres qu’on écrit au public.

 

La Vénus physique, qui suit, est plus extraordinaire encore que le système des astres changés en meules de moulin. C’est par l’attraction, selon lui, que l’homme se forme dans le ventre de la mère. Un pied gauche attire un pied droit, qui vient se placer au bout de la jambe. L’œil droit attire l’œil qui vient se mettre à gauche. A ces imaginations singulières l’auteur joint des questions qui ne le sont pas moins. Il demande si ce n’est pas un certain instinct, une certaine harmonie préétablie, qui préside à l’union des petites parties du fœtus ; si cet instinct n’appartient pas dans le fœtus à un seul atome à l’exclusion de tous les autres.

 

Cette brochure est d’ailleurs écrite dans un style qui tantôt imite celui de M. de Fontenelle, tantôt celui de l’auteur du Temple de Gnide (5). « J’aimerais mieux, dit-il en parlant des nègres, m’occuper du réveil d’Iris, mille plaisirs précèdent le dernier plaisir Celle qui l’a charmé s’enflamme du même feu dont il brûle. L’amant heureux parcourt avec rapidité les beautés dont il est ébloui. Il est déjà parvenu à l’endroit le plus délicieux. » Enfin c’est souvent ce qu’a dit Venette dans le Tableau de l’amour considéré dans l’état du mariage. Mais ce que personne n’avait jamais imaginé, c’est d’envier en amour le sort des crapauds et des colimaçons. On s’en était tenu jusqu’ici aux moineaux et aux tourterelles. L’auteur a voulu apparemment prévenir par ces images dégoûtantes les effets de ses idées licencieuses.

 

Il y a une remarque à faire sur ce petit écrit  c’est que l’auteur semble y douter du système qu’il a avancé dans sa cosmologie. « Il ne sait pas, dit-il, lequel fait le plus d’honneur à la nature, d’une économie précise ou d’une profusion superflue. » Peut-être ces systèmes qui se contredisent, ce mélange du style de roman avec la physique, ces peintures plus grossières que voluptueuses, feraient peu d’honneur à la philosophie, si tout cela n’était pas regardé avec juste raison comme un délassement d’esprit plutôt que comme des ouvrages sérieux.

 

L’auteur fait succéder à cette Vénus trop peu physique et trop indécente, des Discours académiques, qui sont des espèces de compliments, lesquels ne sont pas susceptibles d’extrait. Nous dirons  seulement qu’on retrouve toujours un esprit philosophique dans ces discours.

 

Après cela vient une Relation d’un voyage dans la Laponie. Il rapporte une inscription indéchiffrable trouvée sur une pierre. Il dit que cette inscription a probablement l’avantage d’être la plus ancienne de l’univers. Nous ne voyons pas sur quel fondement. L’auteur soupçonne que la Laponie a pu être autrefois sous un autre climat, par les grands changements qui ont pu arriver à la terre. Quand cela serait, pourquoi cette inscription serait-elle la plus ancienne de toutes ? Il n’y a d’ailleurs dans ce voyage rien qui pique la curiosité.

 

On lit ensuite une Lettre sur les progrès des sciences. Le projet est bien louable, les moyens sont un peu difficiles. Il veut qu’on envoie les vaisseaux précisément sous le pôle ; le voyage est hasardeux. Il propose qu’on fasse des cavités dans la terre plus profonde que les pyramides ne sont hautes ; qu’on établisse une ville où tout le monde parle latin ; qu’on tâche de former des espèces nouvelles : il révoque en doute l’existence des jumarts, quoiqu’on ait vu plusieurs de ces animaux. Il voudrait qu’on accouplât des taureaux et des ânesses ; mais c’est un âne dont il s’agit, et qui produit le jumart avec la vache, comme il produit le mulet avec la jument.

 

Après avoir proposé ces expériences sur les corps, il en propose sur les esprits. Il a recours aux songes pour mieux connaître la nature de l’âme, et il pense qu’avec de l’opium on peut parvenir à mieux démêler la manière dont se forment les idées. Ce projet est rare. L’âme ressemblerait-elle à ces poissons qu’on endort pour les prendre ? De là il veut qu’on examine les cerveaux des Patagons, qui ont, dit-il, douze pieds de haut. Il nous semble que d’habiles anatomistes-géomètre ont fait voir que des hommes de cette taille ne pourraient exécuter les mouvements de nos corps. Connaître l’âme avec de l’opium, et disséquer des têtes de géants, sont assurément des moyens nouveaux pour l’avancement des sciences. On pourrait mettre ces projets à côté de ceux de M. Caritidès, et ce serait encore à Caritidès qu’on ferait tort.

 

Ce projet est suivi de Réflexions philosophiques sur l’origine des langues. L’auteur aurait dû dire plutôt sur l’origine des idées ; car il n’est point parlé dans cet écrit de la manière dont les divers temps des verbes, les conjugaisons, les déclinaisons, les substantifs, les adjectifs, qui font le fondement de toutes les langues, se sont établis. L’ouvrage est obscur ; et nous n’avons pu découvrir ni l’ordre, ni le but, ni l’utilité de cette dissertation.

 

L’auteur introduit des signes à la place des mots, et une espèce d’algèbre à la place des phrases. Il suppose, par exemple, qu’un homme qui verrait la mer pour la première fois, exprimerait cette idée par un R, et la vue d’un arbre par un A, et celle d’un cheval par un B ; et qu’ensuite lorsqu’il se souviendrait d’avoir vu un cheval, un arbre, et la mer, il se servît d’autres signes.

 

On ne voit pas ce qu’on gagnerait à cette étrange manière de s’exprimer ; et il n’est ni dans la nature, ni dans la raison de changer le signe de la chose qu’on a vue, pour dire qu’on se souvient de l’avoir vue. Ce serait un moyen sûr de n’être entendu de personne, et de ne s’entendre pas soi-même.

 

On peut dire hardiment que de telles hypothèses sont l’abus de la philosophie. C’est vouloir inutilement embrouiller les idées les plus simples et les plus communes.

 

Tout le monde sait assez ce que c’est que la mémoire et le ressouvenir. L’auteur les appelle des « perceptions, qui, au lieu de différer par leurs parties, ne diffèrent que par une espèce d’affaiblissement dans le tout. » Quel est l’homme qui reconnaîtrait la mémoire à une définition si bizarre ? En vérité il est permis de dire que le précepteur du bourgeois gentilhomme, qui lui enseigne qu’on fait la moue en prononçant un U, dit quelque chose de plus raisonnable et de plus intelligible.

 

La formation des langues tient sans doute à une logique et à une métaphysique naturelle dont les premiers principes sont dans tous les hommes. C’est par cette raison qu’ils ont tous distingué les temps, les cas, les choses générales, les particulières, les positives, les abstraites. Si on veut s’instruire sur cette matière, il faut lire ce que Locke en dit dans son Essai sur l’entendement humain.

 

L’auteur de la petite dissertation dont nous rendons compte, sur l’Origine des langues, aurait dû s’exprimer dans la sienne avec plus d’exactitude et de clarté. Il se sert toujours du mot de verdeur pour exprimer le vert, mais la verdeur n’est jamais employée en ce sens ; de même qu’on ne dit point rougeur pour exprimer la couleur rouge, ni grisaille pour exprimer la couleur grise. Il y a plusieurs autres fautes de langage auxquelles nous ne nous arrêtons pas.

 

Le dernier des ouvrages que contient ce recueil, est un Essai de philosophie morale. Nous craignons qu’il n’y ait encore plus de bizarrerie que de morale et de philosophie.

 

Il s’agit du bonheur et du malheur. Le sujet est intéressant ; mais il cesse de l’être, dès qu’on veut le traiter en lemmes et théorèmes. On courrait risque de faire mauvaise chère, si on recommandait à son cuisinier de faire rôtir une poularde en raison composée des tours de broche et de l’intensité du feu. La géométrie est faite  pour mesurer des espaces, et non pour évaluer des sentiments. Il n’en est pas des affections de notre âme comme d’un compte d’arithmétique. L’auteur se trompe bien étrangement quand il dit : « Si les sommes des biens et des maux sont égales, on ne peut appeler celui auquel est tombé un tel partage, heureux ni malheureux. Le néant vaut son être. » Cette proposition est vraie en algèbre ; et il est certain que le bien d’un homme qui doit autant qu’il a, est égal à zéro ; mais il n’en est pas de même d’un homme qui a senti également le plaisir et la peine. Son âme n’en existe pas moins, au lieu que la fortune de l’autre n’existe pas. Ce n’est point à de pareils calculs que le cœur humain est soumis. Ce n’est pas assez de mettre dans la balance des portions égales de plaisirs et de peines (s’il en est) ; il faut y joindre l’attachement naturel à la vie, et surtout l’espérance. Il faut songer qu’un plaisir présent l’emporte sur toutes les peines passées. Il faut songer que le bonheur et le malheur n’est point une somme de sentiments qu’on a éprouvés, mais le sentiment que l’on éprouve dans le moment présent.

 

La vraie philosophie consiste à regarder l’homme comme une machine animée, que Dieu conduit à son but par l’attrait du plaisir, et par la crainte de la douleur. C’est  être déclamateur, et non philosophe, que de regarder l’homme en général comme plus sujet à la douleur qu’au plaisir. Si on voulait être juste, on conviendrait que les sensations agréables font une partie de notre nature ; qu’elles sont attachées à l’usage continuel de nos sens ; et que la douleur n’est jamais qu’un accident. Il est vrai que ces accidents sont très communs, et c’est surtout notre faute. Par exemple, la nature a attaché un plaisir très réel à prendre la nourriture nécessaire pour le soutien de notre vie ; et c’est presque toujours notre faute, quand ce plaisir nous cause des maladies. L’usage de nos yeux est un plaisir continuel : en un mot, toutes les fonctions de nos sens sont autant de bienfaits du Créateur. Il n’entre naturellement aucune sensation de douleur dans l’exercice de nos facultés. Nous sommes donc universellement heureux par notre nature, et uniquement malheureux par accident.

 

Quelque grands, quelque innombrables que soient ces accidents, la nature leur fournit un contre-poids, qui est l’espérance ; voilà pourquoi, sur cent mille personnes, il n’y en a pas deux qui désirent sérieusement sortir de la vie.

 

Il semble que l’auteur cherche à confondre les idées les plus connues. Il regarde l’ambition comme un plaisir du corps, et dans les plaisirs de l’âme il ne compte pas l’amitié.

 

Après avoir proposé de se tuer, pour éviter les accidents de cette vie, l’auteur propose aussi le christianisme. Il examine la vérité de la religion chrétienne ; mais après avoir prouvé Dieu par l’algèbre, il croit que la religion n’est pas rigoureusement démontrable Il dit aussi que les dogmes de cette religion ne sont pas impossibles, et il finit par souhaiter le bonheur éternel (3).

 

ARTICLE DE JOURNAUX - OEUVRES DE MAUPERTUIS

 

1 – Cet article n’a encore été admis jusqu’ici que dans l’édition de M. Beuchot. (G.A.)

 

2 – On ne croirait pas entendre là le prochain auteur de Candide. (G.A.)

 

3 – Voyez encore sur Maupertuis, tome VI, FACÉTIES, la Diatribe du docteur Akakia. (G.A.)

 

3 – L’auteur de cet Extrait ne paraît pas s’être donné la peine d’examiner les matières auxquelles il touche dans l’endroit cité. M. de Maupertuis ne se sert point de la découverte de Newton pour déterminer la loi de la réfraction des rayons de lumière. Et dans toute cette matière il n’est pas question de l’inflexion des rayons, qui est tout autre chose. Il aurait donc dû tourner sa critique tout autrement, et dire, par exemple : Il se sert de la découverte de Leibnitz, qui, le premier, a appliqué le calcul des plus grandes et des moindres quantités, et la considération de la cause finale pour déterminer la loi de la réfraction. (Bibliothèque raisonnée.)

 

4 – L’un est auteur de l’Examen de la théorie de la terre, 1698 ; l’autre d’un traité d’astronomie : Astronomiœ phisicœ et géometricœ elementa,1702. (G.A.)

 

5 – Montesquieu. (G.A.)

 

 

 

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