CORRESPONDANCE : Catherine II et Voltaire - Partie 6

Publié le par loveVoltaire

Photo de KHALAH

 

 

 

 

 

 

 

 

 

38 - DE L’IMPERATRICE.

 

 

 

 

 

 

A Pétersbourg, le 20/31 Mars 1770.

 

 

            Monsieur, j’ai reçu, il y a trois jours, votre lettre du 10 de mars. Je souhaite que celle-ci trouve votre santé tout à fait rétablie, et que vous parveniez à un âge plus avancé que celui de Mathusalem. Je ne sais pas au juste si les années de cet honnête homme avait douze mois, mais je veux que les vôtres en aient treize, comme l’année de la liste civile en Angleterre.

 

         Vous verrez, monsieur, par la feuille ci-jointe, ce que c’était que notre campagne d’été et celle d’hiver, sur le compte desquelles je ne doute point qu’on ne débite mille faussetés. C’est la ressource d’une cause faible et injuste que de faire flèche de tout bois. Les gazettes de Paris et de Pologne ayant mis sur notre compte tant de combats perdus, et l’évènement leur ayant donné le démenti, elles se sont avisées de faire mourir mon armée par la peste. Ne trouvez-vous pas cela très plaisant ? Au printemps apparemment les pestiférés ressusciteront pour combattre. Le vrai est qu’aucun des nôtres n’a eu la peste.

 

         Je ne puis qu’être très sensible à votre amitié, monsieur ; vous voudriez armer toute la chrétienté pour m’assister. Je fais grand cas de l’amitié du roi de Prusse ; mais j’espère que je n’aurai pas besoin des cinquante mille hommes que vous voulez qu’il me donne contre Moustapha (1).

 

         Puisque vous trouvez trop fort le compte de trois cent mille hommes, à la tête desquels on prétend que le sultan marchera en personne, il faut que je vous parle de l’armement turc de l’année passée ; il vous fera juger de ce fantôme selon sa vraie valeur. Au mois d’octobre, Moustapha trouva à propos de déclarer la guerre à la Russie ; il n’y était pas plus préparé que nous. Lorsqu’il apprit que nous nous défendions avec vigueur, cela l’étonna ; car on lui avait fait espérer que des différentes provinces de son empire, un million cent mille hommes se rendraient à Andrinople pour prendre Kiovie, passer l’hiver à Moscou, et écraser la Russie.

 

         La Moldavie seule eut ordre de fournir un million de boisseaux de grains pour l’armée innombrable des musulmans. Le hospodar répondit que la Moldavie, dans l’année la plus fertile, n’en recueillait pas tant, et que cela lui était impossible. Mais il reçut un second commandement d’exécuter les ordres donnés ; et on lui promit de l’argent.

 

         Le train d’artillerie pour cette armée était à proportion de la multitude. Il devait consister en six cents pièces de canon, qu’on assigna des arsenaux ; mais lorsqu’il s’agit de les mettre en mouvement, on laissa là le plus grand nombre, et il n’y eut qu’une soixantaine de pièces qui marchèrent. Enfin, au mois de mars, plus de six cent mille hommes se trouvèrent à Andrinople ; mais comme ils manquaient de tout, la désertion commença à s’y mettre. Cependant le vizir passa le Danube avec quatre cent mille hommes. Il y en avait cent quatre-vingt mille sous Chouzin, le 28 d’auguste. Vous savez le reste. Mais vous ignorez peut-être que le vizir repassa, lui septième, le pont du Danube, et qu’il n’avait pas cinq mille hommes lorsqu’il se retira à Balada. C’était tout ce qui lui restait de cette prodigieuse armée. Ce qui n’avait pas péri s’était enfui, dans la résolution de retourner chez soi.

 

         Notez, s’il vous plaît, qu’en allant et venant, ils pillaient leurs propres provinces, et qu’ils brûlèrent les endroits où ils trouvèrent de la résistance. Ce que je vous dis est vrai ; et j’ai plutôt diminué qu’augmenté les choses, de peur qu’elles ne parussent fabuleuses.

 

         Tout ce que je sais de ma flotte, c’est qu’une partie est sortie de Mahon, et qu’une autre (2) va quitter l’Angleterre où elle a hiverné. Je crois que vous en aurez plus tôt des nouvelles que moi. Cependant je ne manquerai pas de vous faire part, en son temps, de celles que je recevrai, avec d’autant plus d’empressement que vous le souhaitez.

 

         Vous me priez, monsieur, d‘achever incessamment et la guerre et les lois, afin que vous en puissiez porter la nouvelle à Pierre-le-Grand dans l’autre monde : permettez que je vous dise que ce n’est pas le moyen de me faire finir de sitôt. A mon tour, je vous prie bien sérieusement de remettre cette partie le plus longtemps que faire se pourra ; Ne chagrinez pas vos amis de ce monde, pour l’amour de ceux qui sont dans l’autre. Si là-bas, ou là-haut, chacun a le choix de passer son temps avec telle compagnie qu’il lui plaira, j’y arriverai avec un plan de vie tout prêt, et composé pour ma satisfaction. J’espère bien d’avance que vous voudrez m’accorder quelques parts d’heure de conversation dans la journée. Henri IV sera de la partie, Sully aussi, et point Moustapha.

 

         Je vois toujours avec bien du plaisir le souvenir que vous avez de ma mère, qui est morte bien jeune, et à mon grand regret.

 

         Soyez assuré, monsieur, de tous les sentiments que vous  me connaissez, et de l’estime distinguée que je ne cesserai d’avoir pour vous. Catherine.

 

 

1 – Lettre à Frédéric de Novembre 1769, communiquée à Catherine. (G.A.)

 

2 – Cette seconde escadre était commandée par l’Ecossais Elphinston. (G.A.)

 




 

39 - DE VOLTAIRE.

 

A Ferney, 10 Avril.

 

 

         Madame, mon enthousiasme a redoublé par la lettre du premier mars, dont votre majesté impériale a daigné m’honorer. Il n’y a point de prêtre grec qui soit plus enchanté de votre supériorité continuelle sur les circoncis, que moi misérable baptisé dans l’Eglise romaine. Je me crois né dans les anciens temps héroïques, quand je vois une de vos armées au-delà du Caucase, les autres sur les bords du Danube, et vos flottes dans la mer Egée. Je plains fort le hospodar de la Moldavie. Ce pauvre Gète n’a pas joui longtemps de l’honneur de voir Thomyris. Pour le hospodar de la Valachie, puisqu’il a de l’esprit, restera à votre cour.

 

         Il ne reste plus d’autre ressource à vos ennemis que de mentir.

 

         Les gazetiers ressemblent à M. de Pourceaugnac, qui disait : Il m’a donné un soufflet, mais je lui ai bien dit son fait.

 

         Je m’imagine très sérieusement que la grande armée de votre majesté impériale sera dans les plaines d’Andrinople au mois de juin. Je vous supplie de me pardonner si j’ose insister encore sur les chars de Thomyris,. Ceux qu’on met à vos pieds sont d’une fabrique toute différente de ceux de l’antiquité. Je ne suis point du métier des homicides. Mais hier deux excellents meurtriers allemands m’assurèrent que l’effet de ces chars était immanquable dans une première bataille, et qu’il serait impossible à un bataillon ou à un escadron de résister à l’impétuosité et à la nouveauté d’une telle attaque. Les Romains se moquaient des chars de guerre, et ils avaient raison ; ce n’est plus qu’une mauvaise plaisanterie quand on y est accoutumé ; mais la première vue doit certainement effrayer, et mettre tout en désordre. Je ne sais d’ailleurs rien de moins dispendieux et de plus aisé à manier. Un essai de cette machine, avec trois ou quatre escadrons seulement, peut faire beaucoup de bien sans aucun inconvénient.

 

         Il  y a très grande apparence que je me trompe, puisqu’on n’est pas de mon avis à votre cour ; mais je demande une seule raison contre cette invention. Pour moi, j’avoue que je n’en vois aucune.

 

         Daignez encore faire examiner la chose ; je ne parle qu’après les officiers les plus expérimentés. Ils disent qu’il n’y a que les chevaux de frise qui puissent rendre cette manœuvre inutile ; car pour le canon, le risque est égal des deux côtés ; et après tout, on ne hasarde de perdre, par escadron, que deux charrettes, quatre chevaux, et quatre hommes.

 

         Encore une fois, je ne suis point meurtrier ; mais je crois que je le deviendrais pour vous servir.

 

         Il y a quinze jours que les officiers du régiment de Montfort que j’avais engagés à servir votre majesté impériale, ont pris parti : les uns sont rentrés au service savoyard, les autres sont allés en France ; il y en a un qui a l’honneur d’être capitaine dans l’armée de Genève, consistant en six cents hommes. Genève est actuellement le théâtre de la plus cruelle guerre en deça du Rhin. Il y a eu même quatre personnes assassinées par derrière, dans l’Eglise militante de Calvin. Je m’imagine que dorénavant l’Eglise grecque en usera ainsi, et qu’elle ne verra plus que le dos des musulmans ; en ce cas, les chars ne seront bons qu’à courir après eux.

 

         Je me mets aux pieds de votre majesté, comme le hospodar de Valachie, et j’envie sa destinée.

 

         Que votre majesté impériale daigne toujours agréer le profond respect, la reconnaissance, et l’admiration du vieil ermite de Ferney.

 

         J’ai reçu une belle lettre de M. le comte de Schouvalof votre chambellan ; mais il ne me dit point le jour où votre cour sera dans Stamboul..

 

 

 

 

40 - DE VOLTAIRE.

 

A Ferney, ce 18 Mai.

 

 

         Madame, les glaces de mon âge me laissent encore quelque feu ; il s’allume pour votre cause. On est un peu Moustapha à Rome et en France ; je suis Catherin, et je mourrai Catherin. La lettre dont votre majesté impériale daigne m’honorer, du 31 mars, me comblait de joie ; les nouvelles qu’on répand aujourd’hui m’accablent d’affliction.

 

         On parle de vicissitudes, et je n’en voulais pas ; on dit que les Turcs ont repassé le Danube en force, et qu’ils ont repris la Valachie ; il faudra donc les battre encore : mais c’était dans les plaines d’Andrinople que je voulais une victoire ; ils envoient, dit-on, une flotte dans la Morée. On ajoute que les Lacédémoniens sont en petit nombre ; enfin on me donne mille inquiétudes. Pour toute réponse, je maudis Moustapha et je prie la sainte Vierge de secourir les fidèles. Je suis sûr que vos mesures sont bien prises en Grèce, que l’on a donné des armes aux Spartiates, que les Monténégrins se joignent à eux, que la haine contre la tyrannie turque les anime, que vos troupes, marchant à leur tête, les rendront invincibles.

 

         Pour les vénitiens, ils joueront votre jeu, mais quand vous aurez gagné la partie.

 

         Si l’Egypte a secoué le joug de Moustapha, je ne doute pas que votre majesté n’ait quelque part à cette révolution ; celle qui a pu faire venir des flottes de la Néva dans la péloponèse aura bien envoyé un habile négociateur dans le pays des Pyramides. La mer Noire doit être couverte de vos saïques ; ainsi Stamboul peut ne recevoir de vivres ni de l’Egypte, ni de la Grèce, ni du Voncara d’Enghis. Vous assaillez ce vaste empire depuis Colchos jusqu’à Memphis. Voilà mes idées ; elles sont moins grandes que ce que votre majesté a fait jusqu’ici. Le revers annoncé de la Valachie m’ôte le sommeil, sans m’ôter l’espérance : le roman des chars de Cyrius me plaît toujours, dans un terrain sec comme les plaines d’Andrinople et le voisinage de Stamboul.

 

         Je ne trouve point que les tableaux genevois soient trop chers, je trouve seulement votre majesté impériale généreuse ; mais j’oserais désirer cent capitaines de plus, au lieu de cent tableaux. Je voudrais que tout fût employé à vous faire triompher, et que vous achevassiez votre code, plus beau que celui de Justinien, dans la ville où il le signa. Si votre majesté veut me rendre la santé et prolonger ma vie, je la conjure de vouloir bien me faire parvenir quelque bonne nouvelle, qui ne plaira pas à frère Ganganelli (1), mais qui réjouira beaucoup le capucin de Ferney, tout prêt à étrangler les Turcs avec son cordon.

 

         Je redouble mes vœux ; mon âme est aux pieds de votre majesté impériale.

 

 

1 – Le pape Clément XIV. (G.A.)

 

 

 

 

41 - DE L’IMPERATRICE.

 

Le 9/20 Mai.

 

 

            Monsieur, vos deux lettres, la première du 10, et la seconde du 14 d’avril, me sont parvenues l’une après l’autre, avec leurs incluses. Tout de suite j’ai commandé deux chars selon le dessin et la description que vous avez bien voulu m’envoyer et dont je vous suis bien obligée. J’en ferai faire l’épreuve en ma présence, bien entendu qu’ils ne feront mal à personne dans ce moment-là. Nos militaires conviennent que ces chars feraient leur effet contre des troupes rangées : ils ajoutent que la façon d’agir des Turcs, dans la campagne passée, était d’entourer nos troupes en se dispersant, et qu’il n’y avait jamais un escadron ou un bataillon ensemble. Les janissaires seuls choisissaient des endroits couverts, comme bois, chemins creux, etc., pour attaquer par troupes, et alors les canons font leur effet. En plusieurs occasions nos soldats les ont reçus à coups de baïonnette, et les ont fait rétrograder.

 

         Vous avez raison, monsieur, l’Eglise grecque voit jusqu’ici partout le dos des musulmans, et même en Morée. Quoique je n’aie point encore de nouvelles directes de ma flotte, cependant les nouvelles publiques répètent tant qu’elle s’est emparée du Péloponèse, qu’à la fin il faudra bien croire qu’il en est quelque chose. La moitié de la flotte n’y était point encore, lorsque la descente s’est faite.

 

         Soyez assuré, monsieur, que je fais un cas infini de votre amitié, et des témoignages réitérés que vous m’en donnez. Je suis très sensible encore à la part que vous prenez à cette guerre, qui finira comme elle pourra. Nous aurons affaire à Moustapha de près ou de loin, comme la Providence le jugera à propos.

 

         Quoi qu’il en soit, je vous prie d’être persuadé que Caterine II ne cessera jamais d’avoir une estime et une considération particulière pour l’illustre ermite de Ferney.

 

 

 

42 - DE L’IMPERATRICE.

 

Le 16/27 Mai.

 

 

            Monsieur, un courrier parti de devant Coron en Morée, de la part du comte Féodor Orlof, m’a apporté l’agréable nouvelle qu’après que ma flotte eut abordé, le 17 février à Porto-Vitello, mes troupes se joignirent aux Grecs, qui désiraient recouvrer leur liberté.  Ils se partagèrent en deux corps, dont l’un prit le nom de légion orientale de Sparte ; et le second, celui de légion du nord de Sparte. La première s’empara, dans peu de jours, de Passava, de Berdoni, et de Misistra, qui est l’ancienne Sparte. La seconde s’en alla prendre Calamala, Léontari, et Arcadie. Ils firent quatre mille prisonniers Turcs dans ces différentes places, qui se rendirent après quelque défense ; celle de Misistra surtout fut plus sérieuse que les autres.

 

         La plupart des villes de la Morée sont assiégées. La flotte s’était portée de Porto-Vitello à Coron ; mais cette dernière ville n’était point prise encore le 29 de mars, jour du départ du courrier. Cependant on en attendait si bien la réduction dans peu, qu’on avait déjà dépêché trois vaisseaux pour s’emparer de Navarin. Le 28, on avait reçu la nouvelle, devant Coron, d’une affaire qui s’était passée entre les Grecs et les Turcs, au passage de l’isthme de Corinthe. Le commandant turc a été fait prisonnier en cette occasion.

 

         Je me hâte de vous donner ces bonnes nouvelles, monsieur, parce que je sais qu’elles vous feront plaisir, et que cela est bien authentique, puisqu’elles me viennent directement. Je m’acquitte aussi par là de la promesse que je vous ai faite de vous communiquer les nouvelles aussitôt que je les aurais reçues. Soyez assuré, monsieur, de l’invariabilité de mes sentiments. Catherine.

 

         Voilà la Grèce au point de redevenir libre, mais elle est bien loin encore d’être ce qu’elle a été : cependant on entend avec plaisir nommer ces lieux, dont on nous a tant rebattu les oreilles dans notre jeunesse.

 

 

 

43 - DE L’IMPERATRICE.

 

A ma maison de campagne de Czarskozélo, le 26 Mai/6 Juin.


 

            Monsieur, je me hâte de répondre à votre lettre du 18 Mai, que j’ai reçue hier au soir, parce que je vous vois en peine. Les vicissitudes que les adhérents de Moustapha répandent que mon armée doit avoir essuyées, la perte de la Valachie, sont des contes dont je n’ai senti d’autre chagrin que celui de vous voir appréhender que cela ne soit vrai. Dieu merci, rien de tout cela n’existe. Je vous ai mandé, la poste passée, les nouvelles que j’ai reçues de la Morée, qui, pour premier début, paraissent assez satisfaisantes. J’espère que par votre intercession la sainte Vierge n’abandonnera pas les fidèles.

 

         Dormez tranquille, monsieur ; les affaires de votre favorite (après ce que vous me dites, et l’amitié que vous ne cessez de me témoigner, je prends hardiment ce titre) vont un train très honnête : elle-même en est contente, et ne craint les Turcs ni par terre ni par mer.

 

         Cette flotte turque, dont on fait tant de bruit, est merveilleusement équipée ! Faute de matelots, on a mis sur les vaisseaux de guerre les jardiniers du sérail.

 

         Après avoir bien bataillé, viendra la paix, temps pendant lequel j’espère achever mon code.

 

         Adieu, monsieur ; portez-vous bien, et soyez assuré qu’on ne saurait ajouter à la sensibilité que j’ai pour toutes les marques d’amitié que vous me donnez. Rien aussi n’égale l’estime que j’en fais. Catherine.

 

 

 

44 - DE VOLTAIRE.

 

A Ferney, 4 Juillet.

 

 

         Madame, j’ai reçu la lettre dont votre majesté impériale m’honore, en date du 27 Mai. Je vous admire en tout ; mon admiration est stérile, mais elle voudrait vous servir : encore une fois je ne suis pas du métier, mais je parierai ma vie que dans une plaine ces chars armés, soutenus par vos troupes, détruiraient tout bataillon ou tout escadron ennemi qui marcherait régulièrement ; vos officiers en conviennent : le cas peut arriver. Il est difficile que dans une bataille tous les corps turcs attaquent en désordre, dispersés, et voltigeant vers les flancs de votre armée ; mais s’ils combattent d’une manière si irrégulière, en sauvages sans discipline, vous n’aurez pas besoin des chars de Thomyris ; il suffira de leur ignorance et de leur emportement pour les faire battre comme vous les avez toujours battus.

 

         Je ne conçois pas comment votre majesté n’est pas encore maîtresse de Brahilof et de Bender, au moment que je vous écris ; mais peut-être ces deux places sont-elles prises, et nous n’en avons pas encore la nouvelle.

 

         Les gazettes me font toujours une peine égale à mon attachement ; je crains que les Turcs ne soient en force dans le Péloponèse.

 

         Je n’entends plus parler de la révolution prétendue arrivée en Egypte ; tout cela m’inquiète pour mes chers Grecs et pour vos armées victorieuses, qui ne me sont pas moins chères.

 

         La France envoie une flotte contre Tunis ; j’aimerais encore mieux qu’elle envoyât trente vaisseaux de ligne contre Constantinople.

 

         Votre entreprise sur la Grèce est sans contredit la plus belle manœuvre qu’on ait faite depuis deux mille ans ; mais il faut qu’elle réussisse pleinement : ce n’est pas assez qu’elle vous fasse un honneur infini. Où est le profit, là est la gloire, disait notre roi Louis XI, qui ne vous égalait en rien.

 

         Je donnerais tout ce que j’ai au monde pour voir votre majesté impériale sur le sopha de Moustapha. Son palais est assez vilain, ses jardins aussi ; vous auriez bientôt fait de cette prison le lieu le plus délicieux de la terre. Daignez, je vous en conjure, me dire qui vous espérer y parvenir. Il me semble qu’il ne faudrait qu’une bataille ; elle serait décisive.

 

         Je ne reviens point de ma surprise. Votre majesté est obligée de diriger des armées en Valachie, en Pologne, dans la Bessarabie, dans la Géorgie ; et elle trouve encore du temps pour daigner m’écrire : je suis stupéfait et confus, autant que reconnaissant. Daignez toujours agréer mon profond respect et mon enthousiasme pour votre majesté impériale. Le très vieux ermite de Ferney.

 

 

 

 

Publié dans Catherine II de Russie

Commenter cet article