EPITRE : A une dame un peu mondaine

Publié le par loveVoltaire






A UNE DAME

 

UN PEU MONDAINE ET TROP DEVOTE (1)

 

 

 

   1715  

 

 

 

 

 

Tu sortais des bras du Sommeil,

Et déjà l’œil du Jour voyait briller tes charmes,

Lorsque le tendre Amour parut à ton réveil ;

Il te baisait les mains, qu’il baignait de ses larmes.

« Ingrate, te dit-il, ne te souvient-il plus

Des bienfaits que sur toi l’Amour a répandus ?

J’avais une autre espérance

Lorsque je te donnai ces traits, cette beauté ;

Qui, malgré ta sévérité,

Sont l’objet de la complaisance.

Je t’inspirai toujours du goût pour les plaisirs,

Le soin de plaire au monde, et même des désirs ;

Que dis-je ! Ces vertus qu’en toi la cour admire,

Ingrate, tu les tiens de moi.

Hélas ! Je voulais par toi

Ramener dans mon empire

La candeur, la bonne foi,

L’inébranlable constance,

Et surtout cette bienséance

Qui met l’honneur en sûreté,

Que suivent le mystère et la délicatesse,

Qui rend la moins fière beauté

Respectable dans sa faiblesse.

Voudrais-tu mépriser tant de dons précieux ?

N’occuperas-tu tes beaux yeux

Qu'à lire Massillon, Bourdaloue, et la Rue ?

Ah ! Sur d’autres objets daigne arrêter ta vue :

Qu’une austère dévotion

De tes sens combattus ne soit plus la maîtresse ;

Ton cœur est né pour la tendresse,

C’est ta seule vocation.

La nuit s’avance avec vitesse ;

Profite de l’éclat du jour :

Les plaisirs ont leur temps, la sagesse a son tour.

Dans ta jeunesse fais l’amour,

Et ton salut dans ta vieillesse.

 

Ainsi parlait ce dieu. Déjà même en secret

Peut-être de ton cœur il s’allait rendre maître.

Mais au bord de ton lit il vit soudain paraître

Le révérend père Quinquet.

L’amour, à l’aspect terrible

De son rival théatin (1),

Te croyant incorrigible,

Las de te prêcher en vain,

Et de verser sur toi des larmes inutiles,

Retourna dans Paris, où tout vit sous sa loi,

Tenter des beautés plus faciles,

Mais bien moins aimables que toi.

 

 

 

 

 

 

1 – Madame la duchesse de Béthune. (G.A.)

 

2 – Les théatins étaient surtout des directeurs de conscience. (G.A.)

 

 


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