EPITRE : A une dame...

Publié le par loveVoltaire





A une dame,

 

Ou soi-disant telle (1)

 

 

- 1732 –

 

 

 

 

 

 

Tu commences par me louer,

Tu veux finir par me connaître :

Tu me loueras bien moins. Mais il faut t’avouer

Ce que je suis, ce que je voudrais être.

J’aurai vu dans trois ans passer quarante hivers.

Apollon présidait au jour qui m’a vu naître.

Au sortir du berceau j’ai bégayé des vers.

Bientôt ce dieu puissant m’ouvrit son sanctuaire :

Mon cœur, vaincu par lui, se rangea sous sa loi.

D’autres ont fait des vers par le désir d’en faire ;

Je fus poète malgré moi.

Tous les goûts à la fois sont entrés dans mon âme ;

Tout art a mon hommage, et tout plaisir m’enflamme ;

La peinture me charme : on me voit quelquefois

Au palais de Philippe (2), ou dans celui des rois,

Sous les efforts de l’art admirer la nature.

Du brillant (3) Cagliari saisir l’esprit divin,

Et dévorer des yeux la touche noble et sûre

De Raphaël et du Poussin.

De ces appartements qu’anime la peinture,

Sur les pas du plaisir je vole à l’Opéra ;

J’applaudis tout ce qui me touche,

La fertilité de Campra,

La gaîté de Mouret, les grâces de Destouche (4) ;

Pélissier par son art, Le Maure par sa voix (5),

Tour à tour ont mes vœux et suspendent mon choix.

Quelquefois, embrassant la science hardie

Que la curiosité

Honora par vanité

Du nom de philosophie,

Je cours après Newton dans l’abîme des cieux ;

Je veux voir si des nuits la courrière inégale,

Par le pouvoir changeant d’une force centrale,

En gravitant vers nous s’approche de nos yeux,

Et pèse d’autant plus qu’elle est près de ces lieux,

Dans les limites d’un ovale.

J’en entends raisonner les plus profonds esprits,

Maupertuis et Clairaut, calculante cabale ;

Je les vois qui des cieux franchissent l’intervalle,

Et je vois trop souvent que j’ai très peu compris.

De ces obscurités je passe à la morale ;

Je lis au cœur de l’homme, et souvent j’en rougis.

J’examine avec soin les informes écrits,

Les monuments épars, et le style énergique

De ce fameux Pascal, ce dévôt satirique.

Je vois ce rare esprit trop prompt à s’enflammer ;

Je combats ses rigueurs extrêmes (6)

Il enseigne aux humains à se haïr eux-mêmes ;

Je voudrais, malgré lui, leur apprendre à s’aimer.

Ainsi mes jours égaux, que les Muses remplissent,

Sans soins, sans passions, sans préjugés fâcheux,

Commencent avec joie, et vivement finissent

Par des soupers délicieux.

L’Amour dans mes plaisirs ne mêle plus ses peines ;

La tardive raison vient de briser mes chaînes ;

J’ai quitté prudemment ce dieu qui m’a quitté ;

J’ai passé l’heureux temps fait pour la volupté.

Est-il donc vrai, grands dieux ! Il ne faut plus que j’aime ?

La foule des beaux-arts, dont je veux tour à tour

Remplir le vide de moi-même,

N’est pas encore assez pour remplacer l’amour.

 

 

 

 

1 – Cette pièce fut imprimée dans le Mercure de France en 1732. Un breton, nommé Desforges-Maillard, qui faisait assez facilement des vers médiocres, s’était amusé à insérer dans les journaux des pièces de vers sous le nom de mademoiselle Malcrais de La Vigne. Plusieurs poètes célèbres lui répondirent par des galanteries. Cette facétie dura quelque temps. Piron employa cette aventure d’une manière très heureuse dans sa Métromanie.

 

       Voltaire, en conservant sa pièce, en retrancha toutes les choses galantes qu’il adressait à mademoiselle Malcrais, et qu’elle méritait si peu. De tous les vers qu’elle a faits ou inspirés, ce sont les seuls qui soient restés. (K.)

 

2 – Le Palais-Royal (G.A.)

 

3 – Paul Véronèse. (1739)

 

4 – Musiciens agréables. (1748)

 

5 – Actrices de ce temps-là. (1748)

 

6 – Voyez les Remarques sur Pascal. (G.A.)




******

 

 

Après quelques recherches, j'ai trouvé les vers retranchés ; voici le commencement de l’épître :

 

 

Toi dont la voix brillante a volé sur nos rives,

Toi qui tiens dans Paris nos muses attentives,

Qui sais si bien associer

Et la science et l’art de plaire,

Et les talents de Deshoulière,

Et les études de Dacier,

J’ose envoyer aux pieds de ta muse divine

Quelques faibles écrits, enfants de mon repos

Charles fut seulement l’objet de mes travaux,

Henri Quatre fut mon héros,

Et tu seras mon héroïne.

En te donnant mes vers je te veux avouer

Ce que je suis, ce que je voudrais être ;

Te peindre ici mon âme, et te faire connaître

Celui que tu daignes louer.

J’aurai vu, dans trois ans,

 

Etc.

 

 

 

Nota : Voltaire ne lui en a pas tenu rigueur. Voir lettres adressées à M. Desforges-Maillard, en février, avril et juin 1735. (ci-contre)

 

 

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